Avertissement :
Si votre « détecteur à sarcasme » est en panne, passez directement au
paragraphe deux.
On attribue à un Allemand (Goebbels
ou le moustachu lui-même, vous avez le choix) l’idée qu’un énorme mensonge,
répété en boucle, finira par être cru par le plus grand nombre. Même cette
citation/idée n’est sans doute pas à relier à son auteur présumé, mais des
psychologues semblent être d’accord pour dire que si nous ne faisons pas
attention (nous ajouterons que ne pas vérifier soi-même des informations peut
entraîner l’ingestion de couleuvres de la taille de la Grande Muraille), il est
tout à fait possible de nous faire avoir – même pas des mensonges grossiers.
Remarquez,
c’est très vrai et c’est très facile : qui vous dira que c’est Jean-Louis
Michel qui a localisé (en fait localisé à nouveau est plus exact, car l’épave
avait été repérée à deux reprises avant 1985) l’épave du Titanic ? Pas
grand monde, puisque celui qui était dans les bras de Morphée au moment de la découverte
s’en est attribué tout le mérite dès le début et fait encore campagne en
surfant sur le travail d’un autre.
Même
maintenant, où nous avons accès à des vidéos prises en direct, vous aurez
toujours des gens à qui quelques bipèdes mal intentionnés arriveront à faire
prendre des vessies pour des lanternes.
Bref,
c’est bien du travail dans une journée qui n’a que vingt-quatre heures, mais si
l’on veut éviter de se faire arnaquer par un collectif d’idiots du village et
autres buveurs d’eau dans les Alpes, voire par quelques bestioles qui nous
prendraient pour des poussins du jour en espérant pouvoir nous contrôler, il
faut creuser.
Ayant
pelle et pioche à disposition, nous allons vous présenter un
affreux qui se faisait passer pour un type bien :
Voici Robert Edwin Peary. Ah…
attendez. Il nous faut une petite photo pour cette rencontre :
Robert Peary
(1856–1920) - Amiral, ingénieur et explorateur américain du Pôle Nord.
Photographie, vers 1900, posée sur papier gélatino-argentique : d'après
négatif sur verre au gélatinobromure d'argent. BnF
Alors,
si on se fie au plus grand nombre, cet ancien amiral étatsunien fut le premier
à parvenir au Pôle Nord géographique en avril 1909. Pour cet exploit, on lui a
élevé des monuments, des navires (étasuniens, bien évidement), des lieux et des
bâtiments portent son nom.
Ça,
c’est selon le plus grand nombre.
Nous
avons découvert ce magnifique spécimen de bipède grâce à QI. QI,
ou Quite Interesting, est une émission de la BBC où on découvre pourquoi
les flamants roses sont roses (une histoire de chimie avec de microscopiques
algues bleu-vert – les crevettes n’y sont pas pour grand-chose), combien de lunes
notre planète possède ou combien des six cérémonies de mariages du roi
d’Angleterre Henry VIII étaient valides selon que vous êtes protestant ou
catholique.
Grâce
à QI, nous savions que Peary était un voleur, un menteur et un ignoble
monstre : il vola des météorites sacrées aux Inuits du Groenland –
météorites qu’il vendit pour une somme astronomique (sans jeu de mot) – et attira
quelques natifs dans ce qui devin un piège en forme de zoo humain avant que les
squelettes de ceux qui moururent à cause de ce voyage ne se retrouvent exposés,
sans l’autorisation de leurs famille et de leur peuple, dans un musée. En
cherchant quelques informations pour cet article, nous avons découvert qu’il
était également faussaire et vantard mythomane dans des proportions
galactiques.
Ce triste personnage naquit à
Cresson en Pennsylvanie le 6
mai 1856 et mourut à Washington dans le District de Columbia le 20 février 1920.
En 1881,
il s’engagea comme ingénieur dans la marine après avoir reçu une formation de
dessinateur.
Il se
rendit dans l’arctique en 1886 : au Groenland, il ne parvint pas à
traverser le pays en traineau. Ce fut à ce moment-là qu’il commença à
s’intéresser aux Inuits et à leurs techniques de survie. Il tenta à nouveau son
exploit lors d’une expédition en 1891-1892
et il prouva que le Groenland était une île.
Peary
aurait pu s’arrêter sur ce réel succès, mais ce ne fut pas le cas.
En
1894, alors que depuis 1818 les Occidentaux savaient que les populations
locales devaient avoir accès à du fer provenant de météorites, Peary fut le
premier à parvenir à localiser ces possessions des Inughuits, une des tribus
des Inuits du Groenland.
Les
Inughuits racontèrent à Peary que les trois morceaux qu’ils possédaient
représentaient une de leurs sœurs (la Femme – un des deux petits
morceaux) en train de coudre dans sa tente (la Tente – le plus gros
morceau) en compagnie de son chien roulé en boule près d’elle (le Chien
– un autre petit morceau) ; selon leur croyance, les trois avaient été jetés
des cieux par le maléfique Tornarsuk.
Les
Inughuits se servaient de petits éclats de météorite afin de se confectionner
des armes, ce qui avait éveillé la curiosité – et la cupidité – des Occidentaux
qui se demandaient d’où pouvait bien venir ce fer dans un endroit où il n’y
avait pas de mine de ce minerai.
Dès
1895, Peary avait volé la Femme et le Chien, mais la Tente
était si lourde qu’il ne parvint à la voler qu’en 1897. Il vendit la Tente
à l’American Museum of Natural History à New York pour 40 000 $ (la
bagatelle de près d’un million et demi d’euros aujourd’hui) – et autant
rentabiliser l’expédition en faisant plaisir à un charmant anthropologue, Franz
Boas (1858-1942), qui souhaitait pouvoir étudier un Inuit et en invitant
six (le veuf Qisuk et son jeune fils, Minik, la shaman Atangana et son mari
Nuktaq, qui était un chasseur réputé, ainsi que leur fille adoptive, Aviaq et
son fiancé, Uisaakassak). Il fut assez vague sur ce voyage et leur promit
qu’ils ne feraient qu’un aller et retour et qu’ils recevraient des outils en
échange de leur collaboration.
Pendant
le voyage, Peary ne s’occupa pas le moins du monde de ses invités.
Le petit Minik à son
arrivée à New York
Arrivés
à New York, Peary livra les natifs à Boas, qui, une fois que sa curiosité fut
satisfaite, laissa les Inughuits dépérir dans une pièce insalubre du musée où
quatre d’entre eux contractèrent la tuberculose et moururent.
Il
est à noter que le musée avait la garde des Inughuits – c’est bien beau
cet esprit colonial et impérialiste, non ?
Comme
Boas n’attendait qu’un natif, le musée fut pris au dépourvu, d’où le pitoyable hébergement
des Inughuits – et comme en 1897/1898 les Occidentaux se moquaient pas mal du
bien-être de ceux qu’ils jugeaient inférieurs, on fit payer l’entrée à des
visiteurs à qui les Inughuits serrèrent la main. Qui s’étonne qu’Atangana,
Nuktaq, Aviaq et Qisuk soient tombés malades ?
Seul Uisaakassak parvint à retrouver sa terre
natale. Minik (1890 ?-1918) fut adopté par le directeur du musée, un
certain William Wallace.
Boas
organisa un faux enterrement pour le père de Minik alors même qu’il faisait envoyer
le corps chez Wallace qui fit préparer le squelette du père de l’enfant afin de
l’exposer dans une vitrine du musée. Minik ne retrouva le Groenland qu’après
1910 ; il retourna aux États-Unis où il succomba à l’épidémie de grippe
espagnole (qui, d’ailleurs, était sans doute une épidémie qui commença sur le
sol étasunien, mais c’est une autre Histoire).
Ce
fut dans un article de journal, dès années après le faux enterrement, que Minik
découvrit le sort de son vrai père. Wallace n’était plus le directeur du musée
et le nouveau directeur, Hermon Carey Bumpus, les ignora, tout comme Boas qui
enseignait alors. Bumpus nia être en possession des squelettes inughuits et
Minik ne parvint jamais à récupérer les os de son père afin de les enterrer
selon leurs croyances.
En
1907, Minik, qui avait contracté la tuberculose et venait de survivre à sa
troisième pneumonie (merci Peary, Boas et Wallace), demanda à Peary de le
ramener au Groenland. Peary refusa.
Il
fallut que le jeune homme menace de se suicider pour qu’on l’embarque
finalement sur un vaisseau qui devait ravitailler Peary. Afin de faire du
sensationnel, des journalistes racontèrent que Minik était retourné chez
lui couvert de cadeaux. Belle histoire. Beau mensonge. Non seulement il n’avait
presque rien, mais il avait oublié sa langue et sa culture. Grâce à un guérisseur
d’une tribu amie, il réapprit ce dont il avait besoin pour vivre chez lui, mais
il décida de retourner définitivement aux États-Unis en 1916.
Ce
n’est qu’en 1993 que justice fut rendue aux quatre victimes inughuits – et
encore, ce ne fut que grâce à la persévérance de Kenn Harper qui écrivit en
1986 un ouvrage sur Minik, Give Me My Father’s Body (Donnez-moi le
corps de mon père – notre traduction), et qui survécut à la paperasse étasunienne
et canadienne, parvenant à faire rendre les squelettes et les faire enterrer
selon les rites inuit à Qaanaaq au Groenland.
Bien, donc, le côté voleur et
monstre, c’est fait. Passons à sa magnifique expédition au Pôle Nord.
Il
déclara l’avoir atteint le 6
avril 1909, en traineau à chiens (Oh ! Si vous aimez les
chiens, n’allez pas creuser pour savoir comment ces expéditions se déroulaient
– et se finissaient – pour ce pauvres bêtes ; c’est à vous en faire perdre
le sommeil).
À
son retour, il eut la mauvaise surprise de découvrir que Frederick Albert Cook
(1865-1940) disait être arrivé au Pôle Nord en 1908. Ce fut le Congrès qui
décida que Peary avait été le premier.
En
regardant les données de toutes les expéditions, il semble que les spécialistes
penchent pour que Roald Engelbregt Gravning Amundsen (1872-1928) et Umberto
Nobile (1885-1978) aient été les premiers à vraiment atteindre le Pôle à bord
du dirigeable Norge le 11 mai
1926. Le 21 mai
1937, Ivan Dmitrievitch Papanine (1894-1986) y posa son avion et seulement
en avril 1968, Walter, dit Wally, Herbert (1934-2007) y arriva sur terre en
motoneiges.
Il
est possible que Cook se soit sincèrement trompé, mais pas Peary. D’ailleurs,
même le Congrès doutait des preuves de Peary.
Il
faut dire que son journal d’expédition ne ressemble à rien, d’autant plus que
l’arrivée au Pôle est décrite sur des feuilles volantes alors que le journal
lui-même ne manquait pas de feuilles.
Peary
avait renvoyé toute son équipe, sauf un aide de camp, Matthew Alexander Henson
(1866-1955) et quatre guides inuits. À quelques jours du Pôle, les distances
parcourues furent multipliées par quatre ou cinq et, sur un terrain plus
qu’accidenté, la route selon les plans de Peary était toute droite. Plus besoin
de contrôler la position non plus, ni de la faire calculer par Henson. Non.
Peary savait où il était et, le 6
avril 1909, c’était au Pôle Nord.
Peary
est rentré, a raconté son histoire sans avoir la moindre preuve, son sponsor,
la National Geographic Society, a certifiée ses dires, le
Congrès a déclaré (parce qu’il était étasunien et qu’il connaissait les
membres du comité qui l’interrogea ?) qu’il avait bien réalisé son exploit
et était le premier humain à être arrivé au Pôle Nord.
C’est encore pour cet exploit qu’on
le connaît. Ça n’en reste pas moins un mensonge.
Oh, avant de vous quitter… encore
une horreur : Peary et ses hommes traitaient les femmes autochtones de
manière déplorable (des témoins ont rapporté des abus lors de l’expédition au
Pôle). Peary et son aide, Henson, ont eu des enfants avec des natives ;
Mme Peary fut-elle informée de l’existence des demi-frères de ses propres
enfants ? Allez savoir. En revanche, ayons une pensée pour une jeune Inughuit,
Alakahsingwah, qui avait environ
quatorze ans quand elle tomba dans les griffes de Peary et qui eut au moins
deux enfants avec lui.
Sources :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Robert_Peary
https://en.wikipedia.org/wiki/Robert_Peary
https://en.wikipedia.org/wiki/Cape_York_meteorite
https://en.wikipedia.org/wiki/Franz_Boas
https://en.wikipedia.org/wiki/Minik_Wallace