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Au feu les... soldats ! Vlà... le Louvre qui brûle !

Nous n’allons pas vous parler en détail de la Commune de Paris (18 mars-28 mai1871) – le sujet est bien trop vaste pour un seul article.

Nous n’allons pas non plus vous faire la liste de ce que nous avons perdu à cause des incendies de la Commune ; entre les archives (ce qui complique les recherches historiques et généalogiques), l’Hôtel de Ville, la Bibliothèque impériale et toutes les autres pertes, il nous faudrait écrire tout un livre (et le sujet est très mauvais pour notre pression artérielle).

            Nous allons vous parler d’une plaque commémorative qui se trouve au Louvre, au rez-de-chaussée de l’aile Denon en allant vers la Victoire de Samothrace :


            Mai 1871 fut particulièrement violent, culminant avec la Semaine sanglante (du dimanche 21 au 28).

Les Communards, dont le mouvement avait commencé en mars, souhaitaient l’indépendance des communes de France, une république plus égalitaire et – en avance sur leur temps – la séparation de l’Église et de l’État.

De leur côté, les Versaillais, menés par Adolphe Thiers (1797-1877), luttaient contre eux.

Les autres communes se désolidarisèrent de la cause des Communards, mais Paris poursuivit sa lutte.

Les répressions après la Commune demanderaient, elles aussi, un article beaucoup plus long, voire tout un livre.

 

            Focalisons-nous sur ce qui s’est passé au Louvre.

Déjà, le Louvre de l’époque est bien différent du Louvre d’aujourd’hui : l’organisation intérieure n’était pas la même et près de trois cents œuvres avaient été déplacées l’année précédente à cause de la guerre avec la Prusse (certaines furent envoyées à Brest, d’autres furent cachées à Paris).

Les Communards étaient conscients de la valeur des œuvres qui restaient au Louvre et le musée fut de nouveau ouvert au public le 17 avril.

Il semblerait d’ailleurs que les impardonnables incendies, qui mériteraient une recherche qui serait beaucoup trop longue pour le présent article, ne nous aient pas été rapportés de façon objective après la bataille (quelle surprise !). Les vainqueurs ont présenté les faits de façon à justifier leurs décisions (pendant les combats, puis au moment des reconstructions – ou destructions définitives). Nous avons perdu énormément des choses, mais pas autant que la propagande a voulu nous le faire croire après l’échec de la Commune.

Du côté des incendiaires, les choses étaient également compliquées.

Un poème de Victor Hugo (1802-1885), publié en 1872, semble nuancer les responsabilités et donner une autre perspective à cet épisode (la bibliothèque a effectivement brûlé et le bâtiment a été perdu, mais rien n’est simple dans cette histoire/Histoire) :

 

À qui la faute ?

Tu viens d'incendier la Bibliothèque ?

- Oui.
J'ai mis le feu là.

- Mais c'est un crime inouï !
Crime commis par toi contre toi-même, infâme !
Mais tu viens de tuer le rayon de ton âme !
C'est ton propre flambeau que tu viens de souffler !
Ce que ta rage impie et folle ose brûler,
C'est ton bien, ton trésor, ta dot, ton héritage
Le livre, hostile au maître, est à ton avantage.
Le livre a toujours pris fait et cause pour toi.
Une bibliothèque est un acte de foi
Des générations ténébreuses encore
Qui rendent dans la nuit témoignage à l'aurore.
Quoi! dans ce vénérable amas des vérités,
Dans ces chefs-d’œuvre pleins de foudre et de clartés,
Dans ce tombeau des temps devenu répertoire,
Dans les siècles, dans l'homme antique, dans l'histoire,
Dans le passé, leçon qu'épelle l'avenir,
Dans ce qui commença pour ne jamais finir,
Dans les poètes! quoi, dans ce gouffre des bibles,
Dans le divin monceau des Eschyles terribles,
Des Homères, des Jobs, debout sur l'horizon,
Dans Molière, Voltaire et Kant, dans la raison,
Tu jettes, misérable, une torche enflammée !
De tout l'esprit humain tu fais de la fumée !
As-tu donc oublié que ton libérateur,
C'est le livre ? Le livre est là sur la hauteur;
Il luit; parce qu'il brille et qu'il les illumine,
Il détruit l'échafaud, la guerre, la famine
Il parle, plus d'esclave et plus de paria.
Ouvre un livre. Platon, Milton, Beccaria.
Lis ces prophètes, Dante, ou Shakespeare, ou Corneille
L'âme immense qu'ils ont en eux, en toi s'éveille ;
Ébloui, tu te sens le même homme qu'eux tous ;
Tu deviens en lisant grave, pensif et doux ;
Tu sens dans ton esprit tous ces grands hommes croître,
Ils t'enseignent ainsi que l'aube éclaire un cloître
À mesure qu'il plonge en ton cœur plus avant,
Leur chaud rayon t'apaise et te fait plus vivant ;
Ton âme interrogée est prête à leur répondre ;
Tu te reconnais bon, puis meilleur; tu sens fondre,
Comme la neige au feu, ton orgueil, tes fureurs,
Le mal, les préjugés, les rois, les empereurs !
Car la science en l'homme arrive la première.
Puis vient la liberté. Toute cette lumière,
C'est à toi comprends donc, et c'est toi qui l'éteins !
Les buts rêvés par toi sont par le livre atteints.
Le livre en ta pensée entre, il défait en elle
Les liens que l'erreur à la vérité mêle,
Car toute conscience est un nœud gordien.
Il est ton médecin, ton guide, ton gardien.
Ta haine, il la guérit ; ta démence, il te l'ôte.
Voilà ce que tu perds, hélas, et par ta faute !
Le livre est ta richesse à toi ! c'est le savoir,
Le droit, la vérité, la vertu, le devoir,
Le progrès, la raison dissipant tout délire.
Et tu détruis cela, toi !

- Je ne sais pas lire.

 

            Le 24 mai 1871, donc, le Louvre faillit brûler. Des soldats « Versaillais » avaient été dépêchés sur Paris et c’était le 26e bataillon de chasseurs à pied qui était près du Louvre ce jour-là.

Ce bataillon était sous les ordres du commandant Marie Félicien René Martian de Bernardy de Sigoyer (Valence, 29 août 1824 – Paris, 25 mai 1871) ; il était chef de bataillon au 44e régiment d’infanterie quand il fut nommé, le 26 décembre 1870, commandant du 22e bataillon de marche (l’Historique du 26e bataillon de chasseurs à pied, publié en 1898 par la Librairie militaire de L. Baudoin à Paris, nous apprend qu’il ne put prendre sa fonction qu’à la fin janvier 71 à cause d’une grave blessure reçue au siège de Thionville). Le 22e fut dénommé le 25e avant d’être définitivement appelé « 26e » par décret du 30 janvier 71. Bernardy de Sigoyer commandait environ huit cents hommes. Après la signature de l’armistice, le 2 février, le bataillon est envoyé à Lille (20 février), puis à Roubaix (8 mars) où une grève d’ouvriers menace de dégénérer en émeute. Bernardy de Sigoyer réprima les ouvriers en cinq jours et son bataillon retourna à Lille.

 


Le commandant Martian de Bernardy de Sigoyer

(commande de l’agence de presse Meurisse en 1913,

accompagnée de la dernière lettre du commandant à son épouse)

 

Les hommes qui avaient été mobilisés pour la guerre furent libérés de leurs obligations militaires. Les trois cent onze hommes qui restaient au bataillon arrivèrent à Versailles le 31 mars.

Au début avril (du 8 au 14), le bataillon fut chargé de la protection du pont de Saint-Cloud (une compagnie de quatre-vingt hommes y est envoyée chaque jour). Le bataillon retourna à Sèvres, où il avait déjà séjourné ; là, il protégea la réparation du pont.

Le bataillon resta dans le secteur Sévres/Billancourt jusqu’au 21 mai, date à laquelle il aida à reprendre des bastions.

Au 22 mai, il se rendit au pont des Invalides, mais il se fit attaquer depuis les Tuileries (il parvint cependant à prendre d’assaut le Palais de l’Industrie).

L’ordre de se rendre aux Tuileries arriva le 24 mai. Voici ce que nous apprend l’Historique (pp. 15-20) :

 

« Le 24 mai, à 4 heures du matin, le bataillon reçoit l’ordre de se porter dans le jardin des Tuileries en suivant la terrasse du bord de l’eau et se maintenir dans cette position jusqu’à ce qu’un ordre nouveau lui trace l’itinéraire à suivre ». Un quart d’heure après, le bataillon était en marche. Le mouvement fut si rapide et mené avec un tel entrain, que de petits postes insurgés restés en observation près des Tuileries, furent enlevés. Le bataillon prit position derrière la barricade qui fermait le quai, près du pont de la Concorde, sur la terrasse du bord de l’eau. Là, il attendit les ordres qu’il devait recevoir. On était immobilisé en présence des incendies dont on était enveloppé de toutes parts. Le capitaine Lacombe* en profite pour aller seul faire une reconnaissance sur les quais, où il constate que le feu des Tuileries s’étend de proche en proche, que le musée du Louvre est menacé, et que « si on veut le sauver, il faut agir résolument, sans perdre une minute.

Le commandant n’hésite pas ; il se décide à n’obéir qu’à son initiative et prend immédiatement ses dispositions pour s’emparer du Louvre.

La place n’était pas bonne du haut d’une barricade placée près du Pont-Neuf, les fédérés balayaient les quais[1]. »

La 4e compagnie reçoit l’ordre de déblayer le terrain. M. le sous-lieutenant Crétin, de cette compagnie, part au pas de course avec sa section, débusque l’ennemi et le refoule jusqu’au Pont-Neuf.

La 2e section profite du mouvement offensif de la 1re pour s’emparer du Louvre, se porte aux fenêtres qui font face aux quais et, dans cette position, tient l’ennemi en respect.

« En même temps, le surplus du bataillon s’empresse, homme par homme et au pas de course, de se glisser le long des murailles pour arriver jusqu’à la porte vitrée qui donne accès dans la galerie des antiques. Le commandant est des premiers ; il fait enfoncer la porte à coups de crosses[2] . »

« Il ne s’agissait plus maintenant de combattre des révoltés, il fallait combattre l’incendie sans armes appropriées et le vaincre ; ce n’était point tâche facile. On fouille les caves, les chantiers où les ouvriers avaient abandonnés leurs outils ; tout ce qui peut servir, haches, pioches, marteaux, fut saisi avec empressement ; et la dernière compagnie, ayant à sa tête son capitaine, M. Lacombe, s’élance dans les escaliers, grimpe jusque sur les toits et, entre la salle des États et le pavillon La Trémouille, essaye de pratiquer une coupure. Le cœur ne manquait à personne, mais l’endroit n’était pas tenable, l’intensité de la chaleur, sinon les flammes, repoussait les travailleurs.

Le sergent Alazé dirigeait la 1re escouade, il fut forcé de reculer jusqu’en avant du pavillon Lesdiguières ; si celui-ci eût pris feu, le musée des tableaux, envahi par la grande galerie, eût flambé comme paille.

Pendant que la 1re compagnie s’efforçait d’isoler le Louvre, les quatre autres, gardées par leurs sentinelles, avaient déposé leurs fusils et, sous la direction des officiers, faisaient la chaîne depuis les prises d’eau jusque sur les toits, à l’aide de tous les récipients que l’on avait pu découvrir[3]. »

Trente hommes furent envoyés au pavillon Richelieu, où la bibliothèque embrasée était, de ce côté-là aussi, une menace pour le Louvre.

Sur ces entrefaites arrivèrent un détachement du 91e et un détachement des sapeurs-pompiers de Paris. Grâce à ce renfort, l’incendie fut maîtrisé et le bataillon put rejoindre la division, conformément aux ordres qu’il venait de recevoir. Vers 2 h. 1/2, il occupait la place du Châtelet.

Le Musée du Louvre était sauvé !

« Le 25 mai, après une nuit de repos bien gagnée, le 26e bataillon reprit sa marche en avant. Après avoir escaladé, sous le feu des insurgés, quelques barricades, dans la rue des Franc-bourgeois, il attaqua la place Royale, occupée en force par les fédérés.

La 1re et la 2e compagnie, sous le commandement du capitaine Lacombe, enlèvent, dans un brillant combat, la place Royale et toutes les rues qui y débouchent. Un poste avancé est immédiatement établi dans une maison du boulevard Beaumarchais, qui a vue sur la rue Amelot et le boulevard Richard-Lenoir.

Le général Daguerre, qui assistait à l’action, félicite les officiers et les chasseurs de leur conduite ; toute la brigade campe sous les arcades et sous les arbres de la place.

 

26 mai. Vers 2 heures du matin, le général Daguerre fit appeler le commandant de Sigoyer, que l’on chercha vainement et que l’on ne put découvrir. On s’inquiéta, on fouilla les maisons voisines, on interrogea les soldats et les sentinelles. À minuit, on avait vu le commandant se diriger seul vers la Bastille ; depuis lors il n’avait point reparu. À 5 heures , la brigade se porta vers la place de la Bastille ; à 8 heures, elle en était maitresse, et se forma près de la colonne de Juillet, pendant que le 26e bataillon, dont le capitaine Lacombe avait pris le commandement, et le 37e régiment d’infanterie de marche arrachaient aux insurgés les barricades qui formaient l’entrée du boulevard Richard-Lenoir ; à 9 heures, le corps du commandant de Sigoyer fut retrouvé près d’une maison incendiée, entre le boulevard Beaumarchais et la rue Jean-Beausire.

Ce fut un cri de douleur parmi les hommes du bataillon, qui adoraient leur commandant.

Le commandant de Sigoyer a dû être assommé d’un coup de crosse de fusil, son cadavre est resté là même où il a été frappé ; les débris enflammés d’une maison l’ont couvert, lui ont carbonisé une partie du corps et l’ont mutilé de telle sorte que l’on a pu, jusqu’à un certain point, croire qu’un supplice atroce lui avait été infligé. Après avoir été tué, il fut dévalisé[4]. »

À 5 heures du soir, grâce aux mouvements tournants qui s’opèrent sur les deux ailes de la brigade, la place de la Bastille est complètement dégagée.

Cette journée nous coûta neuf blessés, dont le lieutenant Gazeilles, qui s’était particulièrement fait remarquer par son énergie et son sang-froid.

Le capitaine Lacombe prend provisoirement le commandement du bataillon. »

 


Vue du Palais des Tuileries depuis le Louvre

 


L’incendie du 25 mai

 

Incidemment, le texte principalement cité par le rédacteur de l’Historique, Les Convulsions de Paris de l’académicien Maxime Du Camp (1822-1894), publié chez Hachette en 1879-1880, est consultable sur Gallica (Tome I - Les prisons pendant la Commune et Tome II - Épisodes de la Commune).

 

Le 26e bataillon et son commandant furent impressionnants et leur rapide action fut décisive dans le sauvetage du Louvre. Le gouvernement ne fut pas ingrat avec la famille du commandant, promulguant le 15 septembre 1871 une loi en faveur de sa veuve, qui, en plus de la pension à laquelle elle avait droit, reçut une pension viagère de deux mille francs, et de ses quatre enfants, qui reçurent une pension viagère de cinq cent francs et le droit « d’être élevé gratuitement dans les écoles de l’État ».

 

Le travail du personnel du Louvre doit également être salué, car ils furent un rempart face aux quelques illuminés et imbéciles qui s’attaquèrent à ce trésor national.

La seconde plaque commémorative nous parle de Léon Morand, Antoine Héron de Villefosse et d’Henri Barbet de Jouy.

Constant Léon Étienne Morand (Paris [ancien] XI, 30 mai 1825** – Asnières-sur-Seine, 18 mai 1909) était né au 6, quai des Orfèvres, au Palais de Justice (son père était employé de musée). Au début de sa carrière, il n’était que simple commis ; il fut ensuite économe et était agent comptable (depuis 1867). Le 1er octobre 1872, il fut promut chef de bureau et reçut la Légion d’honneur le lendemain.

Antoine Marie Albert Héron de Villefosse (Paris, 8 décembre 1845 – 15 juin 1919) avait été formé à l’École (impériale) des Chartes. Archiviste paléographe, spécialiste d’épigraphie latine, il était attaché au musée du Louvre au « département des antiques » (la sculpture grecque et romaine) depuis 1869. Contrairement à Morand, il ne reçut la Légion d’honneur qu’en 1874. En 1886, il devint conservateur du Louvre et il protégea encore le musée lors de la Grande Guerre ; il ne partit, à regret, à la retraite qu’en 1918.

 


Antoine Héron de Villefosse en 1876

 

Joseph-Henry Barbet de Jouy (Canteleu, 17 juillet 1812 – Paris, 26 mai 1896) était un archéologue et historien de l’art qui fut nommé conservateur du musée du Louvre (conservateur du musée des Souverains et des objets d'art du Moyen Âge et de la Renaissance à partir du 16 mars 1863), puis directeur des musées nationaux (à partir du 10 octobre 1871). Dès la déclaration de guerre et l’invasion prussienne, Barbet de Jouy resta au Louvre où il utilisait les gardiens afin d’assurer la sécurité des collections. Il poursuivit ses actions pendant la Commune avec l’aide du personnel du musée ; pendant cette période, il rédigea un journal que Maxime Du Camp put consulter (Barbet de Jouy refusa que son propre récit fut publié de son vivant).

 


Henry Barbet de Jouy

 

Le 24 mai, les soldats combattirent l’incendie, mais le personnel était là afin de protéger les œuvres. Bernardy de Sigoyer et Barbet de Jouy menèrent chacun leurs hommes et ce deux groupes méritent notre reconnaissance.



* : Il dirigeait la 1re compagnie.

[1] : Convulsions de Paris.

[2] : Rapport de la 4e Commission d’initiative parlementaire.

[3] : Convulsions de Paris.

[4] : Convulsions de Paris.

** : Ironiquement, il dut reconstituer son acte de naissance le 13 avril 1872 car l’original fut l’une des victimes des incendies de la Commune. L’acte nous apprend qu’en 1872, il résidait au Louvre et était « Chef de Bureau ». Il était en possession d’un extrait de naissance qui fut admis comme pièce à son dossier.