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Rose Eugène Cournuéjouls (1819-1898)

En rédigeant notre biographie de Georges Doublet, il nous a fallu un peu de temps afin de trouver des informations sur son proviseur à Versailles à la fin de ses études au lycée local, qui n’était pas encore le lycée « Hoche ».

Nos découvertes se firent en trois temps (elles auraient pu se faire en deux temps si nous n’avions pas fait trop confiance à notre site de généalogie préféré, mais c’est maintenant du passé).

Dans le dossier d’inscription de Doublet au concours de l’École normale (Archives nationales : 61AJ/169 [École normale supérieure (rue d’Ulm)]) se trouve une lettre du proviseur Eugène[1] Cournuéjouls qui atteste que Doublet fut élève dans son établissement et qu’il était assez sérieux et motivé pour s’inscrire au concours. Bien. Nous étions rentrée avec nos photos du dossier de Doublet et, bien loin des Archives nationales et ses précieux cartons, nous avons donc découvert Eugène Cournuéjouls, mais… Horreur ! Internet ne le connaît presque pas (on peut trouver une référence à son travail en faveur des répétiteurs de lycée dont les conditions étaient très dures ; il plaida leur cause auprès du gouvernement avant de prendre sa retraite – peut-être en banlieue parisienne. Il y a aussi une référence à son poste à Marseille et sa nomination à Alger. Rien de plus) et les sites de généalogie ne nous aidèrent en rien.

En consultant d’autres dossiers de l’École normale, toujours pour Doublet, nous avons – complètement pas hasard – trouvé, dans les listes de 1841, une référence à Rose Eugène Cournuéjouls, né à Lapanouse[2] le 22 décembre 1819.

Notre joie fut de courte durée, car, si nous avons trouvé son acte de naissance, en revanche, il n’y avait aucune information en marge ; il ne s’était peut-être jamais marié (il s’est marié), mais, né en 1819, il était forcément mort, mais nous n’avions aucune piste à l’état civil et toujours rien sur Internet.

Afin de pouvoir mentionner les dates de naissance et décès de Cournuéjouls, notre dernier espoir se trouvait dans le bulletin annuel de l’Amicale des anciens élèves de l’École normale. Nous sommes donc retournée aux Archives nationales où, dans le même carton où se trouve le bulletin qui mentionne le décès de Doublet trente-huit ans plus tard (61AJ/205), nous avons enfin découvert à quelle date le proviseur Cournuéjouls nous avait quittés.

Le texte rédigé en souvenir d’Eugène Cournuéjouls nous livre un trop bref portrait d’un homme fascinant. Bien évidemment, notre Histoire est une mosaïque compliquée de personnes intéressantes, mais, puisque nous avons consulté ce texte-là, nous le partageons aujourd’hui avec vous tel qu’il apparaît aux pages 33 à 39 du bulletin de l’Amicale des anciens élèves de l’École normale de 1899 :

 

Promotion de 1841. Cournuéjouls (Eugène), né à Hapanouse[3] (Aveyron), le 22 décembre 1819, décédé à Limoges, le 16 avril 1898.

Il fit ses études, en qualité d’élève externe, au collège royal de Rodez où il entra en cinquième en 1829. Le palmarès de cette année scolaire 1829-30 dans lequel il figure avec honneur, comprend parmi les lauréats de la classe de philosophie les deux frères Blanc (Louis et Charles) qui jouissaient à Rodez de bourses payées sur la cassette du roi Charles X. Il y a un rapprochement à faire entre cette mince brochure de douze pages d’une impression très peu serrée et nos palmarès d’aujourd’hui, gros et touffus volumes, dont la proclamation demande souvent deux journées et quelles journées ! Sans vouloir en quoi que ce soit nier les progrès réalisés par les connaissances humaines, on peut se demander si le développement moral et intellectuel de la jeunesse a suivi la même progression que l’étendue des palmarès. A cette époque, l’ancien mode d’externat n’avait pas encore disparu. Les élève étrangers à la ville étaient confiés à des particuliers chez lesquels ils vivaient en famille, généralement peu surveillés et payant à peu près toute permission d’aller et de venir. Ce régime était favorable au développement de l’esprit d’initiative et du sentiment de la responsabilité. Les élèves abusaient peu de cette liberté qui n’avait pour eux aucun caractère de fruit défendu. Leurs devoirs ne se faisaient pas plus mal que dans l’internat. Cournuéjouls se louait de s’être trouvé placé dans cette condition. Il disait y avoir pris l’habitude de demander beaucoup à lui-même et de savoir se diriger sans le concours d’autrui. Après avoir terminé ses études littéraires avec beaucoup de succès, il alla, en vue des études scientifiques, au lycée Saint-Louis où il ne tarda pas à entrer en qualité de maître répétiteur. Il venait de débuter à Rodez dans les mêmes fonctions. Ce service laissait alors beaucoup moins de liberté qu’aujourd’hui, il était peu aisé de le faire marcher de front avec la préparation à l’École Normale qui entraînait la nécessité de suivre les cours de la classe de mathématiques spéciales. Il parvint cependant, avec de la constance et de la volonté, à remplir avec succès cette double tâche. Il ne cessa de s’applaudir d’avoir ainsi commencé sa carrière par des fonctions qui sont la meilleure école pédagogique. En 1841, il entra à l’École Normale, dans la section des Sciences mathématiques. Il en sortit agrégé en 1844 pour aller à Limoges comme professeur de mathématiques élémentaires, en compagnie de son camarade et constant ami, Privat Deschanel, qui sortait en même temps de l’École avec le titre de professeur de physique. L’année suivante, la chaire de spéciales étant devenue vacante, il y fut appelé.

C’est là que s’accomplit toute sa carrière de professeur et qu’il s’allia, par son mariage, à une très honorable famille. Quels y furent ses services et quelle considération il sut y acquérir, un fait le montrera. Pendant longtemps, les titres d’officier d’Académie et de l’Instruction publique résultaient, non pas d’une nomination directe, mais de la fonction remplie. Ainsi, les professeurs de premier ordre étaient officiers d’Académie et les palmes d’officier de l’Instruction publique appartenaient de droit aux Proviseurs, aux Recteurs, etc. Un ministre, M. de Crouzeilles,  décida en 1851 que désormais ces distinctions ne pourraient être conférées que par voie de nominations ministérielles, ainsi que cela se pratique depuis cette époque. Or, le premier arrêté pris conformément à cette disposition nouvelle comprenait trois officiers de l’Instruction publique, parmi lesquels Cournuéjouls. En possession de la confiance de tous, très bien posé et apparenté à Limoges, il se serait peut-être décidé à s’y fixer pour toujours, si diverses circonstances n’étaient venues amoindrir la situation qu’il s’y était faite. Suppression de l’École normale primaire où il était chargé d’un cours, en même temps que membre de la Commission de surveillance ; suppression de la commission d’examen du baccalauréat dont il faisait partie et qui existait à Limoges comme dans quelques autres villes possédant une Académie sans Facultés.

Suppression, du Boni Vatimesnil[4] au moment où, atteignant sa sixième année d’agrégation, il allait en jouir et qui ne fut rétabli que bien des années plus tard. Peu encouragé par ces événements, obéissant d’ailleurs à sou désir de se destiner à la carrière du Provisorat pour laquelle il se sentait une vocation, encouragé, en outre, par l’inspecteur général, il accepta, plutôt qu’il ne sollicita le Censorat du lycée de Metz, établissement des plus importants à cette époque, surtout au point de vue de la préparation aux Écoles. Une population de grands élèves y affluait de tous les points de la région.

Son concours y fut des plus efficaces pour maintenir la forte discipline dont la tradition remontait, pour une large part, à un précédent censeur, M. Broca, le proviseur bien connu du lycée Charlemagne.

Une année après, en septembre 1852, il recevait, non sans surprise, l’avis de sa nomination à Marseille par une lettre ministérielle contenant le passage suivant : « Les services que vous avez rendus dans l’administration du lycée de Metz vous ont désigné pour un avancement que je suis heureux de vous donner en vous plaçant dans un lycée très important et d’un ordre supérieur à celui que vous quittez. » II devenait le collaborateur d’un proviseur. M. Jullien, jouissant déjà d’une réputation des plus méritées et qui devait plus tard donner toute la mesure de sa valeur hors ligne sur un plus grande théâtre à Louis-le-Grand et à Vanves. A pareille école, son expérience et son aptitude pédagogiques ne pouvaient que se développer et se fortifier. La population habituellement facile à conduire, était cependant capable de prendre feu parfois avec une vivacité méridionale. C’est dans un de ces mouvements heureusement fort rares, que Cournuéjouls reçut ce qu’il appelait le baptême du feu et montra ce dont il était capable comme sûreté et promptitude de décision. Il racontait volontiers cet épisode, bien fait pour marquer dans la vie d’un Censeur : « Il n`y avait alors au lycée de Marseille qu’un réfectoire où tout l’internat prenait ses repas aux mêmes heures. Une pareille disposition, adoptée depuis peu, était mal conçue, car on devait penser qu’une fois ou l’autre quelque tentative de désordre pourrait y être propice. La chose était facile à prévoir et elle arriva.

Un jour que l’attitude générale nous avait paru un peu inquiétante, un murmure se produisit au moment où on venait de s’asseoir pour le souper auquel je présidais, comme à tous les repas. Je donnai un avertissement qui fut écouté mais auquel on répondit sur toute la ligne par une nouvelle salve de murmures encore plus accentuée. Que faire? Surprendre des coupables ? Impossible ; on bourdonnait à bouche fermée. N’y faire aucune attention ? Parti inconciliable avec ma dignité, en même temps que fort dangereux. Le désordre n’aurait pas manqué de prendre des proportions plus graves. Faire appeler le Proviseur ? C’était avouer mon impuissance et en cas d’insuccès, découvrir l’autorité du chef qui avait besoin de rester intacte. Couper court au désordre en supprimant le souper ? C’était m’exposer à une désobéissance formelle dont les conséquences m’auraient été défavorables, une pareille tentative de ma part pouvait être taxée de témérité. Ces diverses réflexions se succédèrent dans mon esprit, rapides comme la pensée. J’eus même le temps de me rappeler le CIVIUM ARDOR PRAVA JUBENTIUM[5] d’Horace et de songer au grave péril que traversait ma carrière. Je n’en pris pas moins ce dernier parti, et sans m’arrêter à l’idée d’un relus possible sinon probable, je donnai l’ordre de se lever de table... Je fus obéi et sans avoir soupé on alla se coucher dans un profond silence. Il ne me resta plus qu’à rendre compte au Proviseur de ce que je venais de faire et à aller passer la nuit dans un vestiaire, entre deux dortoirs. Le lendemain quelques mesures disciplinaires mirent fin à l’effervescence. Cet incident eut pour moi une grande importance en ce qu’il me donna confiance en moi-même au point de vue du choix de ma nouvelle carrière. Il me confirma, de plus, dans cette opinion qui ne m’a jamais abandonné, a savoir que la jeunesse a, par-dessus tout, besoin de se savoir maîtrisée et qu’en face de l’esprit de résistance ou de désordre, les concessions, les transactions, les demi-mesures ne sont le plus souvent que de la faiblesse déguisée. »

Il quitte en 1856, le lycée de Marseille, pour devenir Proviseur du lycée d’Alger où il passa quatre années qu’il comptait, parmi les plus paisibles et les plus agréables de sa carrière.

Sympathique au personnel comme aux élèves chez lesquels il ne rencontra aucune résistance, vivant dans les meilleurs termes avec le Recteur M. Delacroix qui, confiant dans son savoir-faire, lui laissait la plus grande liberté d’action. Le lycée à cette époque était encore installé dans les bâtiments de l’ancienne caserne Babazoun qui se prêtait fort mal à cette destination et où les divers services fonctionnaient de la façon la moins commode, entassés et enchevêtrés dans un local qui devenait de plus en plus insuffisant, à mesure que la population s’accroissait. C’était le cas d’appliquer ce que disait M. Cousin à propos de l’École Normale de la rue Saint-Jacques : « Nous sommes pleins de vie et nous n’habitons que des ruines. » La salubrité aurait même souffert de cet encombrement si, grâce à la douceur du climat, l’aération n’avait pas été constante en toutes saisons. La construction d’un nouveau lycée s’imposait donc impérieusement. Mais quoique les projets fussent antérieurs à son arrivée, on était encore, après son séjour de quatre années, loin d’entrer dans la terre promise. Son rôle dut se borner à intervenir dans la préparation des plans. Il n’y travailla pas sans une arrière-pensée pénible. L’emplacement lui paraissait en effet mal choisi à l’extrémité de Bab el oued. Il ne cessa d’insister, pour faire adopter le côté opposé qui était celui du développement de la ville. On a depuis regretté bien souvent cette erreur irréparable.

En demandant à rentrer en France il tenait essentiellement à conserver les avantages de la première classe que lui offrait le lycée d’Alger place en dehors du classement des autres lycées. La chose n’aurait pas été sans rencontrer quelques difficultés, en raison surtout de cette circonstance, que, comme les autres services algériens, l’instruction publique relevait du Ministère récemment créé de l’Algérie et les Colonies. « Vous ne m’appartenez plus, lui avait dit M. Rouland et ne me reprochez pas de vous avoir cédé. On vous a pris. » Un événement imprévu vint dénouer cette situation. Une révolte éclata en 1852 au Prytanée militaire de la Flèche qui était trop souvent le théâtre de scènes de désordre. Le général Trochu, envoyé en mission, y reçut lui aussi le baptême des murmures. Le mot de suppression fut même prononcé. Le maréchal Randon, alors Ministre de la Guerre, comprit qu’il y avait des défauts graves dans l’organisation de ce grand établissement où l’on semblait croire qu’une maison d’éducation peut se conduire comme un régiment. Il voulut introduire, dans de plus larges proportions, les procédés et les méthodes de l’éducation universitaire. Le personnel enseignant, recruté jusque-là au moyen d’un concours local, dut, par voie d’extinction être remplacé par le personnel des lycées. Un emploi d’inspecteur des études fut crée pour seconder le général commandant dans la direction de tout ce qui se rattachait à l’enseignement et l’aider à introduire dans le régime intérieur toutes les réformes jugées nécessaires.

Suivant le désir du maréchal qui avait connu M. Cournuéjouls à Alger, ce poste lui fut offert. Il l’accepta à condition d’y être considéré comme y suivant la carrière dans le provisorat. Le Ministre de la Guerre eut en même temps la bonne chance de pouvoir confier le commandement au général Henri Lefèvre, homme de devoir et de dévouement, sachant allier un jugement solide, une grande bienveillance et une rare aménité de formes, au caractère le plus ferme et le mieux trempé. Une confiance réciproque, une entente jamais altérée, une véritable amitié s’établit entre le chef et le subordonné au grand profit du Prytanée qui y trouva, pendant près de douze ans, une période de calme absolu et de la plus incontestable prospérité. Des relations non moins sympathiques existaient entre Cournuéjouls et le commandant un second, le colonel Lecomte, un officier d’une grande valeur qui, après avoir fait bravement son devoir pendant la guerre, devait tomber victime d’un irréparable assassinat. Le séjour de M. Cournuéjouls au Prytanée se prolongea jusqu’en 1871. Il y était entré en 1860. Deux citations suffiront à faire connaître comment il y a été jugé. Un inspecteur général qui n’était pas précisément renommé pour son optimisme écrivait sur son compte en 1866 : « Fonctionnaire d’un ordre vraiment distingués. A des connaissances solides sur les matières scientifiques, il joint des qualités administratives précieuses et rares. Sa parole grave et accentuée a de l’autorité sans emphase. Il a du tact, de la finesse, un jugement sûr et vif, une sagacité parfaite... Les études scientifiques ont été promptement relevées de leur langueur et ont atteint un niveau qui n’est pas dépassé dans nos meilleurs lycées... » Voici comme seconde citation un passage de l’ordre du jour que le général Lefèvre fit paraître à l’occasion de son départ : « M. Cournuéjouls laisse au Prytanée où il a passé près de douze ans une mémoire honorée et une réputation de loyauté et de droiture justement mérité. Aussi, le général croit-il devoir, tant en son nom qu’au nom de tous le personnel de la maison exprimer publiquement à ce chef estimé de tous, les vifs et unanimes regrets que cause son départ. Par son esprit de justice, par la grande modération qu’il n’a cessé de montrer en toutes choses, enfin par son tact parfait, il a su triompher des nombreuses difficultés que présentait la réorganisation complète de l’établissement, aider l’autorité du commandant à rasseoir et à consolider la situation, un instant compromise, de l’ancien personnel enseignant, et participer, dans une large mesure, à la prospérité du Prytanée. Aussi cet éminent fonctionnaire laissera-t-il ici un souvenir d’autant plus précieux et durable qu’il sera basé sur l’estime et la respectueuse affection de tous. » Nombreuses, du reste, seraient les citations si on voulait rappeler dans cette notice tous les témoignages d’estime, d’affection, de sympathie provenant de ses chefs, comme de ses subordonnés que l’on trouve parmi ses papiers.

Honoré de la confiance de tous, élevé à la dignité d’officier de la Légion d’honneur, se trouvant, à tous égards très bien à la Flèche, il ne voulait pas cependant retarder indéfiniment sa marche ascendante dans l’Université. Il y rentra après la guerre, comme proviseur du lycée de Tours. La bonne réputation qui l’y avait précédé ne se démentit pas. Il y trouva des élèves acceptant facilement les exigences d’une règle qu’il sut toujours imposer sans obstacle et des collaborateurs distingués parmi lesquels il suffit de citer : MM. Borgnet, Rabier, Nollein, Gaffarel. Au moment de quitter Tours en 1874, il reçut de son recteur, qui était alors M. Chéruel, une lettre qui dit en deux mots à quel point son administration y avait été appréciée :

« Je regrette que l’Académie de Poitiers soit privée d’un des Proviseurs les plus distingués de l’Université. Je me rappellerai toujours nos excellentes relations et combien vous avez rendu facile le rôle du Recteur en ce qui concerne le lycée de Tours. »

La survivance de l’excellent M. Davan, qui quittait le lycée de Nancy après l’avoir dirigé pendant vingt ans, n’était pas sans donner des appréhensions ; Cournuéjouls n’eut pas à se repentir d’avoir accepté cette mission dans laquelle ses amis lui prédisaient quelques difficultés disciplinaires. Il trouva une population saine et vigoureuse, accrue et fortifiée par glus éléments venus de l’Alsace et de la Lorraine que leurs nouveaux et impitoyables maîtres n’arrêtaient pas encore à la frontière. Son autorité s’y établit sans réserve dès le début et sous sa direction la prospérité de cette grande maison ne fit que s’accroître au triple point de vue de l’affluence des élèves, de la force des études confiés à un personnel de choix, et du succès aux Ecoles spéciales.

Placé ainsi avec ses antécédents et son ancienneté dans la carrière à la tête d’un établissement auquel nul lycée de province ne pouvait se dire supérieur, il n’hésita pas se mettre sur les rangs pour le provisorat de Versailles vacant en mai 1877. Ayant dans ce but obtenu une audience de M. Waddington, ministre de l’Instruction publique, il fut reçu par M. Brunet que le revirement politique du 16 mai venait de porter au ministère. « Je suis au courant de la question, lui dit le nouveau ministre. Vous avez des compétiteurs. Vous seriez même étonné si je vous disais par quel personnage est patronné l’un d’entre eux. » Et il lui montra une lettre qui eût été irrésistible pour un homme moins trempé et moins affermi dans le sentiment de la justice. « Soyez rassuré malgré cela ; c’est vous qui serez choisi, non pas en faveur de votre qualité de mon ancien professeur à Limoges, mais parce que vous avez incontestablement les meilleurs titres. »

C’est ainsi que s’exécuta jusqu’au bout le programme : Paris ou Versailles auquel, avec la ténacité qu’on attribue aux Aveyronnais, Cournuéjouls s’était toujours attaché, même à l’époque où les lycées de Paris étaient moins nombreux et où les proviseurs de province n’y arrivaient que bien rarement.

Les qualités qui partout lui avaient assuré le succès ne furent pas moins bien appréciées à Versailles. Il y réussit pleinement avec sa fermeté bienveillante, ses manières ouvertes et franches, la constante sollicitude qui le retenait au lycée à la disposition des professeurs, des familles et des élèves, réduisant au minimum ses rapports avec l’extérieur, afin de rendre plus attentive son action personnelle dans le magnifique établissement dont la direction avait comblé ses vœux. Mais si le fonctionnaire avait marché, le cours des années avait été encore plus rapide. Il s’était toujours promis de terminer sa carrière à soixante-cinq ans, ne voulant, à aucun prix, remplir avec des forces affaiblies des fonctions qui demandaient tant d’activité. Il tenait, en même temps, à se réserver des chances d’avoir devant lui quelques années à consacrer à ses affaires privées qu’il avait toujours laissées au second plan, à la plénitude de la vie de famille et aussi à se recueillir en se retrempant dans la pratique des principes religieux que sa mère avait trop profondément gravés dans son cœur pour qu’ils eussent jamais pu s’en effacer.

Fidèle à son projet, il demanda et obtint sa retraite en septembre 1882, à l’âge de soixante-cinq ans, après quarante-cinq ans de services accomplis sans aucune interruption. Un seu1 fait suffira pour montrer quels bons souvenirs il laissait à Versailles. L’année suivante, à la suite d’une gracieuse invitation de son successeur, il assista au banquet de la Saint-Charlemagne et à son entrée dans la salle du festin il fut l’objet d’une ovation si unanime, si éclatante, si chaleureuse, que sa modestie lui fit regretter de s’y être présenté.

Il vint jouir de sa retraite à Limoges où l’appelaient des liens de famille, d’anciennes et animales relations. Doué d’un esprit charmant, d’une bonté irrésistible, il y vécut ses dernières années, entouré de la tendre affection des sien, de la sympathique considération de tous.

Bibliophile savant et passionné, connaissant tous les livres, depuis les incunables jusqu’aux dernières éditions parues, archéologue distingué, il partageait ses loisir entre sa bibliothèque, les séances de la Société d’Archéologie du Limousin et l’étude des questions économiques et sociales. Lettré délicat, c’était une bonne fortune pour les journaux de Limoges lorsqu’il adressait à l’un d’eux une de ses intéressantes communications. Il jugeait les choses de haut, avec la plus grande clairvoyance, et dans ses articles, toujours aussi fermes que courtois, la bonhomie adoucissait ce que le trait pouvait avoir d’un peu vif.

A voir ce beau vieillard, toujours si actif, si plein de douce gaieté, sa famille, ses amis espéraient le conserver encore longtemps, lorsqu’il fut malheureusement enlevé par une courte maladie à l’âge de quatre vingt un ans.

Tous conserveront sa mémoire,  car il possédait les dons de l’esprit et du cœur qui font aimer et vénérer les hommes.

Comme le dernier témoignage de respect et d’admiration pour ses hautes vertus, un ami lui consacre ces lignes. Puissent-elle perpétuer son cher souvenir et adoucir un peu la douleur de ses enfants qui le chérissaient !

François MAYNARD.


[1] : Rose Eugène, en fait.

[2] : Il s’agit en fait de Lapanouse de Séverac.

[3] : Jolie coquille.

[4] : Il s’agissait d’un système d’avancement qui privilégiait les enseignants qui restaient dans le même établissement. Il fut supprimé en 1850. Vous pouvez consulter une biographie d’Antoine Lefebvre de Vatimesnil (1789-1860) sur cette page de l’Assemblée nationale. https://www2.assemblee-nationale.fr/sycomore/fiche/(num_dept)/11100

[5] : Odes, III, 3.