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Avec beaucoup d'indulgence(s)

            Voici la cathédrale primatiale[1] Notre-Dame de l’Assomption de Rouen :

Façade de la cathédrale prise du Gros-Horloge

Cette petite merveille, délicat exemple d’architecture gothique, commença à être construite sur l’emplacement d’une basilique, puis cathédrale, romane et au XIIe siècle, la cathédrale débuta sa transformation en joyaux gothique.

En 1164, la tour Saint-Romain (celle qui se trouve à gauche sur la photo ci-dessus) était achevée et d’autres transformations en style gothique commencèrent : la façade et de nouvelles travées de la nef. En 1200, à Pâques, un incendie dévasta tout le quartier de la cathédrale où seuls les nouveaux éléments gothiques survécurent.

Avec des travaux jusqu’en 1450, la cathédrale prit peu à peu l’apparence qu’on lui connaît aujourd’hui. Enfin, presque.

La cathédrale en 2022
Dentelles de pierres (toujours en 2022)

             Il fut décidé qu’une seconde tour serait ajoutée à la cathédrale.

La première pierre de la tour de Beurre fut posée le 10 novembre 1485.

L’archevêque Robert de Croismare (1445 ? – 1493) confia le chantier à Guillaume Pontifs (? – 1497) qui était le maître d’œuvre de la cathédrale depuis 1462. À partir de 1496, Jacques Le Roux participa à cette construction si spéciale ; il acheva la tour en 1506.

Certains souhaitaient qu’elle soit achevée par une flèche, mais d’autres avaient l’idée, plus moderne, de la voir terminée par une couronne. La modernité l’emporta.

Au rez-de-chaussée de cette tour, il y a la chapelle Saint-Étienne-la-Grande-Église qui fut d’abord une église paroissiale[2].

La quasi-totalité de la cathédrale est bâtie en pierre de Caumont et pierre de Vernon dont les carrières sont relativement proches de Rouen et qui sont des pierres plutôt blanches, mais la tour de Beurre est en calcaire lutécien qui provient de carrière dans l’Oise et qui est plus… de la couleur du beurre.

            Est-ce que la tour de Beurre a ce nom-là à cause de la couleur de ses pierres qui la font ressembler à une motte de beurre version gothique flamboyant ? C’est la version de certains, mais la couleur des pierres est peut-être un symbole architectural choisi, en clin d’œil peut-être, mais sûrement en rappel de l’origine du financement de cette tour.

En effet, ce fut l’argent récolté par l’Église qui, au nom du pape, vendit au Normands des indulgences, rémissions des peines temporelles attachées à des péchés déjà absous, accordées par l’Église sous certaines conditions.

Que permettaient ces indulgences ? Tout simplement de manger du beurre et de consommer des laitages pendant les quarante jours du Carême qui précède Pâques.

Pour certains, acheter une telle indulgence devait être un simple signe de richesse. Pour d’autres, c’était la possibilité de continuer à manger des laitages tout en étant en accord avec les lois de l’Église. La majeure partie de la construction de cette tour fut financée par l’argent récolté par la vente de ces indulgences si particulières ; la facture totale s’éleva à 24 750 livres tournois[3]. La tour de Beurre est la preuve de l’amour des Normands pour les laitages.

 

Raymond Hood (1881-1934) et John Mead Howells (1868-1959), architectes qui construisirent, de 1923 à 1925, la Tribune Tower à Chicago prirent la tour de Beurre et une tour de l’abbatiale Saint-Ouen de Rouen pour modèles. Un des murs de cet immeuble présente des fragments de divers monuments ; une pierre de la cathédrale de Rouen y est incluse.

 

La gourmandise n’est pas forcément un péché ou même un vilain défaut. Elle peut inspirer les architectes. À plusieurs siècles d’intervalle.



[1] : L’archevêque de Rouen est primat de Normandie.

[2] : C’est dans la tour de Beurre que se trouve le beffroi avec le carillon de la cathédrale depuis 1920. Il y a aujourd’hui cinquante-six cloches, mais il n’y en avait que vingt-neuf au départ et les toutes dernières ont été consacrées en 1959. La cathédrale compte aussi sept grandes cloches, dont deux sont dans la tour de Beurre.

[3] : Presque un million d’euros.