Affichage des articles dont le libellé est Henry_VIII. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Henry_VIII. Afficher tous les articles

Curiosités de musée : Edward VI par Scrots

            Le jour où nous étions allée admirer le portrait restauré d’Anne de Clèves au Louvre, nous avons remarqué (il y a toujours quelque chose de nouveau à remarquer quand on visite ce gigantesque musée) une des toiles sur la droite de ce tableau-là sur le mur perpendiculaire.


La plaque sur le cadre est la suivante :

Guillim STRETES (Attribué à) travaillait en Angleterre vers 1550

Ecoles hollandaise et anglaise

Portrait présumé d’Edouard VI, roi d’Angleterre

 

L’information à côté de la toile nous dit :

Guillim STRETES (ou SCROTS)

Portraitiste flamand connu de 1537 à 1553

Peintre à la cour d’Angleterre dès 1545

 

Portrait d’Édouard VI,

roi d’Angleterre (1537-1553)

Huile sur bois, vers 1550

 

Ce tableau dont il existe plusieurs exemplaires avec variantes est, avec celui appartenant aux collections royales britanniques (château de Hampton Court), l’une des meilleures versions.

Ce portrait d’Édouard VI est le seul tableau anglais du 16e siècle conservé dans les collections du Louvre.

Les prêts accordés à l’exposition Made in Germany. Peintures germaniques des collections françaises 1500-1550 organisée à Besançon de mai à septembre 2024 font temporairement place à ce très bel exemple de peinture à la flamande – il fut acquis en 1889 sous le nom d’Anthonis Mor – produite en Angleterre sous l’influence de Holbein le Jeune.

             Curieusement, avant de lire toutes ces informations, nous avions admiré certains détails de la toile, comme la jarretière du jeune roi sous son genou gauche :

ou encore cette inscription sur le pilier : « KING. EDWARD. The VI. Sir A More pinxt » :

 
Il y a une curiosité en anglais qui fait que, dans certains cas, on écrit certaines formules d’une façon, mais on les dit d’une autre. Par exemple, la date s’écrira « Monday, January 1st », mais on dira à l’oral « Monday the first of January » ; de même pour les guerres mondiales « WWI » devient « the first world war » (sauf pour les États-uniens qui disent « world war one » - pourquoi se fatigueraient-ils ?).

Incidemment, pour toute la noblesse et toute charge constituant une dynastie (telle la papauté, par exemple), on écrit « Alexander IV » et on dit « Alexander the fourth ».

Donc, l’inscription sur le pilier constitue une faute de grammaire [KING. EDWARD. The VI.] et si l’on ajoute à cela le problème d’attribution de la toile, nous sommes en droit de nous poser bien des questions.

 

            Ce fut le 1er juillet 1889 que le Louvre acheta cette toile à l’industriel Pierre, dit Eugène, Secrétan (1836-1899). Secrétan avait acheté cette toile qui s’était précédemment trouvée dans galerie du duc d’Hamilton, William Alexander Louis Stephen Douglas-Hamilton (1845-1895), et était alors attribuée à « Antonio Moro ».

Moro est connu sous divers noms : Antonio Moro, Anthonius Mor, Antoon More, Anthonis Mor van Dashorst (il s’agirait d’un titre acquis sur la fin de sa vie). Il était né à Utrecht vers 1520 et est mort à Anvers en 1576 ou 1578. Il lui arriva de travailler en Angleterre, mais pas particulièrement à la cour, tandis que Willem / Guillim / William Scrots ou Stretes (le Dictionnaire des peintres, sculpteurs, dessinateurs et graveurs. III. L-Z. d’Emmanuel Bénézit publié à Paris en 1939 le répertorie, p. 765, uniquement en tant que Willem Scrots et les Anglo-saxons n’utilisent que ce nom-là) fut le successeur d’Hans Holbein le Jeune (1497-1543) à la cour d’Angleterre.

Il existe un autre portrait d’Edward VI (1537-1553) qui provient également des collections du duc d’Hamilton et qui fut acheté par la reine Victoria [Alexandrina Victoria of Kent (1819-1901)] en 1882 :

Nous ne savons pas quand ces deux toiles furent peintes, mais la pose du jeune prince ressemble à celle de son père dans une des toiles d’Holbein, ce qui n’est pas surprenant puisqu’Henry VIII fit revenir son fils auprès de lui après son sixième anniversaire (âge auquel les Tudor considéraient qu’un prince devenait adulte) après l’avoir fait élever et éduquer loin de la cour et que le roi ordonna que les appartements et la garde-robe de son héritier soient identiques aux siens.

Nous disons « prince » pour deux raisons – une par toile : sur la toile qui se trouve encore en Angleterre, le fait qu’il s’agisse du « roi Edward » est écrit sur une sorte de petit parchemin à gauche du prince. Quand un tableau officiel représentait un souverain et annonçait son titre, c’était en latin – comme c’est le cas pour Henry VIII, père du prince, où une toile porte l’inscription « Henricus VIII Ang. Rex. » (Henry VIII, roi d’Angleterre). L’étiquette dit en anglais « King Edward » et non pas « Eduardus VI Ang. Rex. » ; il est donc possible qu’un portrait du prince ait été transformé en portrait de roi avec un simple descriptif ajouté plus tard – si ce n’est pas le cas, quelqu’un aura conseillé le jeune roi bien maladroitement.

Passons à la toile du Louvre. Si elle était dans les collections du duc d’Hamilton et a été achetée par un Français, nous avons trouvé une unique référence mentionnant l’envoi de cette toile à la cour de France en 1552 (un an avant la mort très prématurée du jeune roi qui était bien le digne fils de son père en matière de misogynie et d’arrogance). En dehors du fait qu’il serait agréable d’avoir un peu plus de références sur ce genre de données afin de pouvoir les vérifier, ce détail pourrait cependant expliquer l’erreur d’attribution et l’anglais de cuisine où une formulation orale se retrouve à l’écrit.

La notice sur le site du Louvre explique que « [s]elon Alastair Laing, qui estime que le R.F.561 [la toile dont il est ici question] n’est pas une œuvre autographe de Stretes, le ruban bleu avec le médaillon de Saint Georges de l’ordre de la Jarretière, en fait anachronique, que le modèle porte au cou, pourrait avoir été rajouté postérieurement, pour renforcer le caractère royal du portrait, comme si la jarretière visible sur la jambe gauche ne constituait pas à elle seule un signe monarchique suffisant (comm. écrite, octobre 1994). Pour Catherine MacLeod, la jarretière comme le ruban et le médaillon, absents des autres versions du portrait, sont apocryphes (comm. écrite, juillet 2002). - A dater vers 1550. »

            Donc, le ruban bleu avec le médaillon de Saint Georges, la jarretière et l’inscription sur le pilier seraient des ajouts postérieurs au travail du peintre initial, placés là afin de transformer un prince en roi. Ce ne serait pas une première.

À l’origine, cette peinture à l’huile sur bois (1,68 m sur 0,875 m) se trouvait en salle 32, au premier étage de l’aile Denon. Aujourd’hui, elle est en salle 809, au deuxième étage de l’aile Richelieu.

Ajouts ou pas ajouts, le prince devenu roi représente une toile intéressante. Allez l’admirer.


Curiosités de musée : Anne de Clèves par Holbein

            Le musée du Louvre est en possession d’un magnifique portrait de Mme Henry VIII d’Angleterre (version 4.0), Anne de Clèves (1515-1557), réalisé par Hans Holbein le Jeune (1497-1543) par un heureux hasard historique.

En effet, la notice officielle de cette œuvre nous apprend qu’en 1642 le quatorzième comte d’Arundel, Thomas Howard (1585-1646), l’emporta aux Pays-Bas. Howard faisait partie de l’escorte diplomatique qui accompagna la princesse Mary Stuart (1631-1660) quand elle rejoignit son mari, Guillaume II d’Orange Nassau (1626-1650).

 

Ce n’est pas le sujet, mais arrêtons-nous un instant sur ce mariage, célébré à Whitehall le 2 mai 1641.

Mary (Marie Henriette) était la fille aînée du roi Charles Ier (1600-1649), qui fut décapité à la suite de la guerre civile qui déchira l’Angleterre, et d’Henriette de France (1609-1669), qui était fille d’Henri IV (1553-1610) et de Marie de Médicis (1575-1642).

Mary avait onze ans quand elle fut mariée ; son époux en avait quinze.

Le couple eut un seul enfant posthume, Guillaume III (1650-1702) – Willem van Oranje-Nassau en version originale, qui vint au monde le 14 novembre alors que son père fut brusquement emporté par la variole le 6 novembre.

Après l’épisode « Oliver Cromwell » et la restauration de la monarchie en Angleterre, Guillaume III fut parfois en conflit avec son oncle Charles II (1630-1685) et avec Louis XVI (1638-1715), mais il tenta une approche diplomatique du côté de son oncle, Charles II, en parvenant à lui faire accepter qu’il épousât la fille aînée du frère cadet de Charles, le futur (et bref) James II (ou Jacques II, en français) d’Angleterre (1633-1701), Mary Stuart (1662-1694). Si James II devint roi à la mort de son frère, le fait qu’il soit catholique posait un énorme problème aux parlementaires anglais et il fut déposé lors de la Glorieuse Révolution qui vit Guillaume travailler avec le Parlement anglais afin de faire nommer son épouse reine – et lui roi et non pas prince consort (ce que les parlementaires firent volontiers puisqu’ils ne souhaitaient pas voir un homme devoir obéir à sa royale épouse). William III et Mary II furent tous deux souverains d’Angleterre, d’Écosse, d’Irlande et de France[1].

 

Si le fils de la princesse dont le mariage avait fait passer une partie de la collection de Thomas Howard d’Arundel sur le continent revint dans la patrie de sa mère, en revanche, le Holbein resta en Europe.

Thomas Howard sentant venir la guerre civile préféra rester bien loin du danger. À la mort du comte, à Padoue, la toile passa dans les possessions de sa veuve, Alethea Talbot, épouse Howard d’Arundel (1585-1654). Ce ne fut pas le quinzième comte, Henry (1608-1652) qui en hérita, puisqu’il mourut avant elle, mais son frère cadet, William (1614-1680) ; Henry ayant eut sept enfants, dont six fils, le titre de comte d’Arundel était presque assuré de rester parmi ces héritiers-là (même si seuls les trois premiers fils survécurent). William entra en possession du Holbein et il le vendit aux enchères à la fin 1662 à Utrecht où il fut acheté par Everhard Jabach (1618-1695), marchand originaire de Cologne établi à Paris.

Le père de Jabach avait ouvert une banque à Anvers, banque qui avait fait prospérer la fortune familiale. Jabach vint s’installer en France en 1638 et devint un sujet du roi de France neuf ans plus tard.

Tout étant très lié dans cette histoire, Jabach, qui était un grand collectionneur comme Howard d’Arundel, servit d’intermédiaire au cardinal Mazarin (1602-1661) grâce à un marchand français à son service à Londres qui acheta certaines œuvres de la collection du défunt roi Charles Ier (les rois de France et d’Espagne et l’Empereur étaient en compétition afin d’en acheter les meilleures pièces). Incidemment, ce que Mazarin acheta fut donné à la France à sa mort et rejoignit les collections royales.

En parlant de collections royales, Jabach vendit une partie de ses collections à Louis XIV – une première fois en 1661 et 1662, puis ensuite en 1671. Le Holbein fit partie de cette seconde vente.

Grâce à ces ventes, la France possède aujourd’hui une collection de milliers de dessins et de nombreuses toiles splendides (comme le St Jean Baptiste de Léonard de Vinci ou un autre Holbein, le Portrait d’Érasme écrivant).

En 1793, les collections royales firent partie du tout nouveau musée du Louvre dès son ouverture, où le portrait de Clèves était désigné comme étant celui de « Jeanne de Clèves ».

Après sa récente restauration, ce superbe portrait fut d’abord installé en salle 811 avant d’aller en salle 809.

 

            Si Henry VIII (1491-1547) n’avait pas été aussi capricieux, imbu de lui-même et macho (oui… oui, c’était plutôt normal pour un souverain de cette époque et pour un catholique – merci Saint Paul ! – qui considérait que la femme était inférieure), il n’aurait pas eu autant de belles-mères.

D’ailleurs, si son frère aîné, Arthur Tudor (1486-1502), n’était pas mort prématurément d’on ne sait quelle maladie, Henry aurait peut-être été marié à une princesse étrangère afin de conclure quelque paix ou alliance. Arthur, après d’âpres négociations car son père, Henry VII (1457-1509), souhaitait s’allier au royaume d’Espagne, mais en récupérant un maximum d’avantages pour lui, sa cassette et son royaume, fut promis à l’infante Catherine d’Aragon (1485-1536) – Catalina en castillan ; le mariage eut lieu le 14 novembre 1501.

Catherine et Arthur contractèrent la même maladie au château de Ludlow, mais seule Catherine se remit. Officiellement, elle était veuve.

Henry VII n’avait vraiment pas envie de renvoyer Catherine en Espagne – surtout parce qu’il aurait dû rendre la dot. La reine d’Angleterre, Élisabeth d’York (1466-1503), voulut donner un autre fils au royaume, mais elle donna naissance à une fille, Catherine (2 février 1503-10 février 1503) et mourut un jour après sa fille des suites de l’accouchement.

Henry fut réellement atterré par la mort de son épouse, mais il envisagea quand même brièvement d’épouser lui-même Catherine d’Aragon afin de garder l’infante et sa dot en Angleterre. Finalement, il fut envisagé que Catherine soit promise au second fils du roi, Henry.

Catherine étant légalement la veuve du frère d’Henry, il fallu l’intervention du pape Jules II  (1443-1513 [Giuliano della Rovere]) afin d’autoriser le mariage après que Catherine assura qu’elle était toujours vierge et que son union avec Arthur n’avait pas été consommée (elle maintint cette version jusqu’à sa mort et malgré le procès qu’Henry lui fit).

Henry VII tenta de manipuler Catherine, mais l’infante ne céda pas et à la mort du roi, Henry VIII devint roi et épousa Catherine (le mariage eut lieu le 11 juin 1509 et le double couronnement douze jours plus tard).

Catherine fut enceinte sept fois entre 1509 et 1518 ; elle fit deux fausses couches et quatre enfants ne survécurent pas, mais le 18 février 1516, Mary Tudor vit le jour (la future Mary Ière épousa le roi d’Espagne Felipe II (1527-1598) en 1554).

Le problème d’Henry VIII, même si la princesse Mary était une enfant douée qui devint une jolie jeune fille, était qu’il voulait un fils – un fils légitime, parce qu’il n’était pas question de légitimer un enfant illégitime. Ça, il en avait (comme Henry Fitzroy (1519-1536), par exemple) – la fidélité n’était pas pratiquée par Henry.

C’est à ce moment de l’Histoire que les métamorphoses commencées à la mort d’Arthur s’accélérèrent : Henry fit déclarer son mariage avec Catherine illégal et leur fille illégitime et, pour ne pas avoir toute la chrétienté à dos, il créa l’Église d’Angleterre, habile mélange de protestantisme et de catholicisme, dont le souverain était le chef suprême.

Catherine, qui fut une excellente reine et une meilleure stratège que son époux, fut envoyée loin de la cour et Henry se remaria.

En 1533, Anne Boleyn (1500 ?-1536) devint reine d’Angleterre et elle donna naissance à la princesse Elisabeth (1533-1603) qui sera la future Elisabeth Ière à la mort de sa demi-sœur en 1558.

La reine Anne fut une personne fascinante et compliquée, mais ce qui est certain, c’est qu’Henry perdit patience (après la naissance d’Elisabeth, Anne fit au moins sept fausses couches). Après la mort de Catherine d’Aragon, Anne voulut se rapprocher de Mary, mais n’y parvint pas. Anne perdit un fœtus mâle le jour de l’enterrement de Catherine (il faut dire qu’on lui avait aussi annoncé que son époux avait été blessé lors d’un tournoi) et Henry commença à dire que Dieu désapprouvait son mariage. Dans la foulée, une dame de compagnie de Catherine et d’Anne, Jane Seymour (1508 ?-1537), fut installée dans des appartements plus beaux que ceux de la reine et ses proches furent promus et protégés par Henry.

Le conseiller et ministre d’Henry, Thomas Cromwell (1485-1540), chercha des serviteurs prêts à accuser la reine et le 2 mai 1536, Anne fut arrêtée pour adultère, inceste (on l’accusa d’avoir couché avec son frère) et haute trahison.

Le 15 mai, elle se défendit brillamment, mais son sort était déjà décidé : mort par décapitation ou sur le bûcher. Henry choisit la décapitation. Anne, résignée, demanda à être exécutée à l’épée (les exécutions à la hache étaient souvent de vraies boucheries) et Henry eut la décence de faire venir un expert de France.

Anne, dans ses derniers instants, fut d’une immense dignité.

Dès le lendemain de l’exécution d’Anne, le roi veuf se fiança à Jane Seymour et l’épousa le 26 mai ; le 4 juin, elle était déclarée reine, mais ne fut pas couronnée (Henry attendit peut-être qu’elle se montre digne d’être reine en lui donnant un fils légitime, mais surtout, la peste sévissait à Londres et il était trop dangereux d’y aller, même pour un couronnement).

Le 12 octobre 1537, elle donna naissance à Edward (1537-1553), futur Edward VI (protestant convaincu, il tenta d’empêcher sa demi-sœur Mary, qui était restée catholique de pouvoir jamais lui succéder sur le trône, mais il souhaitait aussi bloquer Elisabeth ; faisant fi des lois, il désigna Jane Grey (1537-1554) comme son héritière car elle descendait d’Henry VII).

Deux semaines après l’accouchement, Jane fut emportée par une fièvre puerpérale.

Henry avait aimé cette épouse docile, belle et qui lui avait donné un prince. Il porta le deuil pendant plusieurs mois et ne se remaria qu’à cause du traité de Tolède du 12 janvier 1539 entre François de France et Charles Quint qui avait notamment pour but d’isoler Henry VIII. Il souhaitait aussi avoir un autre fils (il était roi uniquement parce que son aîné était mort). Puisqu’il était désormais protestant, il fallait trouver une princesse qui lui apporterait des alliés ou des fonds (ou les deux) et qui ne serait pas catholique.

 

            Revoici donc Thomas Cromwell et Hans Holbein, peintre de la cour d’Angleterre, dans notre histoire et voici notre charmante héritière du duché de Jülich, Kleve et Berg, Anna von der Mark, seconde fille du duc Johann III von Kleve (1490-1539) et de Maria von Jülich-Berg [Marie de Juliers-Berg] (1491-1543).

Cromwell pensait qu’Anne ou sa cadette Amalia (1517-1586) étaient de bonne candidates pour devenir reines. Holbein fut donc envoyé auprès des princesses et fit leurs portraits. Nous avons celui d’Anna au Louvre, mais celui d’Amalia a disparu – une recherche sur Internet vous donnera en résultat un dessin qui, certes, ressemble quelque peu au portrait que nous avons d’Anna, mais il est impossible d’affirmer qu’il s’agit bien du dessin préparatoire au portrait d’Amalia. Certaines pages indiquent que le portrait d'Amalia se trouve au Victoria & Albert museum, mais il s'agit d'une miniature du portrait d'Anna.

Holbein connaissait les humeurs du roi. Certains pensent qu’Holbein fit un portrait trop flatteur d’Anna, mais c’est oublier que s’il avait peint une beauté alors que la vraie princesse ressemblait à « une jument des Flandres » (cette description de la dame, attribuée à Henry VIII, est largement postérieure à notre histoire) et qu’il ait donc trompé le roi, Holbein aurait été torturé par le meilleur bourreau afin de le garder en vie le plus longtemps possible avant de le jeter en pâture au pire apprenti bourreau du pays afin que sa mort soit la plus violente et douloureuse possible. Or… Holbein resta le peintre de la cour et mourut de sa belle mort et donc ce vélin collé sur bois (aujourd’hui sur toile, ce qui doit aider à la préservation de cette petite merveille) de 65 cm sur 48 cm est un fidèle portrait d’Anna von Kleve.

À 23 ans, Anna était plutôt grande et avait des formes généreuses (donc éloignée des beautés anglaises qui étaient en général plutôt relativement croisées avec des planches à pain).

La restauration du portrait permet de remarquer un léger grain de beauté au coin de la lèvre gauche.

Brodé sur sa coiffe, on peut lire en majuscule « ABON FINE », pour « a bon fine », une sorte de porte bonheur traditionnel dans sa région natale et non pas sa devise comme certains l’on cru jusqu’à il y a peu.

Si toutes les perles de sa coiffe et sa robe étaient de vraies perles, elles étaient autant de témoignages de la fortune d’Anna car, à l’époque, toutes les perles étaient naturelles et étaient très rares et extrêmement chères (les perles de cultures produites en quantité le furent au Japon et seulement au début du XXème siècle).

Les bijoux d’Anna sont sans doute des bijoux de famille pour la plupart ; celui qu’elle porte sur l’oreille gauche semble fait d’or, de perles et de pierres précieuses et on peut admirer le talent d’Holbein qui parvint à représenter les minuscules figures d’une femme et d’un homme presque au centre du bijou (aiguisez vos cristallins ou sortez une loupe).

Après avoir vu les deux portraits, Henry confirma le 4 octobre 1539 qu’il épouserait Anna.

Anna et sa suite se mirent donc en route pour la cour d’Angleterre.

Ce fut au château de Rochester le 1er janvier 1540 qu’eut lieu l’incident, semble-t-il.

Henry, comme François de France, était fasciné par la chevalerie, qui n’existait plus. Il aimait les tournois – ce fut d’ailleurs lors du tournoi de 1536 (celui qui provoqua la fausse couche d’Anne Boleyn) qu’il fut blessé à la jambe et que cette blessure suppura jusqu’à la fin de sa vie. Ce fut peut-être aussi cet accident qui changea terriblement son comportement. Henry aimait aussi la littérature courtoise où l’on raconte que des âmes sœurs se reconnaitront et tomberont immédiatement amoureuses.

Ce fut dans cet esprit courtois qu’Henry (48 ans, obèse, malade) débarqua à Rochester, sans être annoncé, en habit de voyage. Il entra dans la pièce où se trouvait Anna et cette dernière aurait ignoré ce gros monsieur auquel elle n’avait pas été présentée. Il faut aussi se souvenir qu’à l’époque en Angleterre il était d’usage d’embrasser les femmes sur la bouche afin de les saluer (l’osculum latin n’était pas très loin ; il se pratique toujours chez les slaves, mais aussi chez certains États-Uniens qui, même entre amis, se saluent ainsi en marque d’affection). Si Henry, en tenue de voyage, a salué Anna ainsi, on peut comprendre que cette jolie jeune noble germanique l’ait poliment ignoré. Henry sortit de la pièce, passa un manteau qui révélait son rang et retourna dans la pièce où il fut mieux accueilli, mais rien d’extraordinaire ne se passa entre Anna et Henry – c’est ce que nous raconta un familier d’Henry, Charles Wriothesley (1508-1562).

Ne pas avoir compris ce qu’Henry comptait faire et ne pas fait prévenir Anna allait coûter très cher à Cromwell. Peut-être n’eut-il pas le temps de la faire prévenir ?

Henry demanda à Cromwell de trouver un moyen d’échapper au contrat de mariage, mais Cromwell avait prévu tous les cas de figure et le mariage eut bien lieu le 6 janvier 1540.

Si Henry rejoignit bien la couche de sa femme, apparemment il ne s’y passa rien

Le fait que les époux ne parlent pas la même langue n’a pas dû aider leurs relations.

Pendant longtemps (et parfois même encore maintenant), certains ont affirmé qu’Anna était laide et que c’est pour cette raison qu’Henry voulut divorcer d’elle. Vous allez voir que cette hypothèse ne tient pas debout.

 

Henry avait remarqué une dame d’honneur de la reine Anna, Catherine Howard (1525 ?-1542). Quelques parents d’Howard étaient aussi liés au Boleyn et ils virent dans cette trop jeune fille un moyen de sauver leur honneur et leur réputation.

Le 24 juin 1540, Anna fut bannie de la cour et envoyée à Richmond Palace. Le 9 juillet, le mariage fut déclaré illégal et annulé par le Parlement le 12 juillet.

Dès le 27 juillet 1540, Henry épousa Catherine Howard… et Thomas Cromwell fut exécuté ce jour-là. Les représailles du roi pour l’avoir fait épouser une femme qui n’était pas immédiatement tombée sous son charme furent terribles.

Comme Holbein ne fut pas puni, la conclusion logique est que le portrait était fidèle à la dame, mais que la vraie femme déplut au roi.

 

Anna étant docile, elle reçut une pension et de nombreuses propriétés (dont sa prison, Richmond Palace et la maison d’Anne Boleyn). Henry commença à l’appeler sa « sœur » et elle fut première dame du royaume après la reine et les princesses royales.

Anna se construisit une vie tranquille à la cour d’Angleterre. Elle devint la sujette de son ancienne dame de cour jusqu’à ce que cette dernière ne connaisse le même sort qu’Anne Boleyn (l’accusation d’adultère fut plutôt curieuse et elle n’avoua jamais).

Anna fut aussi proche de la dernière reine, Catherine Parr (1512-1548). Parr fut mariée deux fois avant d’épouser Henry et il n’attendit pas la mort du second époux avant de commencer à lui offrir quelques cadeaux après l’exécution de Catherine Howard). Parr n’était pas enthousiaste à l’idée d’être la sixième reine, mais elle ne pouvait pas vraiment refuser. Parr fut aimante envers le prince Edward et elle parvint à réconcilier son époux avec ses deux filles.

Anna von Kleve s’entendit à merveille avec les enfants royaux, mais elle ignora la nouvelle reine.

Anna fut présente au couronnement de Mary en 1553.

En juillet 1557, Anna fit rédiger ses dernières volontés (la comtesse d’Arundel y fut mentionnée) et elle rendit l’âme le 16 du mois. Le 3 août, la reine Mary la fit enterrer à l’abbaye de Westminster et elle est l’unique Mme Henry VIII à y être.

 

L’œuvre d’Holbein avait bien souffert. Elle ressemblait à ça il y a peu :


Maintenant, allez admirer les détails de cette petite merveille (nous avons emprunté les photos de la notice du Louvre car, si nous avons pu prendre des photos des mains et des épaules d’Anna von Kleve, nous ne sommes pas assez grande pour prendre une photo de son visage avec la même luminosité) :

 


 

Louvre, aile Richelieu, salle 809… Allez, zou !



[1] : Une curieuse revendication, conséquence de la Guerre de Cent Ans, qui ne prit fin qu’avec l’avènement au trône d’Elisabeth II en 1953 quand elle renonça à réclamer ce royaume.