Affichage des articles dont le libellé est Harry_Baur. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Harry_Baur. Afficher tous les articles

Les horreurs de l'Histoire : un journaliste collabo

            S’il y avait un annuaire des héros et un annuaire des monstres, nous aurions dans l’article d’aujourd’hui trois héros et un monstre.

Nos héros ont en commun le monstre : Alin, dit Alain, Laubreaux (Nouméa, 9 octobre 1889 – Madrid, 15 juillet 1968) a bien des horreurs à son actif.

Il est celui qui a causé la perte du poète Robert Pierre Desnos (Paris XI, 4 juillet 1900 – camp de concentration de Theresienstadt, 8 juin 1945). Desnos s’était impliqué dans l’antifascisme bien avant le début de la Seconde guerre mondiale ; Laubreaux à l’inverse eut très tôt des sympathies fascistes.

Desnos avait un jour giflé Laubreaux et ce dernier lui voua une haine terrible pendant près de vingt ans, allant jusqu’à, selon plusieurs témoignages, demander la déportation de Desnos, ce qui fut fait, après son arrestation du 22 février 1944 par la Gestapo, le 27 avril. Desnos transita par trois camps avant d’arriver à Flöha et quand les Allemands firent évacuer certains camps devant l’avance de leurs ennemis, il se retrouva après une inhumaine marche forcée au camp de Theresienstadt où le typhus l’emporta. Il mourut après le départ des Allemands et ses compagnons d’infortune ne purent rien pour lui ; un étudiant l’avait reconnu et ce fut grâce à cet homme que le corps de Desnos fut rapatrié et enterré au cimetière du Montparnasse. La compagne[1] de Desnos, Youki – surnom donné par le peintre Tsuguharu Fujita (1886-1968) à son  épouse (de 1929 à 1954) Lucie Badoud (Paris XVII, 31 juillet 1903 – Paris XV, 13 octobre 1966) – était parvenue à protéger Desnos alors que Vichy le détestait, mais Laubreaux œuvra afin de faire déporter Desnos.

 

Youki et Desnos

Sous l’occupation, Laubreaux fut également à l’origine de la mort d’Harry Baur (Paris XI, 12 avril 1880 – Paris IX, 8 avril 1943) en insinuant qu’il était juif. Baur envoya une lettre ouverte au journal[2] où Laubreaux publiait sa bile - le démenti de Baur fut quand même publié.

Joseph Goebbels fit faire pression sur Baur en menaçant son épouse (ce qui le fit paraître, à tort, favorable au régime allemand, alors qu’il ne pouvait pas dire non afin de protéger Rebecca Behar, dite Rika Radifé, (1902-1983), sa seconde épouse) et le força à tourner un film pour lui.

Le prétexte fallacieux de la religion de Baur fut repris par un SS qui était en rivalité avec Goebbels et qui poussa le SS-Hauptsturmführer Theodor Dannecker (1913-1945) à faire arrêter Baur en se basant sur la prétendue étude d’un pseudo scientifique qui déclara que Baur avait l’air juif.

Les monstres qui le torturèrent pendant quatre mois à raison de séances de coups de plusieurs heures (dont une qui dura plus de douze heures) admirent qu’ils savaient qu’il n’était pas juif quand ils le libérèrent enfin.

Six mois plus tard, celui qui avait été considéré comme l’un des meilleurs acteurs de son temps rendait l’âme parce qu’un imbécile plein de haine ignorait à quoi ressemblait l’état civil en Alsace.

 Harry Baur, monstre sacré tué par la bêtise humaine

Ces deux pertes terribles (sans compter toutes les mesquineries et autres troubles causés par Laubreaux), auraient pu en compter une troisième : à l’aube de sa carrière, Jean Marais, nom de guerre de  Jean Alfred Villain-Marais (Cherbourg, 11 décembre 1913 – Cannes, 8 novembre 1998) refit, littéralement, le portrait du détestable gratte-papier raciste et intolérant :

Laubreaux et un autre monstre (François Vinneuil (1903-1972), qui signait « Lucien Rebatet ») critiquèrent La Machine à écrire, pièce créée fin avril 41. Laubreaux, en bon critique, publia un papier sur la pièce… sans l’avoir vue au lendemain de la première. En mai, Vinneuil enfonça le clou et Laubreaux en remit une couche. Quand Jean Marais croisa Laubreaux au restaurant qui se trouvait au 80, boulevard des Batignolles le 12 juin, il mit les choses aux poings (apparemment, Jean Marais ne prit pas que la défense de son compagnon et mentor, Jean Cocteau (1889-1963), mais il en profita pour mettre un coup à Laubreaux à chaque nom de victime qu’il mentionnait.

Cocteau parvint à protéger Marais, ce qui tient du miracle à l’époque.

Laubreaux devait vraiment espérer arriver à causer du tort à Jean Marais, car il écrivit une nouvelle critique assassine en mai 44 alors que Jean Marais interprétait Oreste dans Andromaque de Jean Racine ; c’est là qu’il dit de lui « C’est l’Homme au Cocteau entre les dents » (à la page 5 de l’édition du 26 mai 44 de Je suis partout).

Jean Marais ne rejoignit pas la résistance sous l’occupation, mais il s’engagea en septembre 44 et se retrouva à conduire une jeep de ravitaillement dans la 2e DB du général Leclerc (1902-1947). Il fut accompagné par Moulouk, le chien qu’il avait trouvé attaché en forêt de Compiègne en 40, et il baptisa son véhicule « Célimène ». Il quitta l’armée en avril 45 et retourna au théâtre et au cinéma.

Jean Marais

Il est dommage que l’arrestation de Laubreaux par Georges Mandel [Louis Rothchild (1885-1944)] le 3 juin 40 ne soit pas allée plus loin et que le juge Louis Fabre de Périgueux l’ait laissé en liberté le 6 août de la même année et libre de publier sa haine, ce qui fut mentionné en première page de Je suis partout du 7 février 41.

Dès août 44, Laubreaux s’enfuit en Espagne – les idées de Franco (1892-1975) devaient lui convenir – et fut condamné à mort par contumace le 5 mai 47. Il bénéficia de la loi d’amnistie du 5 janvier 51 – mais beaucoup trop de coupables s’en sortirent aussi à très bon compte (ou ne furent même pas inquiétés).

Réjouissons-nous que le poison de Laubreaux n’ait eu raison de Jean Marais et de Jean Cocteau.


[1] : Quand Foujita quitta la France en décembre 31, il laissa son épouse avec l’amant de la dame.

[2] : Nom de Zeus, qu’il fut tentant d’écrire « torchon ».