Il y a quelques années – en 2008 pour être exact – la BBC nous
donna un court documentaire : Clarissa and the King’s Cookbook – Clarissa et le livre de cuisine du roi.
Clarissa, c’était Clarissa Dickson Wright (24 juin 1947
– 15 mars 2014), actrice,
présentatrice et cuisinière extraordinaire. Elle reste, encore aujourd’hui, une référence et une cuisinière hautement
respectée.
Le livre de cuisine, c’est The Forme of Cury (littéralement
La Méthode de cuisine – en ancien français « queuerie »
voulait dire « art de cuisiner » d’où... « maître queux »), ouvrage
de la fin du XIVe siècle qui contient cent quatre-vingt-seize
recettes. Il s’agit d’un nombre impressionnant de recettes, mais, comme le dit
Clarissa Dickson Wright et d’autres qui se sont penchés sur cet ouvrage, le
chef aurait pu en ajouter quatre de plus, histoire de faire un compte rond.
Le
manuscrit original, compilé par le principal chef cuisinier du roi, ne nous est
pas parvenu, mais il nous reste neufs exemplaires et le texte en moyen anglais
fut traduit par le vicaire (et passionné d’antiquités) Samuel Pegge
(Chesterfield, 5 novembre 1704
– 14 février 1796)
en 1780.
Bien
évidemment, ce livre de recettes ne reflète que le régime alimentaire de la
cour du roi – roi qui d’ailleurs dépensait souvent sans compter pour sa table. Viandes,
poissons, légumes, fruits, ingrédients variés se trouvent parmi les recettes,
mais surtout on y lit le nom d’épices du bout du monde qui apparaissent pour la
première fois dans un manuscrit.
Le roi, c’était Richard II d’Angleterre (Bordeaux, 6 janvier 1367 – château de
Pontefract, 14 février 1400),
dont le court règne fut marqué de bien des tumultes.
Dans le documentaire, notre cuisinière géniale recrée trois
recettes :
- sauce madame (une oie farcie de sauge, persil, hysope,
sarriette, ail, grains de raisin, coings et poires – la farce devient la sauce
lorsqu’on l’ajoute dans un pot à la graisse de l’oie récupérée dans le plat de
cuisson, à des tranches de pain imbibées de vin et à de la poudre douce et que
le tout est porté à ébullition et réduit afin de napper l’oie coupée en tranche
qui doit alors être servie au plus vite)
- aigre-douce de poisson (des morceaux de divers poissons
d’eau douce frits à l’huile d’olive et nappés d’un sirop de vinaigre de vin
blanc au sucre, cannelle, gingembre, clous de girofle où ont baignés des
oignons hachés, des raisins de Corinthe et des raisins de Smyrne, l’aigre-douce
ayant été portée à ébullition et réduite afin de napper les morceaux de
poissons frits)
- poires en confit (poires cuites dans du bon vin rouge
avec des mûres et des mûres blanches ; une fois cuites, elles sont placées
dans un plat et on ajoute au vin du miel et du gingembre en poudre afin de le
réduire en sauce pour les poires).
Nous sommes récemment retournée au musée de Cluny (pour les
expositions Les arts en France sous Charles VII et Merveilleux trésor
d’Oignies : éclats du XIIIe siècle ; informations ici)
et en admirant de nouveau les salles du musée que nous n’avions pas visitées
depuis quelques années, nous avons croisé cette petite merveille :
Vue générale de la cheminée
Plan rapproché
Notice explicative
Cette
cheminée n’est pas aussi énorme que celle d’un palais royal, mais elle donne
une excellente idée de ce à quoi une cuisine de l’époque pouvait ressembler.
Parmi les recettes choisies par Clarissa Dickson Wright, c’est
un élément de sauce madame qui est particulièrement intéressant :
la poudre douce. Ce mélange d’épices rares et coûteuses est souvent employé
dans The Forme of Cury, mais ce mélange est aussi mentionné dans
d’autres recueils et écrits du Moyen Âge et se retrouve dans toute l’Europe. Par
exemple, ce mélange est mentionné par le bourgeois qui rédigea Le Ménagier
de Paris (vous trouverez le manuscrit ici
et le texte imprimé ici),
ce curieux – mais fascinant – « traité de morale et d’économie domestique
composé vers 1393, contenant des préceptes moraux, quelques faits historiques,
des instructions sur l’art de diriger une maison, des renseignements sur la consommation du Roi, des Princes et de la ville de Paris, à la fin du quatorzième siècle,
des conseils sur le jardinage et sur le choix des chevaux; un traité de cuisine fort étendu, et un autre non moins complet sur la chasse à l’épervier ».
Tous les lecteurs d’aujourd’hui s’accordent à dire qu’une
des difficultés des anciens recueils de recettes est qu’une partie des
instructions « manque », tout simplement parce que ces ouvrages
s’adressaient à des cuisiniers de profession et que certaines pratiques étaient
pour eux évidentes
et c’est là que l’expérience de Clarissa Dickson Wright se révèle extrêmement
importante si nous voulons recréer ce mélange d’épices car elle est la seule à
mentionner le sel. En y réfléchissant, c’est logique, mais sans elle et sa
remarque « Salt, of course! [Du sel, bien sûr !] » le mélange est incomplet.
D’ailleurs, il est possible que sel et sucre aient été ajoutés en dernier à un mélange
d’épices tout préparé puisque ce qui constitue la poudre douce (ou poudre de
duc dans Le Ménagier de Paris) peut aussi servir afin de faire la poudre
forte.
Pour la poudre douce, la plupart des recettes s’accordent
sur l’utilisation du sucre, gingembre et cannelle en poudre – plus le sel qui
n’est pas mentionné, mais doit être utilisé afin de faire ressortir le sucre.
Certains ajoutent de la cardamome, des grains de poivre, du macis, des clous de
girofles ou de la noix de muscade en poudre. Poivre et clous de girofle nous
semblent trop violents pour la poudre douce.
Pour la poudre forte, il n’y a pas (ou très peu) de sucre.
Gingembre, cannelle et sel restent une base et viennent s’y ajouter clous de
girofle (là, oui !), macis, muscade (ces deux-là sont issus du même fruit,
mais n’ont pas le même goût), maniguette, poivre noir et poivre long (ce
dernier est moins fort, mais plus parfumé que le poivre usuel).
Nous proposerions donc :
Pour la poudre douce :
-
2 mesures de sucre (blanc ou roux
– tout dépend du contenu des caisses de votre souverain de votre goût)
-
½ mesure de sel
-
3 mesures de gingembre moulu
-
1 mesure de cannelle moulue
-
1 mesure de cardamome moulue
-
1 mesure de noix de
muscade moulue
-
½ mesure de macis moulu
Pour la poudre forte :
-
½ mesure de sel
-
2 mesures de gingembre moulu
-
1 mesure de cannelle moulue
-
1 mesure de clous de girofle
moulue
-
1 mesure de grains de poivre noir
moulus (ou une variété de poivre plus rare)
-
1 mesure de poivre long moulu
-
1 mesure de maniguettes moulues
-
1 mesure de noix de
muscade moulue
Maintenant…
À vos fourneaux… Prêts… Cuisinez !