Affichage des articles dont le libellé est Ilka_Fuchs. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Ilka_Fuchs. Afficher tous les articles

Anna Victoria Solari, dite Mademoiselle Denise (Bordeaux, 10 mars 1870-Paris XIV, 15 août 1894)

Nous avions initialement intitulé cet article « Tragédie chez les Dédé », mais nommer la jeune fille nous a semblé plus important.


            Il est courant aujourd’hui de reprocher aux feuilles de choux et autres journaux à poisson de ne plus faire du journalisme et de se contenter de nous abreuver de brèves copiées-collées chez de grandes agences qui nous servent des pseudos-infos qui se consomment en moins de trois minutes. D’ailleurs, il est accablant de constater que bon nombre de publications actuelles indiquent le temps de lecture d’un article (désolée, mais si ça se lit en deux minutes, voire moins, ce n’est pas un article, c’est une dépêche qui s’ingère rapidement parce que le propriétaire de la publication et ses larbins considèrent que le public, le lecteur, ne doit pas trop réfléchir, trop se poser de questions et surtout ne pas trop protester face aux scandales qui arrivent sur nos écrans l’un derrière l’autre à la vitesse d’un neutrino enthousiaste).

            On pourrait croire que ce manque de respect du lecteur est récent, mais la manipulation (certes, à l’origine soi-disant pour des raisons pratiques) date de plus d’un siècle.

Une petite preuve ? Mais bien sûr.

            En cherchant des informations sur la famille Dédé, nous avions trouvé le récit d’une tragédie qui se déroula au domicile d’Edmond Dédé (1827-1901) et Sylvia Leflet (1835-1911). Leur fils, Eugène (1867-1919), s’était marié le 6 mars 1894 ; il est probable qu’il avait quitté le domicile parental peu de temps après avec sa jeune épouse, Ilka Fuchs (1868-1905).

            Pour des raisons qui resteront probablement inconnues, une jeune femme qui résidait chez les Dédé s’est jetée du cinquième étage et est morte.

Voici ce que rapportent deux journaux champenois par exemple :

 

Suicide d’une artiste [Le Petit Troyen du 18 août 1894]

Suicide d’une actrice [L’Écho de l’arrondissement de Bar-sur-Aube du 19 août 1894]

Une jeune artiste de concert, Mlle Denise, âgée de vingt-deux ans, habitant chez son tuteur, M. Dédé, compositeur de musique, 178, avenue du Maine, s’est précipitée hier matin, vers huit heures, de la fenêtre de sa chambre située au cinquième étage, sur le pavé de la cour.

La malheureuse jeune fille a été immédiatement transportée à 1’hôpital Broussais, où elle est morte deux heures plus tard.

On ignore la cause de ce suicide.

Mlle Denise avait une conduite très régulière. La suicidée, à l’âge de douze ans, avait avalé le contenu d’une fiole de laudanum. Détail à noter, son père s’était donné la mort dans les mêmes circonstances.

 

À l’exception du titre, le texte est exactement le même – parce que le texte venait d’une agence de presse parisienne.

Bien… mettons notre casquette de Sherlock Holmes et penchons-nous sur certains éléments du texte :

1 - « Mlle Denise »

2 – « âgée de vingt-deux ans »

3 – « s’est précipitée hier matin »

4 – « à l’âge de douze ans, avait avalé le contenu d’une fiole de laudanum »

5 – « son père s’était donné la mort dans les mêmes circonstances »

 

L’adresse de résidence de la malheureuse était dans le XIVème arrondissement de Paris, tout comme l’hôpital Broussais (au 96, rue Didot). Trouvons-nous une demoiselle « Denise » dans les tables décennales du quartier ? Non, parce que « Mlle Denise » était son nom d’artiste lyrique (point 1).

Que faire alors ? Prier tous les dieux de l’Olympe et aller consulter tous les actes de décès de la fin du mois d’août 1894 et chercher une jeune fille de vingt-deux ans (points 2 et 3).

Nous nous doutions que la nouvelle était peu fiable et nous avons fini par trouver l’acte de décès de Victoria Solari en date du 16 août à 10h. Elle était « âgée de vingt-quatre ans [pas vingt-deux ans, donc], artiste lyrique, née à Bordeaux (Gironde), domiciliée avenue du Maine, 188 [qui a raison ? L’état civil, ce qui voudrait dire qu’elle était voisine des Dédé au 178 et non colocataire, ou l’agence de presse qui implique les Dédé dans cette tragédie ?], décédée rue Didot, 96, hier matin [elle est donc morte le 15 août] à dix heures [ce qui confirme sa chute à 8h]. Fille de Pélagie, Joséphine Solari, sans autres renseignements et de père non dénommé ».

Donc, direction Bordeaux, où, si un jour on nous prête un TARDIS, nous irons dire deux mots aux officiers d’état civil qui ont commis les tables décennales pour 1863-1872 (c'est un sacré bazar), puisque, si son acte de décès était exact, elle avait dû naître en 1870 – ce qui est le cas.

Son acte de naissance, le n° 344 dans le registre 4E1490, est en date du 11 mars et nous apprend qu’elle est née le 10 mars à 3h, chez sa mère au 11, rue Montesquieu. Pélagie Joséphine Solari avait vingt-trois ans et elle était actrice ; le père est « non nommé ». Pélagie donna à sa fille les prénoms suivants : Anna Victoria.

Point 3 (encore) : les rédacteurs en chef n’ont même pas pris la peine d’indiquer la bonne date. Ils ont bouché un trou dans leurs colonnes avec une histoire parisienne pour faire parler les lecteurs. La rigueur ? Chose inconnue pour ces messieurs.

Points 4 et 5 : avala-t-elle vraiment une fiole de laudanum à douze ans ? Peut-être, mais rien ne le prouve. Le père inconnu s’est-il, lui aussi, suicidé ? Impossible de le savoir. Était-ce une histoire racontée par Pélagie ? Était-ce la triste vérité ? Était-ce une invention de journaleux afin de créer du sensationnel ? Tout est possible et rien n’est vérifiable.

 

Le bilan de cette petite nouvelle publiée n’est pas à l’honneur des journaleux du XIXe siècle : le vrai nom de l’artiste n’y figure pas, la date de son décès (pour ces deux publications) est donc inexacte et mentionner le laudanum et le père suicidaire relève du voyeurisme – aujourd’hui ils écriraient : « Voulez-vous connaître les démons de la chanteuse ? La génétique est-elle à blâmer ? Cliquez ici pour lire la suite ».

Nous avons le Wi-Fi et la 5G – et les mêmes pratiques journalistiques d’il y a plus d’un siècle (et la même curiosité malsaine).

 

             La seule chose qui compte est qu’une jeune femme de vingt-quatre ans, Anna Victoria Solari, artiste lyrique sous le pseudonyme de « Mlle Denise », née à Bordeaux le 10 mars 1870, est morte à Paris le 15 août 1894 – peut-être à la suite d’une chute du 5ème étage, peut-être en se suicidant. 

Dans les registres des pompes funèbres et des cimetières, nous avons découvert que quelqu'un (ou ses collègues) paya 102 francs pour son enterrement le 17 août au cimetière de Bagneux (dans la 30ème division) et la concession fut renouvelée le 29 décembre 1899 et le 10 avril 1906.

 

            En mémoire de Victoria Solari, creusez les informations que des gens qui ne vous veulent pas du bien vous livrent en forme de miettes… et un article qui demande vingt ou trente minutes de lecture est peut-être un peu plus digne d’être lu, mais vérifiez quand même : casquette de Sherlock Holmes, loupe, pelle, pioche et surtout… méfiance (même les biens intentionnés peuvent aller trop vite).

Eugène Dédé, mort à Berck-sur-Mer

Dans l’article précédent, nous vous avons parlé du mystère qui entourait le lieu de décès d’Eugène Dédé, fils du compositeur Edmond Dédé (1827-1901), puisque nous avions trouvé une référence à son décès dans les tables des décès et des successions, mais le cliché est tellement flou que le lieu du décès était quasi illisible.

Le mystère a été résolu grâce à une géniale archiviste des Archives de Paris (qui nous a aussi donné un truc de recherches à utiliser à l'avenir quand Gallica semblera ne pas être en mesure de nous aider).

Bref, grâce à cette magnifique archiviste, nous allons pouvoir vous donner un tableau plus complet de la vie d’Eugène Dédé.

 

Portrait d’Eugène Dédé sur la partition de sa polka pour piano Chiffonnette qui était dédiée à son fils Maurice.

Ce fut à Bordeaux, où Edmond Dédé avait épousé Anne Catherine Antoinette Sylvia Leflet (1835-1911) en 1864, que le couple Dédé accueilli leur fils, Arcade Pierre Baptiste Eugène, le 12 janvier 1867 à 21h.

Edmond enseigna la musique à son fils et, entre 1886 et 1919, Eugène composa deux cent quarante-six morceaux de musique qui sont conservés à la Bibliothèque nationale de France (Gallica en répertorie cinquante-cinq pour son père).

Edmond était aux États-Unis quand Eugène se maria en 1894, mais il fit envoyer par Me Legardeur, notaire à la Nouvelle-Orléans un acte autorisant Eugène à convoler ; l’acte datait du 5 février et Edmond, désigné comme étant « compositeur », résidait au 292, rue Sainte-Anne.

Le mardi 6 mars, à 15h, à la mairie du XIVème arrondissement, « Arcade », qui résidait encore « avec sa mère à Paris, Avenue du Maine, n° 188 », épousa Ilka Fuchs. Edmond était « artiste musicien », sa mère était « couturière » et la jeune mariée était « modiste ». Ilka était en Hongrie, à Pesth le 6 septembre 1868 ; elle résidait au 5, avenue d’Orléans.

Les parents d’Ilka, Maurice Fuchs et Régine Deutsch étaient marchands-pelletiers à « Budapesth » et avaient envoyé leur consentement par acte notarié en date du 23 novembre 1893 rédigé par Me Weinmann.

Le 3 février 1895, dans le XIVème arrondissement, à 7h du matin, Ilka donna naissance à un garçon qu’ils prénommèrent Maurice Sylvain Georges (il mourut le 29 juillet 1959, dans le Xème arrondissement). La famille habitait au 167, avenue du Maine et Ilka ne travaillait plus. Le 12 septembre 1897, à 23h, au 48, rue Liancourt (ce qui était aussi l’adresse des parents d’Eugène), ils accueillirent Charlotte Anna Régina. L’acte de naissance de Charlotte indique que son père est désormais « chef d’orchestre » et plus seulement « artiste musicien ».Malheureusement, la petite Charlotte mourut à Vincennes le 9 juillet 1898 à 23h au 68, rue de Montreuil où ses parents résidaient à ce moment-là (curieusement, Eugène est de nouveau décrit comme « artiste musicien » et Ilka est de nouveau « modiste »).

Le 13 janvier 1905, à 4h, Ilka mourut chez elle au 5, rue d'Alembert. Elle n'avait que trente-quatre ans. Sa mère était morte, mais son père, qui résidait toujours à Budapest, avait soixante-dix-neuf ans et ne travaillait plus.

Le 26 mai 1906, dans le Xème arrondissement, Eugène se remaria avec une veuve (depuis 1904). Marthe Marie Émilie Nouvellon était comptable et résidait à la même adresse qu’Eugène, au 42, boulevard Magenta ; elle était née à Bourges le 24 août 1869 (son père, Alcide Émile était mort, mais sa mère, Angèle Nathalie Leboeuf, était présente et consentante). Cette fois-ci, il y eut un contrat de mariage enregistré le 22 mai par Me Garanger, notaire à Paris.

En été, comme son père avant lui, Eugène partait travailler dans diverses régions de France et c’est en province qu’il mourut.

Dans le Journal de Berck et des environs du 3 août 1919, le journaliste D’Artois écrivait dans la rubrique « Spectacles et concerts – Communiqués des casinos » : « On remarque depuis quelques jours une affluence extraordinaire au Grand Casino. Il y a à cela deux raisons : la première, c’est que la saison bat son plein... et les villégiaturistes sont venus à la mer pour se reposer, se divertir et s’amuser ; la seconde est due à des programmes choisis, variés et – pourquoi ne pas l’écrire ? – merveilleux ! Nous avons donc des spectacles sensationnels qui font la joie des amateurs. Et puis, – c’est un fait reconnu à Berck-Plage – le Grand Casino est le rendez-vous des élégances revenues de l’exil où la guerre les avait envoyées : chic parisien, charme berckois, élégance de tenue masculine et de toilette féminine se côtoient, s’effleurent et se mélangent dans la jolie salle des fêtes où l’on danse toujours fox-trott et tangos. Le jazz-band interdit a été remplacé par un orchestre symphonique ; de virtuoses dont la direction a été confiée à M. Dédé, le compositeur très connu des Concerts Mayol, de l’Eldorado et du Petit Casino. »

Le 26 août 1919, le Dr Georges Richez et le musicien Robert Fauveau, déclarèrent le décès d’Eugène Dédé à la polyclinique Leclercq, au 55, rue de l’Impératrice à Berck-sur-Mer. Il avait cinquante-deux ans et un mois. Dans le le Journal de Berck et des environs du 31 août 1919, il est dit que les nombreux artistes se sont fait un devoir d'organiser une souscription pour ramener le corps à Paris, mais nous n’avons pas encore trouvé de trace d’un enterrement dans l’un des cimetières parisiens.

Nous n’avons pas (encore) trouvé d’autres informations sur Marthe Nouvellon, veuve Dédé.