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L'histoire de la Villa Minerve ou de l'importance de consulter les hypothèques

           À Nice, au coin de la rue des Boers et de la rue du Soleil, se trouve une ancienne villa qui fut pendant quelques années la propriété de Georges et Adèle Doublet : la Villa Minerve.

Photo de la villa le 21 juin 2024

            Au sujet de cette villa, dans Demeures d’azur : Nice de Didier Gayraud (publié à Breil-sur-Roya par Les Éditions du Cabri en 1998 et dont un extrait est téléchargeable en PDF ici), vous pourrez lire : « C’est en 1897 que Georges Doublet, professeur de rhétorique au lycée de Nice, fit bâtir dans le quartier de Saint Barthélémy une villa qu’il baptisa Minerve.

            Grand érudit, agrégé de lettres et historien, il passa une partie de sa vie à effectuer des fouilles en Grèce, en Crète, en Tunisie et en Algérie. Dans ce pays, il participa à la création des musées archéologiques d’Alger et de Constantine avant d’être nommé, de 1890 à 1892, chef du service beylical des antiquités et des arts.

            De retour à Nice en 1897, Georges Doublet, très marqué par ses séjours en Afrique du Nord et par la civilisation arabe, choisit de faire édifier sa villa dans un style fortement inspiré du mauresque. Passionné d’histoire locale, ce normalien fut l’auteur de plusieurs ouvrages dont une « Histoire des Alpes-Maritimes » et écrivit de nombreux articles sur la ville de Foix où il enseigna durant trois ans. Il collabora également à diverses revues régionales telles que « Nice historique », « Le bulletin de la société des lettres et des arts des Alpes-Maritimes », « L’aloès », « L’Éclaireur de Nice »...

            Georges Doublet habita la demeure jusqu’à la fin des années 1920, date a laquelle il la vendit à Monsieur Prévost. Il s’installa alors non loin de là à la villa Brin de Rêve (aujourd’hui disparue) où il termina sa vie en 1936.

            Désormais encadrée d’immeubles, la villa Minerve a toutefois conservé son aspect originel. »

 

            De même, à la page 283 de son article « Georges Doublet (Versailles 1863 – Nice 1936) » (publié dans la revue Provence historique en 2018, Luc Thevenon écrit : « Son originalité, liée au souvenir nostalgique du Maghreb, lui fit choisir, pour la villa qu’il fait construire à Nice dès 1898, un style mauresque de fantaisie. La villa « Minerve », nom qui n’est pas choisi au hasard, est conservée rue du Soleil (fig. 6). Il la vend fin 1920 à un certain Prévost. Mais il reste aux environs immédiats en emménageant dans une villa au n)1 rue des Boers. Puis en 1930 il s’éloigne à peine, restant dans le quartier Saint-Barthélemy en s’installant dans la ville « Brin de Rêve » avenue Stephen Liégeard. Contrairement aux précédents, cet édifice a été détruit ! »

 

            Alors… Non. Non, non, et non.

            Aujourd’hui, l’état civil de nos protagonistes et les hypothèques sont consultables en ligne, ce qui est un avantage, mais ces documents ont toujours été disponibles, en mairies et aux Archives départementales des Alpes-Maritimes.

            Voici la véritable histoire de la villa « Minerve » : Georges Doublet (1863-1936) dû espérer très vite qu’il ferait le reste de sa carrière à Nice après avoir eu son premier poste d’enseignant à Foix, car il acheta une propriété dans le quartier de Saint-Barthélemy à Nice où se trouvait la « Villa Marius », villa d’inspiration mauresque pour le style et qui avait été édifiée par M. Palmero en 1887. Doublet la renomma-t-il « Villa Minerve » pour des raisons pratique en conservant le « M » initial ? c’est une possibilité, puisqu’il était plutôt helléniste que latiniste, mais nous n’avons pas réussi à déterminer si la lettre « M » décore de quelque façon cette villa.

Cette demeure se trouvait à près de trois kilomètres du lycée où Doublet enseignait, mais il y avait à l’époque très peu de constructions dans le quartier (au départ, la villa fut une construction isolée et la future rue des Boers n’avait pas encore de nom à ce moment-là). Il y avait un jardin devant et un derrière et la villa était élevée sur cave et rez-de-chaussée ; le terrain était clos de murs et avait une superficie totale d’environ 930 m².

Les propriétaires étaient : Hippolyte Aubry de la Noé, Louis Ravan et Louis Mayan (en 1882), les Palmero et les Curnier (en 1890). La propriété faisait partie d’un plus grand terrain et la vente se fit en deux temps.

Le terrain avait été initialement acheté au début du XIXe siècle par Louis Milon de Veraillon, son fils, Frédéric, en avait hérité, puis ses quatre enfants (trois fils et une fille), ce qui avait fait passer le terrain dans la famille Aubry de la Noé.

Le contre-amiral Charles Aubry de la Noé  et  son  épouse,  Mme  Héloïse  Marie  Guynot  de  Boismenu, qui  résidaient  au  9,  rue  Sainte-Honorine  à  Cherbourg  vendirent 811,5 m² aux Doublet pour 16 230 francs.

La villa fut vendue avec ses meubles par le  propriétaire du casino de Boulogne,  M. Marius Louis Curnier (d’où le nom initial de la villa), et son épouse Mme Jeanne Bathilde Cazaux, qui habitaient au 51, rue d’Amsterdam à Paris, 22 000 francs ; les meubles furent vendus pour 8 000.

Donc, pour 46 230 francs, les Doublet devinrent Niçois le 17 février 1896.

 

Les Doublet  résidèrent Villa Minerve jusqu’en 1930 (donc, ni « la fin des années 1920 » (Gayraud), ni « fin 1920 » (Thevenon).

Le 19 janvier, ils achetèrent la « Villa Brin de rêve » et son jardin  pour 85 000 francs à  Mlle Rosset[1]. Ils en eurent la jouissance rétroactive à partir du 1er décembre 1929 (certes, les Doublet étaient dans les murs en 1929, mais l’acte de propriété date de 1930 lors de la signature de l’acte authentique).

La superficie du jardin était d’environ 225 m². La propriété avait au nord, l’avenue Stephen Liegeard, Castellane à l’est, le chemin de l’église au sud et un mur mitoyen avec Mlle Belhomme à l’ouest. Des agrandissements étaient possibles seulement au nord et au sud et les arbres ne devaient pas mesurer plus de quatre mètres.

            Le 12 mars, les Doublet vendirent la Villa Minerve et son jardin, c’est-à-dire presque 800 m² en tout à M. Prévost[2].

La vente fut conclue pour 250 000 francs ; les Doublet reçurent 148 966,63 francs et 101 033,37 francs restants furent versés par Prévost en  échéances au Crédit Foncier de France, au 19, rue des Capucines à Paris, en  remboursement d’un prêt des Doublet pour 98 972 francs contracté le 28 août 1929 ; les Doublet n’avaient plus à être en communication sur ce sujet avec le Crédit Foncier.

Cette année-là, Prévost fit une demande pour construire un garage Villa Minerve et modifier la villa sur l’angle de la rue du Soleil et de la rue des Boers et Doublet déposa une demande pour construire une annexe avenue Stephen Liegeard.

 


Une carte postale ancienne se trouve en ligne et ce qui est intéressant est qu’elle porte le nom de Louis Prévost.

 

            L’histoire de la Villa Minerve nous démontre une fois de plus l’importance de remonter aux sources et que généalogie et hypothèques peuvent contenir des trésors d’information.



[1] : Marguerite Flavie Rosset (Nice, 21 février 1900 – 21 août 1969) au moment de la vente était « célibataire majeure, sans profession » ; elle résidait avenue Stephen Liegeard à la « Villa La Madelon ». Elle épousa Victor Casteu (1902-1970) le 9 avril 1942 à Nice.

[2] : Louis Prévost était né le 2 novembre 1867 à Vatan. Il était déjà propriétaire au 15, rue du Soleil.

Curiosités d'archives : Et (une partie de) la rue Henri de Cessole devint la rue Georges Doublet

Afin de compléter notre biographie de Georges Doublet, nous sommes allée aux Archives municipales de Nice afin de découvrir quand et comment la « rue Georges Doublet » vit le jour.

 

Pour rappel, Georges Doublet était un professeur de lettres classiques au lycée Masséna de Nice. Ce normalien, « agrégé des lettres » et membre de l’École française d’Athènes aurait dû faire sa carrière dans les musées d’Afrique du Nord si un mandarin à peine plus vieux que lui n’avait intrigué afin de le faire renvoyer (le coupable s’appelait René Ducoudray La Blanchère (1853-1896) ; il signait « R. de la Blanchère » et c’est encore souvent ainsi que son nom est mentionné). Doublet rentra en France, au Havre, où il épousa Éliza « Adèle » Hochet (ils auraient dû se marier à Tunis) et le couple partit pour Foix où Doublet eut son premier poste.

Ce fut à Foix, parce qu’il avait de petites classes et assez de temps pour lui, que Doublet commença à visiter les archives – et publier leur contenu. Il conserva cette habitude en arrivant à Nice où il fit le plus gros de sa carrière (nous lui devons des centaines de publications – ouvrages et articles).

Doublet se fit de nombreux amis à Nice et dans toute la région ; à tel point que la liste de ceux qui vinrent à son enterrement le jeudi 30 avril 1936 (le lendemain de sa mort) ressemble au bottin mondain et à l’élite des archives et sociétés savantes de la Côte d’Azur.

Doublet était un paléographe hors pair, un archiviste passionné et un infatigable écrivain.

 

Les anciens amis de Doublet jouèrent un rôle important dans la décision municipale de donner le nom de Doublet à une artère de la ville.

Selon les informations contenues dans le carton « 3 O 15/101 » aux archives municipales de Nice, carton relatif à la rue Georges Doublet et aux délibérations du conseil municipal à ce sujet, certaines société savantes plaidèrent en faveur d’une « rue Georges Doublet » dès 1938.

Le 14 décembre 1938, par exemple, l’Acadèmia Nissarda envoya une lettre à Jean Médecin (1890-1965), maire de Nice, afin de lui demander de donner le nom de Doublet à une rue de Nice. Le général Paul Toulorge (1862-1959) demanda la même chose au nom de la Société des Lettres, Sciences et Arts des Alpes-Maritimes le 17 décembre de la même année. Xavier Emanuel (1890-1975), qui était le chef de cabinet du maire et un proche des Doublet puisque ce fut lui qui déclara le décès de notre historien, envoya le 19 décembre 1938 un courrier à l’adjoint de Jean Médecin afin de lui transmettre les lettres des deux sociétés précédemment mentionnées, de l’informer que le maire était disposé à donner le nom de Doublet à une rue de la ville et de l’informer que la veuve de Doublet lui avait dit souhaiter voir l’avenue Stephen Liegeard, où ils avaient résidé pendant près de six ans, porter le nom de son défunt époux.

 

Les années passèrent.

 

Le conseil municipal de Nice délibéra le 21 avril 1950 au sujet de nouvelles dénominations de noms de rues (pour information, étaient aussi concernée « l’Armée du Rhin » [pour la « place Risso »], « Jean Bouin » [au « Stade du XVème Corps »] et « Maurice Maeterlinck » [pour une partie du « boulevard Carnot »]). L’arrêté ministériel date du 26 juillet et les arrêtés préfectoraux du 7 août.

Le texte des délibérations du 21 avril 1950 était le suivant : « Au cours de sa séance du 23 Mars 1950, la Commission des noms de rues a décidé; à la suite de diverses requêtes adressées à l’Administration Municipale, d’adopter les propositions suivantes : […] donner le nom de Georges DOUBLET, l’éminent historiographe de la Ville et du Comté de Nice à la partie de la rue Henry de Cessole, perpendiculaire au Boulevard de Cessole et de laisser subsister la rue Henry de Cessole pour la partie parallèle audit boulevard[…] ».

À l’époque, les résidents ne furent pas informés personnellement du changement de nom d’une partie de leur rue (les choses sont peut-être un peu mieux organisées aujourd’hui, car la même chose nous est arrivée et nous avons reçu un courrier nous informant du changement… mais pas des modalités afin de modifier nos papiers et références). D’ailleurs, la Société des Papeteries de la Gorge de Domène, au 13 et 15 de la rue Henry de Cessole envoya le 7 juin un courrier à Jean Médecin afin de savoir quel serait le nouveau nom de leur rue car de nouveaux imprimés devaient être faits. Le député-maire, Léon Teisseire (1907-1971), fit envoyer une réponse le 16 juin (en signalant que le nom ne serait officiel qu’après toutes les décisions légales et l’annonce faite au public par voie de presse).

 

Croquis contenu dans le carton « 3 O 15/101 » aux archives municipales de Nice qui illustre le changement de nom.

 

La notice biographique qui accompagnait le dossier est très complète et fut rédigée par l’excellente archiviste-archéologue, Armance Royer[1] (1907-1981).

Le 23 novembre 1950, Nice-Matin publia à nouveau un encart qui expliquait qui était Doublet et pourquoi il méritait d’avoir une rue à son nom à Nice (ce texte fut publié une première fois lorsque la municipalité mit la machine en route).

 

Alors que le maire, d’après le courrier d’Emanuel du 19 décembre 1938, était « d’avis qu’étant donné les services exceptionnels qu’a rendu M. Georges DOUBLET, pendant près de 40 ans à la Ville de Nice, on peut sans inconvénient enfreindre le règlement et donner son nom à une de nos rues », ce ne fut pourtant qu’en 1950 qu’une rue Georges Doublet vit le jour à Nice.

Normalement, officiellement, légalement, ce n’est que dix ans après la mort d’une personne que son nom peut être donné à une artère, mais, comme nous l’a fait remarquer un archiviste, il suffit que le mort soit cher à la population (ou aux politiques au pouvoir – et ce que voulait Jean Médecin, Jean Médecin l’obtenait) pour que la loi soit mise de côté et si personne ne conteste le nouveau nom au tribunal, tout va bien.

En 1936, Doublet, proche de Médecin qui lui avait demandé de mettre de l’ordre dans les archives de Nice, meurt.

En 1938, deux des plus importantes sociétés savantes de la région souhaitent voir une rue Georges Doublet en ville et Jean Médecin est favorable au projet, puis… le projet ne se réalise qu’en 1950.

Un fonctionnaire a-t-il fait appliquer la loi à la lettre ? C’est possible, mais curieux, d’autant plus que le maire était favorable à cette idée.

La guerre a-t-elle mis un frein à ce projet ? C’est une autre possibilité.

Il reste une autre possibilité : Adèle Doublet mourut en 1948 et elle n’était guère appréciée par certains de ces messieurs. En effet, Doublet épousa une femme que certains pensaient en dessous de lui, mais ce n’était pas parce qu’il était le fils d’un juge et qu’il avait hérité une petite fortune de sa mère qui était morte alors qu’il n’avait pas trois ans et qu’Adèle n’était que fruitière ; en fait, Adèle était mal vue par la bonne société parce qu’elle avait divorcé (c’était son mari qui avait demandé le divorce, mais ce fut Adèle qui eut à souffrir de cette décision – et parions que personne ne lui demandait ce qui s’était passé).

Pourtant, si Doublet, fervent catholique qui ne put donc pas se marier à l’église, décida d’épouser Adèle, c’est qu’elle était vraiment extraordinaire.

Espérons que ce fut vraiment la guerre qui empêcha le Niçois de donner le nom de Doublet à une de leurs rues, puisque Médecin était favorable au projet, il serait bien trop triste que la rue Georges Doublet n’ait vu le jour qu’en 1950 parce que sa veuve n’était alors plus parmi nous et que les officiels ne souhaitaient pas a


[1] : Incidemment, Doublet se serait sans doute entendu à merveille avec elle s’il avait vécu plus longtemps. Elle fit un travail extraordinaire aux Archives municipales de Nice. Ils ont travaillé ensemble en 1935 et 1936 pour Nice Historique sur l’article « La piraterie dans les eaux de Nice à la fin du XVe siècle, d’après des documents inédits des Archives municipales (en collaboration avec Mlle A. Royer) ».

Le Journal d'Edmond Got

Lors de nos recherches afin d'écrire notre biographie de Georges Doublet nous avons croisé le comédien Edmond Got qui, à partir de 1874, enseigna à l'École normale. Il donna donc des cours à notre historien.

François Jules Edmond Got (Paris [ancien] I, 1er octobre 1822 – Paris XVI, 20 mars 1901) entra à la Comédie-Française en 1844 ; il fut sociétaire en 1850 et doyen de 1873 à 1894 (il prit alors sa retraite). Il encouragea et promut de nombreux auteurs contemporains et protégea la Comédie, mais il la critiqua quand il le fallait aussi. 

En 1910, Médéric Got, un de ses fils, publia son Journal, qui est un témoignage précieux sur l’histoire de la Comédie-Française, du théâtre en général, mais aussi sur les événements de l'époque.

Depuis cette semaine, nous sommes en possession d'un exemplaire de ce fameux journal en deux tomes :

Un libraire (le nôtre ou un de ses prédécesseurs) a écrit « rare » sur la première page - avec un prix en francs pour les deux volumes ; il y a donc bien longtemps qu'ils attendaient de se faire adopter. Le premier tome se trouve aisément (il est même possible de le lire sur le site de la Bibliothèque nationale), mais le second tome est plus compliqué à localiser.

La mère d'Edmond Got, Sophie Meunier-Surcouf (effectivement parente du célèbre corsaire malouin), fut sous la protection d'un marquis de Folleville (nous avons à peine commencé à plonger dans son journal, mais cette histoire a attiré notre attention). Ce détail constitue peut-être un lien avec Marguerite Gondoin (dont le grand-père était Marie Jacques Gondoin de Folleville), ce qui ferait que Got aurait peut-être été dans le même cercle de connaissances que les Crauk, puisque Gustave Crauk épousa Marguerite Gondoin.

Si nous trouvons des informations intéressantes, et particulièrement dans le second tome, nous les partagerons avec vous.

Publications, travaux et recherches

Quel silence depuis quelques mois.

Il se trouve que notre thèse remaniée, Nice - 1543, est au chaud chez sa marraine la BNF depuis août dernier et que nous avons repensé notre édition de Soixante ans dans les ateliers des artistes - Dubosc modèle par Gustave Crauk (nouvelle couverture, introduction revue et index reformatés) dont la nouvelle version va partir au dépôt légal dans quelques heures.

Nos recherches afin d'écrire une nouvelle biographie de Constance Mayer La Martinière avancent et il va maintenant falloir déchiffrer l'écriture du notaire qui a fait l'inventaire après décès.

Nous avons maintenant édité trois textes de Georges Doublet : Le siège de Nice en 1543, Catherine Ségurane et Recettes pour faire un personnage historique. Nous avons également terminé notre biographie de l'auteur ; nous pensions écrire une dizaine ou quinzaine de page, mais un an plus tard, nous avons cent vingt pages. Les index nous attendent maintenant.

Grâce à notre travail sur Crauk, nous avions remarqué que l'autobiographie de François Marius Granet (publiée dans le journal Le Temps en 1872) n'avait pas été publiée en un seul ouvrage. Nous sommes en train d'éditer ce texte. Cette fois-ci, au lieu de notes de bas de pages, nous allons créer une galerie de portraits pour les personnes mentionnées par Granet et des tableaux d'Histoire pour les événements intéressants qu'il mentionne, mais n'approfondit pas.

Nous avons des projets d'articles pour ce blog. Nous vous disons donc à très bientôt.

Raymond Louis Bouyer (Paris IX, 3 juillet 1862 - 20 janvier 1941)

Nous avons hésité pour le titre de cet article entre « Bon anniversaire ! » et « Un peu de positivisme, que diable ! ».

Pourquoi ? C'est très simple : il se trouve que le hasard a voulu que nous nous penchions sur la vie de Raymond (ou Raymond Louis, Raymond-Louis, voire même Louis ou Louis-Raymond) Bouyer à quelques jours de l’anniversaire de sa naissance il y a cent soixante-et-un ans. Et alors que nous nous penchions sur son histoire, tout Internet nous annonçait qu’il était mort en 1935 – même si la Bibliothèque nationale de France nous donne cette date avec un magnifique point d’interrogation. D’ailleurs, leur dernière trace écrite de lui date de 1934.

En revanche, toutes les pages s’accordent à dire que cet auteur, critique musical, critique d’art et secrétaire de rédaction de La Revue d’art était né à Paris dans le IXème arrondissement le 3 juillet 1862.

C’est là que le positivisme entre en jeu.

En voyant les doutes de notre chère Gallica quant à l’année de sa mort, nous avons immédiatement craint que cet auteur ait disparu soudainement sans laisser de trace – comme Rose Maireau, que nous cherchons toujours.

Puisqu’il est né en 1862 – donc après les incendies de la Commune, nous avons consulté les archives de Paris en ligne…

 

Trois minutes.

 

Il nous a fallu trois minutes pour trouver son acte de naissance (n° 1211), acte de naissance qui nous apprend qu’il est né au 34, rue de Trévise, qu’il était le fils du négociant Paul Bouyer, qui n’assista pas à sa naissance, et de la professeur de piano Pauline Rosine Caroline Grange ; ses parents avaient respectivement trente-huit et trente-et-un ans et s’étaient mariés dans le IIIème arrondissement en 1858. Sa naissance fut déclarée par le docteur qui avait accouché sa mère, Ernest Château, et par son oncle Louis Grange, qui habitait aussi au  34, rue de Trévise.

Ces renseignements sont déjà précieux, mais que trouvons-nous en mention marginale ? Hum ? Nous lisons noir sur blanc que l’enfant qui est né le 3 juillet 1862 s’est marié dans l’arrondissement où il est né. À quelle date ? Forcément avant 1935, voire en 1935, n’est-ce pas ? Pas du tout, chers lecteurs, notre auteur s’est marié le 18 janvier 1941 avec Jeanne Eugénie Luce Bernard.  

1941 !!! 

Pardonnez-nous ce festival de points d’exclamation, mais cela veut dire que personne n’a pris la peine de consulter l’acte de naissance de Raymond Bouyer, autrement la quasi-totalité des données sur lui n’annonceraient pas qu’il est mort en 1935.

Passons donc à l’acte de mariage (n° 22) de Raymond et Jeanne… Raymond y est décrit comme un « homme de lettres » et il réside toujours au 34, rue de Trévise et c’est là – littéralement là, chez lui, qu’il se maria. Gaston Broussier, adjoint au maire du IXème arrondissement, se rendit chez Raymond sur réquisition du Procureur de la République afin de procéder au mariage. Raymond avait soixante-dix-huit ans… Pas la peine d’être Sherlock Holmes pour déduire que le malheureux devait être bien malade pour que son mariage se déroule chez lui et non pas dans la maison commune ; en revanche, Gaston Broussier, afin de respecter la loi, fit « ouvrir les portes de la maison en vue de célébrer publiquement ledit mariage » - espérons que le pauvre Raymond ne fut pas exposé aux éléments afin que son mariage se déroule selon la loi (il devait faire bien froid en janvier 41). La mariée, concierge de l’immeuble, avait cinquante-deux ans et était la fille de Louis Bernard et Aline Voillemont ; elle était née le 18 juin 1888 à Doulevant-le-Petit en Haute-Marne.

La date du décès de Raymond n’a pas été ajoutée à son acte de naissance, mais les circonstances du mariage pouvaient nous laisser penser que le malheureux avait trop vite laissé une veuve.

Les tables annuelles des décès nous livrèrent très vite la fin de cette histoire : Raymond Louis Bouyer mourut le 20 janvier 1941 à 19h30. Son décès fut déclaré en mairie par un résident de l’immeuble le lendemain.

 

Si la totalité de cette recherche nous a pris vingt minutes, c’est bien le diable. En creusant encore un peu, nous avons même découvert que Bouyer avait été nommé chevalier de la Légion d’honneur le 6 mars 1929.

Nous ne sommes pas en 1923. Une mine d’information se trouve en quelques clics – ce qui permet d’ailleurs de faire des recherches en archives alors que celles-ci ont fermé leurs portes pour la nuit. Pourquoi est-ce que personne avant nous n’a tenté de résoudre le mystère de la date de décès de cet auteur ? Ça se comprend jusqu’en 1995 où il fallait souvent aller en archives ou bibliothèques afin de consulter un catalogue papier… mais aujourd’hui ? Pourquoi se contenter d’une date approximative – et erronée ?! Manque total d’intérêt ? Paresse intellectuelle ?

 

Le pire dans cette histoire est que nous n’en avons pas fini du mystère Bouyer : nous avons peut-être déterré son acte de décès, mais la raison pour laquelle nous nous sommes intéressée à lui va nous demander de creuser encore.

Il se trouve qu’en 1883, Bouyer se présenta au concours de l’École normale supérieure et fut admis à la vingt-et-unième place (vingt-cinq étudiants constituaient cette promotion). Cependant, il ne se présenta pas à l’école le vendredi 2 novembre pour la rentrée ; il n’arriva que le mercredi 7 et fut absent dès le 8 au soir.

Il démissionna et sa place fit attribuée à celui qui avait été vingt-sixième au concours et cet étudiant entra à l’école le 20 novembre 1883 après avoir été officiellement nommé la veille.

Cet étudiant qui remplaça Bouyer était… Georges Doublet.

Voila pourquoi nous avons cherché des informations sur Bouyer. Maintenant, reste à tenter de découvrir pourquoi il démissionna alors qu’il poursuivit ses études en Sorbonne et obtint sa licence ès Lettres en 1884, tout comme Doublet.

Cherche guéridon pour une petite « séance »…

Nous sommes toujours en pleine rédaction de notre biographie de Georges Doublet et il est de plus en plus intéressant – mais notre biographie menace d’être aussi longue que le texte de Doublet que nous avons édité.

 

Au fil de nos recherches, nous avons collecté toutes les références au sujet de Doublet dans des articles parus entre les années 1880 et aujourd’hui. L’une de ces références, en 1889, est assez étrange et quelque peu frustrante.

Alors qu’il était élève à l’École normale supérieure, Doublet avait aussi suivi le cours de Bernard Haussoullier (1852-1926) à l’École pratique des hautes études et en 1889, alors que Doublet était encore en Grèce, Haussoullier publia un « Bulletin épigraphique » dans la Revue des Études Grecques (tome 2, fascicule 6, pp. 185-203) où il mentionna des travaux de Doublet.

Il écrivit notamment : « Il est d’ailleurs souvent difficile de se prononcer et ce n’est pas sans hésitation que Doublet, par exemple, identifie la ville ancienne de Latos avec le village actuel de Hos Nikolaos, au bord de la mer (Bull, de Corr. hellén., 1889, p. 55). L’emplacement de la nécropole de Lyttos lui semble plus certain (Ibid., p. 66) ».

Or, si l’on consulte directement l’article de Doublet intitulé « Inscriptions de Crète » dans le Bulletin de correspondance hellénique, on peut lire à la page 55 :

« 3. - LATOS (auj. Hagh. Nikolaos). - L’inscription suivante permet d’identifier la ville ancienne de Latos. Le nom des Λάτιοι est connu (1 : Corpus inscr. græc., nos 2554 et 3058), mais l’on pensait que leur ville était dans l’intérieur des terres et que leur port se nommait Kamara (2 : Le Bas et Waddington, Inscr. d’Asie Mineure, nos 67 et 74 ; cf. Head (hist. num., p. 399). Il semble que la ville ait occupé, l’emplacement du village actuel de Haghios Nikolaos, au bord de la mer. Inscr. copiée dans une maison en démolition. »

et à la page 66 :

« J’ai trouvé dans trois endroits de la plaine qui est au pied du village de Xyda, des inscriptions qui doivent indiquer la nécropole de Lyttos. »

 

Doublet formule une correction polie puisque l’emplacement exact de l’ancienne ville de Latos semble avoir posé problème jusqu’à ce qu’il localise une inscription dans le moderne village d’Haghios Nikolaos.

 

C’est là qu’il serait intéressant d’avoir recours à un guéridon et/ou une voyante (les pythies se font rares de nos jours) afin de demander à ce cher Haussoullier où il a vu une hésitation dans le texte de Doublet.

Doublet, étudiant de l’École française d’Athènes dont le mémoire de troisième année n’était pas encore validé (et alors même que son travail sur les voyages de l’empereur Hadrien semblait trop ennuyeux et inintéressant pour certains – qui n’aimaient peut-être guère cet empereur-là pour des questions de moralité chrétienne), ne pouvait pas se permettre de fanfaronner en criant sur les toits (et dans une publication officielle de son école) qu’il avait réussi à localiser sur la côte une ville antique qui avait jusqu’à présent été imaginée dans les terres.

D’ailleurs, Doublet est tout aussi humble au sujet de la localisation de la nécropole de Lyttos.

 

Haussoullier a dû suivre son idée quant aux difficultés afin d’effectuer des corrections, ce qui est un excellent point, mais il a dû se servir de Doublet pour illustrer le propos.

 

Doublet, professeur et archiviste positiviste, aurait peut-être écrit à son ancien maître si la remarque d’Haussoullier n’avait pas concerné le travail de l’étudiant Doublet bien des années avant que Doublet ne puisse s’autoriser à faire une remarque.

Fra Paul Siméon de Balbi de Quiers (et Georges Doublet)

En juin 2022, nous nous sommes rendue aux Archives départementales des Alpes-Maritimes afin de vérifier que notre transcription du texte de Georges Doublet sur le siège de 1543, que nous allons publier dès que notre biographie de l'auteur sera terminée, était complète.

Nous avons profité de cette visite afin de consulter un document (H 1161) mentionné par Doublet.

En avant-première, voici ce qu'il en disait :

« Enghien doit avoir accordé une trêve momentanée aux troupes ducales et la permission qu’elles emportassent au château ce qu’il leur semblerait bon d’y transférer. En effet le trésorier de la place, Carra (ou, pour user de son vrai nom, Nicolas de Beaumont, qui était auditeur de la Chambre ducale des Comptes) et le seigneur de Corcelles, L[udovic] de Prey, également auditeur de cette chambre – mais non, quoi qu’en ait dit […]* le sergent-major d’Arenthon – descendent avec des officiers et soldats pour monter « les poudres, balles, monitions, grains, vins, huyles, farines, autres victuailles et les cloches des églises » sous la direction d’un Milanais, Landriano, qui aura dû, je suppose, réunir des bêtes afin de charger tout cela. Badat parle de deux cents Niçois qui portèrent des vivres au château. Il ne reste dans la ville inférieure (ou dans la moyenne) que la grosse cloche, beaucoup trop lourde pour être descendue précipitamment, de la tour municipale de l’Horloge. Il y a lieu de vous signaler que le transport de toutes ces cloches est confirmé dans un des rares documents que nous possédons en original. Il se trouve aux archives départementales, dans le fond du ci-devant couvent de Saint-Dominique où d’ailleurs il n’a rien à faire[1]. C’est une attestation de Paul Simeone, datée de 1554, 25 juillet, signée par lui et munie de son sceau dont la conservation est assez bonne*. Vous y distinguez le blason des Balbi, d’or à cinq bandes d’azur. La ligne des Simeoni y joignait un chef qu’on aperçoit assez mal sur l’empreinte du sceau du « capitaine du château et autres forteresses du comté de Nice », ce qui est son titre officiel. Il atteste que, dans la « dedditione di Nizza a Barbarossa et ai Francesi », toutes les cloches furent portées, « sur l’ordre du duc, en son château », et qu’un certain nombre se rompirent. On voit que Charles II avait prévu que la ville succomberait et pris ses mesures pour que l’ennemi ne s’emparât point des cloches ; que le transport de celles-ci s’effectua sans beaucoup de précautions. Mais avait-on assez de temps pour en prendre ?

Le papier est un peu rongé à gauche. Ce n’est pas, quoi qu’en dise l’Inventaire sommaire du fonds H des Archives départementales publié par Moris en 1893, une déclaration certifiant que la cloche du couvent de Saint-Dominique eût été rendue aux prêcheurs. L’archiviste départemental, ou l’employé qu’il aura chargé de lire et d’analyser le document écrit en italien, n’en aura pas compris le sens. C’est sans aucun motif que cette curieuse pièce figure dans le fonds de l’ancien couvent de Saint-Dominique. Ici encore Moris a mal réfléchi à ce qu’il faisait. »

Incidemment, Paul Siméon de Balbi de Quiers, personnage fascinant qui, a dix-huit ans, se retrouva commandant lors d'un siège contre les Turcs où il parvint à les faire fuir en ordonnant à tous les civils (vieillards, femmes, enfants) de mettre un uniforme et de se placer sur les remparts, ce qui fit croire aux Turcs que la ville avait reçu des renforts, est souvent mentionné sous plusieurs noms : Paul Siméon, Paul Simeone, Siméon de Balbi, Balbi de Quiers... Lors du remaniement du texte de notre thèse, nous avons fait le choix de le nommer en utilisant la totalité de son titre de noblesse.

Lorsque nous avons pris une photo du document rédigé par Paul Siméon de Balbi de Quiers, nous avons demandé l'autorisation de la publier sur ce blog. La voici :


Nous aurons sous peu des nouvelles au sujet de la publication du texte de Doublet et de notre thèse.

* : Le sergent-major d’Arenthon n’est pas mentionné à ce moment-là du siège par Gioffredo ou Durante. Doublet voulait peut-être mentionner Samuel Guichenon (1607 – 1664) qui, lui, place d’Arenthon dans cette opération de récupération.

[1] : Archives départementales des Alpes-Maritimes, H 1161.

* : Nous ignorons à quelle date Doublet a vu ce document, mais lorsque nous l’avons consulté en juin 2022, le sceau était malheureusement en très mauvais état.

« Trucs » de recherche et information au sujet de Léonce Couture

Notre biographie de Georges Doublet qui va servir d’introduction à son propre texte est en train de virer à l’Odyssée (ce qui aurait sans doute amusé notre historien-archiviste qui enseignait le grec).

Cette recherche particulière nous a permis d’explorer de nouveaux moyens de recherche. L’état civil reste une source très intéressante, mais la totalité des archives peut révéler des points importants dans la vie des personnes étudiées. Pour vous donner un seul exemple, c’est en lisant en ligne (avant qu’ils ne soient victimes d’une cyber-attaque) le dossier d’hypothèque d’Adèle Doublet, née Hochet, quand elle vendit la maison familiale quelques années après le décès de son mari, que nous avons découvert qu’elle avait eu un fils de son premier mariage (nous avions trouvé ses deux filles, nées dans la ville de résidence du couple, mais ce fils a vu le jour dans une autre ville et s’il n’avait été témoin lors de la signature avec l’acheteuse de la maison, nous ne l’aurions probablement jamais trouvé). Cette découverte est d’autant plus importante que le lieu de naissance de ce fils et les renseignements sur son acte de naissance nous ont livré de précieux éléments sur la vie d’Adèle (future Mme Doublet à l’époque).

En parlant d’Adèle (en réalité, Élisa Adèle Hochet), c’est grâce à l’Acadèmia Nissarda, et en particulier à son secrétaire général, que nous avons pu découvrir en quelle année elle nous avait quitté. Si le service de l’état civil à Nice a été un peu sec, dirons-nous, l’archiviste du service nous a trouvé l’information dont nous avions besoin en quelques minutes. Pensez à contacter les archivistes !

En revanche, certaines institutions semblent apprécier le silence radio… ou elles ne consultent jamais les messages envoyés par formulaire de contact sur leurs sites (les associations d’anciens élèves sont particulièrement silencieuses – et dans le cas de l’École Normale Supérieure, un message de l’archiviste de l’ENS, qui, lui, nous avait répondu dès réception de nos questions, avec en copie l’association des anciens élèves, reste sans réponse de la part de cette association[1]). Le téléphone est peut-être la solution.

 

Sans trop vous dévoiler le début de notre biographie de Doublet, nous pouvons quand même vous dire que nous utilisons une citation de Jean-François Bladé (Lectoure, 15 novembre 1827 – Paris, 30 avril 1900) qui se trouve dans une lettre adressée à son grand ami le professeur Léonce Couture (Cazaubon, 3 septembre 1832 – Toulouse, 17 février 1902).

Il nous arrive régulièrement de chercher des informations sur des auteurs en passant par la notice qui leur est dédiée sur Gallica en espérant que la Bibliothèque nationale de France nous apportera des renseignements sur les publications des personnes que nous recherchons et quelques indices sur leur biographie. En lisant la fiche de «  Joseph Bernard Léonce Couture », le lieu de son décès manquait, nous sommes donc partie à sa recherche et avons alors découvert que la date donnée par la BNF, le 20 mars 1902, était fausse[2].

Il est mort à Toulouse le 17 février 1902 comme indiqué dans l'acte n° 539 (Vue 70 sur cette page).

L’enregistrement de sa naissance à Cazaubon avait déjà été étrange car l’adjoint au maire avait fait quelques fautes. Si les prénoms «  Joseph Bernard Léonce » sont bien en marge de l’acte, en revanche l’enfant est appelé « Léon » dans le corps de la déclaration et cette erreur-là n’a pas été relevée.  L’acte n° 36 se trouve à cette page si vous souhaitez le consulter.

 

Nous allons replonger dans nos chères archives, mais nous avons quelques sujets à partager avec vous très bientôt.



[1] : Pouvons-nous dire que nous sommes déçue ? Oui, en effet, d’autant plus que l’archiviste avait fait tout son possible afin de les inclure dans notre conversation.

[2] : Nous espérons que notre message à ce sujet leur parviendra sans encombre.

 

2004 à Babylone

Petites recommandations de lecture : ces dernières semaines, nos lectures « dans le bus ou le métro » (il faut bien rentabiliser le temps de transport et faire quelque chose d’agréable) ont été consacrées à nos recherches sur Georges Doublet afin de rédiger sa biographie pour notre édition de son texte sur Le Siège de Nice en 1543.

En revanche, nous avons replongé dans d’autres lectures historiques cette semaine. La personne dont nous lisons la biographie était une amie de T. E. Lawrence, le fameux Lawrence d’Arabie (ce n’est pas notre sujet, mais son Seven Pillars of Wisdom est une lecture fascinante encore aujourd’hui et si vous souhaitez avoir un nouvel éclairage sur l’Histoire d’une partie du Moyen-Orient, ce livre reste une excellente clef de déchiffrage).

La femme extraordinaire dont nous lisons une biographie, éditée par Georgina Howell sous le titre : A Woman in Arabia – The Writings of the Queen of the Desert[1], est Gertrude Lowthian Bell (1868-1926).

Bell était le premier enfant d’un riche industriel britannique et de régulières visites chez un oncle en poste dans diverses ambassades lui permirent de voyager et sa destination la plus marquante fut à Bagdad. Elle y apprit la langue locale – et de nombreux dialectes. Elle nous a laissé des traductions de poésies locales d’une rare qualité. Elle fut aussi historienne et archéologue. Sa passion pour la photographie (elle était passionnée, certes, mais son travail valait celui des meilleurs professionnels de l’époque) nous a laissé des centaines de plaques de verre où des sites aujourd’hui disparus ou gravement endommagés par le temps ou quelques bipèdes barbares sont conservés comme autant de pièces d’Histoire léguées par leur protectrice. D’autant plus protectrice que Bell parvint à faire voter une loi garantissant que 50% des découvertes archéologiques faites en Irak, dont elle aida notamment à la fondation, resteraient dans le pays et ne seraient pas emportées pillées par des coloniaux.

La population locale savait que Bell était une interlocutrice fiable, car elle parlait leur langue et les comprenait. Grâce au fait qu’elle était une « faible » femme, elle pouvait parfois se rendre là où des hommes n’auraient jamais été invités ou autorisés ; certains hommes comprirent l’importance qu’elle pourrait avoir et elle fut aussi une espionne pour le compte de son gouvernement. Toutes ces activités ne sont qu'un mince échantillon de ses réussites.

Malheureusement, sa voix, si lucide pourtant, fut ignorée sur des sujets importants... à l’époque et encore aujourd’hui, ce qui nous ramène aux « bipèdes barbares » ci-dessus mentionnés, à l’introduction d’Howell et au titre que nous utilisons.

À la page XV, Howell écrit :

« If the American and British invaders of 2003, after ousting Saddam Hussein, had read and taken to heart what Gertrude had to say on establishing peace in Iraq, there might have been far fewer of the bombings and burnings that have continued to this day. » [Si les envahisseurs américains et britanniques de 2003, après avoir déposé Saddam Hussein, avaient lu et vraiment pris en considération les recommandations de Gertrude afin d’instaurer la paix en Irak, il y aurait peut-être eu beaucoup moins de bombardements et d’incendies qui perdurent jusqu’à aujourd’hui.].

Il était bien prévisible que les envahisseurs n’allaient pas écouter une femme.

À la page XIX, Howell nous rappelle une tragédie historique qui est arrivée en 2004 et qui aurait brisé le cœur de Bell (ou lui aurait donné envie de faire un saut au Pentagone afin d’avoir une légère explication avec le scribouillard militaire qui aurait donné le feu vert à cette opération affligeante) :

« Through her position as honorary director of antiquities for Iraq she supervised the teams of foreign archaeologists who came to dig the precious sites of Ur and Babylon – the latter eventually bulldozed for an American military base. » [Grâce à son poste de directrice honoraire des antiquités irakiennes, elle surveilla les équipes d’archéologues étrangers qui venaient fouiller les précieux sites d’Ur et de Babylone – cette dernière fut éventuellement détruite au bulldozer pour faire place à une base américaine.].

Lorsque la triste nouvelle parvint au reste de la planète en 2005, nous nous souvenons d’articles qui déploraient le saccage de Babylone, qui ne fut hélas pas la seule victime de cette invasion dont les véritables raisons commencent seulement à être évoquées (à grande échelle). En cherchant à nous rafraichir la mémoire, nous avons notamment relu un article de la BBC où la crasse hypocrisie des militaires américains est on ne peut plus visible : la courte liste des dégâts causés par la soldatesque ne s’explique que par un complet mépris du site légendaire de la part de la bleusaille. Dans cet article, il est écrit :

« The US Army says the troops based in the city, some 50 miles (80km) south of Baghdad, are well aware of its historical significance. » [L’armée américaine déclare que les troupes basée dans cette ville, à environ cinquante miles (quatre-vingt kilomètres) au sud de Bagdad, sont parfaitement conscients de son importance historique.].

Ce que l’armée américaine a pensé très fort, mais sans le déclarer est sans doute assez proche de « mais s’en moque complètement en raison des ordres donnés et des intérêts pétroliers qu’elle défend ». C’eut été plus honnête, mais donc impossible à avouer.

 

Le spectre de Bell ne doit pas gêner ces destructeurs. L’Histoire les jugera, tout comme les iconoclastes décérébrés qui ont détruit les Bouddhas de Bâmiyân en 2001, mais les pertes sont là et les plaies sur l’âme de l’humanité resteront à jamais.



[1] : Il existe d’ailleurs un film, Queen of the Desert, qui n’est pas trop exagéré pour une production hollywoodienne avec un casting prestigieux.

Évitons les parties de poker...

En prépa, nous avions reçu l'ordre de suivre les préceptes d'Henri-Irénée Marrou – notamment sur le point suivant :

« [...] il a toujours été entendu qu’un savant honnête devait fournir à ses lecteurs le moyen de contrôler la validité de ses  affirmations : de là  les notes de bas de page, les références  précises aux sources ; c’est un des mérites incontestables du positivisme que de nous avoir appris à être très exigeants en fait de minutie dans ces indications. »[1]

Notre éditeur[2] quand nous collaborions à L'Émoi de l'histoire (la revue de l'Association historique des élèves du Lycée Henri IV) nous avait suggéré de rédiger nos travaux de façon à ce qu'un lecteur qui ne connaitrait rien à notre sujet n'aurait pas besoin d’aller chercher des compléments d’information dans des piles de documents difficilement accessibles. Tout devait être clair et aisément compréhensible – et complet.

En travaillant sur les écrits de Georges Doublet, prédécesseur de Marrou, nous avons réalisé avec horreur que certains historiens traitaient – encore aujourd'hui – leurs recherches comme une partie de poker où l'on doit garder le secret de sa main.

Au moment du remaniement de notre thèse, nous avons décidé d’ajouter une partie avec les documents publiés entre notre date de soutenance et le commencement de notre remaniement. Nous avons alors trouvé un article qui avance un fait capital sans y apporter la moindre référence ou justification. Nous sommes alors partagée entre une intense frustration quant au non-partage de la source de cette information et une méfiance scientifique devant cette bombe historique que personne n'aurait mentionnée en quatre siècles. Comment un profane pourrait-il vérifier cette donnée si nous, spécialiste, n'avons jamais croisé ce fait ? C'est impossible.

Frustration récente : nous avons consulté un article historique rédigé par une légiste qui cite les mémoires d’un auteur à deux reprises. Deux notes de fin de chapitre donnent un « titre » et des pages de référence pour les citations. « Parfait », pensez-vous ? Détrompez-vous, chers Lecteurs. Le nom de l’auteur cité associé au « titre » ne donnent aucun résultat sur aucun catalogue de bibliothèque et aucun moteur de recherche et comme le « titre » n’est accompagné d’aucune référence de maison d’édition ou d’année de publication, les références avancées ne servent strictement à rien.

Nous avons passé des heures à rechercher l’œuvre de l’auteur mentionné et notre seul espoir est que le « titre » soit celui d’un chapitre dans l’un des ouvrages que nous comptons consulter en bibliothèque la semaine prochaine.

Un peu moins de poker (chers collègues, garder le secret de vos informations jette le doute sur vos travaux) et un peu plus de positivisme seraient les bienvenus. Merci d’avance !



[1] : Cf. Henri-Irénée Marrou, De la connaissance historique, Paris, Éditions du Seuil, 1989, p. 231.

[2] : Bonjour, Hugo !