Raymond Louis Bouyer (Paris IX, 3 juillet 1862 - 20 janvier 1941)

Nous avons hésité pour le titre de cet article entre « Bon anniversaire ! » et « Un peu de positivisme, que diable ! ».

Pourquoi ? C'est très simple : il se trouve que le hasard a voulu que nous nous penchions sur la vie de Raymond (ou Raymond Louis, Raymond-Louis, voire même Louis ou Louis-Raymond) Bouyer à quelques jours de l’anniversaire de sa naissance il y a cent soixante-et-un ans. Et alors que nous nous penchions sur son histoire, tout Internet nous annonçait qu’il était mort en 1935 – même si la Bibliothèque nationale de France nous donne cette date avec un magnifique point d’interrogation. D’ailleurs, leur dernière trace écrite de lui date de 1934.

En revanche, toutes les pages s’accordent à dire que cet auteur, critique musical, critique d’art et secrétaire de rédaction de La Revue d’art était né à Paris dans le IXème arrondissement le 3 juillet 1862.

C’est là que le positivisme entre en jeu.

En voyant les doutes de notre chère Gallica quant à l’année de sa mort, nous avons immédiatement craint que cet auteur ait disparu soudainement sans laisser de trace – comme Rose Maireau, que nous cherchons toujours.

Puisqu’il est né en 1862 – donc après les incendies de la Commune, nous avons consulté les archives de Paris en ligne…

 

Trois minutes.

 

Il nous a fallu trois minutes pour trouver son acte de naissance (n° 1211), acte de naissance qui nous apprend qu’il est né au 34, rue de Trévise, qu’il était le fils du négociant Paul Bouyer, qui n’assista pas à sa naissance, et de la professeur de piano Pauline Rosine Caroline Grange ; ses parents avaient respectivement trente-huit et trente-et-un ans et s’étaient mariés dans le IIIème arrondissement en 1858. Sa naissance fut déclarée par le docteur qui avait accouché sa mère, Ernest Château, et par son oncle Louis Grange, qui habitait aussi au  34, rue de Trévise.

Ces renseignements sont déjà précieux, mais que trouvons-nous en mention marginale ? Hum ? Nous lisons noir sur blanc que l’enfant qui est né le 3 juillet 1862 s’est marié dans l’arrondissement où il est né. À quelle date ? Forcément avant 1935, voire en 1935, n’est-ce pas ? Pas du tout, chers lecteurs, notre auteur s’est marié le 18 janvier 1941 avec Jeanne Eugénie Luce Bernard.  

1941 !!! 

Pardonnez-nous ce festival de points d’exclamation, mais cela veut dire que personne n’a pris la peine de consulter l’acte de naissance de Raymond Bouyer, autrement la quasi-totalité des données sur lui n’annonceraient pas qu’il est mort en 1935.

Passons donc à l’acte de mariage (n° 22) de Raymond et Jeanne… Raymond y est décrit comme un « homme de lettres » et il réside toujours au 34, rue de Trévise et c’est là – littéralement là, chez lui, qu’il se maria. Gaston Broussier, adjoint au maire du IXème arrondissement, se rendit chez Raymond sur réquisition du Procureur de la République afin de procéder au mariage. Raymond avait soixante-dix-huit ans… Pas la peine d’être Sherlock Holmes pour déduire que le malheureux devait être bien malade pour que son mariage se déroule chez lui et non pas dans la maison commune ; en revanche, Gaston Broussier, afin de respecter la loi, fit « ouvrir les portes de la maison en vue de célébrer publiquement ledit mariage » - espérons que le pauvre Raymond ne fut pas exposé aux éléments afin que son mariage se déroule selon la loi (il devait faire bien froid en janvier 41). La mariée, concierge de l’immeuble, avait cinquante-deux ans et était la fille de Louis Bernard et Aline Voillemont ; elle était née le 18 juin 1888 à Doulevant-le-Petit en Haute-Marne.

La date du décès de Raymond n’a pas été ajoutée à son acte de naissance, mais les circonstances du mariage pouvaient nous laisser penser que le malheureux avait trop vite laissé une veuve.

Les tables annuelles des décès nous livrèrent très vite la fin de cette histoire : Raymond Louis Bouyer mourut le 20 janvier 1941 à 19h30. Son décès fut déclaré en mairie par un résident de l’immeuble le lendemain.

 

Si la totalité de cette recherche nous a pris vingt minutes, c’est bien le diable. En creusant encore un peu, nous avons même découvert que Bouyer avait été nommé chevalier de la Légion d’honneur le 6 mars 1929.

Nous ne sommes pas en 1923. Une mine d’information se trouve en quelques clics – ce qui permet d’ailleurs de faire des recherches en archives alors que celles-ci ont fermé leurs portes pour la nuit. Pourquoi est-ce que personne avant nous n’a tenté de résoudre le mystère de la date de décès de cet auteur ? Ça se comprend jusqu’en 1995 où il fallait souvent aller en archives ou bibliothèques afin de consulter un catalogue papier… mais aujourd’hui ? Pourquoi se contenter d’une date approximative – et erronée ?! Manque total d’intérêt ? Paresse intellectuelle ?

 

Le pire dans cette histoire est que nous n’en avons pas fini du mystère Bouyer : nous avons peut-être déterré son acte de décès, mais la raison pour laquelle nous nous sommes intéressée à lui va nous demander de creuser encore.

Il se trouve qu’en 1883, Bouyer se présenta au concours de l’École normale supérieure et fut admis à la vingt-et-unième place (vingt-cinq étudiants constituaient cette promotion). Cependant, il ne se présenta pas à l’école le vendredi 2 novembre pour la rentrée ; il n’arriva que le mercredi 7 et fut absent dès le 8 au soir.

Il démissionna et sa place fit attribuée à celui qui avait été vingt-sixième au concours et cet étudiant entra à l’école le 20 novembre 1883 après avoir été officiellement nommé la veille.

Cet étudiant qui remplaça Bouyer était… Georges Doublet.

Voila pourquoi nous avons cherché des informations sur Bouyer. Maintenant, reste à tenter de découvrir pourquoi il démissionna alors qu’il poursuivit ses études en Sorbonne et obtint sa licence ès Lettres en 1884, tout comme Doublet.

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