Encore un peu de Cimabue (en vidéo)

            Nous vous avons déjà parlé de l’exposition au Louvre consacrée à Cimabue, https://auservicedeclio.blogspot.com/2025/02/exposition-revoir-cimabue-au-louvre.html et nous vous avions parlé de la conférence exclusivement sur La Dérision du Christ qui n’avait pas encore eu lieu.

Elle est désormais en ligne :

Nous avons également croisé une vidéo sur le travail de restauration de La Maestà. La voici :

C'est une broderie !

            Bonjour ! Bonjour ! Si vous voulez aller admirer la tapisserie de Bayeux (c’est une broderie !) avant octobre 2027 où elle sera alors présentée dans son tout nouvel écrin, c’est maintenant (enfin, vous avez jusqu’à septembre 2025) :

Curiosités de musée : Edward VI par Scrots

            Le jour où nous étions allée admirer le portrait restauré d’Anne de Clèves au Louvre, nous avons remarqué (il y a toujours quelque chose de nouveau à remarquer quand on visite ce gigantesque musée) une des toiles sur la droite de ce tableau-là sur le mur perpendiculaire.


La plaque sur le cadre est la suivante :

Guillim STRETES (Attribué à) travaillait en Angleterre vers 1550

Ecoles hollandaise et anglaise

Portrait présumé d’Edouard VI, roi d’Angleterre

 

L’information à côté de la toile nous dit :

Guillim STRETES (ou SCROTS)

Portraitiste flamand connu de 1537 à 1553

Peintre à la cour d’Angleterre dès 1545

 

Portrait d’Édouard VI,

roi d’Angleterre (1537-1553)

Huile sur bois, vers 1550

 

Ce tableau dont il existe plusieurs exemplaires avec variantes est, avec celui appartenant aux collections royales britanniques (château de Hampton Court), l’une des meilleures versions.

Ce portrait d’Édouard VI est le seul tableau anglais du 16e siècle conservé dans les collections du Louvre.

Les prêts accordés à l’exposition Made in Germany. Peintures germaniques des collections françaises 1500-1550 organisée à Besançon de mai à septembre 2024 font temporairement place à ce très bel exemple de peinture à la flamande – il fut acquis en 1889 sous le nom d’Anthonis Mor – produite en Angleterre sous l’influence de Holbein le Jeune.

             Curieusement, avant de lire toutes ces informations, nous avions admiré certains détails de la toile, comme la jarretière du jeune roi sous son genou gauche :

ou encore cette inscription sur le pilier : « KING. EDWARD. The VI. Sir A More pinxt » :

 
Il y a une curiosité en anglais qui fait que, dans certains cas, on écrit certaines formules d’une façon, mais on les dit d’une autre. Par exemple, la date s’écrira « Monday, January 1st », mais on dira à l’oral « Monday the first of January » ; de même pour les guerres mondiales « WWI » devient « the first world war » (sauf pour les États-uniens qui disent « world war one » - pourquoi se fatigueraient-ils ?).

Incidemment, pour toute la noblesse et toute charge constituant une dynastie (telle la papauté, par exemple), on écrit « Alexander IV » et on dit « Alexander the fourth ».

Donc, l’inscription sur le pilier constitue une faute de grammaire [KING. EDWARD. The VI.] et si l’on ajoute à cela le problème d’attribution de la toile, nous sommes en droit de nous poser bien des questions.

 

            Ce fut le 1er juillet 1889 que le Louvre acheta cette toile à l’industriel Pierre, dit Eugène, Secrétan (1836-1899). Secrétan avait acheté cette toile qui s’était précédemment trouvée dans galerie du duc d’Hamilton, William Alexander Louis Stephen Douglas-Hamilton (1845-1895), et était alors attribuée à « Antonio Moro ».

Moro est connu sous divers noms : Antonio Moro, Anthonius Mor, Antoon More, Anthonis Mor van Dashorst (il s’agirait d’un titre acquis sur la fin de sa vie). Il était né à Utrecht vers 1520 et est mort à Anvers en 1576 ou 1578. Il lui arriva de travailler en Angleterre, mais pas particulièrement à la cour, tandis que Willem / Guillim / William Scrots ou Stretes (le Dictionnaire des peintres, sculpteurs, dessinateurs et graveurs. III. L-Z. d’Emmanuel Bénézit publié à Paris en 1939 le répertorie, p. 765, uniquement en tant que Willem Scrots et les Anglo-saxons n’utilisent que ce nom-là) fut le successeur d’Hans Holbein le Jeune (1497-1543) à la cour d’Angleterre.

Il existe un autre portrait d’Edward VI (1537-1553) qui provient également des collections du duc d’Hamilton et qui fut acheté par la reine Victoria [Alexandrina Victoria of Kent (1819-1901)] en 1882 :

Nous ne savons pas quand ces deux toiles furent peintes, mais la pose du jeune prince ressemble à celle de son père dans une des toiles d’Holbein, ce qui n’est pas surprenant puisqu’Henry VIII fit revenir son fils auprès de lui après son sixième anniversaire (âge auquel les Tudor considéraient qu’un prince devenait adulte) après l’avoir fait élever et éduquer loin de la cour et que le roi ordonna que les appartements et la garde-robe de son héritier soient identiques aux siens.

Nous disons « prince » pour deux raisons – une par toile : sur la toile qui se trouve encore en Angleterre, le fait qu’il s’agisse du « roi Edward » est écrit sur une sorte de petit parchemin à gauche du prince. Quand un tableau officiel représentait un souverain et annonçait son titre, c’était en latin – comme c’est le cas pour Henry VIII, père du prince, où une toile porte l’inscription « Henricus VIII Ang. Rex. » (Henry VIII, roi d’Angleterre). L’étiquette dit en anglais « King Edward » et non pas « Eduardus VI Ang. Rex. » ; il est donc possible qu’un portrait du prince ait été transformé en portrait de roi avec un simple descriptif ajouté plus tard – si ce n’est pas le cas, quelqu’un aura conseillé le jeune roi bien maladroitement.

Passons à la toile du Louvre. Si elle était dans les collections du duc d’Hamilton et a été achetée par un Français, nous avons trouvé une unique référence mentionnant l’envoi de cette toile à la cour de France en 1552 (un an avant la mort très prématurée du jeune roi qui était bien le digne fils de son père en matière de misogynie et d’arrogance). En dehors du fait qu’il serait agréable d’avoir un peu plus de références sur ce genre de données afin de pouvoir les vérifier, ce détail pourrait cependant expliquer l’erreur d’attribution et l’anglais de cuisine où une formulation orale se retrouve à l’écrit.

La notice sur le site du Louvre explique que « [s]elon Alastair Laing, qui estime que le R.F.561 [la toile dont il est ici question] n’est pas une œuvre autographe de Stretes, le ruban bleu avec le médaillon de Saint Georges de l’ordre de la Jarretière, en fait anachronique, que le modèle porte au cou, pourrait avoir été rajouté postérieurement, pour renforcer le caractère royal du portrait, comme si la jarretière visible sur la jambe gauche ne constituait pas à elle seule un signe monarchique suffisant (comm. écrite, octobre 1994). Pour Catherine MacLeod, la jarretière comme le ruban et le médaillon, absents des autres versions du portrait, sont apocryphes (comm. écrite, juillet 2002). - A dater vers 1550. »

            Donc, le ruban bleu avec le médaillon de Saint Georges, la jarretière et l’inscription sur le pilier seraient des ajouts postérieurs au travail du peintre initial, placés là afin de transformer un prince en roi. Ce ne serait pas une première.

À l’origine, cette peinture à l’huile sur bois (1,68 m sur 0,875 m) se trouvait en salle 32, au premier étage de l’aile Denon. Aujourd’hui, elle est en salle 809, au deuxième étage de l’aile Richelieu.

Ajouts ou pas ajouts, le prince devenu roi représente une toile intéressante. Allez l’admirer.


Exposition : « Revoir Cimabue » au Louvre

L’exposition au Louvre Revoir Cimabue – Aux origines de la peinture italienne est ouverte du 22 janvier au 12 mai 2025.

Elle est l’occasion d’admirer la Maestà et la Dérision du Christ de Cenni di Pepo, dit Cimabue (Florence, 1240 ? – Pise, 1302).

La Maestà

La Dérision du Christ (venant d’Internet, car notre photo est terriblement floue. Ne manquez pas d’admirer le bandeau sur les yeux du Christ)

 

            Cette exposition est l’occasion d’admirer des œuvres rares – œuvres qui nous permettent aussi de voir l’évolution apportée par Cimabue dans la peinture de l’époque. En effet, le style d’inspiration byzantine qui était celui de l’époque se métamorphose chez Cimabue en un art où le réalisme commence à s’inviter.

Toutes les œuvres présentées sont fascinantes :


            Le travail de restauration sur la Maestà et la Dérision du Christ est, comme d’habitude avec les ateliers du Louvre, absolument magnifique.

Les ailes des anges sont splendides, tout comme tous les détails révélés par la restauration – par exemple :


             Le Louvre nous dit : « Pour la première fois, le musée du Louvre consacre une exposition à Cimabue, l’un des artistes les plus importants du 13e siècle. Elle est le fruit de deux actualités « cimabuesques » de grande importance pour le musée : la restauration de la Maestà et l’acquisition d’un panneau inédit de Cimabue redécouvert en France en 2019 et classé Trésor national, La Dérision du Christ.

Les deux tableaux, dont la restauration s’est achevée en 2024, constituent le point de départ de cette exposition qui, en réunissant une quarantaine d’œuvres, ambitionne de mettre en lumière l’extraordinaire richesse et la nouveauté incontestable de l’art de Cimabue. L’artiste fut l’un des premiers à ouvrir la voie du naturalisme dans la peinture occidentale, en cherchant à représenter le monde, les objets et les corps tels qu’ils existent. Avec lui, les conventions de représentation héritées de l’art oriental, si prisées jusqu’alors, cèdent la place à une peinture inventive, cherchant à suggérer un espace tridimensionnel, des corps en volumes et modelés par de subtils dégradés, des membres articulés, des gestes naturels et des émotions humaines.

Après une section introductive consacrée au contexte de la peinture en Toscane, en particulier à Pise au milieu du 13e siècle, le parcours s’attarde sur la Maestà du Louvre : les nouveautés qui se manifestent dans ce tableau ont conduit certains historiens de l’art à le qualifier d’« acte de naissance de la peinture occidentale ». La restauration a permis, en plus de retrouver la variété et la subtilité des coloris, de redécouvrir de nombreux détails masqués par des repeints qui mettent en évidence la fascination de Cimabue et de ses commanditaires pour l’Orient, à la fois byzantin et islamique.

Est ensuite abordée la question cruciale des rapports entre Duccio et Cimabue. Le parcours se poursuit avec une section construite autour du diptyque de Cimabue, dont le Louvre réunit pour la première fois les trois seuls panneaux connus à ce jour. La verve narrative et la liberté déployées par Cimabue dans cette œuvre aux coloris chatoyants en font un précédent important et insoupçonné jusqu’alors de la Maestà de Duccio, chef-d’œuvre de la peinture siennoise du Trecento.

L’exposition se conclut par la présentation du grand Saint François d’Assise recevant les stigmates de Giotto, destiné au même emplacement que la Maestà du Louvre, le tramezzo (la cloison qui sépare la nef du chœur) de San Francesco de Pise, et peint quelques années après par le jeune et talentueux disciple de Cimabue. À l’aube du 14e siècle, Duccio et Giotto, tous deux profondément marqués par l’art du grand Cimabue qui s’éteint en 1302, incarnent désormais les voies du renouveau de la peinture. »

 

            Il y aura toute une conférence sur la Dérision du Christ dans les jours à venir, mais, en attendant, voici deux courtes vidéos sur la Dérision du Christ et l’exposition en général, ainsi que la conférence de présentation sur Cimabue et les œuvres présentées dans l'exposition  :

La dérision du Christ de Cimabue, intervention de Sébastien Allard : Directeur du Département des Peintures du musée du Louvre.

 

Retour sur la restauration d'une œuvre majeure du musée du Louvre : "La Dérision du Christ" de Cimabue. Thomas Bohl, conservateur et commissaire de l'exposition "Revoir Cimabue" (22 janvier – 12 mai 2025) et Sébastien Allard, directeur du département des peintures au Louvre, reviennent sur la genèse et l'importance de cette œuvre petite en taille, mais capitale dans l'histoire de l'art.

 

            Pour la première fois, le musée du Louvre consacre une exposition à Cimabue, l’un des artistes les plus importants du 13e siècle. Elle est le fruit de deux actualités « cimabuesques » de grande importance pour le musée : la restauration de la Maestà et l’acquisition d’un panneau inédit de Cimabue redécouvert en France en 2019 et classé Trésor national, La Dérision du Christ. Ces deux tableaux, dont la restauration s’est achevée en 2024, constituent le point de départ de cette exposition qui, en réunissant une quarantaine d’œuvres, ambitionne de mettre en lumière l’extraordinaire richesse et la nouveauté incontestable de l’art de Cimabue.

 

            Si vous le pouvez, visitez cette exposition sur un moment charnière dans l’Histoire de la peinture.

Codices Vossiani Latini... en direct de chez vous

            L’Université de Leyde vient d’annoncer que plus de trois cents manuscrits latins de la Bibliotheca Vossiana, les Codices Vossiani Latini, sont désormais librement accessibles en ligne.

Il suffit de se rendre sur le site de leurs collections en ligne et de commencer à découvrir et explorer ces merveilles depuis nos bureaux (ou fauteuils au coin du feu). Seul détail qui pourrait vous ralentir : leurs pages sont en néerlandais ou en anglais, mais certains navigateurs proposent déjà une option de traduction automatique (certes imparfaite pour l’instant, mais cela constitue une alternative).

Si vous tâtonnez avec ce genre de catalogue, l’université a mis en ligne un tutoriel :

 

             Nous pouvons consulter ces œuvres grâce à Isaac Vossius. Cet humaniste né à Leyde en 1618 connaissait le grec – détail intéressant, mais pas significatif pour l’époque ; en revanche, il connaissait l’arabe, ce qui est plutôt rare.

Il avait la réputation d’être quelque peu excentrique et on se souvient de lui comme d’un extraordinaire collectionneur de livres. 

De 1641 à 1644, il explora l’Europe, visitant notamment l’Angleterre, la France et l’Italie et se constituant une magnifique bibliothèque privée. En 1644, il se rendit à Amsterdam où il devint le bibliothécaire de la ville ; quatre ans plus tard, il partait pour le Suède afin d’y devenir le bibliothécaire de la cour de la reine Kristina (1626-1689).

À la cour de Suède, Vossius continua à agrandir sa collection par des achats inspirés, grâce à des prises de guerre auxquelles il eut accès et grâce à la bibliothèque de son propre père, Gerardus Vossius (1577-1649) qu’il emporta lui-même en Suède en 1650.

Cependant, Kristina était une curieuse souveraine. Très érudite, elle était dépensière, ce qui faisait gronder ses sujets, et elle refusait de se marier ; la goutte d’eau qui fit déborder le vase de la patience des Suédois fut sa conversion au catholicisme. Elle abdiqua le 16 juin[1] 1654 en faveur de son cousin Karl X Gustav (1622-1660), partit pour Rome où, à l’exception de quelques voyages en France elle passa le reste de sa vie dans l’entourage des papes qui se succédèrent, résidant dans divers palais de la ville, et, alors qu’elle souhaitait être enterrée au Panthéon de Rome, le pape ordonna que la reine embaumée repose dans la crypte papale du Vatican.

Après l’abdication de Kristina, Vossius décida de quitter sa suite. Dans la panique qui résulta du départ de l’ancienne souveraine, les ouvrages imprimés et manuscrits appartenant à Vossius se trouvèrent mélangés à ceux de Kristina ; avant qu’ils ne se séparent, elle l’autorisa à choisir un certain nombre de volumes afin de le dédommager. Une partie de ces livres est ce qui constitue aujourd’hui la Bibliotheca Vossiana.

Vossius se rendit en Angleterre, passa un diplôme de droit à Oxford et, de 1673 à 1688, fut chanoine de Windsor sur nomination de Charles II (1630-1685) ; il quitta sa charge peu avant sa mort.

Pour 33 000 guilders, ses héritiers vendirent sa bibliothèque (sept cent vingt-neuf codex et près de quatre mille livres imprimés) à l’Université de Leyde où les Codices Vossiani sont archivés sous cinq catégories : ouvrages latins, grecs, gréco-latins, germano-romans et scientifiques (médecine, pharmacie, alchimie).

Les Codices Vossiani Latini sont si précieux et rares qu’ils contribuèrent à la réputation de l’Université de Leyde à l’international et ils peuvent aujourd’hui être consultés et appréciés en seulement quelques clics.



[1] : Le 6 juin selon le calendrier julien.