Le jour où nous étions allée admirer
le portrait restauré d’Anne de Clèves au Louvre, nous avons remarqué (il y a
toujours quelque chose de nouveau à remarquer quand on visite ce
gigantesque musée) une des toiles sur la droite de ce tableau-là sur le mur perpendiculaire.
La
plaque sur le cadre est la suivante :
Guillim
STRETES (Attribué à) travaillait en Angleterre vers 1550
Ecoles
hollandaise et anglaise
Portrait
présumé d’Edouard VI, roi d’Angleterre
L’information
à côté de la toile nous dit :
Guillim STRETES (ou SCROTS)
Portraitiste flamand connu de 1537 à 1553
Peintre à la cour d’Angleterre dès 1545
Portrait d’Édouard VI,
roi d’Angleterre (1537-1553)
Huile sur bois, vers 1550
Ce tableau dont il existe plusieurs exemplaires avec variantes
est, avec celui appartenant aux collections royales britanniques (château de
Hampton Court), l’une des meilleures versions.
Ce portrait d’Édouard VI est le seul tableau anglais du 16e
siècle conservé dans les collections du Louvre.
Les prêts accordés à l’exposition Made in Germany.
Peintures germaniques des collections françaises 1500-1550
organisée à Besançon de mai à septembre 2024 font temporairement place à ce
très bel exemple de peinture à la flamande – il fut acquis en 1889 sous le nom
d’Anthonis Mor – produite en Angleterre sous l’influence de Holbein le Jeune.
Curieusement, avant de lire toutes
ces informations, nous avions admiré certains détails de la toile, comme la
jarretière du jeune roi sous son genou gauche :
ou
encore cette inscription sur le pilier : « KING. EDWARD. The VI. Sir A More pinxt » :
Il y a une
curiosité en anglais qui fait que, dans
certains cas, on écrit certaines formules d’une façon, mais on les dit d’une
autre. Par exemple, la date s’écrira « Monday, January 1
st »,
mais on dira à l’oral « Monday the first of January » ; de même pour
les guerres mondiales « WWI » devient « the first world
war » (sauf pour les États-uniens qui disent « world war one » -
pourquoi se fatigueraient-ils ?).
Incidemment,
pour toute la noblesse et toute charge constituant une dynastie (telle la
papauté, par exemple), on écrit « Alexander IV » et on dit
« Alexander the fourth ».
Donc,
l’inscription sur le pilier constitue une faute de grammaire [KING. EDWARD. The
VI.] et si l’on ajoute à cela le problème d’attribution de la toile, nous sommes
en droit de nous poser bien des questions.
Ce fut le 1er juillet
1889 que le Louvre acheta cette toile à l’industriel Pierre, dit Eugène,
Secrétan (1836-1899). Secrétan avait acheté cette toile qui s’était
précédemment trouvée dans galerie du duc d’Hamilton, William Alexander Louis
Stephen Douglas-Hamilton (1845-1895), et était alors attribuée à « Antonio
Moro ».
Moro
est connu sous divers noms : Antonio Moro, Anthonius Mor, Antoon More,
Anthonis Mor van Dashorst (il s’agirait d’un titre acquis sur la fin de sa
vie). Il était né à Utrecht vers 1520 et est mort à Anvers en 1576 ou 1578. Il
lui arriva de travailler en Angleterre, mais pas particulièrement à la cour,
tandis que Willem / Guillim / William Scrots ou Stretes (le Dictionnaire des peintres, sculpteurs, dessinateurs et
graveurs. III. L-Z. d’Emmanuel
Bénézit publié à Paris en 1939 le répertorie, p.
765, uniquement en tant que Willem Scrots et les Anglo-saxons n’utilisent que
ce nom-là) fut le successeur d’Hans Holbein le Jeune (1497-1543) à la cour
d’Angleterre.
Il
existe un autre portrait d’Edward VI (1537-1553) qui provient également des
collections du duc d’Hamilton et qui fut acheté par la reine Victoria [Alexandrina
Victoria of Kent (1819-1901)] en 1882 :
Nous
ne savons pas quand ces deux toiles furent peintes, mais la pose du jeune
prince ressemble à celle de son père dans une des toiles d’Holbein, ce qui
n’est pas surprenant puisqu’Henry VIII fit revenir son fils auprès de lui après
son sixième anniversaire (âge auquel les Tudor considéraient qu’un prince
devenait adulte) après l’avoir fait élever et éduquer loin de la cour et que le
roi ordonna que les appartements et la garde-robe de son héritier soient
identiques aux siens.
Nous
disons « prince » pour deux raisons – une par toile : sur la
toile qui se trouve encore en Angleterre, le fait qu’il s’agisse du « roi
Edward » est écrit sur une sorte de petit parchemin à gauche du prince.
Quand un tableau officiel représentait un souverain et annonçait son titre,
c’était en latin – comme c’est le cas pour Henry VIII, père du prince, où une
toile porte l’inscription « Henricus VIII Ang. Rex. » (Henry VIII,
roi d’Angleterre). L’étiquette dit en anglais « King Edward » et non
pas « Eduardus VI Ang. Rex. » ; il est donc possible qu’un
portrait du prince ait été transformé en portrait de roi avec un simple
descriptif ajouté plus tard – si ce n’est pas le cas, quelqu’un aura conseillé
le jeune roi bien maladroitement.
Passons
à la toile du Louvre. Si elle était dans les collections du duc d’Hamilton et a
été achetée par un Français, nous avons trouvé une unique référence mentionnant
l’envoi de cette toile à la cour de France en 1552 (un an avant la mort très
prématurée du jeune roi qui était bien le digne fils de son père en matière de
misogynie et d’arrogance). En dehors du fait qu’il serait agréable d’avoir un
peu plus de références sur ce genre de données afin de pouvoir les vérifier, ce
détail pourrait cependant expliquer l’erreur d’attribution et l’anglais de
cuisine où une formulation orale se retrouve à l’écrit.
La
notice sur le site du Louvre explique que « [s]elon Alastair Laing, qui estime que le R.F.561 [la toile
dont il est ici question] n’est pas une œuvre autographe de Stretes, le ruban
bleu avec le médaillon de Saint Georges de l’ordre de la Jarretière, en fait
anachronique, que le modèle porte au cou, pourrait avoir été rajouté
postérieurement, pour renforcer le caractère royal du portrait, comme si la
jarretière visible sur la jambe gauche ne constituait pas à elle seule un signe
monarchique suffisant (comm. écrite, octobre 1994). Pour Catherine MacLeod, la
jarretière comme le ruban et le médaillon, absents des autres versions du
portrait, sont apocryphes (comm. écrite, juillet 2002). - A dater vers 1550. »
Donc, le ruban bleu avec le
médaillon de Saint Georges, la jarretière et l’inscription sur le pilier seraient
des ajouts postérieurs au travail du peintre initial, placés là afin de transformer
un prince en roi. Ce ne serait pas une première.
À
l’origine, cette peinture à l’huile sur bois (1,68 m sur 0,875 m) se trouvait
en salle 32, au premier étage de l’aile Denon. Aujourd’hui, elle est en salle
809, au deuxième étage de l’aile Richelieu.
Ajouts
ou pas ajouts, le prince devenu roi représente une toile intéressante. Allez
l’admirer.