Victor Hugo, Paquette et sa fille

            Format légèrement différent cette semaine : nous allons partager avec vous quelques citations de Notre-Dame de Paris. 1482 de Victor Hugo (1802-1885) qui parut en 1831 (la sortie initiale aurait dû avoir lieu en 1830, mais quelques événements en France (et quelques documents momentanément égarés) ralentirent Hugo dans son écriture – qui avait déjà pris du retard).

 

Victor Hugo en 1829

 

            Alors…

 

« Si l’on résume ce que nous avons indiqué jusqu’ici très sommairement en négligeant mille preuves et aussi mille objections de détail, on est amené à ceci: que l’architecture a été jusqu’au quinzième siècle le registre principal de l’humanité; que dans cet intervalle il n’est pas apparu dans le monde une pensée un peu compliquée qui ne se soit faite édifice; que toute idée populaire comme toute loi religieuse a eu ses monuments; que le genre humain enfin n’a rien pensé d’important qu’il ne l’ait écrit en pierre. Et pourquoi? C’est que toute pensée, soit religieuse, soit philosophique, est intéressée à se perpétuer, c’est que l’idée qui a remué une génération veut en remuer d’autres, et laisser trace. Or quelle immortalité précaire que celle du manuscrit! Qu’un édifice est un livre bien autrement solide, durable et résistant! Pour détruire la parole écrite, il suffit d’une torche et d’un turc. Pour démolir la parole construite, il faut une révolution sociale, une révolution terrestre. Les barbares ont passé sur le Colisée, le déluge peut-être sur les Pyramides. »

Livre V, chapitre II

 

{Donc, pour un autodafé, prenez l’idiot de service qui obéira aux ordres sans réfléchir et pour vous en prendre à l’âme même de l’Humanité, détruisez la pierre – Applicable à toutes les époques… encore aujourd’hui.}

 

« Le lecteur n’est pas sans avoir feuilleté l’œuvre admirable de Rembrandt, ce Shakespeare de la peinture. »

Livre VII, chapitre IV

 

{Donc Hugo ne doutait pas un seul instant du génie de Shakespeare (nous avons un article sur le sujet). D’ailleurs, pour faire référence à notre article, les tragiques élucubrations de Delia Salter Bacon (1811-1859) ne furent publiées qu’en 1857. Bref, le prochain négationniste shakespearien que nous croiserons aura le plaisir de prendre en pleine face notre exemplaire du roman d’Hugo (ceci est une annonce amicale)}

 

« La malheureuse s’était jetée sur ce soulier, sa consolation et son désespoir depuis tant d’années, et ses entrailles se déchiraient en sanglots comme le premier jour. Car pour une mère qui a perdu son enfant c’est toujours le premier jour. Cette douleur-là ne vieillit pas. Les habits de deuil ont beau s’user et blanchir, le cœur reste noir. »

Livre VIII, chapitre V

 

{Il est extraordinaire de lire la compassion d’Hugo. Il avait vingt-neuf ans quand son roman fut publié, mais il comprenait parfaitement la douleur et la perpétuité de certains deuils.}

 

« — Maître Olivier, les princes qui règnent aux grandes seigneuries, comme rois et empereurs, ne doivent pas laisser engendrer la somptuosité en leurs maisons; car de là ce feu court par la province. »

Livre X, chapitre V

 

{Intéressant concept – aujourd’hui ignoré par les rois, les empereurs et tout un panthéon d’arrivistes.}

 

« Peu à peu les premières fumées de la peur s’étaient pourtant dissipées; au bruit sans cesse grandissant, et à plusieurs autres signes de réalité, elle s’était sentie investie, non de spectres, mais d’êtres humains. Alors sa frayeur, sans s’accroître, s’était transformée. Elle avait songé à la possibilité d’une mutinerie populaire pour l’arracher de son asile. L’idée de reperdre encore une fois la vie, l’espérance, Phœbus, qu’elle entrevoyait toujours dans son avenir, le profond néant de sa faiblesse, toute fuite fermée, aucun appui, son abandon, son isolement, ces pensées et mille autres l’avaient accablée. Elle était tombée à genoux, la tête sur son lit, les mains jointes sur sa tête, pleine d’anxiété et de frémissement, et, quoique égyptienne, idolâtre et païenne, elle s’était mise à demander avec sanglots grâce au bon Dieu chrétien et à prier Notre-Dame, son hôtesse. Car, ne crût-on à rien, il y a des moments dans la vie où l’on est toujours de la religion du temple qu’on a sous la main. »

Livre XI, chapitre I

 

{En cas de danger, on peut être tenté d’essayer bien des choses.}

 

            Ce qui est aussi fascinant avec cette histoire que nous a raconté Hugo, c’est la façon dont les artistes s’en sont emparés. Bien avant que nous ne nous plaignions des adaptations cinématographiques qui sont infidèles au roman dont elles sont tirées, il y avait parfois les peintres et les graveurs qui s’accordaient quelques libertés avec la trame – mais pas toujours… ou pas complètement.

Dans La Esmeralda défendue par la Sachette, qui date des environs de la publication du roman, nous avons une aquarelle de Louis Boulanger (1806-1867) qui nous livre une des scènes finales de l’histoire. La femme représentée pourrait tout à fait être la mère de la jeune fille qui se cache derrière elle, mais pour une femme recluse dans un caveau de pierre sans âtre et au pain et à l’eau (principalement) depuis quinze ans, elle a l’air de bien se porter (et Hugo nous raconte que ses cheveux sont gris).


 

En 1891, Henri Coëylas (1845-1923) nous livre une toile magnifique : La Sachette suppliant qu'on épargne la vie de la Esmeralda. La mère a bien l’air d’avoir passé quinze ans dans une prison volontaire et son expression est remarquable. La Esmeralda est touchante à souhait, blottie dans les bras de sa mère. C’est la tenue de la jeune fille qui est troublante ; certes, une robe d’Égyptienne est plus colorée et exotique que la tenue blanche de novice qui avait été apportée à la Esmeralda après son sauvetage, mais la robe blanche aurait insisté sur l’innocence de cette tragique jeune femme. Notre peintre a dû préférer un choix de couleurs plus vives et une palette plus intéressante pour lui.


 

En revanche, la lithographie de 1834 de Nicolas-Eustache Maurin (1799-1850) nous montre une scène plutôt fidèle au livre : la Esmeralda porte une robe blanche, la Sachette a les cheveux gris, mais si vous regardez les tours de Notre-Dame, vous verrez la chute de Frollo, or cela n’arrive qu’au moment où le bourreau est en train de pendre la malheureuse. L’artiste n’a pas dû pouvoir s’empêcher d’ajouter ce détail à son œuvre.


 

            L’inspiration (et ses méandres) des artistes suivants qui ont été touchés par cette histoire est remarquable. Comme chaque lecteur qui visualise l’histoire qu’il lit et qui en a une vision unique, chaque artiste porte en lui la graine d’idée plantée dans son imaginaire par un de ses collègues. Le processus de métamorphose est extraordinaire à observer et/ou à savourer.

Les arts sont des graines de soleil qui voyagent, changent et nous apportent, rêves, humanité, larmes et sourires.

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