Exposition : Apocalypse. Hier et demain à la BNF

 

            Vous avez jusqu’au 8 juin afin d’aller à la Bibliothèque nationale de France (François-Mitterand) visiter l’exposition Apocalypse. Hier et demain.

 

            La page consacrée à l’exposition nous dit :

« La BnF propose la première grande exposition consacrée à l’apocalypse. L’apocalypse ? Un mot obscur, qui fait peur, un mot qui parle de la fin du monde. Il n’en finit pas de résonner depuis deux mille ans dans notre culture et nos sociétés occidentales quand survient une catastrophe majeure, et aujourd’hui encore, en fond de nos angoisses climatiques. Et pourtant… Ce mot signifie révélation, dévoilement. Dans sa source biblique, l’Apocalypse parle d’un voile se levant sur le royaume intemporel qui réunira les croyants dans la Jérusalem céleste. Un mot porteur d’espoir, fait pour déjouer nos peurs profondes ?

Du Moyen Âge à notre époque, l’exposition traverse cet imaginaire en montrant certains des plus prestigieux manuscrits de l’Apocalypse de Jean, des fragments rarement présentés de la célèbre tenture de tapisseries d’Angers, ou la fameuse suite de gravures de Dürer consacrées au texte, mais aussi de nombreux chefs-d’œuvre, tableaux, sculptures, photographies, installations, livres rares, extraits de films, venant des collections de la Bibliothèque comme des plus grandes collections françaises et européennes, publiques et privées (Centre Pompidou, musée d’Orsay, British Museum, Victoria and Albert Museum, etc.).

Parmi ces quelque 300 pièces, des œuvres de William Blake, Odilon Redon, Vassily Kandinsky, Ludwig Meidner, Natalia Gontcharova, Otto Dix, Antonin Artaud, Unica Zürn, jusqu’à Kiki Smith, Tacita Dean, Miriam Cahn, Otobong Nkanga, Sabine Mirlesse et Anne Imhof.

L’exposition en bref

Ouvrant le parcours de l’exposition sur les deux galeries du site François-Mitterrand, la section « Le Livre de la Révélation » plonge le spectateur dans l’Apocalypse de Jean, le texte apocalyptique le plus célèbre de l’Occident. Elle offre des clés d’interprétation des représentations liées aux différents épisodes qui le composent, des sept sceaux au Jugement dernier, en mettant en lumière le sens originel du récit : le sens positif d’une révélation plutôt que d’une fin tragique. En explorant ce texte complexe et infiniment riche, et en exposant ses visions ainsi que les récits multiples qui s’y entremêlent, l’exposition cherche à renouer avec la compréhension de ce message et de cette mise en garde vieille de 2000 ans. Manuscrits enluminés flamboyants et œuvres majeures — peintures, sculptures, dessins, vitraux, et tapisseries — témoignent de l’importance et de la diffusion de ce texte et de son iconographie au Moyen Âge, tout en montrant comment cet imaginaire s’est consolidé et continue d’influencer notre époque.

La seconde partie de l’exposition, intitulée « Le temps des catastrophes », est consacrée à la fortune de l’apocalypse dans les arts, de Dürer à Brassaï, en passant par le sublime apocalyptique anglais et l’expressionnisme allemand. Elle rappelle que le texte a donné naissance à des œuvres qui comptent parmi les chefs-d’œuvre de l’histoire de l’art, illustrant ainsi la fascination tenace et persistante des artistes — et à travers eux, de l’humanité — pour ce récit qui mêle les fléaux et la fin des temps à l’espoir et à l’attente d’un monde nouveau.

Loin de se limiter à une vision catastrophiste de l’apocalypse, véhiculée par le genre post-apocalyptique dans la littérature, le cinéma et la bande dessinée, et revenant à son sens originel, l’exposition accorde une large place au « Jour d’après ». Cette section présente un ensemble d’œuvres contemporaines, dont certaines de format monumental (Otobong Nkanga, Abdelkader Benchamma, etc.), qui esquissent ce « Jour d’après », marqué par la « colère » divine ou celle des éléments. C’est autour de ce « Jour d’après » que se construisent les fictions et représentations les plus inventives, qui, d’une certaine manière, restent fidèles à l’apocalypse, en concevant la catastrophe comme le prélude à un nouvel ordre du monde. »

            Les commissaires de l’exposition ont travaillé des années afin de concevoir cette exposition. Des pièces exceptionnelles ont été rassemblées et des prêts extrêmement rares ont été consentis.

Que vous préfériez des œuvres classiques, comme cette tapisserie de l’Apocalypse du château d’Angers (cette pièce et deux autres du même ensemble ne sont pas présentées au public, mais conservées à l’abri) :

 

ou des œuvres contemporaines :


ou des œuvres contemporaines qui s’inspirent du passé, comme les pièces de Laurent Grasso, vont y trouverez votre bonheur.

Combien se nommaient Guillaume à ce Noël 1171 ?

            Un jour, on nous a raconté l’histoire d’une fête de Noël où un prince n’avait invité que des chevaliers nommé « Guillaume ».

            D’après un certain dicton, la curiosité serait un vilain défaut, mais nous avons fini par saisir pelle et pioche historiques à la recherche de cette histoire de Guillaume et notre plongeon nous a menée à plusieurs récits de cette histoire.

 
Enluminure du couronnement d'Henry le Jeune en 1170

            En fait, en 1171, Henry le Jeune (1155-1183) – le prince de notre histoire – avait refusé d’obéir à son père, Henry II (1133-1189), et de rentrer à la cour.

Henry le Jeune, nommé Henry III à l’époque puisque son père l’avait fait couronner afin d’être certain qu’il n’y aurait pas de problème de succession, s’était laissé dire par quelques ambitieux, d’après le récit de William de Newburgh (1135 ?-1198 ?) dans L’Histoire des affaires anglaises (Livre II, chapitre 27) que, puisqu’il était couronné, c’était à lui seul de régner, même si son père était encore en vie.

En fait, une tradition capétienne  et les taux de mortalité à l’époque faisaient que certains souverains nommaient leur fils aîné co-souverain avec eux ; quand on a affaire à un nourrisson ou un jeune enfant, ceux qui sont chargés d’une éventuelle régence gèrent le souverain mineur, mais Henry le Jeune était officiellement majeur.

Henry II avait déjà perdu le premier fils qu’il avait eu avec Aliénor d’Aquitaine (1124-1204) – elle eut deux princesses de France avec son premier époux, Louis VII le Pieux (1120-1180) et cinq princes et trois princesses avec Henry II – et cette perte fut peut-être une des nombreuses raisons qui le poussèrent à prendre cette mauvaise décision quant à son fils Henry.

Dès 1162, le roi Henry II avait souhaité faire couronner son fils, mais celui qui fut, de 1162 à 1163, précepteur d’Henry le Jeune, Thomas Beckett[1] (1119 ?- 29 décembre 1170) s’y opposa catégoriquement et comme Beckett, en tant qu’archevêque de Canterbury depuis mai 1162, était le seul qui pouvait procéder au couronnement de son jeune élève, le roi était bloqué.

Henry II patienta huit ans, mais il finit par faire couronner Henry le Jeune par l’archevêque d’York, Roger de Pont l’Évêque (1115 ?-1181) – très probablement avec l’aide de l’évêque de Londres, Gilbert Foliot (1110 ?-1187) et de l’évêque de Salisbury, Jocelin de Bohon (1111 ?-1184). Lorsque Beckett apprit la nouvelle du couronnement, il demanda au pape Alexandre III (1105 ?-1181 [Rolando Bandinelli]) d’excommunier les ecclésiastiques qui avaient pris part à la cérémonie, ce qui fut fait.

Les frictions entre Henry II et Beckett avaient commencées à la nomination de Beckett à l’archevêché de Canterbury. À un moment, Beckett avait même dû brièvement s’exiler en France.

Henry II se plaignit de la réaction de Beckett au couronnement de l’héritier légitime et quatre chevaliers (Reginald Fitzurse, Hugues de Morville, Guillaume de Tracy et Richard le Breton) allèrent assassiner Beckett.

Malgré le peu de temps qu’il avait passé avec Beckett, Henry le Jeune s’était attaché à lui et il ne pardonna pas à son père d’être plus ou moins à l’origine de cet assassinat.

Donc, en 1171, Henry le Jeune resta sur le continent, à Bur près de Bayeux. Curieusement, ce fut dans ce château qu’Henry II appréciait beaucoup qu’Aliénor fut informée de l’assassinat de Beckett (probablement au début de l’année 1171, puisqu’il fut tué le 29 décembre 1170 et que le messager qui fit la traversée dut avoir besoin de quelques jours afin de rejoindre sa reine en Normandie).

« Bur juxta Baiocas » (Bur, près de Bayeux) comme nous le raconte[2] un contemporain, Robert de Thorigni (1105 ?-1186), abbé du Mont-Saint-Michel, nous pose un autre gros problème car, aujourd’hui, ce « Bures » est associé à Bourg-le-Roi ou Bures-en-Bray (sans doute à cause de Jean-Eugène Decorde, qui dans son  Histoire de Bures-en-Bray (1872) aux pages 15 et 16 écrit : « Henri le Jeune se donnait du bon temps en Normandie et tenait sa cour à Bures aux fêtes de Noël 1172[3]. Pour se figurer combien cette cour était nombreuse il nous suffira de citer Dumoulin qui assure qu il y avait à dîner en une seule salle cent dix seigneurs et chevaliers du nom de Guillaume sans comprendre les simples escuyers et seruiteurs qui portoient le mesme nom »). Certes, ces deux lieux se trouvent en Normandie, de même que la commune de Bures, tout court, mais ces trois bourgs ne se trouvent pas près de Bayeux. De nos jours, la distance qui les sépare de Bayeux se compte en heures (en voiture), mais comment l’abbé de Thorigni aurait-il pu écrire « juxta Baiocas » en parlant de ces communes ? C’est improbable. En revanche, au sud de Noron-la-Poterie, qui n’est qu’à 9 km de Bayeux, se trouve les maigres ruines du château de Bur-le-Roi[4].

L’histoire, racontée par Robert de Thorigni est la suivante :

Henricus rex junior ad Natale fuit ad Bur juxta Baiocas ; et quia tunc primum tenebat curiam in Normannia, voluit ut magnifice festivitas celebraretur. Interfuerunt episcopi, abbates, comites, barones, et multa multis largitus est. Et ut appareat multitudo eorum qui interfuerunt, cum Willermus de Sancto Johanne, Normanniae procurator, et Willermus filius Hamonis, senescallus Brittanniae, qui venerat cum Gaufrido, duce Brittannice, domino suo, comederent in quadem camera, prohibuerunt ne quis miles comederet in eadem camera, qui non vocaretur Willermus; et ejectis aliis de camera, remanserunt centum et decem milites, qui omnes vocabantur Willermi, exceptis plurimis aliis ejusdem nominis, qui comederunt in aula cum rege.

 

Le roi Henri le Jeune assista à Noël à Bur près de Bayeux ; et parce qu’il tenait une cour en Normandie pour la première fois, il voulait que la fête soit célébrée magnifiquement. Des évêques, des abbés, des comtes, des barons et bien d’autres y assistèrent. Pour montrer la multitude de ceux qui étaient présents, Guillaume de Saint-Jean, gouverneur de Normandie, et Guillaume, fils de Hamon, intendant de Bretagne, qui étaient venus avec Geoffroy, duc de Bretagne, leur seigneur, dînaient dans une certaine salle, et ils défendaient à tout chevalier de dîner dans la même pièce, à moins qu’il ne s’appelle Guillaume ; et après que d’autres eurent été expulsés de la salle, il restait cent dix chevaliers, qui s’appelaient tous Guillaume, sans compter beaucoup d’autres du même nom, qui dînaient dans la salle avec le roi.

 

 

            Ce curieux Noël normand où des hommes prénommés Guillaume/William furent présents et mis à l’honneur marqua quelques esprits à travers l’Histoire.

En 1535 étaient publiées Les annales d'Aquitaine, faictz & gestes en sommaire des Roys de France, & d'Angleterre, & pays de Naples & de Milan de Jean Bouchet (1476-1557) qui nous disent, p. 150 : « Henry le jeune retourna en Normandie, où il assigna un festin, qui fut faict magnifiquement & en grand somptuosité. Et afin que croiez qu’il y eut beaucoup de Chevaliers, celuy qui a faict le suite de la Cronique de Sigibert, recite qu’il se trouva dans une Salle, où estoient Guillaume de Sainct Iean, Seneschal de Normandie, & Guillaume fils de Haimond Seneschal de Bretaigne, qui estoient venus audit festin, avec Geoffroy Duc dudit païs de Bretaigne, & frere dudit Henry : lesquels deux Seneschaux, par singularité, & afin qu’il en fust mémoire, entreprindrent que tous ceux qui avoient le nom de Guillaume, disneroient ensemble en ladite Salle, & non autres : ce qu’on fist sçavoir au Roy Henry le jeune, qui le voulut, & fit faire commandement à tous les Chevaliers, nommez Guillaume, de se trouver audit disner en laditte Salle : & deffenses à tous autres de non y entrer, fors ceux qui les serviroient. Et ils se trouverent cent & dix Chevaliers dudit nom, sans les simples Escuyers ou serviteurs ».

Michel de Montaigne (1533-1592), dans un de ses essais, Des Noms, (Livre I, chapitre 46) donna cette version : « Item, c’est une chose legiere, mais toutefois digne de memoire pour son estrangeté et escripte par tesmoing oculaire, que Henry, Duc de Normandie, fils de Henry second, Roy d’Angleterre, faisant un festin en France, l’assemblée de la noblesse y fut si grande que, pour passetemps, s’estant divisée en bandes par la ressemblance des noms, en la premiere troupe, qui fut des Guillaumes, il se trouva cent dix Chevaliers assis à table portans ce nom, sans mettre en conte les simples gentils-hommes et serviteurs ».

En 1631, Gabriel Du Moulin dans son Histoire générale de Normandie. Contenant les choses memorables aduenuës depuis les premieres courses des Normands Payens, tant en France qu'aux autres pays ; de ceux qui s'emparerent  du pays de Neustrie sous Charles le Simple. Auec l'histoire de leurs ducs, leur Genealogie, & leurs conquestes, tant en France, Italie, Angleterre, qu'en Orient iusques à la reünion de la Normandie à la Couronne de France, par M. Gabriel du Moulin, curé de Maneual., écrivit, p. 392,  que « le jeune Henry se donne du bon temps en Normandie, & à la feste de Noel tint son Tinel, ou Cour ouverte à Bures, pour faire voir comme sa Cour estoit grosse, Guilaumes de S. Jean Sénéchal de Normandie & Guillaume fils Haimon Sénéchal de Bretagne, & les autres Chevaliers du nom de Guilaume disnerent  seuls en une salle, & fut trouvé qu’ils estoient cent dix Guillaumes, sans comprendre les simples Escuyers & serviteurs, qui portoient le mesme nom. »

La mention la plus récente quant au nombre d’invités se trouve dans l’Aliénor d’Aquitaine de Régine Pernoud (1909-1998). Cette extraordinaire chartiste était positiviste et à la page 165 de son ouvrage, Pernoud nous racontait que « à Bures, en Normandie, il décide d’inviter à sa table tous ceux qui se prénomment Guillaume - c’est à l’époque le prénom le plus répandu après celui de Jean ; il y en eut cent dix-sept qui dînèrent avec lui ce soir-là. ». Elle a peut-être trouvé d’autres témoignages sources, mais ce qui est troublant, c’est que les sources qu’elle cite donne elles aussi cent dix chevaliers se prénommant Guillaume.

Soit elle avait replongé dans les originaux – et il est possible d’avoir de sacrées surprises en retournant aux sources afin de les vérifier, soit il faudrait dire deux mots à l’éditeur/imprimeur de son texte.

 

            Bref, avec une historiette entendue un jour, on peut découvrir bien des choses en creusant.



[1] : On peut aussi faire référence à lui en le nommant Thomas de Londres ou saint Thomas de Canterbury. À la toute fin du XVIe siècle, le dramaturge et poète Thomas Nashe (1567-1601 ?) parla de lui en disant « Thomas à Beckett » ; cette erreur persiste encore parfois.

[2] : Cf. Delisle (Léopold), Chronique de Robert de Torigni, t. 2, Rouen, Métérie, 1873, p. 31.

[3] : Cette erreur de date est sans doute due à un moment d’inattention de la part de Decorde quand il consulta la toute nouvelle édition de Robert de Thorigni par Léopold Delisle puisque ce dernier indiquait une année, mais commençait le nouveau chapitre avec le Noël de l’année précédente. Donc, le banquet des Guillaumes est à « 1172 », mais correspond au 25 décembre 1171, ce qui est d’ailleurs indiqué en note.

[4] : C’est quand même fou. Nous pensions sincèrement vous raconter une petite histoire, mais nous voici à sortir les cartes, calculer les distances et prendre en compte le latin de Thorigni, les messagers de l’époque et les habitudes des ducs de Normandie (et rois d’Angleterre depuis le débarquement d’un certain… Guillaume).


Encore un peu de Cimabue (en vidéo)

            Nous vous avons déjà parlé de l’exposition au Louvre consacrée à Cimabue, https://auservicedeclio.blogspot.com/2025/02/exposition-revoir-cimabue-au-louvre.html et nous vous avions parlé de la conférence exclusivement sur La Dérision du Christ qui n’avait pas encore eu lieu.

Elle est désormais en ligne :

Nous avons également croisé une vidéo sur le travail de restauration de La Maestà. La voici :

C'est une broderie !

            Bonjour ! Bonjour ! Si vous voulez aller admirer la tapisserie de Bayeux (c’est une broderie !) avant octobre 2027 où elle sera alors présentée dans son tout nouvel écrin, c’est maintenant (enfin, vous avez jusqu’à septembre 2025) :

Curiosités de musée : Edward VI par Scrots

            Le jour où nous étions allée admirer le portrait restauré d’Anne de Clèves au Louvre, nous avons remarqué (il y a toujours quelque chose de nouveau à remarquer quand on visite ce gigantesque musée) une des toiles sur la droite de ce tableau-là sur le mur perpendiculaire.


La plaque sur le cadre est la suivante :

Guillim STRETES (Attribué à) travaillait en Angleterre vers 1550

Ecoles hollandaise et anglaise

Portrait présumé d’Edouard VI, roi d’Angleterre

 

L’information à côté de la toile nous dit :

Guillim STRETES (ou SCROTS)

Portraitiste flamand connu de 1537 à 1553

Peintre à la cour d’Angleterre dès 1545

 

Portrait d’Édouard VI,

roi d’Angleterre (1537-1553)

Huile sur bois, vers 1550

 

Ce tableau dont il existe plusieurs exemplaires avec variantes est, avec celui appartenant aux collections royales britanniques (château de Hampton Court), l’une des meilleures versions.

Ce portrait d’Édouard VI est le seul tableau anglais du 16e siècle conservé dans les collections du Louvre.

Les prêts accordés à l’exposition Made in Germany. Peintures germaniques des collections françaises 1500-1550 organisée à Besançon de mai à septembre 2024 font temporairement place à ce très bel exemple de peinture à la flamande – il fut acquis en 1889 sous le nom d’Anthonis Mor – produite en Angleterre sous l’influence de Holbein le Jeune.

             Curieusement, avant de lire toutes ces informations, nous avions admiré certains détails de la toile, comme la jarretière du jeune roi sous son genou gauche :

ou encore cette inscription sur le pilier : « KING. EDWARD. The VI. Sir A More pinxt » :

 
Il y a une curiosité en anglais qui fait que, dans certains cas, on écrit certaines formules d’une façon, mais on les dit d’une autre. Par exemple, la date s’écrira « Monday, January 1st », mais on dira à l’oral « Monday the first of January » ; de même pour les guerres mondiales « WWI » devient « the first world war » (sauf pour les États-uniens qui disent « world war one » - pourquoi se fatigueraient-ils ?).

Incidemment, pour toute la noblesse et toute charge constituant une dynastie (telle la papauté, par exemple), on écrit « Alexander IV » et on dit « Alexander the fourth ».

Donc, l’inscription sur le pilier constitue une faute de grammaire [KING. EDWARD. The VI.] et si l’on ajoute à cela le problème d’attribution de la toile, nous sommes en droit de nous poser bien des questions.

 

            Ce fut le 1er juillet 1889 que le Louvre acheta cette toile à l’industriel Pierre, dit Eugène, Secrétan (1836-1899). Secrétan avait acheté cette toile qui s’était précédemment trouvée dans galerie du duc d’Hamilton, William Alexander Louis Stephen Douglas-Hamilton (1845-1895), et était alors attribuée à « Antonio Moro ».

Moro est connu sous divers noms : Antonio Moro, Anthonius Mor, Antoon More, Anthonis Mor van Dashorst (il s’agirait d’un titre acquis sur la fin de sa vie). Il était né à Utrecht vers 1520 et est mort à Anvers en 1576 ou 1578. Il lui arriva de travailler en Angleterre, mais pas particulièrement à la cour, tandis que Willem / Guillim / William Scrots ou Stretes (le Dictionnaire des peintres, sculpteurs, dessinateurs et graveurs. III. L-Z. d’Emmanuel Bénézit publié à Paris en 1939 le répertorie, p. 765, uniquement en tant que Willem Scrots et les Anglo-saxons n’utilisent que ce nom-là) fut le successeur d’Hans Holbein le Jeune (1497-1543) à la cour d’Angleterre.

Il existe un autre portrait d’Edward VI (1537-1553) qui provient également des collections du duc d’Hamilton et qui fut acheté par la reine Victoria [Alexandrina Victoria of Kent (1819-1901)] en 1882 :

Nous ne savons pas quand ces deux toiles furent peintes, mais la pose du jeune prince ressemble à celle de son père dans une des toiles d’Holbein, ce qui n’est pas surprenant puisqu’Henry VIII fit revenir son fils auprès de lui après son sixième anniversaire (âge auquel les Tudor considéraient qu’un prince devenait adulte) après l’avoir fait élever et éduquer loin de la cour et que le roi ordonna que les appartements et la garde-robe de son héritier soient identiques aux siens.

Nous disons « prince » pour deux raisons – une par toile : sur la toile qui se trouve encore en Angleterre, le fait qu’il s’agisse du « roi Edward » est écrit sur une sorte de petit parchemin à gauche du prince. Quand un tableau officiel représentait un souverain et annonçait son titre, c’était en latin – comme c’est le cas pour Henry VIII, père du prince, où une toile porte l’inscription « Henricus VIII Ang. Rex. » (Henry VIII, roi d’Angleterre). L’étiquette dit en anglais « King Edward » et non pas « Eduardus VI Ang. Rex. » ; il est donc possible qu’un portrait du prince ait été transformé en portrait de roi avec un simple descriptif ajouté plus tard – si ce n’est pas le cas, quelqu’un aura conseillé le jeune roi bien maladroitement.

Passons à la toile du Louvre. Si elle était dans les collections du duc d’Hamilton et a été achetée par un Français, nous avons trouvé une unique référence mentionnant l’envoi de cette toile à la cour de France en 1552 (un an avant la mort très prématurée du jeune roi qui était bien le digne fils de son père en matière de misogynie et d’arrogance). En dehors du fait qu’il serait agréable d’avoir un peu plus de références sur ce genre de données afin de pouvoir les vérifier, ce détail pourrait cependant expliquer l’erreur d’attribution et l’anglais de cuisine où une formulation orale se retrouve à l’écrit.

La notice sur le site du Louvre explique que « [s]elon Alastair Laing, qui estime que le R.F.561 [la toile dont il est ici question] n’est pas une œuvre autographe de Stretes, le ruban bleu avec le médaillon de Saint Georges de l’ordre de la Jarretière, en fait anachronique, que le modèle porte au cou, pourrait avoir été rajouté postérieurement, pour renforcer le caractère royal du portrait, comme si la jarretière visible sur la jambe gauche ne constituait pas à elle seule un signe monarchique suffisant (comm. écrite, octobre 1994). Pour Catherine MacLeod, la jarretière comme le ruban et le médaillon, absents des autres versions du portrait, sont apocryphes (comm. écrite, juillet 2002). - A dater vers 1550. »

            Donc, le ruban bleu avec le médaillon de Saint Georges, la jarretière et l’inscription sur le pilier seraient des ajouts postérieurs au travail du peintre initial, placés là afin de transformer un prince en roi. Ce ne serait pas une première.

À l’origine, cette peinture à l’huile sur bois (1,68 m sur 0,875 m) se trouvait en salle 32, au premier étage de l’aile Denon. Aujourd’hui, elle est en salle 809, au deuxième étage de l’aile Richelieu.

Ajouts ou pas ajouts, le prince devenu roi représente une toile intéressante. Allez l’admirer.


Exposition : « Revoir Cimabue » au Louvre

L’exposition au Louvre Revoir Cimabue – Aux origines de la peinture italienne est ouverte du 22 janvier au 12 mai 2025.

Elle est l’occasion d’admirer la Maestà et la Dérision du Christ de Cenni di Pepo, dit Cimabue (Florence, 1240 ? – Pise, 1302).

La Maestà

La Dérision du Christ (venant d’Internet, car notre photo est terriblement floue. Ne manquez pas d’admirer le bandeau sur les yeux du Christ)

 

            Cette exposition est l’occasion d’admirer des œuvres rares – œuvres qui nous permettent aussi de voir l’évolution apportée par Cimabue dans la peinture de l’époque. En effet, le style d’inspiration byzantine qui était celui de l’époque se métamorphose chez Cimabue en un art où le réalisme commence à s’inviter.

Toutes les œuvres présentées sont fascinantes :


            Le travail de restauration sur la Maestà et la Dérision du Christ est, comme d’habitude avec les ateliers du Louvre, absolument magnifique.

Les ailes des anges sont splendides, tout comme tous les détails révélés par la restauration – par exemple :


             Le Louvre nous dit : « Pour la première fois, le musée du Louvre consacre une exposition à Cimabue, l’un des artistes les plus importants du 13e siècle. Elle est le fruit de deux actualités « cimabuesques » de grande importance pour le musée : la restauration de la Maestà et l’acquisition d’un panneau inédit de Cimabue redécouvert en France en 2019 et classé Trésor national, La Dérision du Christ.

Les deux tableaux, dont la restauration s’est achevée en 2024, constituent le point de départ de cette exposition qui, en réunissant une quarantaine d’œuvres, ambitionne de mettre en lumière l’extraordinaire richesse et la nouveauté incontestable de l’art de Cimabue. L’artiste fut l’un des premiers à ouvrir la voie du naturalisme dans la peinture occidentale, en cherchant à représenter le monde, les objets et les corps tels qu’ils existent. Avec lui, les conventions de représentation héritées de l’art oriental, si prisées jusqu’alors, cèdent la place à une peinture inventive, cherchant à suggérer un espace tridimensionnel, des corps en volumes et modelés par de subtils dégradés, des membres articulés, des gestes naturels et des émotions humaines.

Après une section introductive consacrée au contexte de la peinture en Toscane, en particulier à Pise au milieu du 13e siècle, le parcours s’attarde sur la Maestà du Louvre : les nouveautés qui se manifestent dans ce tableau ont conduit certains historiens de l’art à le qualifier d’« acte de naissance de la peinture occidentale ». La restauration a permis, en plus de retrouver la variété et la subtilité des coloris, de redécouvrir de nombreux détails masqués par des repeints qui mettent en évidence la fascination de Cimabue et de ses commanditaires pour l’Orient, à la fois byzantin et islamique.

Est ensuite abordée la question cruciale des rapports entre Duccio et Cimabue. Le parcours se poursuit avec une section construite autour du diptyque de Cimabue, dont le Louvre réunit pour la première fois les trois seuls panneaux connus à ce jour. La verve narrative et la liberté déployées par Cimabue dans cette œuvre aux coloris chatoyants en font un précédent important et insoupçonné jusqu’alors de la Maestà de Duccio, chef-d’œuvre de la peinture siennoise du Trecento.

L’exposition se conclut par la présentation du grand Saint François d’Assise recevant les stigmates de Giotto, destiné au même emplacement que la Maestà du Louvre, le tramezzo (la cloison qui sépare la nef du chœur) de San Francesco de Pise, et peint quelques années après par le jeune et talentueux disciple de Cimabue. À l’aube du 14e siècle, Duccio et Giotto, tous deux profondément marqués par l’art du grand Cimabue qui s’éteint en 1302, incarnent désormais les voies du renouveau de la peinture. »

 

            Il y aura toute une conférence sur la Dérision du Christ dans les jours à venir, mais, en attendant, voici deux courtes vidéos sur la Dérision du Christ et l’exposition en général, ainsi que la conférence de présentation sur Cimabue et les œuvres présentées dans l'exposition  :

La dérision du Christ de Cimabue, intervention de Sébastien Allard : Directeur du Département des Peintures du musée du Louvre.

 

Retour sur la restauration d'une œuvre majeure du musée du Louvre : "La Dérision du Christ" de Cimabue. Thomas Bohl, conservateur et commissaire de l'exposition "Revoir Cimabue" (22 janvier – 12 mai 2025) et Sébastien Allard, directeur du département des peintures au Louvre, reviennent sur la genèse et l'importance de cette œuvre petite en taille, mais capitale dans l'histoire de l'art.

 

            Pour la première fois, le musée du Louvre consacre une exposition à Cimabue, l’un des artistes les plus importants du 13e siècle. Elle est le fruit de deux actualités « cimabuesques » de grande importance pour le musée : la restauration de la Maestà et l’acquisition d’un panneau inédit de Cimabue redécouvert en France en 2019 et classé Trésor national, La Dérision du Christ. Ces deux tableaux, dont la restauration s’est achevée en 2024, constituent le point de départ de cette exposition qui, en réunissant une quarantaine d’œuvres, ambitionne de mettre en lumière l’extraordinaire richesse et la nouveauté incontestable de l’art de Cimabue.

 

            Si vous le pouvez, visitez cette exposition sur un moment charnière dans l’Histoire de la peinture.

Codices Vossiani Latini... en direct de chez vous

            L’Université de Leyde vient d’annoncer que plus de trois cents manuscrits latins de la Bibliotheca Vossiana, les Codices Vossiani Latini, sont désormais librement accessibles en ligne.

Il suffit de se rendre sur le site de leurs collections en ligne et de commencer à découvrir et explorer ces merveilles depuis nos bureaux (ou fauteuils au coin du feu). Seul détail qui pourrait vous ralentir : leurs pages sont en néerlandais ou en anglais, mais certains navigateurs proposent déjà une option de traduction automatique (certes imparfaite pour l’instant, mais cela constitue une alternative).

Si vous tâtonnez avec ce genre de catalogue, l’université a mis en ligne un tutoriel :

 

             Nous pouvons consulter ces œuvres grâce à Isaac Vossius. Cet humaniste né à Leyde en 1618 connaissait le grec – détail intéressant, mais pas significatif pour l’époque ; en revanche, il connaissait l’arabe, ce qui est plutôt rare.

Il avait la réputation d’être quelque peu excentrique et on se souvient de lui comme d’un extraordinaire collectionneur de livres. 

De 1641 à 1644, il explora l’Europe, visitant notamment l’Angleterre, la France et l’Italie et se constituant une magnifique bibliothèque privée. En 1644, il se rendit à Amsterdam où il devint le bibliothécaire de la ville ; quatre ans plus tard, il partait pour le Suède afin d’y devenir le bibliothécaire de la cour de la reine Kristina (1626-1689).

À la cour de Suède, Vossius continua à agrandir sa collection par des achats inspirés, grâce à des prises de guerre auxquelles il eut accès et grâce à la bibliothèque de son propre père, Gerardus Vossius (1577-1649) qu’il emporta lui-même en Suède en 1650.

Cependant, Kristina était une curieuse souveraine. Très érudite, elle était dépensière, ce qui faisait gronder ses sujets, et elle refusait de se marier ; la goutte d’eau qui fit déborder le vase de la patience des Suédois fut sa conversion au catholicisme. Elle abdiqua le 16 juin[1] 1654 en faveur de son cousin Karl X Gustav (1622-1660), partit pour Rome où, à l’exception de quelques voyages en France elle passa le reste de sa vie dans l’entourage des papes qui se succédèrent, résidant dans divers palais de la ville, et, alors qu’elle souhaitait être enterrée au Panthéon de Rome, le pape ordonna que la reine embaumée repose dans la crypte papale du Vatican.

Après l’abdication de Kristina, Vossius décida de quitter sa suite. Dans la panique qui résulta du départ de l’ancienne souveraine, les ouvrages imprimés et manuscrits appartenant à Vossius se trouvèrent mélangés à ceux de Kristina ; avant qu’ils ne se séparent, elle l’autorisa à choisir un certain nombre de volumes afin de le dédommager. Une partie de ces livres est ce qui constitue aujourd’hui la Bibliotheca Vossiana.

Vossius se rendit en Angleterre, passa un diplôme de droit à Oxford et, de 1673 à 1688, fut chanoine de Windsor sur nomination de Charles II (1630-1685) ; il quitta sa charge peu avant sa mort.

Pour 33 000 guilders, ses héritiers vendirent sa bibliothèque (sept cent vingt-neuf codex et près de quatre mille livres imprimés) à l’Université de Leyde où les Codices Vossiani sont archivés sous cinq catégories : ouvrages latins, grecs, gréco-latins, germano-romans et scientifiques (médecine, pharmacie, alchimie).

Les Codices Vossiani Latini sont si précieux et rares qu’ils contribuèrent à la réputation de l’Université de Leyde à l’international et ils peuvent aujourd’hui être consultés et appréciés en seulement quelques clics.



[1] : Le 6 juin selon le calendrier julien.