Afin
de compléter notre biographie de Georges Doublet, nous sommes allée aux Archives
municipales de Nice afin de découvrir quand et comment la « rue Georges
Doublet » vit le jour.
Pour
rappel, Georges Doublet était un professeur de lettres classiques au lycée
Masséna de Nice. Ce normalien, « agrégé des lettres » et membre de
l’École française d’Athènes aurait dû faire sa carrière dans les musées
d’Afrique du Nord si un mandarin à peine plus vieux que lui n’avait intrigué
afin de le faire renvoyer (le coupable s’appelait René Ducoudray La Blanchère
(1853-1896) ; il signait « R. de la Blanchère » et c’est encore
souvent ainsi que son nom est mentionné). Doublet rentra en France, au Havre,
où il épousa Éliza « Adèle » Hochet (ils auraient dû se marier à
Tunis) et le couple partit pour Foix où Doublet eut son premier poste.
Ce
fut à Foix, parce qu’il avait de petites classes et assez de temps pour lui,
que Doublet commença à visiter les archives – et publier leur contenu. Il
conserva cette habitude en arrivant à Nice où il fit le plus gros de sa
carrière (nous lui devons des centaines de publications – ouvrages et
articles).
Doublet
se fit de nombreux amis à Nice et dans toute la région ; à tel point que
la liste de ceux qui vinrent à son enterrement le jeudi 30 avril 1936 (le
lendemain de sa mort) ressemble au bottin mondain et à l’élite des archives et
sociétés savantes de la Côte d’Azur.
Doublet
était un paléographe hors pair, un archiviste passionné et un infatigable
écrivain.
Les anciens amis de Doublet jouèrent un rôle
important dans la décision municipale de donner le nom de Doublet à une artère
de la ville.
Selon
les informations contenues dans le carton « 3 O 15/101 » aux archives municipales de Nice, carton
relatif à la rue Georges Doublet et aux délibérations du conseil municipal à ce
sujet, certaines société savantes plaidèrent en faveur d’une « rue Georges
Doublet » dès 1938.
Le
14 décembre 1938, par exemple, l’Acadèmia Nissarda envoya une lettre à Jean
Médecin (1890-1965), maire de Nice, afin de lui demander de donner le nom de
Doublet à une rue de Nice. Le général Paul Toulorge (1862-1959) demanda la même
chose au nom de la Société des Lettres, Sciences et Arts des Alpes-Maritimes le
17 décembre de la même année. Xavier Emanuel (1890-1975), qui était le chef de
cabinet du maire et un proche des Doublet puisque ce fut lui qui déclara le
décès de notre historien, envoya le 19 décembre 1938 un courrier à l’adjoint de
Jean Médecin afin de lui transmettre les lettres des deux sociétés précédemment
mentionnées, de l’informer que le maire était disposé à donner le nom de
Doublet à une rue de la ville et de l’informer que la veuve de Doublet lui
avait dit souhaiter voir l’avenue Stephen Liegeard, où ils avaient résidé
pendant près de six ans, porter le nom de son défunt époux.
Les
années passèrent.
Le
conseil municipal de Nice délibéra le 21 avril 1950 au sujet de nouvelles dénominations de noms
de rues (pour information, étaient aussi concernée « l’Armée du
Rhin » [pour la « place Risso »], « Jean Bouin » [au
« Stade du XVème Corps »] et « Maurice
Maeterlinck » [pour une partie du « boulevard Carnot »]).
L’arrêté ministériel date du 26 juillet et les arrêtés préfectoraux du 7 août.
Le
texte des délibérations du 21
avril 1950 était le suivant : « Au cours de sa
séance du 23 Mars 1950,
la Commission des noms de rues a décidé; à la suite de diverses requêtes
adressées à l’Administration Municipale, d’adopter les propositions suivantes :
[…] donner le nom de Georges DOUBLET, l’éminent historiographe de la Ville et
du Comté de Nice à la partie de la rue Henry de Cessole, perpendiculaire au
Boulevard de Cessole et de laisser subsister la rue Henry de Cessole pour la
partie parallèle audit boulevard[…] ».
À
l’époque, les résidents ne furent pas informés personnellement du changement de
nom d’une partie de leur rue (les choses sont peut-être un peu mieux organisées
aujourd’hui, car la même chose nous est arrivée et nous avons reçu un courrier
nous informant du changement… mais pas des modalités afin de modifier nos papiers
et références). D’ailleurs, la Société des Papeteries de la Gorge de Domène, au
13 et 15 de la rue Henry de Cessole envoya le 7 juin un courrier à Jean Médecin
afin de savoir quel serait le nouveau nom de leur rue car de nouveaux imprimés
devaient être faits. Le député-maire, Léon Teisseire (1907-1971), fit envoyer
une réponse le 16 juin (en signalant que le nom ne serait officiel qu’après
toutes les décisions légales et l’annonce faite au public par voie de presse).
Croquis contenu dans
le carton « 3 O 15/101 » aux
archives municipales de Nice qui illustre le changement de nom.
La notice biographique qui accompagnait le
dossier est très complète et fut rédigée par l’excellente archiviste-archéologue,
Armance Royer
(1907-1981).
Le 23 novembre 1950, Nice-Matin publia à nouveau un encart
qui expliquait qui était Doublet et pourquoi il méritait d’avoir une rue à son
nom à Nice (ce texte fut publié une première fois lorsque la municipalité mit
la machine en route).
Alors que le maire, d’après le courrier
d’Emanuel du 19 décembre 1938, était « d’avis qu’étant donné les services
exceptionnels qu’a rendu M. Georges DOUBLET, pendant près de 40 ans à la Ville
de Nice, on peut sans inconvénient enfreindre le règlement et donner son nom à
une de nos rues », ce ne fut pourtant qu’en 1950 qu’une rue Georges
Doublet vit le jour à Nice.
Normalement, officiellement, légalement, ce
n’est que dix ans après la mort d’une personne que son nom peut être donné à
une artère, mais, comme nous l’a fait remarquer un archiviste, il suffit que le
mort soit cher à la population (ou aux politiques au pouvoir – et ce que
voulait Jean Médecin, Jean Médecin l’obtenait) pour que la loi soit mise de
côté et si personne ne conteste le nouveau nom au tribunal, tout va bien.
En 1936, Doublet, proche de Médecin qui lui
avait demandé de mettre de l’ordre dans les archives de Nice, meurt.
En 1938, deux des plus importantes sociétés
savantes de la région souhaitent voir une rue Georges Doublet en ville et Jean
Médecin est favorable au projet, puis… le projet ne se réalise qu’en 1950.
Un fonctionnaire a-t-il fait appliquer la
loi à la lettre ? C’est possible, mais curieux, d’autant plus que le maire
était favorable à cette idée.
La guerre a-t-elle mis un frein à ce
projet ? C’est une autre possibilité.
Il reste une autre possibilité : Adèle
Doublet mourut en 1948 et elle n’était guère appréciée par certains de ces
messieurs. En effet, Doublet épousa une femme que certains pensaient en dessous
de lui, mais ce n’était pas parce qu’il était le fils d’un juge et qu’il avait
hérité une petite fortune de sa mère qui était morte alors qu’il n’avait pas
trois ans et qu’Adèle n’était que fruitière ; en fait, Adèle était mal vue
par la bonne société parce qu’elle avait divorcé (c’était son mari qui
avait demandé le divorce, mais ce fut Adèle qui eut à souffrir de cette
décision – et parions que personne ne lui demandait ce qui s’était passé).
Pourtant, si Doublet, fervent catholique qui
ne put donc pas se marier à l’église, décida d’épouser Adèle, c’est qu’elle
était vraiment extraordinaire.
Espérons
que ce fut vraiment la guerre qui empêcha le Niçois de donner le nom de Doublet
à une de leurs rues, puisque Médecin était favorable au projet, il serait bien
trop triste que la rue Georges Doublet n’ait vu le jour qu’en 1950 parce que sa
veuve n’était alors plus parmi nous et que les officiels ne souhaitaient pas a