Le Lion de Florence

            Lors d’une visite au Louvre, nous avons croisé une œuvre qui nous a fait nous arrêter dans la salle 934 (aile Sully, niveau 2).

En fait, il s’agit d’une très grande toile qui a été accrochée très haut, ce qui fait que le pauvre lion qui y est peint à l’air très étrange – tellement étrange que nous avons brièvement pensé que ce pauvre animal faisait partie de la triste collection « l’artiste n’en a jamais vu de sa vie, mais il l’a quand même représenté ».

Mais non.

Le problème, c’est la hauteur. D’ailleurs, ayons une pensée pour ces artistes du Salon dont les travaux se retrouvaient à un cheveu du plafond, car cette œuvre nous prouve que même un grand tableau n’est pas à son avantage si son côté inférieur se trouve largement à plus de deux mètres du sol et il est donc difficile, voire impossible, de l’admirer correctement.

Donc, le tableau qui nous a fait être momentanément injuste envers un pauvre lion est celui-ci :

 


Exposé à Paris au Salon de 1801 (an IX), avec le n° 250, Le Lion de Florence, comme on l’appelle aujourd’hui fut à l’origine présenté, comme nous l’apprend la base Joconde sous le titre Trait sublime de maternité du siècle dernier arrivé à Florence. La notice de cette œuvre ajoute les précisions suivantes : « église San Lorenzo; un lion s’était échappé de la ménagerie du Grand-Duc de Florence, et courait dans les rues de la ville ; l’épouvante se répand de tous côtés [...] Une femme, qui emportait son enfant dans ses bras le laisse tomber en courant. Le lion le prend dans sa gueule. La mère éperdue se jette à genoux devant l’animal terrible, et lui demande son enfant avec des cris déchirants... Le lion s’arrête, la regarde fixement, remet l’enfant à terre sans lui avoir fait aucun mal, et s’éloigne ».

Le peintre était Nicolas André Monsiau, né à Paris en 1754 (selon Bénézit, mais la base Joconde envisage aussi une naissance en 1755) et mort dans la même ville le 31 mai 1837. Ce peintre d’Histoire, formé à l’Académie royale de Paris, séjourna à Rome en même temps que Jacques-Louis David (1748-1825). Il avait un style assez particulier : « poussiniste » pour ce qui était des couleurs, mais influencé dans le choix des thèmes par son camarade à Rome. Un poussiniste davidien ? À vous de juger :

La Folie conduisant l’Amour aveugle (1796 – aujourd’hui dans une collection particulière à Paris)

 

Aspasie s’entretenant avec les hommes illustres 

[i.e. : Socrate et Alcibiade, si vous vous posiez la question] (1801 – Musée Pouchkine)

 

Alexandre et Diogène (1818 – Musée des Beaux-Arts de Rouen)

 

            Monsiau n’est pas le peintre le plus connu du grand public aujourd’hui, mais il reste un témoin très intéressant de son temps.

            En cherchant des informations sur le lion – n’oublions pas que cette pauvre bête fut notre point de départ, nous avons trouvé deux éléments intéressants : tout d’abord, une reproduction de la toile de Monsiau se trouvait chez le professeur Jean Itard (1774-1838) et il semblerait qu’il ait été fort impressionné par la représentation de cette scène[1] et il existe aussi un court récit, consultable sur Gallica, qui raconte une version de ce curieux épisode. 

En 1876, Le Lion de Florence de Régis Hellimer est en fait un petit recueil qui contient trois histoires ; la première page nous apprend qu’il s’agissait d’une publication de « Bibliothèque chrétienne de l’adolescence et du jeune âge publiée avec approbation de Monseigneur l’Évêque de Limoges ».

            Ce texte est très poétique. Très daté. Très sexiste.

            Pour l’occasion, nous avons appris à utiliser un site Internet qui propose de l’OCR en ligne (le PDF de Gallica est composé d’images ; le texte ne peut pas être copié/collé).

            Voici le texte :

LE LION DE FLORENCE

 

Durant les premiers siècles de l’ère chrétienne, les Romains, maîtres d’une partie de l’Afrique, avaient importé de ces contrées brûlantes dans leur mère-patrie tout ce qui leur avait paru rare, précieux, ou seulement curieux. C’est ainsi que, des déserts de la Lybie et des gorges de l’Atlas, ils avaient fait venir à Rome les animaux les plus sauvages et les plus féroces.

Ils en employaient une quantité considérable : ‘aux jeux du cirque, sans parler de ceux qui devaient être les instruments inintelligents du supplice des martyrs. Le nombre des carnivores retenus: en captivité dans les principales villes d’Italie diminua beaucoup lorsque les Barbares eurent démembré l’empire romain, et que la religion eut fait cesser les divertissements sanglants des arènes. On conserva quelques individus de chaque espèce, mais on n’eut plus occasion de les faire sortir des cages grillées où on les enfermait avec toutes les précautions possibles.

Parmi ces animaux redoutables que l’homme se plaît à enchaîner et à retenir prisonniers, le lion a toujours eu le premier rang et a toujours été considéré, non-seulement comme le plus terrible, mais encore comme le plus noble et le plus généreux. Sa magnanimité est à présent aussi bien reconnue que la fidélité du chien. Certains naturalistes prétendent que sa face présente une vague analogie avec le visage de l’homme. Il est vrai qu’il a les yeux ombragés de sourcils, le nez long et large, le front carré, la mâchoire épaisse. Sa langue très grosse, couverte d’aspérités aussi dures que la corne, ne saurait lécher sans amener aussitôt le sang à fleur de peau, ce qui rend ses caresses excessivement dangereuses, car l’odeur du sang l’enivre, anime sa fureur et l’excite à dévorer.

Les voyageurs se sont plus à multiplier les anecdotes sur la générosité du lion. Les uns prétendent qu’autrefois les femmes des environs de Tunis le poursuivaient, armées simplement de bâtons ou de pierres, et l’obligeaient fort bien à quitter la proie qu’il avait saisie.

D’autres assurent que les Maures avaient un moyen sûr et facile de se débarrasser de lui quand ils le rencontraient inopinément. Ils se couchaient à terre, demeuraient immobiles, et il passait outre, à moins qu’il ne fût tourmenté par la faim.

Il n’est pas nécessaire de dire que ces histoires sont entièrement controuvées et parfaitement absurdes. Labat en rapporte une moins extraordinaire, mais qui cependant, si elle n’est point apocryphe, prouve une fois de plus la- justesse de l’aphorisme du critique.

Le vrai peut quelquefois n’être pas vraisemblable.

Une jeune femme et son fils se promenaient sur la lisière d’une forêt située tout auprès de la ville de Florence. L’enfant courait sur la pelouse, et la mère souriait à ses jeux. La solitude était profonde et le silence imposant. Nul autre bruit ne se faisait entendre que le frémissement du vent agitant le feuillage, et le bourdonnement des ‘insectes distillant le suc des fleurs nouvellement écloses. Le soleil brillait haut dans un ciel d’une pureté limpide, et les promeneurs, attirés par la fraicheur et l’ombre, s’enfonçaient dans la forêt peu à peu.

Ils marchèrent longtemps, la mère heureuse et souriante, l’enfant bruyant et joyeux ; l’un récoltant dans les pans de sa tunique des gerbes de plantes odorantes, l’autre effeuillant à la brise ou disposant en diadème sur son front les myrtes qu’elle cueillait dans les clairières ; tous deux ne songeant qu’à jouir de la sérénité de ce jour sans nuages et ne redoutant aucun danger.

Ils se proposaient revenir enfin sur leurs pas lorsque, à une certaine distance, se fit entendre un bruit inusité et très étrange : si étrange que le petit garçon se troubla malgré l’insouciance de son âge ; il laissa tomber les fleurs d’arbousier, de lentisque, d’oléandre qu’il tenait à deux mains, et courant auprès de la jeune femme :

- Ma mère, n’avez-vous pas entendu ? demanda-t-il d’une voix un peu tremblante en employant le doux idiome toscan.

Elle aussi avait paru inquiète d’abord, mais elle s’était promptement rassurée.

- J’ai entendu, dit-elle, les refrains des pêcheurs qui raccommodent leurs filets au bord de l’Arno. Si un autre son est parvenu à mon oreille, il était si vague et si lointain que nous ne devons pas nous en préoccuper.

À peine avait-elle fait cette réponse qu’un rugissement sonore, éclatant, prolongé, éveilla l’écho et se répandit au travers de la forêt comme une rumeur funèbre.

Très alarmée, elle prit l’enfant dans ses bras et regarda dans toutes les directions avec un effroi qui augmenta prodigieusement lorsque la même voix se fit entendre beaucoup plus  près que  la première fois.

Cependant elle n’aperçut rien qui put justifier ses appréhensions. La fauvette chantait paisiblement au sommet des grands arbres, l’abeille bourdonnait toujours dans le calice des cistes, ces jolies fleurs violettes et blanches qui ressemblent à des églantines largement ouvertes. Les rayons du soleil, tamisés par le feuillage, répandaient sur la terre brune des milliers d’étincelles, et le seul bruit de la voix importune venait troubler le calme de cette solitude. Même les pécheurs avaient fini de raccommoder leurs filets ; du moins leurs chants avaient cessé. La jeune femme crut s’être abandonnée à une terreur puérile, et posant son fils sur le gazon :

- Va jouer, dit-elle, nous sommes ici en parfaite sécurité; la forêt ne renferme aucun animal malfaisant.

Mais lui, sans doute, possédant l’instinct des jeunes agneaux qui pressentent longtemps à l’avance l’arrivée de l’ennemi, et courent se réfugier auprès du berger lorsque celui-ci n’a point encore songé à s’alarmer ; il s’attacha obstinément à la jupe de sa mère, et cachant sa jolie tête blonde dans les plis de sa ceinture à longues franges, il déclara qu’il ne voulait point s’éloigner.

Elle s’efforçait de le rassurer quand un nouveau rugissement retentit par toute la forêt, rauque, terrible, menaçant, empreint d’une sorte de colère douloureuse.

Il n’y avait plus possibilité de se méprendre : c’était la voix du lion, furieux, blessé peut-être, si l’on en jugeait d’après ces inflexions plaintives qui glaçaient d’épouvante. Elle connaissait ce cri de la force enchaînée, ce mugissement puissant et sombre qui, au désert, impose le silence à tous les animaux de la création ; elle comprit que le plus redoutable des carnivores venait de s’échapper de sa cage grillée, qu’il était parvenu à sortir de Florence, et qu’il errait au travers de la campagne.

Cette pensée, qui la rendit folle de terreur, décupla ses forces au lieu de les paralyser. Elle s’empara de son fils et se mit à courir comme peut courir une mère lorsqu’il s’agit de sauver la vie à son enfant unique.

Elle parcourut la forêt au hasard, traversant les fourrés les plus épais, les taillis les plus épineux, heurtant son front pâle aux troncs noueux des arbres, déchirant ses bras aux ronces et aux lianes hérissées de pointes piquantes, meurtrissant ses pieds sur les cailloux et les racines desséchées, et s’enfonçant toujours davantage dans le bois. Car elle n’avait point cherché à s’orienter, mais seulement à fuir cet ennemi qui indubitablement devait la mettre en pièces dans le cas où il parviendrait à la rejoindre.

C’était véritablement un lion qui, après avoir répandu l’alarme dans toutes les rues de Florence, venait de se réfugier dans cette forêt où il était attiré par une sorte d’instinct. Ceux qui le poursuivaient, en le blessant à la patte, l’avaient rendu encore plus terrible. Sa longue crinière se dressait menaçante, il courait avec une vélocité extrême, ce qui lui arrive rarement, seulement quand il poursuit quelque proie ; sa marche habituelle est lente, grave, très majestueuse.

La jeune femme sentait ses forces s’épuiser, néanmoins elle continuait à fuir, et redoublait de courage et d’énergie chaque fois qu’un nouveau rugissement, de plus en plus rapproché, parvenait à son oreille. Le lion était sur ses traces, elle n’en pouvait douter; et elle essayait vainement de le dépister. La voix menaçante, qui s’élevait à intervalles inégaux au milieu du silence profond, lui prouvait d’une manière évidente qu’il gagnait du terrain. À chaque instant il lui semblait qu’une griffe puissante allait déchirer son épaule, et elle croyait qu’une haleine fétide et brûlante courait sur son cou et dans ses cheveux.

Ce n’était qu’une illusion ; mais qu’elle était affreuse !

Soudain le petit garçon qui l’étreignait de ses deux bras fit un geste d’horreur, poussa un cri de désespoir en étendant sa main vers un épais buisson au milieu duquel se mouvait un objet qu’on n’apercevait qu’indistinctement.

La jeune femme traça rapidement sur son front et sur sa poitrine le signe du salut, engagea son fils à l’imiter, puis levant ses bras aussi haut que possible, et s’approchant d’un platane centenaire, dont les rameaux touffus s’inclinaient vers le sol, elle parvint à le placer sur une grosse branche.

Tout-en accomplissant cet acte désespéré, tout en recourant à ce suprême moyen, elle regardait fixement le monstre qui avait bondi à quelques pas d’elle. Lorsqu’elle vit son fils en sûreté, car il lui parut qu’il n’avait rien à craindre s’il consentait à demeurer immobile, elle songea à se soustraire aussi à la mort effrayante qui l’attendait. Elle disparut dans les massifs épais, soit pour chercher son salut dans la fuite, soit, ce qui est plus probable, pour grimper à son tour sur un arbre moins élevé et d’un accès moins difficile.

Dès que l’enfant ne l’aperçut plus, il se mit à pousser des cris horribles qui 1a firent revenir sur ses pas, et qui malheureusement attirèrent le lion au pied du platane.

Arrivé là il s’arrêta soudain, et la fugitive, qui épiait au travers du feuillage ce qui allait advenir de son fils, vit une épouvantable scène. L’animal, furieux et blessé, rugissait, écumait, labourait le sol de ses griffes, levait sa tête menaçante et semblait fasciner la faible et innocente victime qui se penchait irrésistiblement vers lui, ne se retenant plus aux branches que d’un bras fatigué.

La mère vit tout-à-coup — elle n’eut pas cru auparavant pouvoir considérer un semblable spectacle sans mourir de terreur — elle vit les paupières de son enfant aimé papilloter et s’abattre sur ses yeux comme celle d’un oiseau de nuit exposé soudain à la lumière ; elle vit ses bras se détacher de l’arbre et s’agiter dans le vide ; elle entendit un cri — peut-être elle crut entendre, et ce fut elle-même qui cria et elle ouït distinctement le bruit produit par la chute de cette frêle créature qui alla rouler aux pieds du monstre. Un lion depuis longtemps captif doit être avide de chair humaine : celui-ci saisit précipitamment l’enfant par sa tunique et se disposa à l’emporter probablement dans quelque rocher creux qui pût lui servir d’antre.

La mère alors, dédaigneuse du péril auquel elle s’exposait, oubliant tout danger, excepté celui qui menaçait son fils, se précipita au-devant de l’animal furieux, se mit à crier, à sangloter, le suppliant d’épargner son enfant, de leur faire grâce de la vie, lui parlant absolument comme s’il eût pu l’entendre.

Il l’entendit en effet, et s’il ne comprit point le sens de ses paroles, du moins il se laissa toucher par son immense désespoir.

Lentement il déposa à terre le petit garçon, et passant auprès de l’heureuse mère sans lui faire aucun mal, il s’éloigna et disparut dans les profondeurs de la forêt.

C

 

            Dans cette histoire, heureusement que le lion attrape l’enfant par sa tunique (en revanche, dans le travail de Monsiau, la prise du lion aurait laissé des traces de crocs sur le malheureux enfant).

            Après avoir lu ce texte, nous avons cherché à savoir qui était Régis Hellimer. La Bibliothèque nationale de France nous donne les dates suivantes : 1835-19_ (uniquement parce qu’un texte de l’auteur fut publié en 1901, mais nous manquons de données).

            En fait, c’est le Volume 7 de la Bibliographie contemporaine : histoire littéraire du XIXe siècle, manuel critique et raisonné de livres rares, curieux et singuliers... depuis 1800 jusqu’à nos jours, avec l’indication du prix d’après les catalogues de ventes et de librairies : supplément de Brunet, de Quérard, de Barbier, etc. publiée par Antoine Laporte (1835-1900) qui nous apprend que « Régis Hellimer » était le nom de guerre de Mademoiselle G. Ronnot, née à Roulans dans le Doubs. Certaines publications récentes lui donnent « C. » pour initiale. L’erreur est pardonnable s’ils n’ont tous consulté que les tables décennales de Roulans, car le fonctionnaire qui les a rédigées avait une écriture atroce. En combinant Ronnot, Roulans et 1835, nous trouvons Laure Émilie Joséphine Ronnot, fille du notaire et maire de la commune Joseph Ronnot, née à 23h30 le 3 mars 1835. Les sites des archives et ceux de généalogie en ligne ne donnent pas d’autres informations sur cette femme qui parvint à faire publier son travail – avec un nom d’homme (et le coup de plume qui allait avec).

            Laure Ronnot/Régis Hellimer disparaît des catalogues en 1901.

 

            La peinture d’un gros chat mal accrochée peut mener à bien des découvertes.



[1] : Pour plus d’informations sur le sujet, consultez l’ouvrage de Thierry Gineste, Le Lion de Florence : sur l’imaginaire des fondateurs de la psychiatrie, Pinel (1745-1826) et Itard (1774-1838), paru à Paris chez Albin Michel en 2004.

Souvenirs du SITEM 2024

Cet article est créé tout particulièrement pour nos étudiants, mais il pourra intéresser ceux qui sont passionnés de musées et de culture.

Il se trouve que nous avons eu la chance de pouvoir nous rendre au SITEM 2024 et nous allons donc partager avec vous, chers lecteurs, quelques informations et adresses que nous avons récoltées lors de notre visite.

 


 

 

Tout d’abord, nous tenons à remercier Beaux Arts & Cie qui nous ont invitée et avec qui nous avons travaillé il y a quelques mois.

 



La liste de tous les participants au SITEM se trouve sur leur site si vous souhaitez compléter les informations du présent article ; nous y avons notamment croisé :

 

- Plinth, l’art du réemploi

 


 

- Immersiv3d, qui crée des visites virtuelles.




- Promuseum où on peut lire cette description à leur sujet :

« Notre histoire

Promuseum a été créé il y a bientôt 30 ans afin de proposer à l’ensemble des musées et des sites culturels une gamme complète de produits pour couvrir leurs besoins en matière de matériels d’exposition et d’accueil du public. Après quelques années, le catalogue s’est étoffé de mobiliers spécialisés pour la boutique. Toujours à l’écoute des besoins des musées, Promuseum a enrichi son offre en 2007 de produits destinés à l’aménagement des réserves et à la conservation, préoccupation qui au fil du temps devenait de plus en plus prégnante. Devant l’importance de la circulation des œuvres, des solutions en matière de transports et de sécurisation ont complété l’offre. Enfin, en 2015 Promuseum a commencé à développer une gamme plus spécifiquement destinée aux restaurateurs d’art graphique.

Aujourd’hui, Promuseum totalise plus de 12 000 références et est représenté dans la plupart des pays d’Europe.

 

Notre savoir-faire

Notre équipe pluridisciplinaire conjugue compétence technique en matière de conservation, d’éclairage, de contrôle hygrométrique et de conception de mobiliers d’exposition pour vous apporter une vision globale à toutes vos problématiques. Nous sommes à votre écoute pour vous accompagner dans la sélection des produits, la mise au point des cahiers des charges et la conception de produits sur-mesure. Promuseum vous accompagne de l’analyse du besoin jusqu’à la livraison et l’installation sur site, et met toutes ses compétences au service de vos projets. L’organisation de Promuseum est entièrement tournée vers l’écoute du client et au service de vos attentes (suivi personnalisé, département appel d’offre, bureau d’étude, service d’installation, etc.).

 

Nos engagements

Promuseum s’engage à satisfaire ses clients dans la qualité et dans la durée. Promuseum est également engagé depuis longtemps dans la réflexion écologique en favorisant l’éco-conception, le recyclage des déchets et la proximité géographique de ses fournisseurs. Adhérent à Valdélia, Promuseum propose des solutions pour les produits en fin de vie et promeut la numérisation des documents (catalogues en ligne, facturation dématérialisée, e-marketing, etc.). Promuseum favorise le travail collaboratif et la méthode agile. »




- TruVue, qui résume son histoire ainsi :

« Tru Vue est un fabricant de produits de vitrage haute performance destinés aux marchés de l'encadrement photo personnalisé, des musées, de la photographie et du verre technique et de l'acrylique. Nous sommes un leader mondial dans le domaine des revêtements antireflet, ainsi que des produits de protection UV de qualité conservation et de vitrages spécialisés pour ces marchés.

Fondée en 1946 sous le nom de Chicago Dial, Tru Vue a débuté en tant que fabricant de verre pour cadrans de radio et plus tard pour écrans de télévision. L'une des premières innovations de l'entreprise a été un procédé permettant de graver le verre des écrans de télévision, créant ainsi une surface non éblouissante qui réfractait la lumière et permettait d'obtenir une image beaucoup plus claire. Ce produit en verre dépoli est ce qui a amené Tru Vue sur le marché de l'encadrement photo en 1970.

Aujourd'hui, Tru Vue établit la norme en matière de vitrage qui améliore, protège et embellit. De l'encadrement personnalisé à la conservation et à la préservation dans les musées et galeries du monde entier, en passant par l'optique commerciale, Tru Vue est connu dans le monde entier comme un leader et un innovateur dans la protection et la conservation de tout ce qui est encadré et exposé. Qu'il s'agisse de verre de musée®, Conservation Claire® et contrôle de la réflexion sur la conservation®, ou nos produits de vitrage acrylique dont Optium Museum Acrylique®et Tru Vue Vista AR® aucune autre entreprise ne dispose d'une gamme aussi complète d'options de vitrage haute performance que Tru Vue. » 



 

- SkinSoft, qui se décrit ainsi :

« Le laboratoire SkinSoft

SKINsoft, laboratoire de recherche informatique, conçoit et développe un travail de recherche fondamentale ayant pour objectif la mise à disposition d’applications «nouvelle génération» dédiées à la gestion et publication de collections. Musées, photothèques, cinémathèques, fondations, bibliothèques et centres d'archives, institutions culturelles, collections privées et patrimoine d’entreprises, acteurs de l’archéologie sont étroitement concernés par ces logiciels innovants et évolutifs qui constituent aujourd’hui la pointe de la technologie full-web. »

 



 

- Holusion est la compagnie dont vous avez besoin si vous désirez hologrammes et expériences digitales innovantes.





- Chronospedia s’est donné pour but de sauvegarder les connaissances que nous avons en matière d’horlogerie, connaissances qui risquent de se perdre.




- Feel Inde a imprimé les sacs en tissu distribués au SITEM. Ils pourront imprimer les vôtres et ils proposent bien des formats.




 

Étaient  aussi présents :

- l’Écoledu Louvre, qui propose différentes formations et diplômes.


- Le ministère de la Culture proposait de nombreuses informations, notamment sur la base Joconde qui permet de rechercher des œuvres.


- l’Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap)  présentait son travail :



- l’Institut national du patrimoine (INP) présentait ses formations :


 


- Le Conseil international des musées se présente ainsi :

« Créés simultanément en 1946, le Conseil international des musées (ICOM) et son comité national français (ICOM France) sont historiquement liés.

Le 31 octobre, Georges Salles, directeur des musées de France, convoque dans son bureau les personnalités des musées français afin de former le Comité français de ce qui s’appelait alors l’Association internationale des musées. Sont notamment impliqués Julien Cain, André Léveillé, Paul Rivet, et Georges Henri Rivière. Cette réunion entérine la constitution d’ICOM France, où sont représentés tous les types de musées français sans aucune hiérarchie et nomme Georges Salles son premier président.

Du 16 au 20 novembre se réunit l’Assemblée constitutive du Comité international des musées (ICOM) au musée du Louvre à l’occasion de la première conférence de l’UNESCO à Paris. Quatorze nations y sont représentées dont la France.

La création d’ICOM se fait sous l’impulsion de Chauncey J. Hamlin, président du Buffalo Museum of Science, soutenue par Georges Salles, chacun devenant respectivement président du comité exécutif et président du comité consultatif.

De 1946 à 1953, Georges Salles, au service d’ICOM France et d’ICOM international, impulse sa conception du musée dans un monde en pleine transformation. Conscient du rôle croissant de la coopération et des échanges internationaux, il conçoit ICOM France comme la mise en œuvre d’une « régénérescence » des musées, comme une internationalisation de la politique muséale française. Sans inféoder celui-ci à la direction des musées de France, il le veut « fenêtre ouverte sur le monde ».

En 1948, lors de la première Conférence biennale d’ICOM à Paris, Georges Salles soutient la nomination de Georges Henri Rivière au poste de directeur d’ICOM. Celui-ci marquera fortement la vie de l’organisation jusqu’à sa mort en 1985. Par ailleurs, plusieurs membres d’ICOM France ont présidé ICOM International : Georges Salles (1953-1959) ; Hubert Landais (1977-1983) ; Jacques Perot (1998-2004).

La relation entre le comité national français et l’organisation internationale dont le siège est à Paris, dans les bâtiments de l’UNESCO, est ainsi constitutive de notre histoire commune. »

 


 

 

- l’Institut national de l’audiovisuel (INA) a un catalogue d’une richesse extraordinaire :




 

Lors de notre visite, nous avons assisté à quelques conférences, qui étaient toutes passionnantes, mais celle du Experiential Media Group (E/M Group) nous a particulièrement fascinée et inspirée.

Ils se décrivent ainsi : « Experiential Media Group (E/M Group) est le principal fournisseur d'expositions de qualité muséale de premier plan à travers le monde et le leader reconnu dans le développement et la présentation d'expositions uniques à des fins de divertissement et d'éducation.

Grâce à des reconstitutions grandeur nature, des environnements immersifs, du contenu engageant et des objets et artefacts uniques en leur genre, nos expositions offrent aux visiteurs des expériences inoubliables à partager en famille et entre amis. Chaque expérience d'exposition invite les visiteurs à participer, à apprécier, à chérir et à se souvenir. »

Leur travail de conservation sur les objets qu’ils ont pu récupérer sur le site du naufrage du Titanic est une série de prouesses techniques (la science qu’ils appliquent sur des documents récupérés est tout simplement époustouflante ; il s’agit bien évidemment de science, mais c’est tellement extraordinaire qu’on pourrait presque croire à de la magie). 

 



 

 

Entre la série de vidéos de M. Miller (Le Titanic et autres catastrophes) sur le naufrage du Titanic, quelques vidéos sur le sujet (mais toujours pas Titanic, malgré la géniale Kate Winslet) et cette rencontre avec la présidente, Mme Jessica Sanders, la directrice des collections, Mme Tomasina Ray, et le directeur du développement commercial, M. Gautham Chandna, même si le Titanic n’est pas du tout dans nos sujets de recherche habituels, nous avons décidé d’écrire un article sur le sujet.

Nous vous parlerons de cet incroyable navire, de son naufrage, des survivants et de l’épave ; ce sera : « L’iceberg, le boulanger et l’alligator ».

Nous avons commencé nos recherches, mais le sujet est si vaste (les témoignages des survivants, interrogés en Grande-Bretagne et aux États-Unis représentent des milliers de pages à eux seuls) qu’il nous faudra un peu de temps afin de vous livrer une histoire qui vous apportera un maximum d’éléments sur le sujet.

Les horreurs de l'Histoire : les filles de Julienne de Fontevrault

Les horreurs de l’HistoireChroniques de parents indignes serait aussi un bon titre.

L’histoire que nous allons vous raconter ne fait pas partie de nos périodes historiques de prédilection. En fait, nous regardions un documentaire sur les techniques de torture au Moyen Âge (moitié informations historiques utiles, moitié inspiration pour notre incarnation littéraire) quand l’algorithme du site nous a proposé une vidéo plus générale sur la même période. C’est une petite phrase presque anodine de cette vidéo qui nous a lancée sur la présente recherche – et nous a fait replonger en latin (heureusement que le latin d’église n’est pas du Cicéron ou du Catulle !).

L’historien que nous écoutions parlait des châtiments au Moyen Âge quand il mentionna les petites-filles d’Henri Ier Beauclerc (1068 ? – 1er décembre 1135), roi d’Angleterre, qui furent mutilées parce que leur père avait lui-même mutilé un otage qui lui avait été confié par le roi ; cette justice réparatrice sous le signe du talion éveilla notre curiosité.

Afin de retrouver les petites-filles, il faut savoir quel enfant du roi d’Angleterre leur donna naissance et il nous fallut faire une plongée dans l’histoire d’Henri Beauclerc : ce quatrième fils de Guillaume le Bâtard[1] (1027 ? – 1087) n’aurait jamais dû être roi. Guillaume avait légué l’Angleterre à son second fils, Guillaume II, dit le Roux (1060 ? – 1100) et la Normandie à son fils aîné, Robert Courteheuse (1051 ? – 1106). Henri obtint le Cotentin de Robert, mais il le perdit et s’allia alors avec Guillaume contre Robert. Le hasard voulut qu’Henri soit présent lors de l’accident[2] de chasse qui coûta la vie à Guillaume II. Robert était en croisade depuis 1096, Guillaume II n’avait aucun héritier et donc Henri se fit couronner roi d’Angleterre trois jours après la mort de son frère[3].

D’ailleurs, en parlant d’enfants… Si Guillaume, qui ne s’était jamais marié, n’avait même pas d’enfant illégitime, Henri Beauclerc semble avoir été le genre d’homme à faire des projets au moindre mouvement de jupons. Il eut deux épouses légitimes (deux ou trois enfants avec la première, Mathilde d’Écosse (1080 – 1er mai 1118) qui fut une excellente reine, mais aucun avec la seconde, Adélaïde de Louvain (1103 ? – 1151), qui fut beaucoup moins impliquée dans les affaires du royaume), mais aussi des maîtresses royales et des concubines. Le nombre exact d’enfants illégitimes qu’il eut avec des dames plus ou moins nobles reste inconnu – inconnu, mais très élevé à en juger par le nombre de ceux qui nous sont connus (environ vingt-cinq enfants légitimés).

C’est une fille d’Henri Beauclerc qui fut la mère des deux malheureuses qui furent mutilés : Julienne. Le nom de la propre mère de cette fille illégitime est incertain et le nom des deux filles nous est également inconnu. En fait, les sources anglaises ont un peu plus d’informations sur Julienne ; en anglais, elle est appelée Juliane, ou Juliana, de Fontevrault, parce qu’elle se retira dans cette abbaye à la fin de sa vie et sa mère, concubine d’Henri, s’appelait peut-être Ansfride. Julienne, toujours selon ces sources, a dû naître vers 1090 et mourir après 1136. En 1103, Julienne fut mariée au seigneur de Pacy, Breteuil et Pont-Saint-Pierre, Eustache de Breteuil (Eustace de Pacy pour les Anglais) qui avait trente ans de plus qu’elle. Ils eurent au moins deux filles et deux fils (Guillaume et Roger). La plupart des historiens pense que les fils sont nés vers 1116 et 1118, mais l’année de naissance des filles est encore une fois incertaine – cependant, il serait logique de placer ces naissances entre 1103 et 1115 (les filles n’étaient pas jumelles et comme la mutilation eut lieu en 1119, elles étaient nées avant leurs frères).

La meilleure source afin de savoir ce qui s’est passé est dans le récit historique du moine Orderic Vital (1075-1143 ?). Voici ce qu’il nous raconte dans son Historia Ecclesiastica, tome III, Livre XII (dans le tome 188 du Patrologiae cursus completus publié en 1855, pp. 858-859) :

In eodem anno [1119] Eustachius de Britolio, gener regis, crebro commonitus fuit a contribulibus et consanguineis ut a rege recederet, nisi ipse turrim Ibreii, quae antecessorum ejus fuerat, ei redderet. Rex autem ad praesens in hoc ei acquiescere distulit ; sed in futuro promisit, et blandis eum verbis redimendo pacificavit. Et quia discordiam ejus habere nolebat, qui de potentioribus Neustriae proceribus erat, et amicis, hominibusque stipatus, firmissimas munitiones habebat, ut securiorem sibi et fideliorem faceret, filium Radulfi Harenc, qui turrim custodiebat, ei obsidem tradidit, et ab eo duas filias ipsius, neptes videlicet suas, versa vice obsides accepit. Porro Eustachius susceptum obsidem male tractavit. Nam consilio Amalrici de Monteforti qui augmenta malitiae callide machinabatur, qui Eustachio multa sub fide pollicitus est quae non implevit, pueri oculos eruit, et patri, qui probissimus miles erat, misit. Unde pater iratus ad regem venit, et infortunium filii sui nuntiavit. Rex vero vehementer inde doluit ; pro qua re duas neptes suas ad vindictam in praesenti faciendam ei contradidit. Radulfus autem Harenc Eustachii filias permissu regis irati accepit, et earum oculos in ultionem filii sui crudeliter effodit, nariumque summitates truncavit. Innocens itaque infantia parentum nefas, proh dolor ! miserabiliter luit, et utrobique genitorum affectus deformitatem sobolis cum detrimento luxit. Denique Radulphus, a rege confortatus et muneribus honoratus, ad Ibreii turrim conservandam remeavit, et talionem regia severitate repensum filiabus ejus Eustachio nuntiari fecit.                                           

Comperta vero filiarum orbitate, pater cum matre nimis indoluit, et castella sua, Liram et Gloz, Pontemque Sancti Petri et Paccium munivit ; et ne rex, seu fideles ejus in illa intrarent, diligenter obturavit, Julianam autem, uxorem suam quae regis ex pellice filia erat, Britolium misit, eique ad servandum oppidum necessarios milites associavit.                                                               

          Porro burgenses, quia regi fideles erant, nec illum aliquatenus offendere volebant, ut Julianae adventum pluribus nociturum intellexerunt, protinus regi ut Britolium properanter veniret, mandaverunt. Providus rex, illud recolens ab audaci curione Caesari dictum, in belli negotiis :

Tolle moras : semper nocuit differre paratis,

(Lucian I, 281)

auditis burgensium legationibus, Britolium concitus venit, et portis ei gratanter apertis in villam intravit. Deinde fidelibus incolis pro fidei devotione gratias egit, et ne sui milites aliquid ibi raperent prohibuit, municipiumque, in quo procax filia ejus occluserat, obsedit. Tunc illa undique anxia fuit, et quid ageret nescivit ; pro certo cognoscens patrem suum sibi nimis iratum illuc advenisse, et obsidionem circa castellum positam sine tropaeo non dimissurum fore, tandem, sicut Salomon ait : Non est malitia super malitiam mulieris (Eccli. XXV, 26), manum suam in christum Domini mittere praecogitavit. Unde loqui cum patre fraudulenter petivit. Rex autem, tantae fraudis feminae nescius, ad colloquium venit, quem infausta soboles interficere voluit. Nam balistam tetendit, et sagittam ad patrem traxit ; sed, protegente Deo, non laesit.          

Unde rex illico destrui pontem castelli fecit, ne ingrederetur aliquis vel egrederetur. Videns itaque Juliana se undique circumvallari, neminemque sibi adminiculari, regi castellum reddidit ; sed ab eo liberum nullatenus exitum adipisci potuit. Regio nempe jussu coacta, sine ponte et sustentamento de sublimi ruit, et nudis natibus usque in profundum fossati cum ignominia descendit. Hoc nimirum in capite Quadragesimae, in tertia septimana Februarii contigit, dum fossa castelli brumalibus aquis plena redundavit, et unda nimio gelu constricta tenerae carni lapsae mulieris ingens frigus jure subministravit. Infausta bellatrix inde ut potuit cum dedecore exivit, ac ad maritum suum, qui Paceio degebat, remeavit, eique tristis eventus verax nuntium enodavit. Rex burgenses convocavit, de fidelitate conservata laudavit, promissis et beneficiis honoravit, et eorum consilio castrum Brilolii tutandum commendavit.

Dans le cours de la même année [1119], Eustache de Breteuil, gendre du roi, fut encouragé par ses compatriotes et sa famille à se désolidariser du roi si ce dernier ne lui rendait pas la tour d’Ivry qui avait appartenu à ses ancêtres. Cependant, le roi ne lui donna pas immédiatement satisfaction ; mais il lui promit qu’il la lui rendrait un jour et il l’apaisa grâce à des paroles flatteuses. Puisqu’il ne pouvait se permettre d’avoir Eustache contre lui, parce qu’il était un des plus puissants seigneurs de Normandie, qu’il avait beaucoup d’amis et de vassaux, et possédait de solides places fortes, il lui donna en otage, afin de garantir la paix et sa fidélité, le fils de Raoul Harenc, qui gardait la tour d’Ivry ; en échange, ce dernier reçut d’Eustache ses deux filles, qui étaient les petites-filles du roi. Cependant Eustache ne se comporta pas bien à l’égard de l’otage qu’il avait reçu. Car, sur les conseils d’Amauri de Montfort, qui ourdissait des trames des plus perverses, et qui avait fait à Eustache sous la foi du serment, beaucoup de promesses qu’il ne tint pas, il énucléa l’enfant et le renvoya à son père qui était un chevalier des plus loyaux. Le père, alors furieux de cette action, alla trouver le roi, et lui raconta les malheurs de son fils. Le roi en fut grandement affligé et livra ses deux petites-filles à Raoul afin qu’il puisse immédiatement se venger. Alors, Raoul Harenc, avec la permission du roi furibond, prit les filles d’Eustache, et, pour venger son fils, les énucléa cruellement à leur tour et leur coupa le bout du nez. Hélas ! des enfants innocentes expièrent misérablement le crime de leur père, et dans les deux familles l’affection parentale eut à regretter la mutilation de leurs enfants. Ensuite Raoul, consolé par le roi et honoré par des présents, retourna à la tour d’Ivry qui restait sous son autorité et fit annoncer à Eustache le talion que la sévérité royale avait exercé sur ses filles.               

Quand ils apprirent le sort de leurs filles, le père et la mère furent dévastés. Eustache fortifia ses châteaux de Lire, Glos, Pont-Saint-Pierre et Pacy et en ferma soigneusement l’accès, afin que le roi ou ses partisans n’y pussent entrer ; il envoya à Breteuil sa femme Julienne, qui était fille du roi et d’une courtisane, et lui donna les troupes nécessaires pour garder cette place.                

Les habitants, qui étaient fidèles au roi et ne voulaient l’offenser en rien, ayant compris que l’arrivée de Julienne pourrait être funeste à beaucoup de monde, envoyèrent aussitôt un message au roi l’invitant à venir au plus vite à Breteuil. Ce prudent souverain se rappela ce que l’audacieux Curion dit à César au sujet des affaires militaires :

Ne souffrez aucun délai ; il est toujours néfaste de tarder si on est prêt,

Lucien, Phalaris, I, 281)

ayant entendu les envoyés des Bretoliens, il se rendit bien vite auprès d’eux et, les portes lui ayant été ouvertes avec joie, il entra dans la ville. Ensuite, il rendit grâce aux fidèles habitants pour leur dévouement, défendit à ses soldats de prendre aucune chose, et assiégea la citadelle dans laquelle son impudente fille s’était enfermée. Alors elle éprouva de grandes inquiétudes de toutes parts et ne sut ce qu’elle devait faire – bien évidemment, comprenant que son père venait d’arriver fort courroucé, et qu’il n’abandonnerait jamais le siège qu’il avait mis autour du château avant d’avoir obtenu la victoire. Mais, comme dit Salomon : « Il n’y a pas de méchanceté au-dessus de la méchanceté de la femme, » (Ecclés. XXV, 26)  elle eut l’idée de mettre la main sur l’oint du Seigneur. En conséquence, elle demanda traîtreusement un entretien avec son père. Le roi, qui ne se doutait pas de tant de perfidie chez une femme, se rendit à l’entrevue où sa sinistre descendante voulait le faire périr. Elle tendit une arbalète et envoya un carreau vers son père, mais, sous la protection de Dieu, il ne fut pas atteint.                                        

C’est pourquoi le roi fit immédiatement détruire le pont du château, afin que personne ne puisse y entrer ou en sortir. Julienne, voyant qu’elle était complètement encerclée et que personne ne la secourait, rendit le château au roi, mais elle ne put obtenir de lui de sortir libre. D’après l’ordre du Roi, elle fut forcée de se laisser glisser du haut des murs sans pont et sans soutien, et descendit honteusement,  fesses nues, jusqu’au fond du fossé. Cela arriva au commencement du Carême, dans la troisième semaine de février, lorsque les douves du château étaient remplies des eaux de la fonte des neiges et que le gel qui les glaçait refroidissait justement, d’une manière cruelle, la chair délicate de cette femme, qui y plongea dans sa chute. Cette malheureuse guerrière s’en extirpa tant bien que mal, mais couverte de honte, et rejoignit son mari qui se trouvait à Pacy, et lui raconta honnêtement ce triste événement. Le roi convoqua les habitants, les loua beaucoup de lui être restés fidèles, les honora par des promesses et des bienfaits, et, sur leur recommandation, confia la garde du château de Breteuil à Guillaume, fils de Raoul.

Quelques mois plus tard, voici ce qui arriva selon le récit de Vital dans son Historia Ecclesiastica, tome III, Livre XII (dans le tome 188 du Patrologiae cursus completus publié en 1855, p. 882) :

Porro Eustachius et Juliana, uxor ejus, cum amicis consiliati sunt, et ad obsidionem, amicorum instinctu, properaverunt, nudisque pedibus ingressi tentorum regis ad pedes corruerunt. Quibus repente rex ait : « Cur super me sine meo conductu introire ausi estis, quem tot tantisque injuriis exacerbastis ?» Cui Eustachius respondit : « Tu meus es naturalis dominus. Ad te ergo, dominum meum, venio securus, servitium meum tibi fideliter exhibiturus, et rectitudinem pro erratibus, secundum examen pietatis tuae, per omnia facturus.» Amici pro genero regis supplicantes adfuerunt. Richardus quoque, filius regis, pro sorore sua supplex accessit. Clementia vero cor regis ad generum et filiam emollivit, et benigniter reflexit. Mitigatus itaque socer genero dixit : « Juliana revertatur Paceium, et tu mecum venies Rothomagum, ibique meum audies placitum. » Nec mora jussio regis completa est, et rex Eustachio sic locutus est : « Propter honorem Britolii quem Radulfo Britoni, cognato tuo, dedi, quem fidelem et probissimum in necessitatibus meis contra hostes comprobavi, in Anglia tibi per singulos annos recompensabo CCC marcos argenti. » Post haec praefatus heros in pace zetis et muris Paceium munivit, multisque divitiis abundans, plus quam XX annis vixit. Porro Julianae post aliquot annos lascivam quam duxerat vitam, habitumque mutavit, et sanctimonialis in novo Fontis-Ebraldi coenobio facta, Domino Deo servivit.

Ensuite Eustache et Julienne, sa femme, consultèrent leurs amis et sur leur conseil se rendirent au siège en toute hâte ; ils entrèrent pieds nus dans la tente du Roi et se jetèrent à ses  pieds.  Henri  leur  reprocha  aussitôt  : « Pourquoi vous êtes-vous permis, sans mon sauf-conduit, de vous introduire auprès de moi, que vous avez aigri par tant et de si grands outrages ? » Ce à quoi Eustache répondit : « Vous êtes mon suzerain. Je me présente donc à vous, mon seigneur, sans crainte, disposé que je suis à vous rendre fidèlement mes services, et prêt à vous satisfaire en toutes choses pour mes fautes selon la décision de votre bonté. » Quelques amis intervinrent pour supplier le roi en faveur de son gendre. De même, Richard, fils d’Henri, plaida pour sa sœur. La clémence attendrit le cœur du monarque en faveur de son gendre et de sa fille, et le fléchit avec bonté. En conséquence, le beau-père adouci dit à son gendre : « Que Julienne retourne à Pacy; vous viendrez à Rouen avec moi, et là je vous annoncerai ma décision. » L’ordre du Roi fut exécuté aussitôt ; puis il parla à Eustache en ces termes : « Afin de vous dédommager du fief de Breteuil, dont j’ai fait don à votre beau-frère, Raoul-le-Breton, que j’ai toujours trouvé, à mon besoin, fidèle et brave contre mes ennemis, je vous donnerai trois cents marcs d’argent en Angleterre chaque année. » Ensuite ce chevalier fortifia tranquillement Pacy de retranchements et de murs, et, comblé de richesses, vécut encore plus de vingt ans. Quant à Julienne, au bout de quelques années, elle renonça à la vie lascive qu’elle avait menée et changea de conduite ; elle devint religieuse dans le nouveau couvent de Fontevrault et servit notre seigneur Dieu.

À l’époque, il n’est pas surprenant qu’un roi ait décidé, pour des raisons d’honneur et de maintien de la paix, d’autoriser un vassal à se venger, mais les règles du talion étaient aussi claires que dans l’Ancien Testament où, d’un livre à l’autre, les punitions et recommandations varient du tout au tout : « Si quelqu’un blesse son prochain, il lui sera fait comme il a fait : fracture pour fracture, œil pour œil, dent pour dent » (Lévitique, XXIV, 19-20) et « Tu ne te vengeras point, et tu ne garderas point de rancune contre les enfants de ton peuple. Tu aimeras ton prochain comme toi-même. » (Lévitique, XIX, 18) ou encore « Tu ne jetteras aucun regard de pitié : œil pour œil, dent pour dent, main pour main, pied pour pied. » (Deutéronome, XIX, 21) et « On ne fera point mourir les pères pour les enfants, et l’on ne fera point mourir les enfants pour les pères ; on fera mourir chacun pour son péché. » (Deutéronome, XXIV, 16). Bref, les rédacteurs de ces textes auraient sacrément[4] eu besoin d’un éditeur afin de les débarrasser des contradictions évidentes. Remarquez, les recommandations du Nouveau Testament semblent plutôt limpides : « Vous avez appris qu’il a été dit : « œil pour œil et dent pour dent ». Mais moi, je vous dis de ne pas résister au méchant. Si quelqu’un te frappe sur la joue droite, présente-lui aussi l’autre. » (Matthieu, V, 38-39), mais certains trouvaient le moyen d’ignorer cette injonction – après tout, Matthieu fait dire à Jésus, quelques lignes auparavant (V, 17) qu’il n’a pas pour but d’abolir les lois de l’Ancien Testament (et donc les Évangélistes auraient, eux-aussi, eu besoin d’éditeurs !).

Bref, un échange d’otages était chose commune et les filles de Julienne étaient celles qui avaient été offertes en échange du fils de Raoul Harenc, mais le roi n’aurait-il pas pu livrer Eustache à Raoul ? Ou même faire payer l’ignoble Amauri de Montfort si c’était lui qui avait eu l’immonde idée de pousser cet imbécile d’Eustache à mutiler un enfant, simplement parce que son père était le gardien d’un bien qu’Eustache convoitait ? Le roi aurait aussi pu dépouiller Eustache de tous ses biens et les donner à Raoul ou au jeune mutilé, mais… non. Raoul fit arracher les yeux des deux filles (qui avaient peut-être entre seize et cinq ans) et leur fit couper le bout du nez à toutes deux.

Si cette histoire ne fut pas rédigée par Vital uniquement afin de faire voir au monde qu’Henri Beauclerc faisait régner l’ordre, même si la chair de sa chair devait être meurtrie, Henri était un père (et un grand-père) aussi indigne qu’Eustache de Breteuil qui avait eu l’arrogance de penser que le roi ne livrerait pas ses propres petites-filles au courroux du père de l’enfant qu’il avait mutilé.

Raoul Harenc ne vaut pas mieux qu’Amauri, Eustache et Henri : au lieu de demander le châtiment de celui qui était effectivement coupable, il se venge sur deux filles et comme si l’énucléation ne signait pas la mort sociale des filles de Julienne, il leur fit aussi couper le bout du nez. Pourquoi pas le marquage au fer sur le front ou l’arrachage des dents ? Quitte à les humilier, allons-y gaiement.

Ces messieurs ont sauvé les apparences, mais seuls les trois enfants (ou adolescents) ont souffert.

Nous sommes loin d’avoir tous les détails, mais la réaction la plus saine, même si nombre d’historiens la traite de traîtresse, est peut-être celle de Julienne. Mariée à un homme qui avait trente ans de plus qu’elle et qui fut assez stupide pour mettre en danger leurs deux filles, Julienne, même si elle était fille du roi d’Angleterre, n’avait aucune possibilité d’indépendance à l'époque.

Pour les hommes du temps, le sort des filles de Julienne était juste et parfaitement normal, mais en tant que mère, elle ne pouvait quitter Eustache, qui se repentit peut-être sincèrement de sa bourde stratégique qui causa la mutilation de leurs filles, mais elle était en droit d’en vouloir à son père d’avoir autorisé la double mutilation de deux innocentes. Elle aurait peut-être préféré tout perdre et être condamnée à l’exil si elle avait pu s’enfuir avec quatre enfants en pleine santé. Comment alors s’étonner que Julienne ait tenté de tuer son père ? Le choix d’une arbalète fut maladroit, puisqu’elle manqua sa cible, mais la logistique du tir dut être trop compliquée. Quitte à l’abattre, il aurait mieux valu une flèche perdue, comme lors de la chasse où Guillaume II perdit la vie, mais elle devait vouloir venger ses filles elle-même (si elle s’était entraînée à tirer, nul doute qu’Henri aurait été prévenu par un des hommes du château et c’est la raison pour laquelle on devrait apprendre aux femmes à tirer dès leur plus jeune âge).

La bêtise d’Eustache n’est pas dénoncée par Orderic Vital. En revanche, notre chroniqueur s’en donne à cœur joie contre Julienne : sa sortie du château fut une honte et il la rendit ridicule, mais elle parvint à descendre le mur de la citadelle sans aide, à s’extirper des douves glaciales et à s’enfuir alors que des soldats avaient admirés sa face arrière alors qu’elle s’évadait.

Quelques mois après la mutilation de ses filles, Julienne fut traînée par Eustache auprès du roi afin de faire amende honorable. Henri Beauclerc leur pardonna, mais Julienne fut renvoyée à Breteuil, tandis qu’Eustache restait avec le roi. Vital nous dit qu’après la mort d’Eustache en 1123, Julienne renonça à sa vie lascive et entra au couvent… Elle décida peut-être de fuir le monde des hommes où des adultes mutilent des enfants quand ils n’ont pas le courage de se battre entre eux. D’ailleurs, certains disent qu’elle entra au couvent avec ses filles (sans yeux et sans nez, même une dot royale ne leur aurait pas trouvé d’époux).

 

Nous pourrions nous dire que c’est une histoire de 1119, mais en 2024, nous avons toujours des parents indignes qui mutilent ou tuent leurs enfants (ou ceux des autres) lorsque ceux-ci ne font pas ce qu’ils souhaitent. Et ne parlons pas des enfants qui sont toujours vendus ou mariés afin de satisfaire les intérêts de leurs pères[5] – et nous n’oublierons pas les mères qui autorisent la mutilation de leurs enfants.

En conclusion, nous avons des ordinateurs, le Wifi et des satellites, mais la protection de nos enfants, à l’échelle planétaire, n’est pas vraiment meilleure aujourd’hui. C’est ce qui continuera d’arriver tant que notre espèce ne comprendra pas que tous les enfants sont nos enfants et qu’il faut tous les aimer, les protéger et les éduquer au mieux (sans oublier le tir à l’arbalète).


 



[1] : Aujourd’hui le Conquérant – c’est quand même curieux ce que l’annexion d’un pays peut faire afin d’améliorer un surnom.

[2] : Une flèche en plein cœur était l’équivalent d’une balle perdue à l’époque, sans doute.

[3] : Le roi est mort. Vive le roi !

[4] : Assez moyen comme jeu de mot, mais… comment résister ?

[5] : Savez-vous que le mariage d’enfants mineures à des adultes, qui parfois les ont violées, est toujours légal dans certains pays ? Certains pays comme… les États-Unis d’Amérique. Quelle est belle notre planète !