Chers Lecteurs,
Nos recherches sur le Titanic nous ont fait écrire un article terriblement long.
Nous allons donc vous le proposer en épisodes.
Bonne lecture !
Chers Lecteurs,
Nos recherches sur le Titanic nous ont fait écrire un article terriblement long.
Nous allons donc vous le proposer en épisodes.
Bonne lecture !
Une fois n’est pas coutume – nous n’avons (pas encore) vu l’exposition dont nous allons vous parler.
Après les expositions à Paris et Bruxelles (que nous
avons malheureusement ratées à cause de plannings qui ne concordaient pas),
Titanic – L’exposition va être à Lausanne du 27 septembre 2024 au 26 janvier 2025 :
Vous trouverez toutes les informations nécessaires pour vous y rendre sur ce site.
Notre article (pas le précédent sur la photo de l’iceberg, mais celui que nous vous avions annoncé et qui parlera de plusieurs aspects de l’histoire du Titanic), « L’Iceberg, le boulanger et l’alligator » (l’alligator faisant référence à un sac qui a été sauvé par RMS Titanic, Inc. qui est la compagnie qui a le droit de récupérer les objets du Titanic dans le seul but de les préserver) devrait être publié la semaine prochaine – une fois de plus, ce que nous envisagions comme un petit article a tourné au roman fleuve.
Le 14 avril 1912, à 23h40, en plein océan Atlantique (41° 46′ N et 50° 14′ O), le RMS Titanic ne put éviter d’entrer en collision avec un iceberg.
À 2h20, le navire sombrait et, comme il n’y avait pas assez de canots de sauvetage pour tous, on estime qu’il y eut environ 1 500 victimes (les enquêteurs américains et britanniques n’arrivèrent pas aux mêmes chiffres).
Vers 4h, le Carpathia qui avait vogué vers le Titanic à pleine vitesse, battant même son propre record parce que le capitaine, Arthur Rostron (1869-1940), avait ordonné de couper le chauffage pour l’eau chaude et le chauffage sur le navire afin de pouvoir utiliser toute la vapeur des machines (la vitesse de croisière maximale du Carpathia était de 14 nœuds, mais il poussa les machines jusqu’à plus de 17 nœuds), arriva aux premiers canots de sauvetage qui contenaient les 712 survivants.
Des photos des canots et des survivants furent prises par les passagers du Carpathia, mais une photo prise par l’Autrichien Stephan Rehorek ( ?-1935) à bord du Bremen, un navire allemand qui traversa le champ de glaces où le navire coula, nous montre peut-être l’iceberg qui causa la perte du Titanic :
Photo de l’iceberg
prise par Rehorek
La photo fut retrouvée en 2000, comme l’explique le
journaliste Henning Pfeifer dans un article.
Sans point de référence et avec une photo qui est loin d’être en haute définition, on ne peut affirmer qu’il s’agit bien du coupable, mais Rehorek écrivit à ses parents en mentionnant les corps et débris du Titanic dans le secteur de cet iceberg et l’iceberg de la photo semble porter des traces de collision, mais il pourrait s’agir de dégâts naturels causés par la fonte des glaces. Cependant, il est troublant de constater que la forme de cet iceberg correspond à celle qui fut décrite par les membres de l’équipage qui le décrivirent aux commissions d’enquête.
Est-ce la photo du coupable ? C’est possible.
Jusqu’au 20 octobre 2024, vous pouvez aller visiter une petite – mais très riche – exposition sur le trésor d’Oignies.
Le musée nous apprend qu’il « présente un trésor classé parmi les sept merveilles de Belgique, le trésor d’Oignies.
Ce dernier est
associé à l’histoire du prieuré Saint-Nicolas d’Oignies, devenu célèbre grâce à
la bienheureuse Marie d’Oignies, mystique encore vénérée aujourd’hui, et à
Jacques de Vitry, brillant prédicateur et un temps évêque d’Acre en Terre
Sainte, principal mécène du prieuré et pourvoyeur de reliques et de pierres
précieuses.
Le prieuré fut au XIIIe siècle un important foyer de création
d’objets d’orfèvrerie, sous l’égide d’Hugo de Walcourt, dit Hugo d’Oignies.
Parmi la
cinquantaine d’objets du trésor, une trentaine pouvant voyager va être exposée
au musée de Cluny : des pièces d’orfèvrerie (surtout des reliquaires) et
quelques textiles. Ce prestigieux trésor sortira pour la première fois dans sa
presque intégralité du territoire belge, cent ans après une présentation
partielle de trois pièces au musée du Louvre en 1924.
L’exposition permettra de raconter l’histoire du prieuré d’Oignies et de ses
protagonistes, et constituera un éclairage sur la production orfévrée d’Hugo d’
Oignies et de son atelier. »
Il y a des très, très jolies pièces :
et vous pourriez peut-être profiter des Journées du patrimoine (samedi 21 et dimanche 22 septembre) afin d'aller admirer ces merveilles.
Vous trouverez toutes les informations nécessaires sur le site du musée.
Jusqu’au 22 septembre 2024, si vous avez des enfants (les vôtres ou des loupiauds de votre entourage) et que vous vous trouvez à Bayeux, vous pouvez leur faire visiter une petite exposition « Jeunesse et résistance » afin de les familiariser au sujet (s’il ne le sont pas déjà) avant de leur faire visiter le musée mémorial de la bataille de Normandie.
Si
vous habitez Bayeux, vous pouvez bénéficier de la « carte
ambassadeur » afin de visiter les trois musées de la ville gratuitement
(disponible au musée d’art et d’histoire baron Gérard sur présentation d’une pièce d’identité et d’un justificatif de domicile de moins
de trois mois), mais si vous n’êtes que de passage, il existe un « pass
Bayeux Museum » : pour 14€, vous avez accès à deux des trois musées
(combinaison au choix) et, pour 16€, vous pouvez visiter les trois musées – et
le billet reste valable un an à partir de la date d’émission du billet. Si vous
souhaitez plus d’informations pratiques, vous pouvez consulter cette page.
Le musée de la bataille de Normandie est un peu plus éloigné du centre ville, mais le musée de la tapisserie de Bayeux (c’est une broderie, nom d’un point de Bayeux[1] !), la cathédrale et le musée d’art et d’histoire baron Gérard (sans oublier le cœur historique de la ville) sont seulement à quelques pas les uns des autres.
Si vous voulez être pratique et que vous n’êtes que de passage et êtes arrivé en train, le musée de la tapisserie (broderie !) est le plus proche de la gare.
Même en ayant pris le premier train, comme les horaires des cars de la région Normandie sont modifiés en été et que nous avons fait un saut à Arromanches-lès-Bains (nous aurions dû y être le 6 juin 2024 si les restrictions de circulation ce jour-là ne nous avaient pas forcée à changer nos billets), nous ne savons pas s’il y a beaucoup de visiteurs pour admirer la tapisserie (broderie !) le matin, mais évitez l’heure du déjeuner.
Avec les horaires de cars normaux, il faudrait peut-être tenter la visite du musée de la tapisserie dès votre arrivée :
Il y avait bien des visiteurs à 12h51 (nous remercions les métadonnées de notre photo), mais le récit en fils et toile de la conquête de l’Angleterre par Guillaume le Bâtard (1027-1087) est fascinant et nous avons droit à une représentation fascinante de la comète de Halley (entre autres trésors) :
L’histoire de cette œuvre est extraordinaire : nous savons peu de choses sur sa création, mais elle résiste depuis des siècles (les teintures d’origine des fils sont meilleures que celles des fils utilisés pour quelques restaurations au XIXe siècle) ; nous avons failli la perdre à plusieurs reprises (pendant la Révolution, pendant la Seconde guerre mondiale…).
La broderie s’admire assez rapidement (les explications de l’audioguide sont intéressantes, mais si vous avez la chance de lire le latin, le texte qui accompagne les illustrations ajoute un petit quelque chose).
Ensuite, un saut à Arromanches, adorable petite ville qui se trouve dans la zone des plages du débarquement du 6 juin 1944 sur le secteur appelé « Gold Beach » nous semble une excellente idée. Non seulement les quelques kilomètres entre Bayeux et Arromanches offrent de superbes paysages, mais la plage d’Arromanches n’est pas qu’un vestige du « Mulberry B », le port Winston Churchill – certes cette plage est historique, mais c’est une magnifique plage normande (ne faites pas comme nous et n’oubliez pas votre maillot de bain) :
De retour à Bayeux, il vous reste à aller visiter la cathédrale :
L’édifice roman fut consacrée par le demi-frère de Guillaume (désormais le Conquérant), Odon de Conteville (1036-1097) le 14 juillet 1077. La cathédrale Notre-Dame se transforma en bâtiment gothique à partir de 1204 et elle compte des éléments de gothique premier, rayonnant et flamboyant, ce qui en fait une petite merveille architecturale. Elle fut une victime des guerres de religion et certains éléments furent détruits en 1562.
Dans les siècles suivants, des aménagements vinrent enrichir la cathédrale – en fait, les architectes considèrent qu’elle fut véritablement achevée avec la construction des trois tours qui avaient été souhaitée par les architectes en charge des transformations gothiques au XIIIe siècle qui n’eut lieu qu’au milieu du XIXe siècle.
La cathédrale évolue encore, puisque des vitraux modernes ont été ajouté à l’édifice (ils sont visibles sur la gauche de notre photo) :
Les soldats alliés tombés en 1944 ne sont pas non plus oubliés ; les couronnes de coquelicots sont accompagnées de messages émouvants.
En sortant de la cathédrale, tournez à droite et allez visiter le musée d’art et d’histoire baron Gérard. Le musée est proche de la cathédrale pour une excellente raison : c’est l’ancien palais épiscopal. À présent, le musée retrace l’Histoire de la préhistoire à aujourd’hui.
Nous avons été forcée de sourire en croisant notre troisième buste – un marbre et stuc du XVIe siècle réalisé d’après un portrait antique – de l’empereur Hadrien (76-138) en deux mois :
Le musée a la chance de posséder une toile de Constance Mayer La Martinière (1778-1821), peintre au destin tragique, Phrosine et Mélidor (elle s’était basée sur un dessin de Pierre-Paul Prud’hon, l’imbécile qui provoqua la mort de Mayer[2]) :
Une partie du musée est consacrée à la porcelaine de Bayeux et une autre à la dentelle de Bayeux :
L’histoire du bâtiment lui-même reste présente car la salle des audiences de l’évêque qui fut transformée en tribunal d’instance (de 1793 à 1987) se visite[3],
Ce musée possède des merveilles classiques et contemporaines.
Conclusion, si vous passez par Bayeux, explorez la ville, papotez avec les habitants (nous avons rencontré d’adorables Normandes) et faites un saut sur la côte (avec votre maillot de bain !).
[1] : Ce point bien particulier est décrit ici. https://www.bayeux-broderie.com/fr/content/10-point-de-bayeux La charmante petite boutique dont c’est le site se trouve à deux pas du musée.
[2] : Nous travaillons toujours à notre nouvelle biographie de Mayer et Prud’hon fut un ignoble ingrat à son égard. Nous avons pris la photo sur le site des musées nationaux car il y a une lampe près de la toile qui a laissé un joli reflet sur notre photo.
[3] : Nous avons emprunté la photo du site du musée parce que notre photo ne montre pas la forme des bancs (il faut se rendre à l’évidence, nous sommes trop petite).
Tout est histoire… mais aujourd’hui nous allons vous parler de traduction – de l’histoire contemporaine en quelque sorte.
Il arrive que certains concepts puissent permettre des équivalences entre certaines langues.
Il arrive que des expressions idiomatiques nous offrent des images bien particulières (notamment, le français « il tombe des hallebardes » devient « it’s raining cats and dogs (il pleut des chats et des chiens) » en anglais).
Bref, la traduction est tout un art qui nous fait nous arracher les cheveux ou nous permet de nous amuser comme des fous.
Parfois, nous pouvons avoir de curieuses surprises. Que voulons-nous dire ? Par exemple, en 2008, nous avions remarqué un film franco-italo-britannique sur l’histoire de Georgiana, duchesse du Devonshire (le Devon aujourd'hui) dont le titre The Duchess ne fut pas traduit lors de la sortie du film en France :
En revanche, ce film s’intitulait La Duchesse dans les salles québécoises.
Nous sommes donc en présence d’une décision de non traduction du titre du film et ce alors même que ce titre de noblesse existe en France et au Royaume-Uni.
Le
titre dans les salles françaises est surprenant, mais pas unique (après tout,
le film de science-fiction Alien (1979) ne fut pas traduit en Extra-terrestre
(Petit homme vert ? Créature de l’espace ?), mais
notons toutefois qu’on lui donna un sous-titre : Le 8ème
passager. Il est en revanche à noter que la compagnie Disney s'efforce de tout traduire (titres, dialogues et chansons) afin que la compréhension soit totale.
Pour ce qui est de The Duchess, nous sommes bien en présence d’un titre en anglais. Il est dommage qu’il n’y ait pas un adjectif pour accompagner le titre, car les règles qui régissent le majuscules étant différentes en français et en anglais, nous aurions pu savoir ce que souhaitait les producteurs du film : imaginons que le titre soit The Young Duchess en anglais (majuscule pour le premier mot, l’adjectif et le nom commun), nous aurions eu au Québec La Jeune duchesse et The Young duchess en France (majuscule pour l’article défini et le premier mot du titre selon les règles françaises).
Pour avoir travaillé dans le milieu cinématographique, nous savons qu’il est tout à fait possible qu’un producteur ait tout simplement décidé que The Duchess faisait plus exotique, plus vendeur.
Autre traduction, américaine cette fois, qui reflète notre présent : en 1924, les studios Metro Pictures et ceux de Samuel Goldwyn (1879-1974) et de Louis B. Mayer (1884-1957) fusionnèrent et la Metro-Goldwyn-Mayer (MGM) vit le jour.
Leur logo a un lion rugissant et le slogan « Ars gratia artis », qui est la traduction littérale en latin du français « l’art pour l’art » qui est en général attribué à Théophile Gautier (1811-1872) qui évoqua ce concept dans la préface de son roman de 1835, Mademoiselle de Maupin.
Ce n’est que récemment (nous n’avions peut-être pas visionné de films produits par la MGM depuis 2021, date du changement de logo et arrivée d’un lion créé par ordinateur – ou nous n’avions pas fait attention au logo, ce qui est possible) que nous avons remarqué que le latin du logo est brièvement traduit aujourd’hui :
En parlant de latin… Retour en
France, où une série, disponible sur la plateforme d’Amazon, Prime, s’appelle Those About to Die (basée sur le livre de Daniel P. Mannix (1911-1997) qui fut publié en 1958).
Les majuscules nous informent que le titre en anglais a été conservé
littéralement – parce que le monde entier comprend l’anglais, of course ! (Notre
point d’exclamation est français[1]. Notons aussi que la majuscule sur About est correcte en style AP, mais pas en style MLA.) Il y a toujours eu des langues qui servirent pour la communication entre les peuples (le grec, le français, l'anglais...), mais il y a toujours une partie de la population qui est laissée sur le bas-côté de la route - parce que la langue de communication ne lui est pas apprise ou parce qu'il ne faut pas oublier qu'apprendre une langue étrangère n'est pas à la portée de tout le monde (et se souvenir d'une langue étrangère demande une utilisation régulière, ce qui n'est pas non plus à la portée de tous).
Quitte à chercher la petite bête (mais c'est aussi notre autre métier), en français, on élide le « de » devant une voyelle, donc « Par le réalisateur de Independence Day » en haut de l'affiche de la série devrait être « Par le réalisateur d'Independence Day » et la règle vaut pour les h muets : « les poèmes d'Hugo » ou « la poule au pot d'Henri IV ».
Si nous avions été responsable de la promotion de cette série, le titre n’aurait pas été en anglais, ni même en français avec Ceux qui vont mourir. Non. Nous aurions traduit le titre en latin : Morituri. Il nous semble que « Ave Cæsar, morituri te salutant ! » devrait être plutôt connu ici[2].
Puisqu’un producteur aurait sans doute objecté qu’il y a plusieurs films qui s’appellent Morituri, nous aurions pu lui rétorquer que ce serait la première série avec ce titre. De plus, comme pour Alien, un sous-titre serait tours envisageable… quelque chose comme Vies de gladiateurs, Le Cirque de Rome ou même Les Jeux du cirque. Il y avait tant de possibilités. Ah, mais... d'ailleurs... Il y a un sous-titre : S'élever ou mourir. Donc, quelqu'un est parti du principe que le monde entier comprend l’anglais et on garde le titre d'origine. Le slogan de la MGM est peut-être Ars gratia artis, mais pour les producteurs frileux et sans la moindre imagination, c'est presque toujours « le profit, toujours le profit », mais surtout sans danger, ce qui explique que 99% des productions sont basées sur des ouvrages qui ont déjà fait leurs preuves auprès du public (si le lecteur a aimé, le spectateur sera au rendez-vous).
L’art pour l’art ? Ne rêvez pas trop. L’originalité fait trembler dans ses bottes le producteur de base.
L’art est mis de côté au profit du marketing et en comptant sur le profit à venir.
Alien tenait la route en titre de science-fiction, mais The Duchess et Those About to Die ne sont que du marketing.
Qui sait quelles surprises et merveilles nous aurions si les sesterces ne dominaient pas tout…
Allez ! Salve, Lector !
[1] : Petite note de rappel pour nos étudiants : en français, il faut un espace avant et après un signe double (« Quelle surprise ! »), mais pas en anglais (‘What a surprise!’). [Au passage, notez la différence dans les guillemets.]
[2] : Mes chers étudiants, préparez-vous pour un petit sondage amical à la rentrée.
- Delphes ?
- Non, Beaulieu-sur-Mer.
Cette œuvre n’est pas un bronze grec antique, mais une réplique en plâtre qui se trouve dans la bibliothèque de la magique et somptueuse Villa Kérylos. C’est l’une des copies d’œuvres classiques qui furent choisies par le propriétaire de la villa : Théodore Reinach (Saint-Germain-en-Laye, 3 juillet 1860 – Paris XVI, 28 octobre 1928).
Cet homme fut un extraordinaire polymathe : il remporta dix-neuf prix au Concours général, fut historien, numismate, musicologue, juriste et homme politique. Il s’installa à Beaulieu-sur-Mer où il fit construire entre 1902 et 1908 la Villa Kérylos, qui était la reconstitution d’un palais de la Grèce antique. Il travailla en étroite collaboration avec son architecte et décorateur, Élysée Emmanuel Pontremoli (Nice, 13 janvier 1865 – Paris VII, 22 juillet 1956), qui, en plus de la villa, créa une bonne partie des objets qui la parent.
Pontremoli était grand prix de Rome. Il visita l’Italie, l’Asie mineure et la Grèce, où il s’arrêta notamment à Delphes, tout comme Reinach qui fut présent lors de la découverte de l’Aurige.
En effet, si notre histoire finit à Beaulieu-sur-Mer, en revanche, elle commence à Delphes.
Elle commence à Delphes au Ve siècle avant notre ère. Ce bronze nous est parvenu par miracle ; de cette ère, il ne nous reste en tout que cinq grands bronzes, car la plupart des œuvres ont été fondues à diverses époques.
Ce qui rend l’ἡνίοχος (celui qui tient les rênes) exceptionnel – en plus d’avoir survécu grâce à un glissement de terrain à la suite du tremblement de terre de 373 avant notre ère qui l’a enseveli et donc protégé d’une fonte intempestive – c’est que nous avons une fourchette de dates pour sa création, ce qui est plus que rare, grâce à une inscription sur son socle.
Lors des jeux delphiques de 478 ou 474 avant JC, le Sicilien Polyzalos avait financé un char de course qui remporta l’épreuve. Ce qui est également fascinant, c’est que le texte du socle de la statue commémorant la victoire de Polyzalos fut corrigé ; la version initiale, en graphie de Syracuse d’après les hellénistes qui découvrirent cette œuvre, nous dit que « Polyzalos, maître de Géla, a dédié ce monument commémoratif (Μνᾶμα Πολύζαλος με Γέλας ἀνέθεκεν ἀνάσσον) » ; la correction, en écriture ionienne, cherche à faire oublier que Polyzalos était devenu le tyran de Géla à la suite de son aîné Hiéron, ancien tyran de Géla qui était devenu tyran de Syracuse à la mort de leur aîné Gélon, en déclarant que « Vainqueur grâce à ses chevaux, Polyzalos m'a consacré. Très honoré Apollon, fais prospérer ce fils de Déinoménès ! (Νικάσας ἵπποισι Πολύζαλός μ’ἀνέθηκεν / ὑιος Δεινομένεος, τόν ἄεξ’, εὐόνυμ’ Ἄπολλον) ». Soit Polyzalos a souhaité être plus humble afin de ne pas offenser Apollon, soit Hiéron exigea que son cadet ne fasse pas une offrande trop somptueuse.
Comme l’inscription est très abîmée, Théophile Homolle[1] avait des interrogations sur certains détails (Cf. Comptes rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, « Lettre relative à la statue de bronze découverte à Delphes » 40ᵉ année, N. 3, 1896. p. 187).
Une inscription trouvée près de l’ensemble, qui devait compter l’aurige, le char, quatre chevaux et deux lads, attribue peut-être cette œuvre au sculpteur Sotades. Certains associent cette œuvre à Pythagore de Samos.
L’ensemble de l’offrande fut enseveli à la suite d’un séisme et ce ne fut donc qu’en 1896 qu’elle fut déterrée.
Georges Radet[2], qui constituait à lui seul la promotion de l’École française d’Athènes de 1884, écrivit L’Histoire et l’œuvre de l’École française d’Athènes où il livre des informations précieuses sur la création, la vie et le fonctionnement de l’École française d’Athènes et où il relate la découverte de l’aurige ainsi : « A l'extrémité nord-ouest du sanctuaire, Bourguet et Fournier, du 28 avril au 7 mai[3], trouvèrent mieux encore. En contre-bas du théâtre, entre la façade extérieure du mur de scène et l'épaulement nord de la Voie sacrée, à quelques pas de la Chasse d'Alexandre, ils eurent la joie de voir apparaître, « dans toute la fleur de sa patine vert-bleu, sans une oxydation, une déformation, ni un défaut[4], » le joyau des fouilles, ce merveilleux bronze de Polyzalos, universellement admiré aujourd'hui sous le nom d'Aurige[5]. »[6]
D’ailleurs, au sujet du nom, Théophile Homolle trouvait qu’il n’était pas vraiment approprié pour une œuvre grecque (un peu comme la Vénus de Milo qui devrait être l’Aphrodite de Melos). Solution de facilité, simple erreur, nivellement par le bas ou supériorité en nombre des latinistes ? L’hêníokhos fut baptisé en latin.
La dernière fois que nous avons croisé l’aurige au musée de Delphes, nous n’avions pas encore d’appareil photo numérique et nous n’avons pas retrouvé nos propres clichés. Nous allons donc emprunter quelques images sur Internet.
Ce qui reste frappant – et extraordinaire – après ces si nombreux siècles passés sous terre dans une sorte de glaise qui aurait pu causer des dommages irréversibles sur cette œuvre, c’est son regard. Du coin de l’œil, si vous êtes à une certaine distance, la statue peut vous donner l’impression que quelqu’un vous observe :
Les yeux de la statue ont des éléments différents (blanc de l’œil, pupille, iris, tour de l’iris et même un petit morceau de corail pour le coin de l’œil), mais la totalité de l’œuvre est époustouflante pour une œuvre aussi ancienne. Les cils ont été ajoutés, lèvres et dents sont dans d’autres matières afin que l’ensemble ne soit pas monochrome.
Plus d’un siècle après nous être revenu, des archéologues et scientifiques décidèrent d’étudier l’Aurige de plus près. Entre 2017 et 2022, le musée du Louvre, l’École française d’Athènes (EFA) et le gouvernement grec travaillèrent ensemble en utilisant les dernières technologies à leur disposition.
Dès le début, Homolle et ses confrères avaient compris que l’Aurige était extraordinaire, mais aujourd’hui encore ceux qui se penchent sur lui découvrent toujours plus de preuves de son caractère exceptionnel. Notamment, les nombreuses soudures qui réunirent les diverses parties de l’Aurige sont d’une telle qualité que des spécialistes n’ont pu parvenir à les détecter.
Des analyses sur les métaux et sur des restes des noyaux de coulée (Homolle et ses collègues n’avaient pas complètement nettoyé l’intérieur de la statue) ont permis de faire une multitude de découvertes dont la zone géographique où l’œuvre fut fondue. Il fut également possible, grâce à toutes les données récoltées, de reconstituer la polychromie d’origine (le métal de base, le décor du bandeau, des sourcils, des lèvres et des dents) :
Le Louvre nous apprend qu’il y eu un colloque « L’Aurige de Delphes et la grande statuaire grecque en bronze : nouvelles perspectives à l’époque dite du style sévère » sur le sujet en décembre 2022 (Voir pour les résultats de l’étude sur l’Aurige et pour le colloque le site du C2RMF et celui de l’EFA); l’École française d’Athènes a mis en ligne un court documentaire sur le sujet :
[1] : Jean Théophile Homolle (Paris [ancien] X, 19 décembre 1848 – Paris VI, 13 juin 1925) était normalien et agrégé d’Histoire. Il commença sa carrière d’archéologue en Italie, puis il se rendit en Grèce et devint directeur de l’École française d’Athènes.
[2] : Georges Albert Radet (Chesley, 28 novembre 1859 – Saint-Morillon, 9 juillet 1941), helléniste passionné, fut un membre libre de l’Académie des inscriptions et belles-lettres à partir de 1925. Il enseigna l’histoire ancienne à la faculté des lettres de Bordeaux où il fut aussi doyen. En littérature, ses noms de guerre étaient Georges Chesley et G.-R. Cheslay.
[3] : Voici dans quel ordre les morceaux sortirent du sol : 1° (28 avril), partie inférieure de la statue (la jupe cannelée et les pieds, avec l'inscription du socle) ; 2° (1er mai), partie supérieure (tête et buste, avec le bras qui subsiste); 3° (7 mai), derniers fragments.
[4] : Homolle, C. R. Acad. Inscr., t. XXIV, 1896, p. 186.
[5] : Voir les trois études que lui a consacrées Homolle : C. R. Acad. Inscr., t. XXIV, 1896, p. 362-384 et pl- I-III BCH., t. XXI, 1897, p. 581-683 ; Monuments Piot, t. IV, 1897, p. 169-208 et pl. XV-XVI. Cf. Lechat, Rev. Études gr., t. IX, 1896, p. 466-457, et XI, 189g, p. 179-183.
[6] : Radet (Georges), L’Histoire et l’œuvre de l’École française d’Athènes, Albert Fontemoing, Paris, 1901, pp310-311.