L'iceberg, le boulanger et l'alligator [Épisode 3 : Le naufrage]

Le capitaine Smith avait laissé le commandement de l’Olympic au capitaine Herbert Haddock (1861-1946) et Smith visita le Titanic le 31 mars 1912.

Le Titanic, après ses essais au large de Belfast, reçut l’autorisation de naviguer et, le 10 avril, il était à Southampton, prêt pour sa première traversée. Il se mit en route à 12h15.

En quittant Southampton, le Titanic faillit entrer en collision avec un navire plus petit, le City of New York, mais Smith ordonna une manœuvre qui permit, en faisant tourner l’une des hélices à plein régime, d’éviter la collision. Le navire prit du retard sur son horaire.

Le Titanic se rendit à Cherbourg en France où il arriva à 18h35. À cause de son tirant d’eau, il ne pouvait aller à quai et deux transporteurs de la White Star Line firent débarquer et embarquer les passagers (y compris le canari de M. Meanwell). Le navire quitta la France pour Queenstown, en Irlande, où il arriva le 11 avril à 11h30. Quelques passagers débarquèrent, mais de nombreux autres montèrent à bord.

            Ce qui peut nous paraître curieux et complètement fou aujourd’hui, c’est qu’il n’était pas vraiment rare que le charbon provoque un incendie et on sait que c’était le cas à bord du Titanic depuis le 2 avril. Cet incendie dans les entrailles du navire a peut-être fragilisé la coque, même s’il fut maîtrisé le 13 avril au matin. Un autre problème à bord qui eut peut-être des conséquences (les avis diffèrent) fut que l’officier navigateur David Blair (1874-1955) dut au dernier moment, sur ordre de la White Star, échanger son poste avec l’officier en second de l’Olympic et il partit avec la clef de la boite de la vigie où les marins gardaient les jumelles (lors des enquêtes, Frederick, dit Fred, Fleet (1887-1965[1]), qui était à la vigie et donna l’alerte, déclara sous serment qu’avoir accès aux jumelles aurait fait une immense différence).

            Le Titanic appareilla pour New York à 13h30. Dès le lendemain, le capitaine commença à recevoir des messages l’alertant au sujet de brouillard et d’icebergs dans la zone qu’il devait bientôt traverser.

Le nombre de messages d’alerte augmenta tout au long du 14 avril.

À 22h55, Cyril Evans (1892-1959), opérateur radio du Californian (un cargo qui avait quelques rares cabines pour des passagers qui ne pouvaient pas se permettre un billet sur un vrai transatlantique) contacta un de ses deux homologues, John, dit Jack, Phillips (1887-15 avril 1912). Malheureusement, Evans oublia de commencer son message d’alerte avec le préfixe qui indiquait qu’il s’agissait d’un message important et Phillips l’envoya aux pelotes (il était en fin de service, avait passé une bonne partie de la journée à réparer la radio, ce qui sauva probablement tous les rescapés dans les canots, et croulait sous des messages personnels de passagers qui s’étaient accumulés sur son bureau). Evans ne le recontacta pas et l’équipage du Californian, capitaine Stanley Lord (1877-1962) compris, ne réalisa pas la tragédie qui se déroula près d’eux. On leur reprocha de n’avoir rien fait, mais ils étaient coincés dans les glaces (raison pour laquelle Lord avait fait stopper les moteurs pour la nuit), étaient plus loin que ceux qui étaient à bord du Titanic ne le croyaient et ils étaient trop petit pour prendre à leur bord ceux qui n’avaient pas de place dans les canots. Les théories sur ce que le Californian aurait pu faire et ce que Lord aurait pu ou dû ordonner ne sont pas un dossier clos et deux camps continuent de s’affronter.

Jack Phillips

Le capitaine Smith qui avait été invité à dîner au restaurant « À la carte » était dans sa cabine après avoir confié la passerelle à l’officier de quart, William Murdoch (1873-15 avril 1912).

À 23h40, Fleet sonna l’alerte de trois coups de cloche lorsque lui et Reginald Lee (1866-1913) aperçurent un iceberg. Contacté par téléphone, Murdoch donna l’ordre de mettre la barre à bâbord toute et de stopper les machines, mais il n’y eut apparemment que trente-sept secondes entre l’alerte de Fleet et la collision sous-marine avec l’iceberg ; le Titanic allait trop vite et n’était pas manœuvrable en si peu de temps – de plus, comment savoir quel volume de glace se trouvait immergé. Avec le recul, on peut imaginer que le navire n’aurait pas coulé s’il avait frappé l’iceberg de plein fouet (la tragédie du Titanic servit de leçon aux marins : en 1914, le capitaine du Royal Edward se retrouva dans la même situation, mais il donna l’ordre de faire marche arrière toute et ne changea pas de cap ; il percuta un iceberg, mais ne coula pas et cette tactique devint la procédure standard), mais avec des « si », on met Lutèce en amphore.

Un bruit étrange se fit entendre et le choc brisa de la glace du haut de l’iceberg dont quelques morceaux tombèrent sur les ponts. Sous la ligne de flottaison, des rivets avaient cédé et les tôles ne joignaient plus sur cinq ou six compartiments.

Murdoch ne connaissait pas encore l’étendue des dégâts, mais il donna l’ordre qu’il fallait afin que les hélices ne rentrent pas en collision avec la glace. Supposant que le navire prenait l’eau, Murdoch fit sonner l’alarme qui donna l’ordre aux machinistes et aux pompiers d’évacuer et il fit sceller les portes étanches, mais le Titanic n’était insubmersible qu’avec quatre compartiments sous l’eau ; plus de quatre compartiments étaient touchés et les porte étanches ne stoppaient l’eau que jusqu’à une certaine hauteur.

Le capitaine Smith et J. Bruce Ismay furent réveillés par la collision. Smith arriva sur la passerelle où Murdoch lui fit son rapport. Smith se rendit sur le pont afin d’essayer de voir l’iceberg, puis il envoya chercher l’architecte Andrews et lui demanda d’aller inspecter les dommages en compagnie du charpentier. Dans l’intervalle, le charpentier arriva et leur apprit à tous que le navire prenait l’eau et que les pompes n’étaient pas suffisantes. Smith ordonna de stopper les machines ; Ismay arriva à ce moment-là, en pyjama, et Smith lui expliqua la gravité de la situation.

Smith se rendit à la radio et demanda à Phillips et son collègue Harold Bride (1890-1956) de se tenir prêts à demander de l’aide aux autres navires dans le secteur.

Andrews inspecta l’avant endommagé et expliqua au capitaine que, d’après ses calculs, le Titanic allait couler en une heure à une heure trente.

À minuit  cinq, Smith donna l’ordre de préparer les canots et d’ordonner aux passagers de mettre leurs gilets de sauvetage (à l’époque, il s’agissait de blocs de liège dans un tablier de tissus qu’on attachait sur les côtés).

À minuit quinze, Smith passa dire aux deux opérateurs radio de demander de l’aide parce qu’ils coulaient et leur donna ce qu’il pensait être leur position exacte : 41° 46′ N et 50° 14′ O. Sur la longueur d’onde des 600 mètres (fréquence de 500 kHz utilisée en cas de détresse en mer), Phillips et Bride utilisèrent le code « CQD » (sécu[rité]/détresse, dont le signal en Morse était compliqué), mais aussi le « SOS ». Cinq minutes plus tard, le Carpathia répondit à leur appel, ce qui fut un miracle parce que l’opérateur du Carpathia, Harold Cottam (1891-1984), était en train d’ôter ses chaussures pour aller se coucher quand il décida d’écouter ce que disaient les navires alentour. Cottam alla réveiller son capitaine, Arthur Rostron (1869-1940), qui lui ordonna de dire au Titanic que le Carpathia allait venir à son secours et arriverait d’ici quatre heures, donc bien trop tard. Rostron donna immédiatement l’ordre à son équipage de préparer le navire à recevoir les survivants et de consigner les passagers dans leurs cabines ; il fit également couper le chauffage pour l’eau chaude et le chauffage sur le navire afin de pouvoir utiliser toute la vapeur des machines (cette nuit-là, le Carpathia dont la vitesse maximale en croisière était de 14 nœuds alla jusqu’à plus de 17 nœuds). Rostron convoqua ses trois médecins et leur ordonna d’être prêts à prendre soin des passagers du Titanic.

Le Mount Temple, qui était moins rapide que le Carpathia et plus loin, répondit également. Il dut contourner un champ de glace pour parvenir sur la zone du naufrage. Son capitaine, James Henry Moore, déclara sous serment aux commissions d’enquête que la position donnée par le Titanic n’était pas la bonne et l’Histoire finit par lui donner raison.

Après la réponse du Carpathia, Smith savait qu’il avait environ 2 200 personnes à bord (il est fascinant de constater que, d’une source à l’autre, les chiffres ne concordent pas) alors que les canots pouvaient en sauver 1178 s’ils étaient complètement remplis et qu’il n’y avait aucun incident.

D’un côté, il y avait plus de canots que la White Star était obligée d’en avoir à bord parce que les lois maritimes n’avaient pas évoluées depuis des années et qu’un navire d’un tonnage aussi énorme que le Titanic n’avait tout simplement pas été imaginé, mais il y avait aussi Ismay, qui avait refusé d’avoir assez de canots pour tous les passagers parce que les canots supplémentaires auraient pris de l’espace et gâché les promenades de certains ponts – et il était persuadé que son navire ne pouvait pas couler.

Certains racontent que Smith, qui savait qu’il allait probablement mourir dans les deux heures, serait celui qui fit monter Ismay dans un canot (afin que le responsable des pertes humaines puisse être jugé à terre ou bien parce que, en dépit des circonstances, Ismay restait l’employeur de Smith et était également  sous la responsabilité de Smith ?), mais Ismay aida – en pyjama – à faire monter des passagers dans les canots. Ismay lui-même déclara sous serment qu’il était simplement monté à bord du dernier canot parce qu’il n’était pas plein ; d’autres dirent qu’il avait sauvé sa vie et d’autres encore prétendirent qu’un officier l’avait forcé à prendre place dans le canot pliable C. Les passagers de 1ère et 2nde classe étaient géographiquement plus près des canots. Les passagers de 3ème classe ne furent pas tous retenus dans les entrailles du navire par des grilles fermées par l’équipage (contrairement à ce qu’on voit dans les films) – les informations leur parvinrent trop tard pour la plupart et il y avait également un problème de barrière de langue. Il y avait effectivement quelques barrières qui étaient fermées, mais elles l’étaient depuis le début de la traversée. Bref, les témoignages (même ceux des passagers à bord du canot C avec Ismay, ce qui reflète le traumatisme et le chaos émotionnel du naufrage) ne concordent pas, cependant le témoignage écrit d’Augustus Weikman[2] (1860-1924), le barbier du Titanic, atteste qu’Ismay fut encouragé à monter à bord du canot C par l’officier Henry Wilde (1872-15 avril 1912) qui souhaitait qu’Ismay soit la voix et le défenseur du capitaine Smith et Ismay aurait, en privé et des années plus tard, corroboré cette version des faits.

À partir de minuit vingt-cinq, Smith et l’officier Charles Herbert Lightoller (1874-1952), dont le quart avait fini à 22 h et qui était en pyjama sous son uniforme parce qu’il s’était relevé après la collision, firent monter à bord des canots à bâbord des femmes et des enfants (la seule exception autorisée par Lightoller fut dans le canot n° 6 où il autorisa Arthur Peuchen (1856-1929) à se joindre aux passagères qui n’avaient que Fred Fleet et le quartier-maître Robert Hichens (1882-1940) pour prendre soin d’elles en mer (Hichens qui s’empara de la barre fut, selon les autres rescapés, parfaitement odieux). À bord de ce canot, Margaret Brown – aujourd’hui surnommée « l’insubmersible Molly » (1867-1932) fit remarquer qu’il manquait d’hommes et Peuchen se proposa parce qu’il avait fait de la plaisance ; Lightoller le mit au défit de rejoindre le canot qui avait déjà été un peu descendu et Peuchen y parvint en utilisant les câbles de sécurité.

Le naufrage du Titanic et celui du Birkenhead sont cependant les deux seuls dans les annales maritimes où les femmes (et quelques enfants) survécurent plus que les hommes – en général, c’est le contraire.

L’idée de faire monter à bord des canots « les femmes et les enfants d’abord » fut étrange quand Smith et Lightoller firent mettre à l’eau des canots à moitié vides alors que des passagers ou même des membres de l’équipage auraient pu y embarquer – ils savaient que bon nombre de personnes allaient mourir cette nuit-là et un plus grand nombre aurait pu être sauvé (mais, encore une fois, avec des « si », on refait l’Histoire). Murdoch, qui faisait embarquer les gens à tribord donnait la préférence aux femmes et aux enfants, mais complétait les canots avec qui était présent sur le pont ; pourtant, même de son côté, les canots ne partaient pas avec le nombre maximum de passagers à bord.

À minuit quarante, Smith donna l’ordre d’envoyer les fusées de détresse à intervalle régulier ; la dernière éclata à 1h40. L’équipage du Californian les remarqua, mais ils pensèrent qu’un petit navire sans radio signalait aux autres navires avec des fusées blanches qu’il y avait beaucoup de glace – à leur décharge, comment imaginer que le Titanic était en train de couler ?

C’est aussi à minuit quarante que le premier canot fut affalé à tribord, mais avec encore des places libres.

            À 1h, machinistes et pompiers se rendirent compte que tout était perdu, mais, sachant qu’ils allaient certainement mourir pour la plupart d’entre eux, ils continuèrent à faire tout ce qu’ils pouvaient afin que le navire soit alimenté en électricité, ce qui permit aux passagers de rejoindre les ponts et aux opérateurs radio de continuer à émettre (le Titanic était en contact avec le Carpathia, mais aussi avec l’Olympic qui était beaucoup trop loin pour arriver à temps).

            À 1h15, la proue commença à s’enfoncer, faisant réellement comprendre aux passagers la sévérité de la situation et les évacuations accélérèrent. Les évacuations mixtes à tribord restèrent plus rapides.

            Vers 2h, il ne restait plus que les canots pliables ; le canot C, celui où se trouvait Ismay, partit à ce moment-là. Certains canots avec de la place récupèrent des hommes qui étaient tombés à la mer, mais les marins qui avaient été affectés aux canots savaient qu’il fallait s’éloigner au plus vite afin de ne pas être aspiré par le navire quand il coulerait. L’équipage essaya de lancer les canots pliables restants, mais ils échouèrent (le canot B glissa et s’affala à l’envers).

          À 2h10, Smith releva Phillips et Bride de leur fonction et les remercia, mais Phillips continua d’émettre jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de courant (à 2 h 17).

À 2h15, l’eau était au niveau du pont des canots et de la passerelle.

À 2h17, les musiciens cessèrent de jouer pour la dernière fois.

À 2h18, les lumières s’éteignirent. Le Titanic se brisa en deux entre deux cheminées (probablement entre la troisième et la quatrième). L’avant s’enfonça tandis que l’arrière ne sombra que quelques instants plus tard. Lightoller, qui était pourtant aux premières loges, déclara plus tard que le navire avait coulé en un seul morceau ; les témoignages de passagers (tels John, dit Jack, Thayer (1894-1945) qui rédigea une brochure sur le naufrage en 1940 ou encore Bridget, dite Bertha, Mulvihill (1886-1959) qui, à bord du Carpathia, écrivit à sa sœur Maud qu’elle avait vu le navire se briser) furent ignorés.

Un doute subsiste sur l’ordre de ces deux événements à cause de la localisation des chaudières et des disjoncteurs, mais si le navire se brisa d’abord, ce qui provoqua la panne électrique, cela voudrait dire qu’il y avait encore de la lumière et donc les officiers auraient dû voir que le navire cédait. De très nombreux doutes subsistent et ce malgré la découverte de l’épave.

Ceux qui étaient à bord des canots entendirent les cris désespérés de ceux qui étaient heurtés par des débris et précipités dans une eau à -2° C, ce qui est mortel : malgré les gilets de sauvetage, les malheureux firent des crises cardiaques à cause du choc ou furent victimes d’hypothermie et moururent en une dizaine de minutes. Lightoller, qui, rappelons-le, était en pyjama sous son uniforme et qui tomba à l’eaul, heureusement portant son gilet de sauvetage, avant de parvenir à rejoindre le canot pliable B renversé, raconta qu’il avait eu la sensation de recevoir des milliers de coups de couteau. Bride, qui tomba aussi à l’eau, eut un pied gelé ; Phillips, qui avait aussi réussi à rejoindre un canot, mais qui était épuisé de sa journée, mourut avant l’arrivée du Carpathia.

Lowe confia ses passagers à d’autres canots et, vers 3h,  partit à la recherche de survivants grâce à la lampe torche du médecin.

Les marins et passagers de certains canots commencèrent à ramer afin de se réchauffer.

À 3h30, les survivants aperçurent les fusées lancées par le Carpathia.

À 4h du matin, le Carpathia arriva aux premiers canots. Le capitaine Rostron savait qu’il participait à un événement historique et il demanda à Augusta et Louis M. Ogden qui possédaient un appareil photo de prendre des clichés. Une fois tous les survivants récupérés, le nombre s’élevait à 712 (Américains et Britanniques ne sont pas d’accord sur le nombre de victimes, mais ce chiffre s’élèverait à 1496, dont la plupart aurait succombé à l’hypothermie et non pas à la noyade).

À 5h30, le Californian rejoignit le Carpathia et il alla chercher d’éventuels survivants sur le lieu du naufrage. Haddock proposa à Rostron de venir chercher les survivants afin que le Carpathia puisse reprendre sa route, mais Rostron fit remarquer à Haddock que les survivants risquaient un grave choc émotionnel en voyant se diriger vers eux la copie conforme du navire qui venait de couler en emportant parfois parents et amis.

À 8h30, le dernier canot, où se trouvait Lightoller, fut récupéré.

À 10h50, le Carpathia repartit pour New York.

Photo de canots du Titanic prise par les Ogden

La nouvelle de la collision arriva à terre (dans le monde entier) au matin du 15 avril, mais il fallut toute la journée pour réaliser l’étendue de la tragédie.

Certains titres de journaux furent rédigés alors qu’il n’y avait pas encore de nouvelles ; certains dirent que tous les passagers avaient été récupérés par d’autres navires et que le Titanic – simplement endommagé – faisait route vers le Canada à vitesse réduite. Quand l’Olympic confirma la catastrophe, certains journalistes se comportèrent comme des gratte-papiers de journaux à poisson et harcelèrent l’opérateur radio du Carpathia.

Une fois le choc absorbé, il y eut une commission d’enquête aux États-Unis et en Grande-Bretagne ; les milliers de pages de témoignages nous aident à comprendre une partie de ce qui s’est passé cette nuit-là.

 

Quatre navires furent envoyés par la White Star afin de récupérer les corps ; plus de 300 furent repêchés, mais certains, en état de décomposition avancée, furent rendus à la mer. Les corps non identifiés ou non réclamés par les familles furent enterrés dans les trois cimetières d’Halifax en Nouvelle-Écosse.

Grâce aux passionnés au sujet du Titanic, le corps du seul enfant qui fut repêché fut identifié grâce à l’ADN en 2007[3] ; on sait désormais que « l’enfant inconnu » se nommait Sidney Leslie Goodwin et avait un an et demi au moment du naufrage. Le petit Sidney avait tant ému les marins du Mackay-Bennett qui l’avaient trouvé qu’ils avaient eux-mêmes payé son enterrement et sa pierre tombale et avaient portés son cercueil. Ses parents et ses cinq frères et sœurs, passagers de 3ème classe périrent eux aussi (ils n’auraient pas dû se trouver sur le Titanic ; ce fut la grève des mineurs qui fit annuler le départ du navire sur lequel ils avaient réservé et ils furent transféré sur le Titanic).

Incidemment, c’est aussi grâce aux passionnés que nous connaissons toute la vérité sur celui qui acheta un billet sous le nom de Charles Hoffman, un prétendu veuf, alors qu’il s’appelait Michel Navratil (13 août 1880-15 avril 1912). Navratil, qui avait fait faillite et traitait sa jeune épouse comme une esclave qu’il terrorisait, avait prétendu, quand elle demanda enfin le divorce, qu’elle avait un amant et était une mauvaise mère. Marianne Marceline, dite Marcelle, Caretto allait certainement gagner le divorce, mais le juge avait ordonné que leurs enfants, Michel Marcel (12 juin 1908-30 janvier 2001) et Edmond Roger (5 mars 1910-7 juillet 1953), soient placés chez une parente de Marcelle en attendant de rendre son verdict. Navratil insista pour avoir les enfants avec lui à Pâques et quand leur mère vint les chercher, ils avaient disparus. « Hoffman », après seulement quelques jours passés avec ses fils écrivit à sa mère en lui demandant chez qui il pourrait se débarrasser d’eux. Les garçons étaient à peine vêtus quand il les confia à un officier qui les fit placer sur un canot ; il faut sans doute se réjouir qu’il les ait passés à un membre d’équipage afin d’être sauvés au lieu de les garder avec lui. Si jeunes, les orphelins du Titanic auraient pu être placés dans un orphelinat aux États-Unis, mais leur histoire avait ému le monde et leur photo fut publiée – jusqu’à Nice où leur mère, injustement accusée par son mari, les cherchaient. La White Star emmena Marcelle à New York où elle retrouva ses fils et interrogée par un journaliste qui lui demandait si elle dirait à ses fils la vérité sur leur père, elle répondit qu’elle leur mentirait et Michel et Edmond grandirent en étant persuadé que leur père les avaient habillés chaudement et leur avait fait tout un discours d’adieu prétendant qu’il avait souhaité voir leur mère les rejoindre en Amérique le plus vite possible. Personne avant 2024 n’était allé à la recherche du jugement de divorce des Navratil afin de voir qui était le monstre dans cette histoire. Navratil n’ayant jamais été officiellement déclaré mort, comme Bricoux, Marcelle Caretto ne fut jamais veuve.

 

Victimes et survivants du Titanic sont tous fascinants et il faudrait parler d’eux tous. En plus de ceux que nous avons déjà mentionnés, nous allons vous raconter certaines de leurs histoires.

 

Parmi les victimes de 3ème classe, il y avait beaucoup d’étrangers qui se rendaient aux États-Unis afin d’y commencer une nouvelle vie. Comme la plupart des membres de l’équipage devaient être loin d’être polyglottes, la barrière de la langue a dû mener à bien des tragédies lors du naufrage. Plus triste encore, certains hommes dont les cabines avaient commencé à prendre l’eau furent ridiculisés par certains passagers lorsqu’ils tentèrent de donner l’alerte et rabroués par les stewards pour avoir mis leurs gilets de sauvetage peu de temps après la collision alors que l’équipage ne mesurait pas encore l’étendue de la tragédie qui se jouait.

Marie, dite Frances, Daumont, épouse Lefebvre (18 mars 1872-15 avril 1912) avait eu huit enfants avec son mari, Franck. Ce dernier, qui était mineur, était parti s’installer à Mystic, dans l’Iowa avec quatre de leurs enfants et Frances allait le rejoindre, avec tous leurs meubles, en compagnie de Mathilde (née le 4 mai 1899), Jeanne (née le 14 octobre 1903), Henri (né le 14 juillet 1906) et Ida (née le 26 décembre 1908). Les parents de Marie eurent du mal à savoir ce qui était arrivé à leur fille et la moitié de leurs petits-enfants, mais le malheur allait s’acharner sur Franck Lefebvre (certains journaux racontèrent qu’il vivait avec une autre femme à Mystic et les autorités américaines se penchèrent sur son dossier d’immigration, y trouvèrent des déclarations mensongères et le renvoyèrent en France avec ses quatre enfants). Dans un excellent article qui leur rend hommage, Olivier Mendez, éditeur de Latitude 41 (le bulletin de l’Association française du Titanic), nous apprend que le député-maire de Liévin, ville de résidence des Lefebvre, dévoila une plaque commémorative à la mémoire des cinq Lefebvre le 30 mars 2002.

Malgré la barrière des langues, il y eut quand même quelques survivants non-anglophones, comme les enfants Nīqūla Yārid, Jamīlah (15 avril 1898[4]-8 mars 1970) et Ilyās (16 avril 1900[5]-31 mai 1981). Nés au Liban, leur mère avait déjà immigré à Jacksonville en Floride avec leurs aînés et ils auraient dû voyager avec leur père, mais il avait contracté une maladie oculaire infectieuse et ne fut pas autorisé à embarquer. La nuit du naufrage, Jamīlah sentit la collision et parvint à convaincre son frère d’aller voir ce qui se passait, d’autant plus qu’ils entendaient des voix dans le couloir, ce qui était inhabituel. Ils arrivèrent sur le pont des canots et, là, Jamīlah se souvint de l’argent que leur père lui avait donné et elle tenta de retourner à leur cabine. L’eau y était déjà arrivée et elle ne put ouvrir la porte. Les enfants retournèrent sur le pont et furent placés dans un canot. Un frère aîné les accueillit à New York et leur père put les rejoindre. Afin de s’intégrer, Jamīlah devint Amelia et Ilyās devint Louis et la famille transforma leur nom en Garrett.

 

            En 2nde classe, une mère et sa fille furent sauvées parce que la mère avait un mauvais pressentiment au sujet de ce navire qu’on avait osé déclarer insubmersible, ce qui, selon, elle, était une offense à Dieu. Cette femme était la mère d’Eva Hart, Emily Esther Louisa Bloomfeld, épouse Hart (13 mai 1863-7 septembre 1928). Si Esther était angoissée et refusait de dormir la nuit, veillant come une lionne sur sa famille, en revanche, Benjamin Hart (25 décembre 1864-15 avril 1912) se moquait des inquiétudes de son épouse. Après la collision, il les escorta sur le pont, les fit monter dans un canot et leur dit au revoir. Eva fut hantée toute sa vie par le naufrage ; elle en voulait terriblement à la White Star, à cause du manque de canots et quand l’épave fut découverte elle fut contre toute expédition de récupération.

La survie du seul passager japonais, Masabumi Hosono (15 octobre 1870-14 mars 1939), semble avoir été récemment découverte par les occidentaux. Encore une fois, les données à son sujet sont principalement erronées, mais une passionnée, Margaret Mehl, a exploré les archives japonaises et rendit justice à ce fonctionnaire japonais qui survécut. Dès son arrivée sur le Carpathia, il écrivit ce qui lui était arrivé et son récit fut publié dans les journaux japonais. Quelques stewards avaient pensé qu’il venait de la 3ème classe et avaient voulu l’empêcher de se rendre sur le pont des canots, mais il y monta tout de même. Quasiment résolu à mourir, un officier annonça qu’il y avait deux places à prendre à bord du canot qui allait être affalé ; un homme y alla et il le suivit. À New York, ses amis et collègues s’occupèrent de lui et lui prêtèrent de l’argent pour rentrer chez lui ; l’ambassadeur du Japon à Londres télégraphia la nouvelle de sa survie à Tōkyō. Hosono raconta son aventure à ses compatriotes à San Francisco, puis au Japon. En plus de l’attitude des stewards, les autres occupants de son canot pensaient qu’il était un passager clandestin japonais et les marins du Carpathia ne furent pas très accueillants. Certains récits vous feront croire qu’il a été renvoyé pour avoir bafoué le code des samouraïs, mais Hosono était un fonctionnaire hautement qualifié et comme nous l’apprend Mehl, l’emploi qui prit fin en mai 1913 fut suivi d’un autre poste ministériel en juin 1913. Quelques publications le traitèrent de lâche, ce qui troubla certains membres de sa famille, mais il leur fit remarquer que l’important était qu’il était avec eux, bien en vie. Il avait bien raison.

 

            En 1ère classe, nous trouvons des histoires très variées.

Souvent, les Duff Gordon sont présentés comme relativement sans cœur et, lors de l’enquête américaine, ils furent interrogés avec une certaine agressivité. Sir Cosmo Edmund Duff Gordon (22 juillet 1862-20 avril 1931) était un baronet qui avait épousé son associée en affaire, Lucy Christiana Sutherland – même si leur mariage ressemblait plus à un contrat d’affaire qu’à un conte de fée. Lady Lucy avait dû divorcer de son premier mari et afin de subvenir à ses besoins et aux besoins de sa fille, elle avait créé une maison de couture, Lucile, qui devint un succès. Elle avait déjà ses entrées à la cour d’Angleterre, mais son mariage avec Sir Cosmo fit (presque) oublier qu’elle était divorcée. Les Duff Gordon, qui avaient réservés sous le pseudonyme de Morgan, se rendaient à New York pour une affaire urgente qui leur avait fait prendre le premier navire en partance ; Lady Lucy était accompagnée de sa secrétaire Laura Mabel Francatelli (21 avril 1880-2 juin 1967). Sir Cosmo déclara que, lors du naufrage, Lady Lucy refusa de le quitter et Miss Francatelli refusa de quitter sa patronne. Murdoch, voyant que le canot n° 1 était quasi vide autorisa Sir Cosmo et deux autres passagers (dont Abraham Salomon, le propriétaire du menu mentionné précédemment) à y monter avec Lady Lucy et Miss Francatelli. Il y eut deux épisodes problématiques à bord de ce canot : un des marins évoqua la possibilité de retourner chercher des passagers qui nageaient, mais les autres survivants lui firent remarquer qu’ils risquaient de se faire submerger par le nombre et de couler eux-mêmes et, ensuite, peut-être pour faire une plaisanterie afin de détendre Miss Francatelli, Lady Lucy lui dit que sa jolie chemise de nuit devait désormais flotter dans l’Atlantique. Un des marins grommela qu’eux avaient tout perdu et n’avaient pas le compte en banque des Duff Gordon, ce qui fit déclarer à Sir Cosmo qu’il leur donnerait 5£ – soit environ un mois de salaire (promesse qu’il tint dès qu’ils furent sur le Carpathia en demandant à Miss Francatelli de leur faire un chèque à chacun). Le tout fut monté en épingle et on dit de Lady Lucy qu’elle n’avait pas de cœur et de Sir Cosmo qu’il avait payé les marins pour ramer loin de ceux qui se noyaient.

En parlant de couples, il y eut les Straus. Rosalie Ida Blun, épouse Straus (6 février 1849-15 avril 1912) faillit monter à bord du canot n° 8, mais elle resta avec son mari, Isidor (6 février 1845-15 avril 1912), qui était le copropriétaire de Macy*s. Le corps d’Isidor fut retrouvé, mais pas celui d’Ida. Le valet d’Isidor, John Farthing, qui était né vers 1843, mourut dans le naufrage ; en revanche, Isidor fit monter la bonne de son épouse, Ellen Bird (8 avril 1881-11 septembre 1949) dans un canot.

Il y eut aussi Víctor Peñasco y Castellana (24 octobre 1887-15 avril 1912) et sa jeune épouse depuis le 8 décembre 1910, María Josefa, dite Pepita, Pérez de Soto (3 septembre 1889-2 juin 1972). De familles richissimes, ce jeune couple serait aujourd’hui milliardaire et leur lune de miel, en attendant que les travaux dans leur future demeure soient terminés, leur fit visiter toute l’Europe. Ils se trouvaient à Paris quand ils virent des publicités pour le voyage inaugural du Titanic. Alors que la mère de Víctor leur avait demandé, par superstition, de ne pas faire de traversée, et malgré la mauvaise conscience de la bonne de Maria, Fermina Oliva y Ocana (12 octobre 1872-28 mai 1969) qui aurait préféré obéir à la mère de Víctor, le couple acheta des billets afin d’embarquer à Cherbourg – en laissant le valet de Víctor à Paris afin d’envoyer à intervalle régulier des cartes postales à la mère de Víctor, ce qu’il fit. Ce petit couple fut la coqueluche des passagers de 1ère classe. La nuit du drame, Víctor escorta sa femme et sa bonne sur le pont des canots (il retourna même dans leur cabine chercher les bijoux de Pepita) ; ne parlant pas anglais, ils s’étaient mis de côté et attendaient. Ce fut la comtesse de Rothes, Lucy Noël Martha Dyer-Edwards (25 décembre 1878-12 septembre 1956) qui vint leur expliquer en français que les femmes devaient évacuer. Víctor, qui comprenait ce qui se passait, souhaita à sa chère Pepita d’être très heureuse et il la fit monter avec sa bonne et la comtesse dans le canot n° 8. Sentant que la comtesse était une femme d’exception, le marin Thomas William Jones (15 novembre 1877-23 (?) juin 1967) lui confia le gouvernail (il lui donna la plaque de leur canot ; elle lui donna une montre en argent et ils restèrent toujours en contact), mais quand le Titanic commença à couler et que Pepita, en entendant les cris de ceux qui se noyaient, s’effondra, la comtesse laissa le gouvernail à sa cousine, Gladys Cherry (27 août 1881-4 mai 1965) et elle fit de son mieux afin de consoler la jeune veuve. Veuve ? Pas pour la loi espagnole à l’époque : en l’absence de corps, Pepita ne pouvait être déclarée veuve avant vingt ans –elle ne pouvait ni hériter de son mari, ni se remarier. La mère de Víctor, qui découvrit le nom de son fils dans les articles qui parlaient des victimes du Titanic (alors qu’elle recevait toujours des cartes postales de Paris) fut extraordinaire pour sa belle-fille et elle envoya Fermina au Canada afin de reconnaître un cadavre non réclamé (les Peñasco y Castellana ne furent pas les seuls à faire ça). Un acte de décès fut délivré pour Víctor et Pepita fut légalement veuve. Fermina resta toujours avec Pepita.

 

            L’ensemble de l’équipage subit des pertes terribles et nombreux sont ceux dont le sacrifice fit une énorme différence cette nuit-là.

Il y eut quelques histoires émouvantes, curieuses – et un boulanger incroyable.

Violet Constance Jessop (1er octobre 1887-5 mai 1971), née en Argentine de parents irlandais, était hôtesse pour les passagers de 1ère classe. Dans ses mémoires, Titanic Survivor, elle raconte que le sixième officier James Paul Moody (21 août 1887-15 avril 1912) ordonna aux hôtesses qui étaient montées sur le pont de monter dans un canot (le n° 16) afin de faire voir aux passagères qu’il fallait faire de même et obéir aux ordres. Le canot commençait à être affalé quand Moody remit à Jessop un paquet en lui demandant d’en prendre soin – le paquet était un bébé dont elle s’occupa toute la nuit. Sur le Carpathia, une femme se précipita vers elle et s’empara du bébé (reste à espérer que c’était bien la mère). Jessop ne raconta cette histoire qu’à une seule personne et, dans les années 50, une femme téléphona à Jessop, lui demandant si elle avait sauvé un bébé ; ayant répondu positivement, la femme lui dit en riant qu’elle était ce bébé et raccrocha. Il s’agissait sans doute d’une cruelle plaisanterie, car pourquoi raccrocher après avoir établi le contact avec la femme qui vous avait sauvé la vie ? D’autant plus qu’il y eu un grand nombre d’arnaqueurs qui tentèrent de faire croire qu’ils avaient survécus au naufrage – tel Walter Bedford (1882-1963) qui prétendit avoir été le chef boulanger de nuit à bord, si ce n’est que ce poste n’existe pas et qu’il n’y a aucune trace de lui sur la liste de l’équipage et que son histoire est curieusement inspirée de celle, bien vraie, de Charles Joughin (le fameux boulanger dont nous allons vous parler). Malgré les mensonges de Bedford, son histoire continue à être mentionnée – vous reprendrez bien un petit « no pope », non ?

Pour en revenir à l’extraordinaire et fascinante Jessop, elle était hôtesse à bord de l’Olympic quand il fut éperonné par le Hawke et elle était infirmière à bord du Britannic quand il fut coulé en 1916 (elle eut une fracture du crane qui ne fut découverte que des années plus tard, mais elle survécut – encore). Encore plus incroyable, le pompier Arthur John Priest (31 août 1887-11 mars 1937) et le guetteur Archie Jewell (4 décembre 1888-17 avril 1917) étaient avec elle sur les triplés maritimes. Jewell mourut quand le Donegal, qui avait été transformé en navire hôpital fut torpillé par un sous-marin allemand ; Priest était également à bord.

Alors que leur place à bord était particulière, puisqu’ils servaient les clients du restaurant « À la carte », mais ne faisaient pas officiellement partie de l’équipage, nous avons le témoignage de Paul Achille Maurice Germain Maugé (22 mars 1887-16 janvier 1971). Au moment de la collision, lui et le chef Pierre Rousseau (13 octobre 1863-15 avril 1912) allèrent se changer tandis que le reste du personnel était encore en uniforme. Les stewards les laissèrent passer vers les ponts supérieurs, mais pas leurs collègues (les deux caissières furent les deux seules autres survivantes parmi le personnel). Puisque les canots étaient affalés alors qu’ils n’étaient pas pleins, quelques hommes tentaient leur chance et sautaient à bord depuis les ponts inférieurs au moment où ils passaient devant eux ; certains tombaient à l’eau, mais d’autres, comme Maugé, réussissaient. Il dit au chef Rousseau, « Sautez ! », mais le chef, qui était plutôt dodu, refusa et bientôt le canot où était Maugé était à l’eau et s’éloignait du Titanic.

Et le boulanger ? Le vrai boulanger en chef s’appelait Charles John Joughin (3 août 1878-9 décembre 1956). Il était le second de cinq enfants et il commença sa carrière en mer à 11 ans. Il avait travaillé sur l’Olympic et fut transféré sur le Titanic. Étant donné qu’il n’était plus en service, il semblerait qu’il ait bu quelques verres. Il sentit la collision et, lorsqu’il vit que les canots étaient préparés, de son propre chef, il alla chercher les treize boulangers sous ses ordres vers minuit quinze, leur fit prendre dans la boulangerie du pont D quatre pains chacun et ils les montèrent sur le pont des canots afin de les ajouter aux provisions déjà à bord. Joughin retourna à sa cabine ; en chemin, il vit des passagers de 3ème classe qui se rendaient vers les ponts supérieurs (il déclara sous serment que nulle grille ne retenait les passagers et que les stewards qui parlaient d’autres langues que l’anglais faisaient tout leur possible afin d’aider les passagers affolés). Une fois dans sa cabine, comme il l’admit lorsque la commission britannique l’interrogea, il but « un verre ». Il avait été assigné au canot n° 10 et s’y trouva vers minuit trente avec l’officier Wilde et il aida à faire embarquer femmes et enfants, mais de nombreuses femmes pensaient être plus en sécurité à bord et quittèrent ce pont. Joughin descendit sur le pont A où se trouvaient quelques femmes avec leurs enfants ; femmes et enfants furent emmenés vers les canots et Joughin lança dans le canot n° 10 quelques enfants et leurs mères sans leur demander leur avis. Joughin aurait dû être en charge de ce canot là, mais un officier, peut-être Wilde, le confia à un steward. Joughin se recula et vit son canot être affalé sans lui. Il retourna dans sa cabine et reprit un verre (Joughin n’a jamais dit ce qu’il avait bu, ni combien de verres il avait bu). L’eau commençant à envahir sa cabine, Joughin la quitta et eut une brève conversation avec le Dr O’Loughlin. Il se rendit sur la pont des canots, mais ils étaient tous partis et il descendit au pont B où il commença à jeter des transats par-dessus bord ; il expliqua qu’il pensait que certains pourraient s’y accrocher et qu’il avait espéré qu’il pourrait en trouver un quand il serait obligé de se jeter à l’eau. Il retourna sur le pont A et alla à la réserve pour y boire un verre d’eau (ou d’autre chose) ; là, il entendit un grand craquement, comme si le navire cédait. À ce moment-là, ceux qui étaient encore à bord tentaient de se rendre vers la poupe et Joughin fit de même. Le navire pencha sur bâbord et il parvint à atteindre le bastingage sur tribord et arriva jusqu’à la poupe en remontant le navire sur l’extérieur du bastingage. Il maintint toujours que la poupe du Titanic n’avait pas coulé à la perpendiculaire (quand l’avant se brisa, l’arrière ne fut plus entraîné de la même façon, même si l’océan s’engouffra d’un seul coup par ce trou béant). Joughin, qui était seul à l’extérieur du bastingage de la poupe, se retrouva dans l’eau, mais il dit qu’il eut à peine les cheveux humides.

Il se mit à nager (souvenez-vous que l’eau était à -2° C et que les autres avaient presque tous succombés en une dizaine de minutes). Il nagea jusqu’au petit jour et aux premières lueurs il remarqua une masse sur l’eau : c’était le canot retourné sur lequel Lightoller et une vingtaine d’hommes se trouvaient. Il s’approcha, mais se fit d’abord repousser ; en passant de l’autre côté du canot, le cuisinier spécialisé dans les entrées, Isaac Hiram Maynard (8 octobre 1880-9 janvier 1948), le reconnut et lui tint la main jusqu’à ce qu’ils soient en vue d’un autre canot que Joughin rejoignit à la nage. Il déclara avoir eu plus froid dans le canot qui le récupéra que dans l’eau. S’il monta à l’échelle du Carpathia sur les genoux, les cuisiniers du bord, raconta-t-il, lui mirent les pieds dans un four pour le réchauffer (si, si, ça se faisait à l’époque) et il n’eut aucune séquelle.

 

Charles Joughin, boulanger en chef

(Porteur de pains, lanceur de futurs survivants et de transats et miraculé)

Il maintint toujours qu’il n’était pas soûl et avait toujours été parfaitement conscient de ce qui se passait. Croyons-le. Ce qu’il bu la nuit du naufrage a dû contribuer à le sauver (souvenez-vous du témoignage de Lightoller et de Phillips qui ne résista pas). Quelle que soit la raison, Joughin ne vit pas son nom s’ajouter à la liste des victimes du naufrage.

 

 Un mois après le naufrage, Molly Brown remis des médailles à tous l’équipage du Carpathia et elle donna au Capitaine Rostron une tasse en argent en remerciement et au nom du comité qu’une poignée de survivants avaient formé après leur sauvetage.

Remise de la coupe par Molly Brown au capitaine Rostron

Le capitaine Rostron et ses officiers avec la coupe en argent.

[Épisode 4: Après le naufrage - le 20 octobre]

[1] : Abandonné par sa mère, l’orphelinat lui fit apprendre le métier de marin. Quant il perdit sa femme en 1964, son beau-frère le mit à la porte ; il se suicida deux semaines plus tard et fut enterré dans une fosse commune. En 1993, la Titanic Historical Society avec qui il avait été en contact toute sa vie lui fit ériger une pierre tombale.

[2] : Il aurait pu devenir le barbier en chef de l’Olympic, mais il décida d’aller travailler sur le Lusitania. Il démissionna longtemps avant que ce navire ne soit coulé par un sous-marin allemand (pour mémoire, le Lusitania coula en dix-huit minutes).

[3] : De premières analyses faites trop rapidement à cause de la pression des médias avaient menées à une fausse identification.

[4] : Les données administratives à son sujet ne concordent pas. Sa demande de numéro de sécurité sociale la déclare née en 1895, son acte de mariage indique 1894 et divers recensements la font naître entre 1896 et 1901 – même sa pierre tombale ajoute à la confusion en la disant née en 1900.

[5] : Comme pour sa sœur, l’année est incertaine. Sur sa demande de numéro de sécurité sociale, on trouve 1901, mais son certificat de mariage nous donne 1898.

L'iceberg, le boulanger et l'alligator [Épisode 2 : Le navire]

Les intérieurs du Titanic étaient somptueux et nous avons la chance qu’Harland & Wolff aient souhaité documenter la construction de l’Olympic et du Titanic, car ils engagèrent le photographe irlandais Robert John Welch (1859-1936) afin d’immortaliser leur travail. Il était présent dès la construction et pris des photos du Titanic juste avant ses essais finaux en mer[1].

 

Les premières classes étaient aussi luxueuses que les plus luxueux hôtels de Londres ou New York ; les cabines étaient magnifiques.

Les quatre suites, qui étaient les plus chères, se trouvaient sur les ponts B et C. Celles du pont B disposaient d’une promenade privée de plus de 15 m. Elles avaient toutes deux grandes chambres, deux dressings, une salle de bain privée, des toilettes et un grand salon où il y avait une fausse cheminée, une table de bridge, des canapés et des fauteuils, des dessertes et des bureaux. La suite du pont B à bâbord fut occupée par J. Bruce Ismay.

Les autres cabines de première classe se trouvaient sur les ponts A, B et C. Nous avons des photos de certaines cabines :

 

La cabine B-58, derrière la suite de J. Bruce Ismay, était occupée par Mme Hélène de Lanaudière-Chaput Baxter (1862-1923) et sa fille Mary Hélène Douglas (1885-1954).

 


La cabine B-59 fut occupée par Grace Scott Bowen (1867-1945) et Susan Parker Ryerson (1890-1921). La famille Ryerson et leur bonne, Victorine Chaudanson (1875-1962), se trouvaient dans cette cabine et les cabines B-57, B-61 et B-63.

 

 

La cabine B-60 était celle du fils de Mme Baxter, Quigg Edmond Baxter (1887-15 avril 1912).

 

Le personnel de bord, femmes et hommes, assigné aux cabines s’occupaient de plusieurs cabines (entre six et douze). Ils devaient s’assurer que rien n’y manquait, que le ménage était fait, les draps changés tous les jours (de même que le linge de table et les serviettes – qui étaient fournis pour les trois classes, ils étaient nettoyés à terre et seuls les vêtements des passagers de 1ère classe qui le souhaitaient faisaient un passage par la teinturerie du navire) et si les passagers le demandaient, ils devaient gratuitement cirer leurs chaussures et leur apporter des collations s’ils le voulaient. Ce personnel travaillait de 5h30 à minuit tous les jours de la semaine.

Le prix des cabines de 1ère classe variait considérablement : de 30 £, prix qui correspondrait à un billet de 5 200 € aujourd’hui, à 870 £ pour une des quatre suites, soit 150 000 €.

 

Il y avait un somptueux salon sur le pont A qui était décoré dans un esprit Louis XV. Avec une vue sur l’océan et sur le pont promenade, cette pièce très haute de plafond était dans un écrin de boiseries finement ciselées, où vitraux et miroirs jouaient avec la lumière des lustres électriques. Fauteuils et canapés étaient tapissés en velours aux motifs floraux vert et or et avaient des coussins lie de vin. Bronzes et statues décoraient la pièce où une fausse cheminée diffusait la douce chaleur d’un radiateur électrique. C’est sur cette cheminée que se trouvait une réplique de la Diane de Versailles ; cette statue avait été aperçue en 1986 lors de la première exploration de l’épave et il se trouve qu’alors qu’on la croyait perdue (ou peut-être volée par des plongeurs à la solde de collectionneurs sans scrupule), elle a été localisée par la dernière expédition de la compagnie RMS Titanic, Inc., qui est la seule à avoir le droit de se rendre sur place, fin juillet-début août de cette année (2024, si vous lisez ces lignes dans notre futur). Début septembre, RMS Titanic, Inc. a fait une déclaration au sujet de cette extraordinaire nouvelle qui a fait couler de l’encre aussi bien chez les journalistes que chez les passionnés du Titanic.

 

Vue du salon

 

Statue « Diane de Versailles » sur la fausse cheminée du salon

(Photo João Gonçalves / RMS Titanic, Inc.)

 

 

Diane retrouvée– au passage, admirez le crabe à près de 3 800 m de profondeur.

(Photo RMS Titanic, Inc.)

 

Ouvert de 8 h à 23 h, on y croisait plus de femmes que d’hommes, mais c’était parce que ces messieurs avaient un fumoir qui leur était exclusivement réservé. Non loin du salon, il y avait un plus petit salon de lecture où les femmes s’occupaient de leur correspondance en toute tranquillité :

 


 

Ce salon n’était pas interdit aux hommes, mais ils préféraient tous le fumoir, qui se trouvait également sur le pont A, mais vers l’arrière du navire près du grand escalier côté poupe.

Ces messieurs s’y réunissaient comme s’il s’agissait de leur club en ville ; ils discutaient politique et business, fumaient et buvaient (le bar situé juste à côté était ouvert de 8h30 à 23h30 – le fumoir fermait ses portes à minuit), mais ils jouaient aussi aux cartes (grâce à la liste de passagers, on sait que quelques joueurs professionnels faisaient la traversée dans l’espoir de plumer quelques riches naïfs).

Le fumoir, afin de ressembler à un club traditionnel, avait de riches boiseries d’acajou incrustées de nacre et certaines d’entre elles abritaient de magnifiques vitraux. Le plafond du fumoir était aussi haut que celui du salon et il était agrémenté de bordures décoratives en plâtre autour des lustres. Le sol était recouvert de carreaux de lino rouge et bleu ; les fauteuils étaient en cuir et les tables étaient stratégiquement équipées d’un rebord en métal dans l’espoir de retenir les verres si jamais le navire devait traverser une tempête.

Au dessus de la cheminée de marbre blanc qui abritait un poêle à charbon se trouvait la toile Plymouth Harbour de Norman Wilkinson (1878-1971). Cette peinture avait été réalisée spécialement pour le Titanic et une semblable, The Approach to the New World, se trouvait dans le fumoir de l’Olympic (cette dernière fut utilisée lors du tournage du film A Night to Remember[2] en 1958 et le fils de Wilkinson, Rodney Norman Wilkinson, recréa en 1996 la toile qui coula à bord du Titanic et son travail fut utilisé dans le film Titanic de 1997 avant de partir pour le Southampton Maritime Museum). Incidemment, Norman Wilkinson est l’homme qui eut l’idée du camouflage « dazzle », ou disruptif, qui n’avait pas pour but de rendre invisibles les navires, mais qui devait gêner périscope et télémètre afin que les sous-marins aient du mal à les viser ; l’Olympic, qui fut en service jusqu’en 1935 (il fut démantelé en 1937) bénéficia de ce type de camouflage pendant la première guerre mondiale.

 

L’élégant fumoir de l’Olympic

(On peut voir The Approach to the New World au dessus de la cheminée).

 

La colonne de ventilation de la salle des moteurs passait par le fumoir (et s’occupait au passage de la fumée faite par la cheminée et les fumeurs) ce qui fait que la pièce était en forme de U.

À droite de la cheminée du fumoir, une porte à tambour menait au Veranda Café, mais avant de nous tourner vers les cafés et restaurants, voyons comment les passagers de première classe pouvaient prendre soin d’eux.

 

Il y avait un barbier, un court de squash (la séance coûtait 50 cents, soit une vingtaine d’euros aujourd’hui) et une piscine d’eau de mer chauffée (située sur le pont F, le fond de la piscine se situait au niveau du pont G). Pour y accéder, il fallait d’abord acheter un ticket d’un dollar (environ 40 €) auprès du commissaire de bord en chef, Hugh McElroy (1874-15 avril 1912), dont le bureau était situé au pont C, près du grand escalier avant.

D’ailleurs, McElroy était celui qu’il fallait aller voir pour toutes demandes (aide à bord, achat de tickets pour le court de squash, la piscine ou le hammam (au même tarif que pour la piscine), envoi de lettres ou de messages radio, location de véhicules au port d’arrivée ou achat de tickets de train en correspondance) ; il était plaisant, plaisantin et hautement efficace – à tel point, puisqu’il travaillait pour la White Star depuis treize ans (notamment à bord de l’Adriatic, le Majestic et l’Olympic sous les ordres du capitaine Smith), que certains passagers transatlantiques réguliers réservaient leur voyage en fonction de la présence de McElroy à bord[3]. Il périt lors du naufrage, mais son corps fut retrouvé et identifié et il eut droit à des obsèques en mer.

 

Le commissaire en chef Hugh Walter McElroy en compagnie du capitaine Smith

 

La piscine était réservée aux femmes de 10 h à 13 h et aux hommes de 14 h à 18 h.

 

La piscine de l’Olympic.

 

Le hammam (pont F) était ouvert aux femmes le matin entre 9 h et midi ; les hommes pouvaient y aller entre 14 h et 18 h. Il était sur le pont F entre la piscine et le restaurant de 3ème classe.

 

Salle froide du hammam (dans le couloir qui y menait se trouvait une innovation de l’époque, un bain électrique – une sorte de cabine de bain de vapeur et non pas un engin d’électrothérapie)

 

Pour les plus sportifs des passagers, il y avait aussi une salle de sport. Située derrière le grand escalier avant sur le pont des canots, elle avait des équipements allemands de qualité et un instructeur, Thomas W. McCawley (1876 ?-15 avril 1912), afin d’aider les passagers à les utiliser. Le ticket coûtait 25 p et la salle était réservée aux femmes de 9 h à midi, aux enfants (certainement uniquement les garçons puisque leur tranche horaire coïncide avec celle des hommes) de 13h à 15 h et aux hommes de 14 à 18 h.

 

Vue de la salle de sport avec ses boiseries en chêne

 

            Les passagers de 1ère classe avait bien des moyens de passer le temps, mais une bonne partie de la journée était consacrée aux repas et collations (ne serait-ce que pour se changer).

            Pour les collations, en plus des salons et bars où vous pouviez passer des commandes, il y avait le Veranda Café qui communiquait avec le fumoir et avec le Palm Court. Tout dans le café était fait pour faire penser à une terrasse en extérieur avec du mobilier en rotin et quantité de plantes (notamment des palmiers ; du lierre courrait également sur des treillis). Ces deux établissements étaient identiques, si ce n’est que le Veranda Café, à bâbord alors que le Palm Court était à tribord, était non-fumeur et donc moins fréquenté – apparemment, il aurait plus ou moins servi de garderie pour les plus jeunes passagers pour lesquels rien n’était vraiment prévu à bord.

 

Le Palm Court de l’Olympic

 

À bâbord sur le pont B, le « Café Parisien » était le repère des plus jeunes passagers de 1ère classe ; ouvert de 8h à 23 h, on pouvait y manger les mêmes choses qu’au restaurant, mais dans un cadre qui avait été créé pour ressembler à un établissement parisien. Comme dans les établissements du pont A, le mobilier était en rotin et lierre et plantes grimpantes agrémentaient les treillis. Ce café avait été créé sur le Titanic afin de remédier à un problème stratégique qui avait été remarqué à bord de l’Olympic où cet espace faisait partie du pont promenade qui était accessible aux passagers de 2nde classe, passagers qui allaient observer les passagers de 1ère classe les plus riches quand ils se trouvaient au restaurant « À la carte » dont les fenêtres donnaient sur le pont promenade. Sur le Titanic, le pont promenade fut donc bloqué par le tout nouveau « Café Parisien » dont le concept fut importé sur l’Olympic, ce qui garantit la tranquillité des plus riches. Les radiateurs qui auraient dû chauffer le café étant défectueux, les lieux étaient souvent désertés en soirée (le Titanic naviguait beaucoup trop au nord et les soirées étaient fraîches).

 

Le « Café Parisien »

 

Le restaurant principal (35 m de long, 28 m de large) était peint en blanc et son sol de dalles de lino bleu avait des motifs décoratifs rouge et or. Les hublots étaient cachés par des vitraux qui faisaient oublier aux 554 passagers qui pouvaient y être accueillis qu’ils étaient au milieu de l’océan. Il était préférable de réserver une place afin d’éviter les surprises – et les enfants n’y étaient les bienvenus que s’il n’y avait pas trop de monde.

On pouvait y accéder par le grand escalier avant qui desservait les niveaux du pont F au pont où se trouvaient les canots.

 

Palier du grand escalier avant (pont D de l’Olympic)

 

Situé sur le pont D, il était à côté des cuisines qui préparaient les repas pour la 1ère et la 2nde classes et non loin des réserves.

En parlant des réserves, la liste complète des denrées qui étaient à bord ne nous est pas parvenue, mais elle devait être impressionnante. On sait notamment qu’il y avait 1 200 litres de crème glacée, qui avaient d’ailleurs deux espaces réfrigérés qui leur était consacrés, plus de 34 tonnes de viande (sur les plans du Titanic, on remarque un espace de stockage réfrigéré consacré uniquement au mouton), plus de 11,3 tonnes de volailles, 5 tonnes de poissons frais et 1,8 tonnes de poissons séchés, 40 000 œufs, 7 000 salades, 40 tonnes de pommes de terre, 36 000 oranges, 250 barils de farine, presque 400 kg de thé et une tonne de café, près de 7 000 litres de lait et 2 700 litres de lait condensé, une demi-tonne de confitures, 850 bouteilles de spiritueux, 1 000 bouteilles de vin et 15 000 de bière – sans oublier les fleurs qui décoraient les tables de 1ère et 2nde classe.

Afin d’améliorer le service, des plats spéciaux qui maintenaient la chaleur étaient disponibles pour le service, ce qui était une innovation (même en 1ère classe, un repas froid ou, au mieux, tiède, semble avoir longtemps été la plaie des voyages transatlantiques). Une grande quantité de vaisselle (estampillée du logo de la White Star, ainsi que bon nombre d’objets à bord) et couverts avait été prévue, tout comme nappes et serviettes.

Le capitaine Smith et le commissaire de bord McElroy étaient les seuls membres de l’équipage qui mangeaient avec les passagers (les officiers disposaient d’un mess, ainsi que les machinistes, mais le reste de l’équipage n’avait pas de mess assigné et il semble qu’une bonne partie d’entre eux ait pris ses repas où ils le pouvaient – probablement au restaurant des 3ème classe entre les repas des passagers) ; Smith et McElroy avaient même leur propre table dans le restaurant de 1ère classe et les passagers se battaient pour avoir le privilège d’y être invités.

Certains passagers qui étaient des lève-tôt pouvaient se faire servir une collation matinale par la personne assignée à leur cabine, mais le petit-déjeuner officiel se prenait entre 8 h et 10 h du matin ; le déjeuner était servi entre 13 h et 15 h et le dîner avait lieu entre 19 h et 20h15.

C’était un bugle qui annonçait déjeuners et dîners aux passagers. Cette charge incombait à Percy Fletcher (1887-15 avril 1912), qui jouait systématiquement l’air The Roast Beef of Old England.

Il était de tradition que le restaurant, entre le petit-déjeuner et le déjeuner, serve pour l’office anglican du dimanche (le 14 avril était un dimanche). Le capitaine menait l’office, sauf s’il était trop occupé sur la passerelle, auquel cas la charge était confiée à un pasteur anglican (voyageant en 1ère classe, bien évidemment). Le 14 avril fatidique, Smith mena l’office.

 

Vue du restaurant de l’Olympic

 

Menu du 14 avril 1912 (il reste très peu de ces menus et les collectionneurs se les arrachent. Le dernier mis aux enchères le 30 septembre 2015 partit pour 88 000 € ;

il avait appartenu à Abraham Salomon (1868-1959) qui ne parla jamais du naufrage)

 

Pour les passagers les plus riches qui ne souhaitaient pas côtoyer certains passagers de 1ère classe et profiter des mêmes repas qu’eux, il y avait un restaurant « À la carte », surnommé le Ritz – même si le personnel venait de l’Adelphi et du Strand de Londres qui appartenaient à Gaspare Antonio Pietro, dit Luigi, Gatti (1875-15 avril 1912), qui le gérait avec l’accord de la White Star, où les plus riches passagers devaient payer leur addition en plus du prix déjà exorbitant de leur billet. Les passagers qui annonçaient lors de leur réservation qu’ils prendraient leurs repas exclusivement au « Ritz » bénéficiaient alors d’une remise sur le prix de leur billet (entre 3 et 5 £).

On y accédait, sur le pont B, par le grand escalier arrière dont le pallier donnait sur une salle de réception où les passagers de 1ère classe pouvaient discuter un instant avant de passer à table et où les dames pouvaient étaler leurs nouvelles toilettes et bijoux achetés en Europe. Cet escalier avait la même structure et le même décor que celui de l’avant, mais il n’allait que des ponts A à C.

 

Palier du grand escalier arrière (pont B de l’Olympic)

 

La White Star faisait bien évidemment confiance à Gatti parce qu’il gérait déjà très efficacement le restaurant « À la carte » de l’Olympic.

Environ 150 convives pouvaient y être servis à n’importe quelle heure entre 8 h et 23 h par une équipe de soixante-neuf employés (seules les deux caissières et un cuisinier survécurent au naufrage). Ces derniers avaient tous été choisis par Gatti et ils étaient principalement italiens, français et suisses.

Les couverts et la vaisselle n’étaient pas les mêmes que pour le restaurant de 1ère classe ; la porcelaine bleu et or venait de chez Spode, mais la marque de la White Star y était plus discrète (Spode ne savait pas si leurs créations avaient été utilisées sur le Titanic et nous savons désormais que c’était le cas grâce à RMS Titanic, Inc. qui en a retrouvé sur le lieu du naufrage).

Le plafond avait un décor floral en stuc, décor qui se retrouvait sur les boiseries en noyer où étaient ajoutées des touches d’or sur les colonnes, des miroirs agrandissaient la pièce et servaient en quelque sorte d’ersatz de fenêtres et le sol était recouvert de dalles de tapis de chez Axminster[4] (le motif appelé « Rose du Barry » créait une impression de quadrillage qui pourrait rappeler un parquet s’il ne s’agissait pas d’un tapis vieux rose et mauve).

Les fauteuils étaient tapissés d’Aubusson à motif de petites roses roses.

C’était un lieu privilégié pour les passagers à la recherche de calme et pour ceux, vieille Europe, pour qui dîner en public équivalait à se donner soi-même en spectacle.

 

Le restaurant « À la carte »

 

La 1ère classe était un palace flottant.

 

 

            Les passagers de 2nde classe quant à eux occupaient des cabines qui, certes, étaient moins luxueuses que celles de 1ère classe, mais, à bord du Titanic, elles restaient plus agréables que certaines cabines de 1ère classe sur d’autres lignes.

Malheureusement pour ce voyage inaugural, comme les aménagements avaient pris du retard à cause des problèmes sur l’Olympic, quelques cabines n’avaient pas tout leur mobilier, le ménage n’avait pas été fait partout et certains radiateurs ne fonctionnaient pas. Quelques passagers se plaignirent au commissaire de bord McElroy qui leur fit donner de meilleures cabines.

Comme en 1ère, fauteuils et sofas étaient tapissés de riches tissus et les cabines avaient un dressing et une table de toilette avec miroir, lavabo et des robinets reliés à des réservoirs d’eau douce au cœur du navire. En revanche, contrairement à la 1ère classe, toilettes et salles de bain étaient communes. Pour prendre un bain, il fallait faire une réservation auprès du steward ou de l’hôtesse qui s’occupait de votre cabine.

Les passagers qui voyageaient seuls et ne pouvaient se payer une cabine privée pouvaient se retrouver à partager une cabine avec quelqu’un d’autre (bien évidemment, hommes et femmes étaient séparés dans ce cas).

Les cabines de 2nde classe se trouvaient sur les ponts D, E, F et G (celles du pont G pouvaient servir de 2nde ou 3ème classe selon les besoins.

 

Exemple de cabine de 2nde classe

 

            Le restaurant pour les passagers de 2nde classe se trouvait sur le pont D et pouvait servir près de 400 repas en même temps. Étant donné que lors du premier voyage du Titanic il n’y avait que 285 passagers de 2nde, ils ont tous pu se rendre au restaurant dès que le bugle leur signalait le début du service.

Le mobilier était en acajou et les fauteuils pivotants étaient scellés au sol et tapissés de tissu cramoisi. Ce qui est fascinant, c’est que les descriptions des restaurants de 1ère, 2nde et 3ème classes ont un détail étrange : en 1ère classe, aucun siège n’est fixé au sol (ni dans les restaurants, ni dans les cafés) tandis que les restaurants de 2nde et 3ème classe ont des fauteuils qui pivotent, mais qui ne bougent pas et les descriptions nous expliquent gentiment que c’est une précaution au cas où il y aurait du mauvais temps. Devrions-nous en conclure que les sièges de 1ère classe ne risquaient rien en cas de tempête ? Par quelle magie ? Serait-il possible que l’explication soit en réalité un contrôle de l’espace ? Si les passagers de 2nde et 3ème classe ne peuvent pas bouger leurs chaises, on peut mieux organiser les tables – tandis que ceux de 1ère classe, comme à terre, font exactement ce qui leur plaît.

Si les cabines manquaient de radiateurs, au restaurant, c’étaient les plateaux qui faisaient défaut et les pauvres serveurs durent faire le service assiette par assiette.

 

Le restaurant de 2nde classe

 

Menu du dîner du 14 avril 1912

 

            Comme pour le salon de 1ère classe, la bibliothèque de 2nde classe, située à l’arrière sur le pont C, permettait aux passagers de lire, rédiger leur courrier, se détendre ou parler affaires ou politique, prendre un thé, jouer aux cartes ou profiter de la musique (le quintet y jouait de 10 h à 11h, de 17 h à 18 h et de 21h15 à 22h15).

Sycomore et acajou avaient été choisis pour cette pièce. La bibliothèque du navire avait une sélection de livres assez limitée, mais les fauteuils étaient confortables.

 

La bibliothèque de l’Olympic

 

            Juste au dessus de la bibliothèque, sur le pont B, se trouvait le fumoir de 2nde classe de style Louis XVI. Les boiseries de chêne formaient un ensemble avec les fauteuils de cuir vert. Seuls les hommes y étaient les bienvenus. Étant donné que la White Star avait placé la barre très haut pour ses triplés maritimes, on y trouvait le luxe que d’autres compagnies avaient réservé à leur 1ère classe.

 

Le fumoir

 

Parmi le personnel assigné aux passagers de 1ère et 2nde classes, il y avait notamment un orchestre de huit personnes qui avaient été recrutées par l’agence C.W. & F.N. Black. En uniforme, les musiciens s’étaient séparés en deux groupes, un quintet et un trio à cordes, qui jouaient à des endroits différents. La White Star exigeait que ses musiciens n’utilisent pas de partitions et ces derniers devaient connaître par cœur un répertoire d’au moins trois cent cinquante œuvres.

Lors du naufrage, ils furent extraordinaires (tous les témoignages concordent) et se rendirent avec leurs instruments sur le pont où se trouvaient les canots de sauvetage et jouèrent de la musique afin de calmer et rassurer les passagers. Certains disent qu’ils furent trop efficaces pour quelques passagers qui pensèrent que la situation n’était peut-être pas aussi désespérée qu’elle l’était en réalité si les musiciens étaient là, à jouer calmement.

C’est sur le dernier morceau qu’ils jouèrent que les témoignages diffèrent et sur leur présence sur le pont des canots au tout dernier moment : quelques survivants étaient persuadés qu’ils avaient cessé de jouer environ une demi heure avant la disparition du navire, mais d’autres pensent qu’ils ont joué jusqu’au bout ; quant à ce qu’ils jouèrent en dernier, les survivants eurent des souvenirs très variés (si les musiciens ont joué de 00 h 15 jusqu’à 1 h 50 ou 2 h 20, ils ont dû jouer de très nombreux morceaux qui auront marqué les passagers de manière différente). À un moment, comme le chef l’avait déclaré à un ami alors qu’il parlait de ce qu’il jouerait s’il devait un jour se trouver dans un naufrage, ils ont dû jouer Plus près de toi, mon Dieu[5] (une des survivantes, Eva Miriam Hart (31 janvier 1905-14 février 1996), quitta précipitamment son église quant elle entendit la congrégation entonner cet hymne, ce qui pourrait confirmer que cet hymne fut bel et bien joué par les musiciens).

Le chef était Wallace Henry Hartley (2 juin 1879-15 avril 1912) et ce fut son propre père, Albion, qui était maître de chorale qui ajouta Plus près de toi, mon Dieu au répertoire de sa chorale. Hartley venait de se fiancer peu avant le voyage inaugural du Titanic ; il partit à contrecœur en se disant que les passagers qu’il rencontrerait pourraient aider sa carrière. Il n’eut pas à payer son billet de 2nde classe, mais il devait partager une cabine (la cabine E sur le pont E à tribord) avec les autres musiciens. Son corps fut repêché deux semaines après le naufrage et envoyé en Angleterre ; son héroïsme, qui avait été relayé dans la presse, fit que mille personnes assistèrent à son enterrement à Colne et 40 000 se placèrent sur le chemin du corbillard (il a un mausolée de plus de 3 m et son souvenir est toujours vivant dans sa ville natale). Son violon[6] fut repêché en même temps que lui ; il était rangé dans une valise, ce qui pourrait accréditer la thèse que les musiciens cessèrent de jouer avant le naufrage – cependant, comme un survivant a déclaré sous serment qu’il avait vu tous les musiciens ensemble au moment où le navire a coulé, il est probable que les musiciens aient pris quelques affaires dans leurs cabines (sans prendre le temps d’ôter à nouveau leur uniforme vert qu’ils avaient remis pour aller jouer après leur service) avant de se rendre sur le pont des canots et de se remettre à jouer (avaient-ils l’espoir d’avoir une place à bord d’un canot malgré le fait qu’il n’y en avait pas assez pour tous ?).

Étaient également violonistes Georges Alexandre Krins (18 mars 1889-15 avril 1912) et John, dit Jock, Law Hume (8 septembre 1890-15 avril 1912). Krins était né à Paris de parents belges (il fit ses études en Belgique) et avait été premier violon au Trianon lyrique à Paris, puis il avait travaillé au Ritz à Londres ; recruté par l’agence Black, il était le chef du trio à cordes qui officiait près du « Café Parisien ». La presse française fut la première à le mentionner alors que la presse anglo-saxonne ne le mentionnait pas (peut-être parce que son corps ne fut pas retrouvé – ou pas identifié). Hume avait appris à jouer du violon enfant et il en fit son métier dès l’adolescence ; il travailla sur plusieurs navires et finit par être recruté par la White Star, mais il travailla aussi pour la Cunard. Non seulement, la rémunération des musiciens prit fin à l’instant où l’océan engloutit le Titanic, mais l’agence Black envoya au père de Hume une facture de 5 shillings et 4 pence pour les boutons de cuivre de son uniforme ainsi que pour un insigne en forme de lyre (les membres de sa famille en parlent encore[7]). Son corps fut retrouvé près de celui d’Hartley, mais il ne fut officiellement identifié que tardivement et il est enterré au cimetière d’Halifax en Nouvelle Écosse où furent ensevelies certaines victimes ; il a une pierre tombale et non pas seulement un numéro comme c’est le cas pour les nombreuses victimes non identifiées.

Le pianiste qui jouait avec le quintet s’appelait William Theodore Brailey (25 octobre 1887-15 avril 1912) ; il jouait également de la flute et du violoncelle. Brailey était aussi un compositeur (nous avons encore deux de ses partitions) et il était féru d’aviation. On ne le retrouva pas après le naufrage.

Celui qui jouait de la basse de violon se nommait John Frederick Preston Clarke (28 juillet 1883-15 avril 1912). Il avait une tante musicienne et avait commencé sa carrière à terre. Il fut retrouvé près d’Hartley et fut enterré au cimetière catholique d’Halifax.

Les trois violoncellistes étaient Roger Marie Joseph Léon Bricoux (1er juin 1891-15 avril 1912), Percy Cornelius Taylor (20 mars 1872-15 avril 1912) et John Wesley Woodward (11 septembre 1879-15 avril 1912), tous perdus en mer. Bricoux était né dans une famille de musicien ; il grandit à Monaco et alla au conservatoire à Bologne et Paris. Il avait déjà travaillé avec Brailey. Malgré les articles écrits sur son décès, l’armée française considéra en 1913 qu’il était déserteur et ce ne fut qu’en 2000 que l’Association française du Titanic (AFT) parvint à faire officiellement enregistrer son décès[8]. On sait relativement peu de choses sur le londonien Taylor ; sa famille n’avait pas de lien évident avec le monde de la musique. Woodward, diplômé de la Royal Academy of Music, commença sa carrière à terre avant de rejoindre la White Star. Hume était un de ses amis ; il était passionné de photographie et de mécanique.

 

Les musiciens

(Clarke et Taylor en haut, Krins, Hartley et Brailey au milieu et Hume et Woodward en bas)

 

 

En 3ème classe, la White Star souhaitait attirer un plus grand nombre de passagers que leurs concurrents. Les triplés océaniques étaient conçus afin d’offrir une expérience de traversée assez inoubliable pour que ceux qui quittaient l’Europe pour l’Amérique écrivent à leurs familles afin de vanter les mérites des navires de la compagnie.

En moyenne, les billets coûtaient 7 £ (environ 1 200 €), ce qui pouvait représenter deux mois de salaire d’un ouvrier.

Les autres compagnies avaient des dortoirs pour les passagers de 3ème classe, mais la White Star leur proposait des cabines avec plusieurs couchettes (au maximum, il y avait dix personnes par cabines).

Les cabines étaient situées près des moteurs sur les ponts inférieurs (du pont D au pont G) à l’avant (pour les célibataires) et à l’arrière (pour les femmes et les familles). Les cabines étaient lambrissées de pin peint en blanc et les sols étaient recouverts de dalles de lino rose saumon. Chaque cabine avait un lavabo avec l’eau courante, mais seules les cabines de poupe avaient des matelas de crin, celles de l’avant avaient des matelas de paille et une seule couverture. Les toilettes étaient communes et il n’y avait que deux salles de bain.

 

Exemple de cabine de 3ème classe (remarquez le logo de la compagnie sur la couverture)

 

Là où les autres compagnies ne fournissaient ni le linge, ni la nourriture pour la traversée, la White Star fournissait tout cela ; les repas de la journée n’étaient pas préparés par des cuisiniers qui mitonnaient des plats dignes de palaces, mais, pour bon nombre de passagers de 3ème classe, ils étaient la meilleure nourriture qu’ils avaient mangée depuis longtemps.

Le restaurant de 3ème classe se trouvait au pont F en bas de l’escalier qui menait à « Scotland Road » (le corridor de service qui courait sur la quasi totalité de la longueur du navire sur le pont E afin de permettre à l’équipage et à certains passagers de 3ème classe de circuler plus rapidement ; il aida malheureusement à accélérer le naufrage). Le restaurant était en fait séparé en deux parties (contrairement à la disposition des cabines, les femmes et les familles étaient à l’avant et les hommes célibataires à l’arrière) et de grandes tables pouvaient accueillir jusqu’à vingt-deux passagers. Les fauteuils pivotants étaient fixés au sol et les places étaient assignées (les familles n’étaient pas séparées, mais les passagers ne pouvaient pas choisir leur siège). Les serveurs portaient un brassard avec un numéro et les passagers étaient informés qu’il pouvait relever ce numéro s’ils souhaitaient se plaindre de quelque chose. Les deux parties du restaurant pouvant accueillir 400 personnes et le décor était sommaire (panneaux laqués de blanc – ou la coque elle-même simplement peinte en blanc – et affiches de publicité de la White Star). Contrairement aux deux autres classes, il n’y avait pas de vestiaire et il fallait accrocher manteaux et chapeaux aux crochets qui étaient aux murs.

La cuisine et les réserves pour la 3ème classe se trouvaient entre le restaurant et le chenil. Les cuisiniers qui y travaillaient avaient à peine assez de place pour préparer les repas quotidiens (qui étaient pourtant nettement moins élaborés que ceux des deux autres classes). Sans plateaux pour servir, le personnel devait apporter des plats tièdes aux femmes et aux familles assis dans la salle avant.

Les repas étaient annoncés par une cloche ou par le bugle.

 

Le restaurant de 3ème classe sur l’Olympic

 

Menu de 3ème classe pour le dimanche 14 avril 1912

           

            Très loin du luxe des autres classes, les hommes de 3ème classe disposaient d’un fumoir sur le pont C à bâbord en dessous du pont de poupe. Cette pièce, dont le mobilier n’était pas tapissé, car les préjudices de l’époque faisaient que les compagnies se méfiaient de l’hygiène des passagers de 3ème classe, communiquait avec le pont promenade qui leur était réservé et avec la salle commune à tribord où hommes, femmes et enfants pouvaient se rendre.

Le lino du fumoir avait un motif à carreau et de simples boiseries en chêne.

 

Le fumoir de l’Olympic

 

            La salle commune n’avait rien en commun avec les salons et bibliothèques des autres classes et cet espace, vu le nombre de passagers, était plutôt réduit. Les passagers qui jouaient de la musique s’y retrouvaient autour du piano placé là par la White Star. Le soir du 14, il y eut une petite fête avec de la musique jusqu’à l’extinction des feux à 22 h.

Les murs en pin laqué blanc étaient décorés d’affiches à la gloire de la White Star et, comme dans le fumoir, le mobilier n’était pas tapissé ; en effet, en raison des exigences de la douane américaine à l’égard des immigrants, les passagers avaient passé une visite médicale auprès du personnel de l’hôpital de bord (il y avait deux infirmières, trois chirurgiens et les docteurs Edward Simpson (1875-15 avril 1912) et William O’Loughlin (1849 ?-15 avril 1912) qui avaient vérifié que les passagers n’avaient pas de poux avant de les laisser embarquer). Lors du naufrage, Simpson donna une lampe torche à l’officier Harold Lowe (1882-1944), ce qui permit à ce dernier de localiser quelques survivants[9] dans cette nuit sans lune.

 

             En parlant de l’équipage, une bonne partie d’entre eux avaient des cabines situées principalement le long de « Scotland Road ». L’architecte Andrews avait apporté des améliorations aux quartiers de l’équipage – même par rapport à l’Olympic – et l’équipage lui en était reconnaissant (la vie à bord d’un équipage, même sur des navires de croisière et encore aujourd’hui, est épuisante). Il y avait 150 stewards logés avec le reste de l’équipage tandis que les dix-huit hôtesses étaient dans des cabines pour deux personnes en 1ère et 2nde classe.

Si les machinistes, les pompiers, les marins, le personnel des cuisines (y compris ceux qui s’occupaient de l’approvisionnement), les postiers, les opérateurs radio et les stewards se trouvaient plus ou moins à la même enseigne, les officiers et le personnel médical avaient de plus agréables cabines.

Le tragique bilan du naufrage pour l’équipage (77 % d’entre eux périrent lors du naufrage) aurait pu être encore pire car, de même que toutes les cabines passagers n’étaient pas occupées, l’équipage n’était pas au complet.

Machinistes, marins, pompiers et officiers avaient un mess, mais le reste de l’équipage devait souvent se débrouiller à l’heure des repas.

À bord du Titanic, il y avait un curieux espace, le salon des bonnes et valets où le personnel des passagers de 1ère classe prenait les quatre repas quotidiens.

 

            À New York, pendant ce temps, le voyage de retour en Europe était annoncé et le départ était prévu à midi le 20 avril.

 

Affiche promotionnelle pour le voyage de retour inaugural

 
[Épisode 3 : Le naufrage - le 13 octobre]

[1] : La plupart des images que nous allons ajouter à cette partie ont été prise par Welch et proviennent d’un site (on peut toujours compter sur les passionnés pour être à l’affut des meilleures informations). Les photos sont soit du Titanic, soit de l’Olympic – après le naufrage, la White Star réalisa que certains lieux à bord du Titanic n’avaient pas eu le temps d’être photographiés.

[2] : Traduit en Atlantique, latitude 41° en français, parce qu’Une nuit à ne jamais oublier n’était pas assez dramatique ou pas assez évocateur de la tragédie. Nous aurions pu l’ajouter à notre article sur le sujet : « Quid ? ». 

[3] : Ce fut à McElroy que fut confié le canari de Mr Meanwell, qui paya 25 p pour que l’oiseau auquel il tenait tant le rejoigne en France. La cage fut livrée à Southampton, fit la traversée dans le bureau de McElroy, qui fit débarquer la cage à Cherbourg. La plupart des douze chiens qui faisaient la traversée avec leurs maîtres n’eurent pas la chance du canari Meanwell et périrent dans le naufrage. Les survivants déclarèrent qu’au moins deux passagers de 1ère classe se rendirent au chenil afin de libérer les sept chiens qui s’y trouvaient. La petite Frou-frou qui appartenait à Helen Bishop (1892-1916) fut, à regret, laissée dans la cabine B-49 par sa maîtresse (lors de l’enquête sur le naufrage, elle déclara qu’elle pensa que les gens auraient peu de sympathie pour une femme qui aurait tenté de sauver son chien alors que des femmes et des enfants allaient mourir); il y eut une passagère qui emmaillota son petit chien comme si c’était un bébé et l’emporta avec elle dans le canot qui lui sauva la vie. Deux autres petits chiens furent aussi sauvés. L’équipage du Carpathia, qui récupéra les survivants ne voulait initialement pas que les chiens montent à bord, mais les rescapés canins furent finalement accueillis avec leurs maîtres. Il y avait peut-être aussi la chatte du navire, Jenny, et ses chatons à bord – à moins qu’elle n’ait quitté le navire avec eux à Southampton (les témoignages ne concordent pas).

[4] : Aujourd’hui, cette compagnie existe depuis 250 ans et elle crée toujours des tapis de luxe.

[5] : Nearer, My God, to Thee fut écrit en 1841 par Sarah Flower Adams (1805-1848) et mis en musique par Lowell Mason (1792-1872).

[6] : Il fut vendu aux enchères en 2013 pour 1,6 M de dollars.

[7] : Sa petite nièce, Yvonne Hume, a écrit deux livres : RMS Titanic The First Violin (une biographie de son parent) et RMS Titanic Dinner Is Served (un recueil de recettes et autres informations).

[8] : Le 11 août 2000, le Tribunal de Grande Instance de Nevers le déclara mort, mais cette décision n’apparaît pas sur son acte de naissance – au moins sur la version consultable en ligne (Cf. : Archives de la Nièvre, vue 364 sur cette page).

[9] : Un autre conte (un de plus) qui circule est qu’il hésita à aller récupérer un Asiatique qui s’était attaché à une porte qui avait dû se dégonder quand le navire coula. Il alla finalement le chercher et les survivants du canot le réchauffèrent ; l’homme reprit ses esprits, fit quelques exercices afin d’avoir moins froid, puis les aida à ramer toute la nuit, ce qui impressionna Lowe et le fit se sentir coupable d’avoir initialement envisagé d’abandonner cet homme parce qu’il était étranger. Magnifique histoire – qui n’arriva jamais.