L'iceberg, le boulanger et l'alligator [Épisode 3 : Le naufrage]

Le capitaine Smith avait laissé le commandement de l’Olympic au capitaine Herbert Haddock (1861-1946) et Smith visita le Titanic le 31 mars 1912.

Le Titanic, après ses essais au large de Belfast, reçut l’autorisation de naviguer et, le 10 avril, il était à Southampton, prêt pour sa première traversée. Il se mit en route à 12h15.

En quittant Southampton, le Titanic faillit entrer en collision avec un navire plus petit, le City of New York, mais Smith ordonna une manœuvre qui permit, en faisant tourner l’une des hélices à plein régime, d’éviter la collision. Le navire prit du retard sur son horaire.

Le Titanic se rendit à Cherbourg en France où il arriva à 18h35. À cause de son tirant d’eau, il ne pouvait aller à quai et deux transporteurs de la White Star Line firent débarquer et embarquer les passagers (y compris le canari de M. Meanwell). Le navire quitta la France pour Queenstown, en Irlande, où il arriva le 11 avril à 11h30. Quelques passagers débarquèrent, mais de nombreux autres montèrent à bord.

            Ce qui peut nous paraître curieux et complètement fou aujourd’hui, c’est qu’il n’était pas vraiment rare que le charbon provoque un incendie et on sait que c’était le cas à bord du Titanic depuis le 2 avril. Cet incendie dans les entrailles du navire a peut-être fragilisé la coque, même s’il fut maîtrisé le 13 avril au matin. Un autre problème à bord qui eut peut-être des conséquences (les avis diffèrent) fut que l’officier navigateur David Blair (1874-1955) dut au dernier moment, sur ordre de la White Star, échanger son poste avec l’officier en second de l’Olympic et il partit avec la clef de la boite de la vigie où les marins gardaient les jumelles (lors des enquêtes, Frederick, dit Fred, Fleet (1887-1965[1]), qui était à la vigie et donna l’alerte, déclara sous serment qu’avoir accès aux jumelles aurait fait une immense différence).

            Le Titanic appareilla pour New York à 13h30. Dès le lendemain, le capitaine commença à recevoir des messages l’alertant au sujet de brouillard et d’icebergs dans la zone qu’il devait bientôt traverser.

Le nombre de messages d’alerte augmenta tout au long du 14 avril.

À 22h55, Cyril Evans (1892-1959), opérateur radio du Californian (un cargo qui avait quelques rares cabines pour des passagers qui ne pouvaient pas se permettre un billet sur un vrai transatlantique) contacta un de ses deux homologues, John, dit Jack, Phillips (1887-15 avril 1912). Malheureusement, Evans oublia de commencer son message d’alerte avec le préfixe qui indiquait qu’il s’agissait d’un message important et Phillips l’envoya aux pelotes (il était en fin de service, avait passé une bonne partie de la journée à réparer la radio, ce qui sauva probablement tous les rescapés dans les canots, et croulait sous des messages personnels de passagers qui s’étaient accumulés sur son bureau). Evans ne le recontacta pas et l’équipage du Californian, capitaine Stanley Lord (1877-1962) compris, ne réalisa pas la tragédie qui se déroula près d’eux. On leur reprocha de n’avoir rien fait, mais ils étaient coincés dans les glaces (raison pour laquelle Lord avait fait stopper les moteurs pour la nuit), étaient plus loin que ceux qui étaient à bord du Titanic ne le croyaient et ils étaient trop petit pour prendre à leur bord ceux qui n’avaient pas de place dans les canots. Les théories sur ce que le Californian aurait pu faire et ce que Lord aurait pu ou dû ordonner ne sont pas un dossier clos et deux camps continuent de s’affronter.

Jack Phillips

Le capitaine Smith qui avait été invité à dîner au restaurant « À la carte » était dans sa cabine après avoir confié la passerelle à l’officier de quart, William Murdoch (1873-15 avril 1912).

À 23h40, Fleet sonna l’alerte de trois coups de cloche lorsque lui et Reginald Lee (1866-1913) aperçurent un iceberg. Contacté par téléphone, Murdoch donna l’ordre de mettre la barre à bâbord toute et de stopper les machines, mais il n’y eut apparemment que trente-sept secondes entre l’alerte de Fleet et la collision sous-marine avec l’iceberg ; le Titanic allait trop vite et n’était pas manœuvrable en si peu de temps – de plus, comment savoir quel volume de glace se trouvait immergé. Avec le recul, on peut imaginer que le navire n’aurait pas coulé s’il avait frappé l’iceberg de plein fouet (la tragédie du Titanic servit de leçon aux marins : en 1914, le capitaine du Royal Edward se retrouva dans la même situation, mais il donna l’ordre de faire marche arrière toute et ne changea pas de cap ; il percuta un iceberg, mais ne coula pas et cette tactique devint la procédure standard), mais avec des « si », on met Lutèce en amphore.

Un bruit étrange se fit entendre et le choc brisa de la glace du haut de l’iceberg dont quelques morceaux tombèrent sur les ponts. Sous la ligne de flottaison, des rivets avaient cédé et les tôles ne joignaient plus sur cinq ou six compartiments.

Murdoch ne connaissait pas encore l’étendue des dégâts, mais il donna l’ordre qu’il fallait afin que les hélices ne rentrent pas en collision avec la glace. Supposant que le navire prenait l’eau, Murdoch fit sonner l’alarme qui donna l’ordre aux machinistes et aux pompiers d’évacuer et il fit sceller les portes étanches, mais le Titanic n’était insubmersible qu’avec quatre compartiments sous l’eau ; plus de quatre compartiments étaient touchés et les porte étanches ne stoppaient l’eau que jusqu’à une certaine hauteur.

Le capitaine Smith et J. Bruce Ismay furent réveillés par la collision. Smith arriva sur la passerelle où Murdoch lui fit son rapport. Smith se rendit sur le pont afin d’essayer de voir l’iceberg, puis il envoya chercher l’architecte Andrews et lui demanda d’aller inspecter les dommages en compagnie du charpentier. Dans l’intervalle, le charpentier arriva et leur apprit à tous que le navire prenait l’eau et que les pompes n’étaient pas suffisantes. Smith ordonna de stopper les machines ; Ismay arriva à ce moment-là, en pyjama, et Smith lui expliqua la gravité de la situation.

Smith se rendit à la radio et demanda à Phillips et son collègue Harold Bride (1890-1956) de se tenir prêts à demander de l’aide aux autres navires dans le secteur.

Andrews inspecta l’avant endommagé et expliqua au capitaine que, d’après ses calculs, le Titanic allait couler en une heure à une heure trente.

À minuit  cinq, Smith donna l’ordre de préparer les canots et d’ordonner aux passagers de mettre leurs gilets de sauvetage (à l’époque, il s’agissait de blocs de liège dans un tablier de tissus qu’on attachait sur les côtés).

À minuit quinze, Smith passa dire aux deux opérateurs radio de demander de l’aide parce qu’ils coulaient et leur donna ce qu’il pensait être leur position exacte : 41° 46′ N et 50° 14′ O. Sur la longueur d’onde des 600 mètres (fréquence de 500 kHz utilisée en cas de détresse en mer), Phillips et Bride utilisèrent le code « CQD » (sécu[rité]/détresse, dont le signal en Morse était compliqué), mais aussi le « SOS ». Cinq minutes plus tard, le Carpathia répondit à leur appel, ce qui fut un miracle parce que l’opérateur du Carpathia, Harold Cottam (1891-1984), était en train d’ôter ses chaussures pour aller se coucher quand il décida d’écouter ce que disaient les navires alentour. Cottam alla réveiller son capitaine, Arthur Rostron (1869-1940), qui lui ordonna de dire au Titanic que le Carpathia allait venir à son secours et arriverait d’ici quatre heures, donc bien trop tard. Rostron donna immédiatement l’ordre à son équipage de préparer le navire à recevoir les survivants et de consigner les passagers dans leurs cabines ; il fit également couper le chauffage pour l’eau chaude et le chauffage sur le navire afin de pouvoir utiliser toute la vapeur des machines (cette nuit-là, le Carpathia dont la vitesse maximale en croisière était de 14 nœuds alla jusqu’à plus de 17 nœuds). Rostron convoqua ses trois médecins et leur ordonna d’être prêts à prendre soin des passagers du Titanic.

Le Mount Temple, qui était moins rapide que le Carpathia et plus loin, répondit également. Il dut contourner un champ de glace pour parvenir sur la zone du naufrage. Son capitaine, James Henry Moore, déclara sous serment aux commissions d’enquête que la position donnée par le Titanic n’était pas la bonne et l’Histoire finit par lui donner raison.

Après la réponse du Carpathia, Smith savait qu’il avait environ 2 200 personnes à bord (il est fascinant de constater que, d’une source à l’autre, les chiffres ne concordent pas) alors que les canots pouvaient en sauver 1178 s’ils étaient complètement remplis et qu’il n’y avait aucun incident.

D’un côté, il y avait plus de canots que la White Star était obligée d’en avoir à bord parce que les lois maritimes n’avaient pas évoluées depuis des années et qu’un navire d’un tonnage aussi énorme que le Titanic n’avait tout simplement pas été imaginé, mais il y avait aussi Ismay, qui avait refusé d’avoir assez de canots pour tous les passagers parce que les canots supplémentaires auraient pris de l’espace et gâché les promenades de certains ponts – et il était persuadé que son navire ne pouvait pas couler.

Certains racontent que Smith, qui savait qu’il allait probablement mourir dans les deux heures, serait celui qui fit monter Ismay dans un canot (afin que le responsable des pertes humaines puisse être jugé à terre ou bien parce que, en dépit des circonstances, Ismay restait l’employeur de Smith et était également  sous la responsabilité de Smith ?), mais Ismay aida – en pyjama – à faire monter des passagers dans les canots. Ismay lui-même déclara sous serment qu’il était simplement monté à bord du dernier canot parce qu’il n’était pas plein ; d’autres dirent qu’il avait sauvé sa vie et d’autres encore prétendirent qu’un officier l’avait forcé à prendre place dans le canot pliable C. Les passagers de 1ère et 2nde classe étaient géographiquement plus près des canots. Les passagers de 3ème classe ne furent pas tous retenus dans les entrailles du navire par des grilles fermées par l’équipage (contrairement à ce qu’on voit dans les films) – les informations leur parvinrent trop tard pour la plupart et il y avait également un problème de barrière de langue. Il y avait effectivement quelques barrières qui étaient fermées, mais elles l’étaient depuis le début de la traversée. Bref, les témoignages (même ceux des passagers à bord du canot C avec Ismay, ce qui reflète le traumatisme et le chaos émotionnel du naufrage) ne concordent pas, cependant le témoignage écrit d’Augustus Weikman[2] (1860-1924), le barbier du Titanic, atteste qu’Ismay fut encouragé à monter à bord du canot C par l’officier Henry Wilde (1872-15 avril 1912) qui souhaitait qu’Ismay soit la voix et le défenseur du capitaine Smith et Ismay aurait, en privé et des années plus tard, corroboré cette version des faits.

À partir de minuit vingt-cinq, Smith et l’officier Charles Herbert Lightoller (1874-1952), dont le quart avait fini à 22 h et qui était en pyjama sous son uniforme parce qu’il s’était relevé après la collision, firent monter à bord des canots à bâbord des femmes et des enfants (la seule exception autorisée par Lightoller fut dans le canot n° 6 où il autorisa Arthur Peuchen (1856-1929) à se joindre aux passagères qui n’avaient que Fred Fleet et le quartier-maître Robert Hichens (1882-1940) pour prendre soin d’elles en mer (Hichens qui s’empara de la barre fut, selon les autres rescapés, parfaitement odieux). À bord de ce canot, Margaret Brown – aujourd’hui surnommée « l’insubmersible Molly » (1867-1932) fit remarquer qu’il manquait d’hommes et Peuchen se proposa parce qu’il avait fait de la plaisance ; Lightoller le mit au défit de rejoindre le canot qui avait déjà été un peu descendu et Peuchen y parvint en utilisant les câbles de sécurité.

Le naufrage du Titanic et celui du Birkenhead sont cependant les deux seuls dans les annales maritimes où les femmes (et quelques enfants) survécurent plus que les hommes – en général, c’est le contraire.

L’idée de faire monter à bord des canots « les femmes et les enfants d’abord » fut étrange quand Smith et Lightoller firent mettre à l’eau des canots à moitié vides alors que des passagers ou même des membres de l’équipage auraient pu y embarquer – ils savaient que bon nombre de personnes allaient mourir cette nuit-là et un plus grand nombre aurait pu être sauvé (mais, encore une fois, avec des « si », on refait l’Histoire). Murdoch, qui faisait embarquer les gens à tribord donnait la préférence aux femmes et aux enfants, mais complétait les canots avec qui était présent sur le pont ; pourtant, même de son côté, les canots ne partaient pas avec le nombre maximum de passagers à bord.

À minuit quarante, Smith donna l’ordre d’envoyer les fusées de détresse à intervalle régulier ; la dernière éclata à 1h40. L’équipage du Californian les remarqua, mais ils pensèrent qu’un petit navire sans radio signalait aux autres navires avec des fusées blanches qu’il y avait beaucoup de glace – à leur décharge, comment imaginer que le Titanic était en train de couler ?

C’est aussi à minuit quarante que le premier canot fut affalé à tribord, mais avec encore des places libres.

            À 1h, machinistes et pompiers se rendirent compte que tout était perdu, mais, sachant qu’ils allaient certainement mourir pour la plupart d’entre eux, ils continuèrent à faire tout ce qu’ils pouvaient afin que le navire soit alimenté en électricité, ce qui permit aux passagers de rejoindre les ponts et aux opérateurs radio de continuer à émettre (le Titanic était en contact avec le Carpathia, mais aussi avec l’Olympic qui était beaucoup trop loin pour arriver à temps).

            À 1h15, la proue commença à s’enfoncer, faisant réellement comprendre aux passagers la sévérité de la situation et les évacuations accélérèrent. Les évacuations mixtes à tribord restèrent plus rapides.

            Vers 2h, il ne restait plus que les canots pliables ; le canot C, celui où se trouvait Ismay, partit à ce moment-là. Certains canots avec de la place récupèrent des hommes qui étaient tombés à la mer, mais les marins qui avaient été affectés aux canots savaient qu’il fallait s’éloigner au plus vite afin de ne pas être aspiré par le navire quand il coulerait. L’équipage essaya de lancer les canots pliables restants, mais ils échouèrent (le canot B glissa et s’affala à l’envers).

          À 2h10, Smith releva Phillips et Bride de leur fonction et les remercia, mais Phillips continua d’émettre jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de courant (à 2 h 17).

À 2h15, l’eau était au niveau du pont des canots et de la passerelle.

À 2h17, les musiciens cessèrent de jouer pour la dernière fois.

À 2h18, les lumières s’éteignirent. Le Titanic se brisa en deux entre deux cheminées (probablement entre la troisième et la quatrième). L’avant s’enfonça tandis que l’arrière ne sombra que quelques instants plus tard. Lightoller, qui était pourtant aux premières loges, déclara plus tard que le navire avait coulé en un seul morceau ; les témoignages de passagers (tels John, dit Jack, Thayer (1894-1945) qui rédigea une brochure sur le naufrage en 1940 ou encore Bridget, dite Bertha, Mulvihill (1886-1959) qui, à bord du Carpathia, écrivit à sa sœur Maud qu’elle avait vu le navire se briser) furent ignorés.

Un doute subsiste sur l’ordre de ces deux événements à cause de la localisation des chaudières et des disjoncteurs, mais si le navire se brisa d’abord, ce qui provoqua la panne électrique, cela voudrait dire qu’il y avait encore de la lumière et donc les officiers auraient dû voir que le navire cédait. De très nombreux doutes subsistent et ce malgré la découverte de l’épave.

Ceux qui étaient à bord des canots entendirent les cris désespérés de ceux qui étaient heurtés par des débris et précipités dans une eau à -2° C, ce qui est mortel : malgré les gilets de sauvetage, les malheureux firent des crises cardiaques à cause du choc ou furent victimes d’hypothermie et moururent en une dizaine de minutes. Lightoller, qui, rappelons-le, était en pyjama sous son uniforme et qui tomba à l’eaul, heureusement portant son gilet de sauvetage, avant de parvenir à rejoindre le canot pliable B renversé, raconta qu’il avait eu la sensation de recevoir des milliers de coups de couteau. Bride, qui tomba aussi à l’eau, eut un pied gelé ; Phillips, qui avait aussi réussi à rejoindre un canot, mais qui était épuisé de sa journée, mourut avant l’arrivée du Carpathia.

Lowe confia ses passagers à d’autres canots et, vers 3h,  partit à la recherche de survivants grâce à la lampe torche du médecin.

Les marins et passagers de certains canots commencèrent à ramer afin de se réchauffer.

À 3h30, les survivants aperçurent les fusées lancées par le Carpathia.

À 4h du matin, le Carpathia arriva aux premiers canots. Le capitaine Rostron savait qu’il participait à un événement historique et il demanda à Augusta et Louis M. Ogden qui possédaient un appareil photo de prendre des clichés. Une fois tous les survivants récupérés, le nombre s’élevait à 712 (Américains et Britanniques ne sont pas d’accord sur le nombre de victimes, mais ce chiffre s’élèverait à 1496, dont la plupart aurait succombé à l’hypothermie et non pas à la noyade).

À 5h30, le Californian rejoignit le Carpathia et il alla chercher d’éventuels survivants sur le lieu du naufrage. Haddock proposa à Rostron de venir chercher les survivants afin que le Carpathia puisse reprendre sa route, mais Rostron fit remarquer à Haddock que les survivants risquaient un grave choc émotionnel en voyant se diriger vers eux la copie conforme du navire qui venait de couler en emportant parfois parents et amis.

À 8h30, le dernier canot, où se trouvait Lightoller, fut récupéré.

À 10h50, le Carpathia repartit pour New York.

Photo de canots du Titanic prise par les Ogden

La nouvelle de la collision arriva à terre (dans le monde entier) au matin du 15 avril, mais il fallut toute la journée pour réaliser l’étendue de la tragédie.

Certains titres de journaux furent rédigés alors qu’il n’y avait pas encore de nouvelles ; certains dirent que tous les passagers avaient été récupérés par d’autres navires et que le Titanic – simplement endommagé – faisait route vers le Canada à vitesse réduite. Quand l’Olympic confirma la catastrophe, certains journalistes se comportèrent comme des gratte-papiers de journaux à poisson et harcelèrent l’opérateur radio du Carpathia.

Une fois le choc absorbé, il y eut une commission d’enquête aux États-Unis et en Grande-Bretagne ; les milliers de pages de témoignages nous aident à comprendre une partie de ce qui s’est passé cette nuit-là.

 

Quatre navires furent envoyés par la White Star afin de récupérer les corps ; plus de 300 furent repêchés, mais certains, en état de décomposition avancée, furent rendus à la mer. Les corps non identifiés ou non réclamés par les familles furent enterrés dans les trois cimetières d’Halifax en Nouvelle-Écosse.

Grâce aux passionnés au sujet du Titanic, le corps du seul enfant qui fut repêché fut identifié grâce à l’ADN en 2007[3] ; on sait désormais que « l’enfant inconnu » se nommait Sidney Leslie Goodwin et avait un an et demi au moment du naufrage. Le petit Sidney avait tant ému les marins du Mackay-Bennett qui l’avaient trouvé qu’ils avaient eux-mêmes payé son enterrement et sa pierre tombale et avaient portés son cercueil. Ses parents et ses cinq frères et sœurs, passagers de 3ème classe périrent eux aussi (ils n’auraient pas dû se trouver sur le Titanic ; ce fut la grève des mineurs qui fit annuler le départ du navire sur lequel ils avaient réservé et ils furent transféré sur le Titanic).

Incidemment, c’est aussi grâce aux passionnés que nous connaissons toute la vérité sur celui qui acheta un billet sous le nom de Charles Hoffman, un prétendu veuf, alors qu’il s’appelait Michel Navratil (13 août 1880-15 avril 1912). Navratil, qui avait fait faillite et traitait sa jeune épouse comme une esclave qu’il terrorisait, avait prétendu, quand elle demanda enfin le divorce, qu’elle avait un amant et était une mauvaise mère. Marianne Marceline, dite Marcelle, Caretto allait certainement gagner le divorce, mais le juge avait ordonné que leurs enfants, Michel Marcel (12 juin 1908-30 janvier 2001) et Edmond Roger (5 mars 1910-7 juillet 1953), soient placés chez une parente de Marcelle en attendant de rendre son verdict. Navratil insista pour avoir les enfants avec lui à Pâques et quand leur mère vint les chercher, ils avaient disparus. « Hoffman », après seulement quelques jours passés avec ses fils écrivit à sa mère en lui demandant chez qui il pourrait se débarrasser d’eux. Les garçons étaient à peine vêtus quand il les confia à un officier qui les fit placer sur un canot ; il faut sans doute se réjouir qu’il les ait passés à un membre d’équipage afin d’être sauvés au lieu de les garder avec lui. Si jeunes, les orphelins du Titanic auraient pu être placés dans un orphelinat aux États-Unis, mais leur histoire avait ému le monde et leur photo fut publiée – jusqu’à Nice où leur mère, injustement accusée par son mari, les cherchaient. La White Star emmena Marcelle à New York où elle retrouva ses fils et interrogée par un journaliste qui lui demandait si elle dirait à ses fils la vérité sur leur père, elle répondit qu’elle leur mentirait et Michel et Edmond grandirent en étant persuadé que leur père les avaient habillés chaudement et leur avait fait tout un discours d’adieu prétendant qu’il avait souhaité voir leur mère les rejoindre en Amérique le plus vite possible. Personne avant 2024 n’était allé à la recherche du jugement de divorce des Navratil afin de voir qui était le monstre dans cette histoire. Navratil n’ayant jamais été officiellement déclaré mort, comme Bricoux, Marcelle Caretto ne fut jamais veuve.

 

Victimes et survivants du Titanic sont tous fascinants et il faudrait parler d’eux tous. En plus de ceux que nous avons déjà mentionnés, nous allons vous raconter certaines de leurs histoires.

 

Parmi les victimes de 3ème classe, il y avait beaucoup d’étrangers qui se rendaient aux États-Unis afin d’y commencer une nouvelle vie. Comme la plupart des membres de l’équipage devaient être loin d’être polyglottes, la barrière de la langue a dû mener à bien des tragédies lors du naufrage. Plus triste encore, certains hommes dont les cabines avaient commencé à prendre l’eau furent ridiculisés par certains passagers lorsqu’ils tentèrent de donner l’alerte et rabroués par les stewards pour avoir mis leurs gilets de sauvetage peu de temps après la collision alors que l’équipage ne mesurait pas encore l’étendue de la tragédie qui se jouait.

Marie, dite Frances, Daumont, épouse Lefebvre (18 mars 1872-15 avril 1912) avait eu huit enfants avec son mari, Franck. Ce dernier, qui était mineur, était parti s’installer à Mystic, dans l’Iowa avec quatre de leurs enfants et Frances allait le rejoindre, avec tous leurs meubles, en compagnie de Mathilde (née le 4 mai 1899), Jeanne (née le 14 octobre 1903), Henri (né le 14 juillet 1906) et Ida (née le 26 décembre 1908). Les parents de Marie eurent du mal à savoir ce qui était arrivé à leur fille et la moitié de leurs petits-enfants, mais le malheur allait s’acharner sur Franck Lefebvre (certains journaux racontèrent qu’il vivait avec une autre femme à Mystic et les autorités américaines se penchèrent sur son dossier d’immigration, y trouvèrent des déclarations mensongères et le renvoyèrent en France avec ses quatre enfants). Dans un excellent article qui leur rend hommage, Olivier Mendez, éditeur de Latitude 41 (le bulletin de l’Association française du Titanic), nous apprend que le député-maire de Liévin, ville de résidence des Lefebvre, dévoila une plaque commémorative à la mémoire des cinq Lefebvre le 30 mars 2002.

Malgré la barrière des langues, il y eut quand même quelques survivants non-anglophones, comme les enfants Nīqūla Yārid, Jamīlah (15 avril 1898[4]-8 mars 1970) et Ilyās (16 avril 1900[5]-31 mai 1981). Nés au Liban, leur mère avait déjà immigré à Jacksonville en Floride avec leurs aînés et ils auraient dû voyager avec leur père, mais il avait contracté une maladie oculaire infectieuse et ne fut pas autorisé à embarquer. La nuit du naufrage, Jamīlah sentit la collision et parvint à convaincre son frère d’aller voir ce qui se passait, d’autant plus qu’ils entendaient des voix dans le couloir, ce qui était inhabituel. Ils arrivèrent sur le pont des canots et, là, Jamīlah se souvint de l’argent que leur père lui avait donné et elle tenta de retourner à leur cabine. L’eau y était déjà arrivée et elle ne put ouvrir la porte. Les enfants retournèrent sur le pont et furent placés dans un canot. Un frère aîné les accueillit à New York et leur père put les rejoindre. Afin de s’intégrer, Jamīlah devint Amelia et Ilyās devint Louis et la famille transforma leur nom en Garrett.

 

            En 2nde classe, une mère et sa fille furent sauvées parce que la mère avait un mauvais pressentiment au sujet de ce navire qu’on avait osé déclarer insubmersible, ce qui, selon, elle, était une offense à Dieu. Cette femme était la mère d’Eva Hart, Emily Esther Louisa Bloomfeld, épouse Hart (13 mai 1863-7 septembre 1928). Si Esther était angoissée et refusait de dormir la nuit, veillant come une lionne sur sa famille, en revanche, Benjamin Hart (25 décembre 1864-15 avril 1912) se moquait des inquiétudes de son épouse. Après la collision, il les escorta sur le pont, les fit monter dans un canot et leur dit au revoir. Eva fut hantée toute sa vie par le naufrage ; elle en voulait terriblement à la White Star, à cause du manque de canots et quand l’épave fut découverte elle fut contre toute expédition de récupération.

La survie du seul passager japonais, Masabumi Hosono (15 octobre 1870-14 mars 1939), semble avoir été récemment découverte par les occidentaux. Encore une fois, les données à son sujet sont principalement erronées, mais une passionnée, Margaret Mehl, a exploré les archives japonaises et rendit justice à ce fonctionnaire japonais qui survécut. Dès son arrivée sur le Carpathia, il écrivit ce qui lui était arrivé et son récit fut publié dans les journaux japonais. Quelques stewards avaient pensé qu’il venait de la 3ème classe et avaient voulu l’empêcher de se rendre sur le pont des canots, mais il y monta tout de même. Quasiment résolu à mourir, un officier annonça qu’il y avait deux places à prendre à bord du canot qui allait être affalé ; un homme y alla et il le suivit. À New York, ses amis et collègues s’occupèrent de lui et lui prêtèrent de l’argent pour rentrer chez lui ; l’ambassadeur du Japon à Londres télégraphia la nouvelle de sa survie à Tōkyō. Hosono raconta son aventure à ses compatriotes à San Francisco, puis au Japon. En plus de l’attitude des stewards, les autres occupants de son canot pensaient qu’il était un passager clandestin japonais et les marins du Carpathia ne furent pas très accueillants. Certains récits vous feront croire qu’il a été renvoyé pour avoir bafoué le code des samouraïs, mais Hosono était un fonctionnaire hautement qualifié et comme nous l’apprend Mehl, l’emploi qui prit fin en mai 1913 fut suivi d’un autre poste ministériel en juin 1913. Quelques publications le traitèrent de lâche, ce qui troubla certains membres de sa famille, mais il leur fit remarquer que l’important était qu’il était avec eux, bien en vie. Il avait bien raison.

 

            En 1ère classe, nous trouvons des histoires très variées.

Souvent, les Duff Gordon sont présentés comme relativement sans cœur et, lors de l’enquête américaine, ils furent interrogés avec une certaine agressivité. Sir Cosmo Edmund Duff Gordon (22 juillet 1862-20 avril 1931) était un baronet qui avait épousé son associée en affaire, Lucy Christiana Sutherland – même si leur mariage ressemblait plus à un contrat d’affaire qu’à un conte de fée. Lady Lucy avait dû divorcer de son premier mari et afin de subvenir à ses besoins et aux besoins de sa fille, elle avait créé une maison de couture, Lucile, qui devint un succès. Elle avait déjà ses entrées à la cour d’Angleterre, mais son mariage avec Sir Cosmo fit (presque) oublier qu’elle était divorcée. Les Duff Gordon, qui avaient réservés sous le pseudonyme de Morgan, se rendaient à New York pour une affaire urgente qui leur avait fait prendre le premier navire en partance ; Lady Lucy était accompagnée de sa secrétaire Laura Mabel Francatelli (21 avril 1880-2 juin 1967). Sir Cosmo déclara que, lors du naufrage, Lady Lucy refusa de le quitter et Miss Francatelli refusa de quitter sa patronne. Murdoch, voyant que le canot n° 1 était quasi vide autorisa Sir Cosmo et deux autres passagers (dont Abraham Salomon, le propriétaire du menu mentionné précédemment) à y monter avec Lady Lucy et Miss Francatelli. Il y eut deux épisodes problématiques à bord de ce canot : un des marins évoqua la possibilité de retourner chercher des passagers qui nageaient, mais les autres survivants lui firent remarquer qu’ils risquaient de se faire submerger par le nombre et de couler eux-mêmes et, ensuite, peut-être pour faire une plaisanterie afin de détendre Miss Francatelli, Lady Lucy lui dit que sa jolie chemise de nuit devait désormais flotter dans l’Atlantique. Un des marins grommela qu’eux avaient tout perdu et n’avaient pas le compte en banque des Duff Gordon, ce qui fit déclarer à Sir Cosmo qu’il leur donnerait 5£ – soit environ un mois de salaire (promesse qu’il tint dès qu’ils furent sur le Carpathia en demandant à Miss Francatelli de leur faire un chèque à chacun). Le tout fut monté en épingle et on dit de Lady Lucy qu’elle n’avait pas de cœur et de Sir Cosmo qu’il avait payé les marins pour ramer loin de ceux qui se noyaient.

En parlant de couples, il y eut les Straus. Rosalie Ida Blun, épouse Straus (6 février 1849-15 avril 1912) faillit monter à bord du canot n° 8, mais elle resta avec son mari, Isidor (6 février 1845-15 avril 1912), qui était le copropriétaire de Macy*s. Le corps d’Isidor fut retrouvé, mais pas celui d’Ida. Le valet d’Isidor, John Farthing, qui était né vers 1843, mourut dans le naufrage ; en revanche, Isidor fit monter la bonne de son épouse, Ellen Bird (8 avril 1881-11 septembre 1949) dans un canot.

Il y eut aussi Víctor Peñasco y Castellana (24 octobre 1887-15 avril 1912) et sa jeune épouse depuis le 8 décembre 1910, María Josefa, dite Pepita, Pérez de Soto (3 septembre 1889-2 juin 1972). De familles richissimes, ce jeune couple serait aujourd’hui milliardaire et leur lune de miel, en attendant que les travaux dans leur future demeure soient terminés, leur fit visiter toute l’Europe. Ils se trouvaient à Paris quand ils virent des publicités pour le voyage inaugural du Titanic. Alors que la mère de Víctor leur avait demandé, par superstition, de ne pas faire de traversée, et malgré la mauvaise conscience de la bonne de Maria, Fermina Oliva y Ocana (12 octobre 1872-28 mai 1969) qui aurait préféré obéir à la mère de Víctor, le couple acheta des billets afin d’embarquer à Cherbourg – en laissant le valet de Víctor à Paris afin d’envoyer à intervalle régulier des cartes postales à la mère de Víctor, ce qu’il fit. Ce petit couple fut la coqueluche des passagers de 1ère classe. La nuit du drame, Víctor escorta sa femme et sa bonne sur le pont des canots (il retourna même dans leur cabine chercher les bijoux de Pepita) ; ne parlant pas anglais, ils s’étaient mis de côté et attendaient. Ce fut la comtesse de Rothes, Lucy Noël Martha Dyer-Edwards (25 décembre 1878-12 septembre 1956) qui vint leur expliquer en français que les femmes devaient évacuer. Víctor, qui comprenait ce qui se passait, souhaita à sa chère Pepita d’être très heureuse et il la fit monter avec sa bonne et la comtesse dans le canot n° 8. Sentant que la comtesse était une femme d’exception, le marin Thomas William Jones (15 novembre 1877-23 (?) juin 1967) lui confia le gouvernail (il lui donna la plaque de leur canot ; elle lui donna une montre en argent et ils restèrent toujours en contact), mais quand le Titanic commença à couler et que Pepita, en entendant les cris de ceux qui se noyaient, s’effondra, la comtesse laissa le gouvernail à sa cousine, Gladys Cherry (27 août 1881-4 mai 1965) et elle fit de son mieux afin de consoler la jeune veuve. Veuve ? Pas pour la loi espagnole à l’époque : en l’absence de corps, Pepita ne pouvait être déclarée veuve avant vingt ans –elle ne pouvait ni hériter de son mari, ni se remarier. La mère de Víctor, qui découvrit le nom de son fils dans les articles qui parlaient des victimes du Titanic (alors qu’elle recevait toujours des cartes postales de Paris) fut extraordinaire pour sa belle-fille et elle envoya Fermina au Canada afin de reconnaître un cadavre non réclamé (les Peñasco y Castellana ne furent pas les seuls à faire ça). Un acte de décès fut délivré pour Víctor et Pepita fut légalement veuve. Fermina resta toujours avec Pepita.

 

            L’ensemble de l’équipage subit des pertes terribles et nombreux sont ceux dont le sacrifice fit une énorme différence cette nuit-là.

Il y eut quelques histoires émouvantes, curieuses – et un boulanger incroyable.

Violet Constance Jessop (1er octobre 1887-5 mai 1971), née en Argentine de parents irlandais, était hôtesse pour les passagers de 1ère classe. Dans ses mémoires, Titanic Survivor, elle raconte que le sixième officier James Paul Moody (21 août 1887-15 avril 1912) ordonna aux hôtesses qui étaient montées sur le pont de monter dans un canot (le n° 16) afin de faire voir aux passagères qu’il fallait faire de même et obéir aux ordres. Le canot commençait à être affalé quand Moody remit à Jessop un paquet en lui demandant d’en prendre soin – le paquet était un bébé dont elle s’occupa toute la nuit. Sur le Carpathia, une femme se précipita vers elle et s’empara du bébé (reste à espérer que c’était bien la mère). Jessop ne raconta cette histoire qu’à une seule personne et, dans les années 50, une femme téléphona à Jessop, lui demandant si elle avait sauvé un bébé ; ayant répondu positivement, la femme lui dit en riant qu’elle était ce bébé et raccrocha. Il s’agissait sans doute d’une cruelle plaisanterie, car pourquoi raccrocher après avoir établi le contact avec la femme qui vous avait sauvé la vie ? D’autant plus qu’il y eu un grand nombre d’arnaqueurs qui tentèrent de faire croire qu’ils avaient survécus au naufrage – tel Walter Bedford (1882-1963) qui prétendit avoir été le chef boulanger de nuit à bord, si ce n’est que ce poste n’existe pas et qu’il n’y a aucune trace de lui sur la liste de l’équipage et que son histoire est curieusement inspirée de celle, bien vraie, de Charles Joughin (le fameux boulanger dont nous allons vous parler). Malgré les mensonges de Bedford, son histoire continue à être mentionnée – vous reprendrez bien un petit « no pope », non ?

Pour en revenir à l’extraordinaire et fascinante Jessop, elle était hôtesse à bord de l’Olympic quand il fut éperonné par le Hawke et elle était infirmière à bord du Britannic quand il fut coulé en 1916 (elle eut une fracture du crane qui ne fut découverte que des années plus tard, mais elle survécut – encore). Encore plus incroyable, le pompier Arthur John Priest (31 août 1887-11 mars 1937) et le guetteur Archie Jewell (4 décembre 1888-17 avril 1917) étaient avec elle sur les triplés maritimes. Jewell mourut quand le Donegal, qui avait été transformé en navire hôpital fut torpillé par un sous-marin allemand ; Priest était également à bord.

Alors que leur place à bord était particulière, puisqu’ils servaient les clients du restaurant « À la carte », mais ne faisaient pas officiellement partie de l’équipage, nous avons le témoignage de Paul Achille Maurice Germain Maugé (22 mars 1887-16 janvier 1971). Au moment de la collision, lui et le chef Pierre Rousseau (13 octobre 1863-15 avril 1912) allèrent se changer tandis que le reste du personnel était encore en uniforme. Les stewards les laissèrent passer vers les ponts supérieurs, mais pas leurs collègues (les deux caissières furent les deux seules autres survivantes parmi le personnel). Puisque les canots étaient affalés alors qu’ils n’étaient pas pleins, quelques hommes tentaient leur chance et sautaient à bord depuis les ponts inférieurs au moment où ils passaient devant eux ; certains tombaient à l’eau, mais d’autres, comme Maugé, réussissaient. Il dit au chef Rousseau, « Sautez ! », mais le chef, qui était plutôt dodu, refusa et bientôt le canot où était Maugé était à l’eau et s’éloignait du Titanic.

Et le boulanger ? Le vrai boulanger en chef s’appelait Charles John Joughin (3 août 1878-9 décembre 1956). Il était le second de cinq enfants et il commença sa carrière en mer à 11 ans. Il avait travaillé sur l’Olympic et fut transféré sur le Titanic. Étant donné qu’il n’était plus en service, il semblerait qu’il ait bu quelques verres. Il sentit la collision et, lorsqu’il vit que les canots étaient préparés, de son propre chef, il alla chercher les treize boulangers sous ses ordres vers minuit quinze, leur fit prendre dans la boulangerie du pont D quatre pains chacun et ils les montèrent sur le pont des canots afin de les ajouter aux provisions déjà à bord. Joughin retourna à sa cabine ; en chemin, il vit des passagers de 3ème classe qui se rendaient vers les ponts supérieurs (il déclara sous serment que nulle grille ne retenait les passagers et que les stewards qui parlaient d’autres langues que l’anglais faisaient tout leur possible afin d’aider les passagers affolés). Une fois dans sa cabine, comme il l’admit lorsque la commission britannique l’interrogea, il but « un verre ». Il avait été assigné au canot n° 10 et s’y trouva vers minuit trente avec l’officier Wilde et il aida à faire embarquer femmes et enfants, mais de nombreuses femmes pensaient être plus en sécurité à bord et quittèrent ce pont. Joughin descendit sur le pont A où se trouvaient quelques femmes avec leurs enfants ; femmes et enfants furent emmenés vers les canots et Joughin lança dans le canot n° 10 quelques enfants et leurs mères sans leur demander leur avis. Joughin aurait dû être en charge de ce canot là, mais un officier, peut-être Wilde, le confia à un steward. Joughin se recula et vit son canot être affalé sans lui. Il retourna dans sa cabine et reprit un verre (Joughin n’a jamais dit ce qu’il avait bu, ni combien de verres il avait bu). L’eau commençant à envahir sa cabine, Joughin la quitta et eut une brève conversation avec le Dr O’Loughlin. Il se rendit sur la pont des canots, mais ils étaient tous partis et il descendit au pont B où il commença à jeter des transats par-dessus bord ; il expliqua qu’il pensait que certains pourraient s’y accrocher et qu’il avait espéré qu’il pourrait en trouver un quand il serait obligé de se jeter à l’eau. Il retourna sur le pont A et alla à la réserve pour y boire un verre d’eau (ou d’autre chose) ; là, il entendit un grand craquement, comme si le navire cédait. À ce moment-là, ceux qui étaient encore à bord tentaient de se rendre vers la poupe et Joughin fit de même. Le navire pencha sur bâbord et il parvint à atteindre le bastingage sur tribord et arriva jusqu’à la poupe en remontant le navire sur l’extérieur du bastingage. Il maintint toujours que la poupe du Titanic n’avait pas coulé à la perpendiculaire (quand l’avant se brisa, l’arrière ne fut plus entraîné de la même façon, même si l’océan s’engouffra d’un seul coup par ce trou béant). Joughin, qui était seul à l’extérieur du bastingage de la poupe, se retrouva dans l’eau, mais il dit qu’il eut à peine les cheveux humides.

Il se mit à nager (souvenez-vous que l’eau était à -2° C et que les autres avaient presque tous succombés en une dizaine de minutes). Il nagea jusqu’au petit jour et aux premières lueurs il remarqua une masse sur l’eau : c’était le canot retourné sur lequel Lightoller et une vingtaine d’hommes se trouvaient. Il s’approcha, mais se fit d’abord repousser ; en passant de l’autre côté du canot, le cuisinier spécialisé dans les entrées, Isaac Hiram Maynard (8 octobre 1880-9 janvier 1948), le reconnut et lui tint la main jusqu’à ce qu’ils soient en vue d’un autre canot que Joughin rejoignit à la nage. Il déclara avoir eu plus froid dans le canot qui le récupéra que dans l’eau. S’il monta à l’échelle du Carpathia sur les genoux, les cuisiniers du bord, raconta-t-il, lui mirent les pieds dans un four pour le réchauffer (si, si, ça se faisait à l’époque) et il n’eut aucune séquelle.

 

Charles Joughin, boulanger en chef

(Porteur de pains, lanceur de futurs survivants et de transats et miraculé)

Il maintint toujours qu’il n’était pas soûl et avait toujours été parfaitement conscient de ce qui se passait. Croyons-le. Ce qu’il bu la nuit du naufrage a dû contribuer à le sauver (souvenez-vous du témoignage de Lightoller et de Phillips qui ne résista pas). Quelle que soit la raison, Joughin ne vit pas son nom s’ajouter à la liste des victimes du naufrage.

 

 Un mois après le naufrage, Molly Brown remis des médailles à tous l’équipage du Carpathia et elle donna au Capitaine Rostron une tasse en argent en remerciement et au nom du comité qu’une poignée de survivants avaient formé après leur sauvetage.

Remise de la coupe par Molly Brown au capitaine Rostron

Le capitaine Rostron et ses officiers avec la coupe en argent.

[Épisode 4: Après le naufrage - le 20 octobre]

[1] : Abandonné par sa mère, l’orphelinat lui fit apprendre le métier de marin. Quant il perdit sa femme en 1964, son beau-frère le mit à la porte ; il se suicida deux semaines plus tard et fut enterré dans une fosse commune. En 1993, la Titanic Historical Society avec qui il avait été en contact toute sa vie lui fit ériger une pierre tombale.

[2] : Il aurait pu devenir le barbier en chef de l’Olympic, mais il décida d’aller travailler sur le Lusitania. Il démissionna longtemps avant que ce navire ne soit coulé par un sous-marin allemand (pour mémoire, le Lusitania coula en dix-huit minutes).

[3] : De premières analyses faites trop rapidement à cause de la pression des médias avaient menées à une fausse identification.

[4] : Les données administratives à son sujet ne concordent pas. Sa demande de numéro de sécurité sociale la déclare née en 1895, son acte de mariage indique 1894 et divers recensements la font naître entre 1896 et 1901 – même sa pierre tombale ajoute à la confusion en la disant née en 1900.

[5] : Comme pour sa sœur, l’année est incertaine. Sur sa demande de numéro de sécurité sociale, on trouve 1901, mais son certificat de mariage nous donne 1898.

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