Stratégie d'édition (question sur le siège de Nice en 1543)

    La fin du printemps et l'été ont été occupés par nos recherches afin de pouvoir terminer notre édition de l'ouvrage de Gustave Crauk et la préparation de la publication du texte remanié de notre thèse.

    Crauk nous a posé de nombreux problèmes à cause de sa mauvaise orthographe de certains patronymes ; il nous reste d'ailleurs quelques mystères que nous n'avons pas pu résoudre.

    Notre dernière plongée dans les documents des Archives départementales des Alpes-maritimes (dont le personnel a été extraordinaire) nous a fait découvrir quelques textes inédits de 1543. En plus de nous battre avec la paléographie de certains billets dont le rédacteur devait sans le moindre doute avoir des pattes de mouche au bout de sa plume , nous avons, avec bonheur, consulté les documents sur le siège légués par l'excellent Georges Doublet.

Le texte de Doublet, largement corrigé et annoté, n'est pas complet à 100%. Il manque quelques références et certaines phrases s'arrêtent net sans livrer la fin de la pensée de l'auteur.

Ce texte est assez long. Trop long peut-être afin de l'ajouter dans la partie de notre travail consacrée aux pièces justificatives. En revanche, il serait peut-être intéressant de le publier ici et de le rendre accessible au plus grand nombre.

    Nous allons prendre en considération toutes nos options et prendre la meilleure décision possible.


    Entre les mystères de Crauk sur lesquels nous travaillons encore, nos pattes de mouche de 1543 (nous dirions bien deux mots au rédacteur si c'était possible) et les archives Doublet, notre temps va être bien occupé, mais nous vous donnerons des nouvelles aussi souvent que possible - et si vous avez une préférence quant au travail de Doublet, les commentaires sont les bienvenus.

Le génie de Jules Eugène Lenepveu

Jules Eugène Lenepveu Boussaroque de Lafont, dit Jules Eugène Lenepveu (Angers, 12 décembre 1819 – Paris, 16 octobre 1898) était un artiste rare.

Ce peintre commença sa formation dans sa ville natale avant de rejoindre l’atelier de Picot à Paris. Il commença à participer au Salon en 1843, mais ce ne fut qu’en 1847 qu’il obtint le premier prix de Rome. Sa carrière fut très intéressante et il fut notamment directeur de l’Académie de France à Rome de 1873 à 1878.

 

Malgré toutes ses activités, pourquoi vous dire qu’il était rare nous demanderez-vous ? Tout simplement pour son travail sur le plafond de la grande salle de l’Opéra de Paris (il acheva sa fresque en 1872 ; l’inauguration eut lieu en 1875).

Il intitula cette œuvre Les Muses et les Heures du jour et de la nuit et sur trois plaques de cuivre en éventail qui furent boulonnées au plafond, il représenta les Muses, des dieux et des déesses, la musique, le chant et tout un ensemble d’allégories en relation avec l’Opéra.

Jusqu’ici, rien qu’une œuvre normale afin de décorer un plafond d’opéra.

Ce qui rend Lenepveu extraordinaire est qu’il se fit chimiste afin d’assurer la conservation de son chef-d’œuvre : il prit en considération les problèmes d’interaction entre les plaques de cuivre visées au plafond sur lesquelles il travaillait et les lampes à gaz alors utilisées pour éclairer la salle et il évita sciemment le plomb dans ses pigments afin de prévenir toute dégradation de son œuvre. La plupart des artistes n’auraient même pas pris la peine de faire ce travail d’anticipation à la conservation (peu le font aujourd’hui, encore moins ce souciaient de ce genre de détails au XIXe siècle).

Si vous voulez admirer le plafond de Lenepveu, il vous faudra aller au Musée d’Orsay où se trouve l’esquisse de cette œuvre :

 


Quid du plafond de l’Opéra Garnier vous demandez-vous ? Cette peinture n’a-t-elle quand même pas survécu aux outrages du temps malgré les précautions de Lenepveu ? Oh, la peinture est toujours là. En parfait état. Aussi belle qu’en 1872.

En revanche, M. Malraux (1901-1976) est passé par là et en 1964, il fit tendre sur les plaques de Lenepveu une toile réalisée par son ami Marc Chagall (1887-1985). Le problème est que le travail de Chagall détone complètement au cœur de ce temple du Second Empire.

Un jour, peut-être, une ou un Ministre de la Culture osera envoyer le Chagall dans le musée qui lui est consacré et rendre à Lenepveu la place que Garnier lui avait donné. Une historienne a bien le droit de rêver.

9 mars 1774

Les archives dont nous avons besoin afin de pouvoir achever notre travail sur l'ouvrage de Crauk étant fermées, nous avons commencé à rassembler des documents sur Constance Mayer La Martinière. 

Selon notre habitude, nous avons aussi consulté les archives, mais son acte de décès du 26 mai 1821 a brûlé et l'acte reconstitué (à en croire Gueullette) n'est pour l'instant pas accessible. Il nous faudra aussi localiser le procès verbal du commissaire qui a fait l'enquête après son suicide.

Pour ce qui est de son acte de baptême, nous avons eu bien des surprises : si la plupart des biographes s'accordent à dire qu'elle est née et a été baptisée le 9 mars, en revanche année et lieu de naissance ont posé quelques problèmes. Contrairement à ce que Gueullette pensait, elle n'était pas née à Paris (où son père était un bourgeois de Paris rattaché à la paroisse St-Sulpice), mais dans l'Aisne, à Chauny. Heureusement pour nous, les registres paroissiaux de cette commune existent encore. Comme la plupart des biographies donnent 1775 comme année de naissance, nous avons commencé par cette partie des registres - pour ne rien trouver. Certains auteurs donnent d'autres années de naissance : entre 1774 et 1778. C'est en 1774 (vue 123, en haut, à gauche) que se trouve l'enregistrement du baptême de Marie Françoise Constance La Martinière, fille légitime de Pierre La Martinière et Marie Françoise Lenoir... si ce n'est que ses parents se marièrent le 9 juin 1789. Bref, il est bien pratique de ne pas accoucher dans sa paroisse si l'on souhaite mentir à un prêtre.

Nous avons, certes, accès à cette information grâce aux archives en ligne, mais il reste décevant que nos prédécesseurs n'aient pas accordés plus d'importance à la vérification de leurs sources.

 

Nous sommes aussi allée voir la tombe de cette peintre au cimetière du Père-Lachaise (dans la 29ème division). Si nous n'avions pas su que la statue d'un petit chien se trouve au sommet de sa tombe, nous aurions eu un mal fou à la localiser (nous avons eu quelques difficultés à la localiser quand même). Ce monument est d'autant plus dur à trouver que le nom de notre pauvre artiste n'y est pas mentionné. Un imbécile ayant légèrement tracé le nom de Prud'hon sur l'une des faces du monument, nous nous sommes empressée de vérifier - une seconde fois - que cet homme n'était pas enterré avec elle et la tombe de Prud'hon se trouve effectivement à quelques mètres de là. Encore heureux que les bonnes mœurs de l'époque aient certainement empêché Prud'hon de se faire ensevelir avec son élève autrement il lui aurait  - encore - volé la vedette.

Maintenant, nous allons essayer de trouver à qui suggérer l'ajout d'une plaque commémorative sur le monument de Constance Mayer La Martinière ou, au minimum, l'entretien du monument (la mousse donne certes un charme gothique à l'ensemble, mais le petit chien en fonte est dans un bien triste état). Espérons que les Monuments historiques comprendront l'importance de protéger cette sépulture.

 

Quand une graveuse disparait après un Salon : l'étrange destin de Rose Maireau

Faudrait-il demander de l’aide aux brigades du Tigre ?

 

Non, bien évidemment. Il est impossible de retourner en 1923, mais, en revanche, il est parfaitement naturel d’être profondément agacée par le fait qu’une graveuse dont l’œuvre était très appréciée à l’époque a tout simplement disparu dans la nature après le Salon de 1923.

 

Nous avons fait la connaissance de Marie Rose Maireau en écrivant une note sur le peintre François Louis Français (Plombières-lès-Bains, 17 novembre 1814 – Paris, 28 mai 1897). Il fut formé par Gigoux et Corot et rejoignit l’École de Barbizon.  Toutes les biographies à son sujet mentionnent le fait qu’il a peint plusieurs toiles où la graveuse Rose Maireau figure. Français n’épousa jamais Maireau, même si leurs contemporains s’accordent à dire qu’ils vécurent maritalement, et Maireau s’occupa de Français avant sa mort. Quand Maireau est mentionnée en même temps que Français, le lieu de naissance de cette graveuse, Étrœung dans le Nord, est systématiquement signalé, comme s’il s’agissait de quelque chose d’exotique (ou d’une sorte de handicap que Maireau aurait réussi à surmonter).

En plus de jouer les infirmières pour Français sans avoir aucune protection sociale, Maireau était une artiste reconnue dont le travail était prisé. Elle était aussi bien capable de graver au burin qu’à l’eau forte. Elle présentait des gravures de toiles célèbres au Salon très régulièrement et remportait des prix.

En revanche, les données biographiques à son sujet laissent à désirer. N’ayant trouvé aucune dates à son sujet à la Bibliothèque Nationale de France, nous nous sommes tournée vers les archives du Nord. Nous avons consulté les tables décennales d’Étrœung à partir de 1802 et la première « Rose Maireau » que nous y avons trouvée est Marie Rose Maireau, née le  12 février 1863.

Dans un premier temps, appréciez la différence d’âge entre Maireau et Français.

Bien... Maintenant replongeons dans les archives afin de trouver à quelle date Mlle Rose Maireau a quitté la scène. Nous n’avons pas trouvé d’acte de décès ni à Étrœung, ni à Paris. En revanche, nous avons trouvé dans les archives de Paris la sœur de notre graveuse : Juliette Maireau (Étrœung, 20 juillet 1866 – Paris, 11 février 1916), épouse Gustave Porez, dans le Vème arrondissement [Acte n° 283].

 

Et Rose, alors ? Nous n’avons pas encore retrouvé Maireau dans les archives et une plongée dans la presse de l’époque n’a livré aucune nécrologie. La dernière mention de Maireau dans la presse date du 10 mai 1923 dans Le Grand écho du Nord de la France où sa participation au Salon était mentionnée. Après cette date, nous ne trouvons plus aucune mention de Maireau, ce qui est particulièrement frustrant.

Pour l’instant, elle est DEA (disparue en archives), mais nous poursuivrons nos recherches afin de savoir à quelle date nous avons perdu cette graveuse.

Les horreurs de l'Histoire : le mariage de Ludovica de Savoie

En plus de notre travail sur l’ouvrage de Crauk, nous sommes également en train de préparer (enfin !) la publication de notre thèse sur Le siège de Nice en 1543 et ses conséquences.

Notre soutenance a eu lieu il y a quelques années, aussi avons-nous décidé d’ajouter une sorte de post-scriptum qui traite des documents sur notre sujet parus entre notre soutenance et (probablement) l’été 2021 - juste avant notre publication.

 

Au moment où nous rédigions notre thèse, nous avions essayé de retrouver un maximum de documents sur notre sujet – de la préparation du siège jusqu’à quelques semaines avant l’impression de notre travail. Un poème nous avait malheureusement échappé : L'Omaggio del Paglione per le felici nozze delle Serenissime Altezze di Mauritio e Lodovica Maria Prencipi di Savoia écrit par Giulio Torrini (Lantosque, 1607 – Turin, 1678) et publié à Turin par Giovanni Battista Zavatta en 1642.

Giulio Torrini était mathématicien et faisait partie de la cour des ducs de Savoie. Torrini était en admiration devant le marié et il voulut certainement s’attirer quelques faveurs en immortalisant cette union. Certes, son épithalame de vingt-quatre pages célèbre un mariage arrangé afin de ramener la paix dans le duché et il est linguistiquement intéressant (il est rédigé principalement en niçois, mais avec quelques vers en italien et en français), mais les circonstances de ce mariage sont dignes d’un cauchemar à vous glacer le sang.

 

Voici ce qui s’est passé : Christine de France (1606-1663) était régente pour son fils aîné, François-Hyacinthe de Savoie (1632-1638), mais l’enfant ne fut duc qu’un an. Son successeur, Charles-Emmanuel II (1634-1675), étant lui aussi trop jeune pour diriger le duché, leur mère continua sa régence.

Les deux oncles du duc, le prince-cardinal Maurice de Carignan (1593-1657) et son cadet, Thomas de Savoie-Carignan (1596-1656), voulant une part de pouvoir dans cette nouvelle régence, déclenchèrent une guerre qu’ils perdirent.

Malgré le fait que Carignan et Savoie-Carignan avaient été battus, il fut décidé qu’un mariage scellerait la paix. Pratique courante me direz-vous ? Certes. À un détail près, car ce fut la première née de Christine de France, Ludovica [aussi nommée Louise-Christine selon les ouvrages] (Turin, 27 juin 1629 – 12 mai 1692), qui fut mariée à son oncle Maurice le 29 septembre 1642 à Sospel.

Le marié dut obtenir du pape Urbain VIII (Maffeo Barberini ; 1568-1644) l’autorisation de se marier, puisqu’il était cardinal.

Le consentement papal pour la demande de dérogation pour mariage consanguin au troisième degré canonique, s’il nous est parvenu, doit être un exercice de contorsionniste admirable afin d’autoriser une telle horreur – mais Urbain VIII autorisa son cardinal à se défroquer afin d'épouser sa nièce.

 

Maintenant… regardez les dates. Le marié allait avoir cinquante ans alors que son épouse venait d’en avoir à peine treize.

Christine de France a sans doute voulu protéger son fils, le duc de Savoie, mais le prix payé par sa fille à peine adolescente ne se justifie par aucune diplomatie, ni stratégie militaire.

Veuve à vingt-sept ans, Ludovica hérita d’une villa, d’une collection d’art et… des dettes de son cher oncle mari.

Est-il surprenant qu’elle ne se soit jamais remariée ?

 

Mais quel Barizain ?

Si vous vous penchez sur la vie du peintre Xavier Sigalon (1787-1837)  - dont le travail est d'ailleurs très intéressant, vous lirez certainement qu'il fut notamment formé par « Barizain, dit Monrose » qui était un élève de David.

 

Fort bien.

 

Mais qui était ce Barizain dit Monrose ?

 

Curieusement, le Dictionnaire des peintres, sculpteurs, dessinateurs et graveurs de Bénézit ne le mentionne pas. 

Une fiche sur le site de la Bibliothèque nationale mentionne un acteur, Jean François Eugène Barizain dit Monrose (Paris, 7 avril 1817 - Bruxelles, 1899) qui a rédigé un ouvrage sur la diction.

Son père, Claude Louis Séraphin Barizain dit Monrose (Besançon, 6 décembre 1783 - Paris, 20 avril 1843), et son frère aîné, Antoine Martial Louis Barizain, dit Louis Monrose (Turin, 10 juin 1811 - Paris, 7 juillet 1883), étaient également acteurs.

 

Les fils du célèbre acteur Monrose étaient trop jeunes pour avoir été élèves de David et avoir formé Sigalon, même si Eugène est parfois désigné comme étant le maître de Sigalon à Nîmes pendant deux ans.

 

Nous pensons que l'erreur provient - notamment - de la façon dont Barizain fut mentionné dans La Revue des deux mondes en 1934 : « A dix ans, la famille s'étant transportée à Nîmes, l'enfant consumait ses veilles en copiant des estampes à la bibliothèque, quand vint à passer dans le Midi un obscur élève de David, appelé Barizain, frère du comédien Monrose. »

 

De nombreuses sources s'accordent à dire que Sigalon a rencontré Barizain en 1805, mais trouver un Barizain dit Monrose qui aurait été adulte en 1805, aurait pu être un élève de David et aurait eu un acteur pour frère pose un réel problème - à moins que la date de cette rencontre ne soit fausse.

 

En fait, il est possible que des circonstances extraordinaires aient mis un Barizain sur le chemin de Sigalon. En effet, le père de Louis et Eugène avait un frère, Jean Auguste Désiré Barizain dit Monrose (Rouen, 23 germinal An V/12 avril 1797 - Ingouville, 3 décembre 1829). Jean est effectivement né à Rouen le 12 avril 1797. Il s'est marié à Nîmes le 17 janvier 1818 et est mort à Ingouville le 3 décembre 1829.

Sigalon avait dix ans quand Barizain est né, mais la présence de Jean Barizain à Nîmes semble faire pencher la balance du côté d'une possible rencontre. En revanche, 1805 semble étrange - très étrange.

 

Pourtant...

 

Dans la liste des élèves de David - et en particulier ceux qui se sont rebellés contre le maître et ont formé la "secte des Barbus" (aussi appelés les Primitifs, les Penseurs ou les Méditateurs), il y a effectivement un Barizain, surnommé « Monrose le Jeune », ce qui serait dans la tradition, puisque le père se prénommait Jean. La secte des barbus était guidée par Pierre-Maurice Quay (1777-1803) et le groupe finit par se séparer quelques années après sa mort. Ce Barizain était le plus jeune membre et grâce au travail de Delécluze, nous apprenons dans David, son école & son temps : souvenirs, publié en 1855, que le frère de l'acteur Claude Barizain dit Monrose, était aussi danseur au Théâtre des Jeunes Artistes (les plus vieux membres de cette troupe n'avaient que seize ou dix-sept ans au maximum).

 

Certains modèles dans les ateliers des artistes étaient des enfants de moins de dix ans. On peut imaginer que David ait accepté de former quelqu'un d'aussi jeune que Jean Barizain (peut-être avec l'idée de modeler ce jeune esprit).

 

La description de Delécluze (pp. 328-330) soulève quand même quelques problèmes :

Ordinairement, dans les écoles, les plus jeunes élèves se font un point d'honneur d'imiter les plus âgés, surtout dans leurs travers. C'est ce qui ne manqua pas d'arriver vers 1800-1801, lorsque la secte des primitifs eut pris tout son développement : Maurice eut parmi les jeunes dessinateurs un imitateur ou plutôt un singe, qui donna dans toutes les folies de la secte des penseurs.

Ce nouvel inspiré était Monrose, auquel s'étaient joints plusieurs autres élèves. Tandis que son frère aîné jouait la comédie au Théâtre-Français, dans l'emploi des grandes livrées, Monrose le jeune était attaché comme danseur au théâtre des Jeunes Artistes*, et il en était là quand des dispositions plus que douteuses lui firent prendre la résolution d'étudier la peinture chez David. Lorsqu'il entra dans cette école, il se ressentait encore des habitudes de sa première profession, et il lui arriva longtemps de faire plus de pirouettes que de dessins. Forcé d'être économe, mais mourant d'envie de se singulariser par son costume, à l'imitation des primitifs ses aînés, il laissa croître ses cheveux et sa barbe, espèce de travers qui se reproduit tous les dix ans chez les élèves en peinture, et se mit à prêcher de la morale et à commenter les poésies d'Ossian devant son petit auditoire. Les poèmes de ce barde étaient exclusivement le livre, la Bible de ces sous-sectaires, qui se recrutaient de tout ce que l'atelier de David avait de plus turbulent et de plus inepte parmi les rapins. Mais une aventure burlesque mit fin à ces niaiseries. Vers 1805, Monrose et sa troupe désirant s'échapper de Paris, que dans leurs discours boursouflés ils ne désignaient jamais autrement que comme une nouvelle Babylone, réceptacle de tous les vices, résolurent de fuir dans les forêts pour passer une journée à la manière des héros d'Ossian. Le chef de la bande, Monrose, muni d'une guitare dont il raclait tant bien que mal, conduisit ses adeptes au bois de Boulogne, où Dieu sait comme la journée se passa. Vers le soir, il leur vint l'idée, toujours dans le but de se conformer aux mœurs et usages des héros d'Ossian, de mettre le feu à un arbre ; mais les surveillants et les gendarmes, accourus à la vue de cet incendie menaçant, mirent la main sur le collet des jeunes bardes, que l'on conduisit à la préfecture de police, où on leur enjoignit de se faire raser et de s'habiller comme tout le monde. Telle fut la fin des derniers rejetons de la secte des penseurs ou primitifs, dont les principaux chefs étaient morts à cette époque, ou au moins rentrés dans la vie commune, et complètement désabusés.

 

 * : Ce théâtre était situé dans la rue Basse, à l'encoignure de la rue de Lancri. C'étaient des enfants, dont les plus âgés avaient seize à dix-sept ans, qui y jouaient, et c'est là qu'ont débuté les deux Monrose dont il est question ici.

 

Si c'est bien le Jean Barizain dit Monrose qui est né en 1797 qui a été formé par David, nous avons un problème de dates - et de barbe - à moins que le petit Jean n'ait été aussi un phénomène de foire à huit ans.

 

En 1844, Auguste Pelet publia le Catalogue du musée de Nîmes, précédé de la notice historique de la Maison-Carrée et de la biographie de Sigalon où il nous apprend à la page 18 que Monrose, « élève médiocre de David », vint s’installer à Nîmes alors que Sigalon avait vingt ans – donc en 1807 (alors que Jean avait dix ans ?!). Cependant, Sigalon ne monta à Paris qu’en 1816.

 

Il est vrai que la plupart des sources semblent quand même pointer vers Jean Barizain dit Monrose, mais le plus grand problème reste la date de 1805.

Puisque Sigalon résidait à Nîmes, qu'il a rejoint l'atelier de Guérin (1774-1833) en 1816 et que Barizain pouvait se trouver dans la région avant la date de 1818, si Barizain forma effectivement Sigalon à la peinture pendant deux ans, 1814 semble une date plus plausible.

Il est également possible que la durée de la formation soit fausse et que le « 1805 » doive être lu « 1815 ». Barizain aurait eu alors dix-huit ans et puisqu'il ne devait pas être un Mozart de la peinture et du dessin - autrement nous aurions plus d'informations biographiques à son sujet, cette date semble plus compatible avec sa mission de formateur.

 

Si c'est bien le Jean Barizain dit Monrose né en 1797 qui a aidé Sigalon et si la date de 1805 est exacte pour leur rencontre, il faudrait écrire la biographie de cet artiste et donner au monde un tableau plus complet que celui de Delécluze sur Jean (et sur toute la famille Barizain dit Monrose). Si personne ne se dévoue, nous y songerons peut-être, mais seulement lorsque nous aurons fini notre travail sur Constance Mayer.

 

Soit les dates sont fausses, soit Jean Barizain dit Monrose mérite une biographie, soit... il nous manque un frère Barizain dit Monrose entre Claude et Jean, mais nous n'avons rien trouvé en généalogie à ce sujet. Le prénom et de la réelle identité du Barizain dit Monrose qui a aidé Sigalon reste légèrement mystérieuse.

 

 

Post-scriptum généalogique: en recherchant les actes de cette famille, les hommes de la famille sont enregistrés comme Barizain dit Monrose, alors que certains ouvrages écrivent leur nom Barizain, dit Monrose, comme s'il s'agissait d'un surnom que la famille d'acteurs se serait donné et aurait conservé (Louis Monrose a même fait de Monrose son seul nom de scène). Le manque de virgule à l'état civil et l'enregistrement officiel du nom Barizain dit Monrose peut aussi indiquer un point géographique, un surnom militaire ou encore une adoption à l'âge adulte par une famille Monrose.

 

Même le patronyme est intéressant, mais quel Barizain !


Constance Mayer la Magnifique

Avant de nous lancer dans l'édition critique d'un ouvrage de Gustave Crauk, nous n'avions pas vraiment remarqué le travail de Constance Mayer (1774-1821) et nous ne savions rien sur sa vie.

Pourquoi, alors, nous intéresser à elle et pourquoi vous annoncer ici que nous allons écrire une biographie de cette peintre ? Parce que nous avions envisagé d'écrire une sorte d'annexe à notre édition de Crauk à son sujet et que tous les ouvrages - écrits par des hommes - qui la mentionnent sont absolument horribles. Ils sont misogynes, cruels et pathétiques. Nous avons alors décidé d'écrire une biographie plus moderne et plus juste - une simple annexe ne serait pas assez.

Crauk parle d'elle comme d'une « laide charmante », par exemple (il n'est pas le seul à ne pas la trouver belle), et après avoir vu les portraits d'elle qui nous sont parvenus, nous avons trouvé ce qualificatif absolument ignoble.

Voici Constance Mayer:


D'autres semblent penser qu'elle ne produisait rien et que ses « œuvres » étaient en fait réalisées par le grand Prud'hon.

Ah.

Au fait... si vous admirez Prud'hon, nous préférons vous prévenir que nous n'allons pas (du tout) être tendre avec le personnage - pas seulement pour avoir été horrible avec son épouse légitime, mais surtout pour avoir directement causé la mort de la grande, la talentueuse, la généreuse Constance Mayer.

Donc, d'ici quelques mois (au moins), nous espérons vous annoncer la publication de notre biographie sur elle. En tapant le titre de cet article, nous avons réalisé que ce pourrait être un bon titre pour notre ouvrage ; Constance Mayer la Magnifique sera notre titre (provisoire - ou non).