Souvenirs du SITEM 2024

Cet article est créé tout particulièrement pour nos étudiants, mais il pourra intéresser ceux qui sont passionnés de musées et de culture.

Il se trouve que nous avons eu la chance de pouvoir nous rendre au SITEM 2024 et nous allons donc partager avec vous, chers lecteurs, quelques informations et adresses que nous avons récoltées lors de notre visite.

 


 

 

Tout d’abord, nous tenons à remercier Beaux Arts & Cie qui nous ont invitée et avec qui nous avons travaillé il y a quelques mois.

 



La liste de tous les participants au SITEM se trouve sur leur site si vous souhaitez compléter les informations du présent article ; nous y avons notamment croisé :

 

- Plinth, l’art du réemploi

 


 

- Immersiv3d, qui crée des visites virtuelles.




- Promuseum où on peut lire cette description à leur sujet :

« Notre histoire

Promuseum a été créé il y a bientôt 30 ans afin de proposer à l’ensemble des musées et des sites culturels une gamme complète de produits pour couvrir leurs besoins en matière de matériels d’exposition et d’accueil du public. Après quelques années, le catalogue s’est étoffé de mobiliers spécialisés pour la boutique. Toujours à l’écoute des besoins des musées, Promuseum a enrichi son offre en 2007 de produits destinés à l’aménagement des réserves et à la conservation, préoccupation qui au fil du temps devenait de plus en plus prégnante. Devant l’importance de la circulation des œuvres, des solutions en matière de transports et de sécurisation ont complété l’offre. Enfin, en 2015 Promuseum a commencé à développer une gamme plus spécifiquement destinée aux restaurateurs d’art graphique.

Aujourd’hui, Promuseum totalise plus de 12 000 références et est représenté dans la plupart des pays d’Europe.

 

Notre savoir-faire

Notre équipe pluridisciplinaire conjugue compétence technique en matière de conservation, d’éclairage, de contrôle hygrométrique et de conception de mobiliers d’exposition pour vous apporter une vision globale à toutes vos problématiques. Nous sommes à votre écoute pour vous accompagner dans la sélection des produits, la mise au point des cahiers des charges et la conception de produits sur-mesure. Promuseum vous accompagne de l’analyse du besoin jusqu’à la livraison et l’installation sur site, et met toutes ses compétences au service de vos projets. L’organisation de Promuseum est entièrement tournée vers l’écoute du client et au service de vos attentes (suivi personnalisé, département appel d’offre, bureau d’étude, service d’installation, etc.).

 

Nos engagements

Promuseum s’engage à satisfaire ses clients dans la qualité et dans la durée. Promuseum est également engagé depuis longtemps dans la réflexion écologique en favorisant l’éco-conception, le recyclage des déchets et la proximité géographique de ses fournisseurs. Adhérent à Valdélia, Promuseum propose des solutions pour les produits en fin de vie et promeut la numérisation des documents (catalogues en ligne, facturation dématérialisée, e-marketing, etc.). Promuseum favorise le travail collaboratif et la méthode agile. »




- TruVue, qui résume son histoire ainsi :

« Tru Vue est un fabricant de produits de vitrage haute performance destinés aux marchés de l'encadrement photo personnalisé, des musées, de la photographie et du verre technique et de l'acrylique. Nous sommes un leader mondial dans le domaine des revêtements antireflet, ainsi que des produits de protection UV de qualité conservation et de vitrages spécialisés pour ces marchés.

Fondée en 1946 sous le nom de Chicago Dial, Tru Vue a débuté en tant que fabricant de verre pour cadrans de radio et plus tard pour écrans de télévision. L'une des premières innovations de l'entreprise a été un procédé permettant de graver le verre des écrans de télévision, créant ainsi une surface non éblouissante qui réfractait la lumière et permettait d'obtenir une image beaucoup plus claire. Ce produit en verre dépoli est ce qui a amené Tru Vue sur le marché de l'encadrement photo en 1970.

Aujourd'hui, Tru Vue établit la norme en matière de vitrage qui améliore, protège et embellit. De l'encadrement personnalisé à la conservation et à la préservation dans les musées et galeries du monde entier, en passant par l'optique commerciale, Tru Vue est connu dans le monde entier comme un leader et un innovateur dans la protection et la conservation de tout ce qui est encadré et exposé. Qu'il s'agisse de verre de musée®, Conservation Claire® et contrôle de la réflexion sur la conservation®, ou nos produits de vitrage acrylique dont Optium Museum Acrylique®et Tru Vue Vista AR® aucune autre entreprise ne dispose d'une gamme aussi complète d'options de vitrage haute performance que Tru Vue. » 



 

- SkinSoft, qui se décrit ainsi :

« Le laboratoire SkinSoft

SKINsoft, laboratoire de recherche informatique, conçoit et développe un travail de recherche fondamentale ayant pour objectif la mise à disposition d’applications «nouvelle génération» dédiées à la gestion et publication de collections. Musées, photothèques, cinémathèques, fondations, bibliothèques et centres d'archives, institutions culturelles, collections privées et patrimoine d’entreprises, acteurs de l’archéologie sont étroitement concernés par ces logiciels innovants et évolutifs qui constituent aujourd’hui la pointe de la technologie full-web. »

 



 

- Holusion est la compagnie dont vous avez besoin si vous désirez hologrammes et expériences digitales innovantes.





- Chronospedia s’est donné pour but de sauvegarder les connaissances que nous avons en matière d’horlogerie, connaissances qui risquent de se perdre.




- Feel Inde a imprimé les sacs en tissu distribués au SITEM. Ils pourront imprimer les vôtres et ils proposent bien des formats.




 

Étaient  aussi présents :

- l’Écoledu Louvre, qui propose différentes formations et diplômes.


- Le ministère de la Culture proposait de nombreuses informations, notamment sur la base Joconde qui permet de rechercher des œuvres.


- l’Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap)  présentait son travail :



- l’Institut national du patrimoine (INP) présentait ses formations :


 


- Le Conseil international des musées se présente ainsi :

« Créés simultanément en 1946, le Conseil international des musées (ICOM) et son comité national français (ICOM France) sont historiquement liés.

Le 31 octobre, Georges Salles, directeur des musées de France, convoque dans son bureau les personnalités des musées français afin de former le Comité français de ce qui s’appelait alors l’Association internationale des musées. Sont notamment impliqués Julien Cain, André Léveillé, Paul Rivet, et Georges Henri Rivière. Cette réunion entérine la constitution d’ICOM France, où sont représentés tous les types de musées français sans aucune hiérarchie et nomme Georges Salles son premier président.

Du 16 au 20 novembre se réunit l’Assemblée constitutive du Comité international des musées (ICOM) au musée du Louvre à l’occasion de la première conférence de l’UNESCO à Paris. Quatorze nations y sont représentées dont la France.

La création d’ICOM se fait sous l’impulsion de Chauncey J. Hamlin, président du Buffalo Museum of Science, soutenue par Georges Salles, chacun devenant respectivement président du comité exécutif et président du comité consultatif.

De 1946 à 1953, Georges Salles, au service d’ICOM France et d’ICOM international, impulse sa conception du musée dans un monde en pleine transformation. Conscient du rôle croissant de la coopération et des échanges internationaux, il conçoit ICOM France comme la mise en œuvre d’une « régénérescence » des musées, comme une internationalisation de la politique muséale française. Sans inféoder celui-ci à la direction des musées de France, il le veut « fenêtre ouverte sur le monde ».

En 1948, lors de la première Conférence biennale d’ICOM à Paris, Georges Salles soutient la nomination de Georges Henri Rivière au poste de directeur d’ICOM. Celui-ci marquera fortement la vie de l’organisation jusqu’à sa mort en 1985. Par ailleurs, plusieurs membres d’ICOM France ont présidé ICOM International : Georges Salles (1953-1959) ; Hubert Landais (1977-1983) ; Jacques Perot (1998-2004).

La relation entre le comité national français et l’organisation internationale dont le siège est à Paris, dans les bâtiments de l’UNESCO, est ainsi constitutive de notre histoire commune. »

 


 

 

- l’Institut national de l’audiovisuel (INA) a un catalogue d’une richesse extraordinaire :




 

Lors de notre visite, nous avons assisté à quelques conférences, qui étaient toutes passionnantes, mais celle du Experiential Media Group (E/M Group) nous a particulièrement fascinée et inspirée.

Ils se décrivent ainsi : « Experiential Media Group (E/M Group) est le principal fournisseur d'expositions de qualité muséale de premier plan à travers le monde et le leader reconnu dans le développement et la présentation d'expositions uniques à des fins de divertissement et d'éducation.

Grâce à des reconstitutions grandeur nature, des environnements immersifs, du contenu engageant et des objets et artefacts uniques en leur genre, nos expositions offrent aux visiteurs des expériences inoubliables à partager en famille et entre amis. Chaque expérience d'exposition invite les visiteurs à participer, à apprécier, à chérir et à se souvenir. »

Leur travail de conservation sur les objets qu’ils ont pu récupérer sur le site du naufrage du Titanic est une série de prouesses techniques (la science qu’ils appliquent sur des documents récupérés est tout simplement époustouflante ; il s’agit bien évidemment de science, mais c’est tellement extraordinaire qu’on pourrait presque croire à de la magie). 

 



 

 

Entre la série de vidéos de M. Miller (Le Titanic et autres catastrophes) sur le naufrage du Titanic, quelques vidéos sur le sujet (mais toujours pas Titanic, malgré la géniale Kate Winslet) et cette rencontre avec la présidente, Mme Jessica Sanders, la directrice des collections, Mme Tomasina Ray, et le directeur du développement commercial, M. Gautham Chandna, même si le Titanic n’est pas du tout dans nos sujets de recherche habituels, nous avons décidé d’écrire un article sur le sujet.

Nous vous parlerons de cet incroyable navire, de son naufrage, des survivants et de l’épave ; ce sera : « L’iceberg, le boulanger et l’alligator ».

Nous avons commencé nos recherches, mais le sujet est si vaste (les témoignages des survivants, interrogés en Grande-Bretagne et aux États-Unis représentent des milliers de pages à eux seuls) qu’il nous faudra un peu de temps afin de vous livrer une histoire qui vous apportera un maximum d’éléments sur le sujet.

Les horreurs de l'Histoire : les filles de Julienne de Fontevrault

Les horreurs de l’HistoireChroniques de parents indignes serait aussi un bon titre.

L’histoire que nous allons vous raconter ne fait pas partie de nos périodes historiques de prédilection. En fait, nous regardions un documentaire sur les techniques de torture au Moyen Âge (moitié informations historiques utiles, moitié inspiration pour notre incarnation littéraire) quand l’algorithme du site nous a proposé une vidéo plus générale sur la même période. C’est une petite phrase presque anodine de cette vidéo qui nous a lancée sur la présente recherche – et nous a fait replonger en latin (heureusement que le latin d’église n’est pas du Cicéron ou du Catulle !).

L’historien que nous écoutions parlait des châtiments au Moyen Âge quand il mentionna les petites-filles d’Henri Ier Beauclerc (1068 ? – 1er décembre 1135), roi d’Angleterre, qui furent mutilées parce que leur père avait lui-même mutilé un otage qui lui avait été confié par le roi ; cette justice réparatrice sous le signe du talion éveilla notre curiosité.

Afin de retrouver les petites-filles, il faut savoir quel enfant du roi d’Angleterre leur donna naissance et il nous fallut faire une plongée dans l’histoire d’Henri Beauclerc : ce quatrième fils de Guillaume le Bâtard[1] (1027 ? – 1087) n’aurait jamais dû être roi. Guillaume avait légué l’Angleterre à son second fils, Guillaume II, dit le Roux (1060 ? – 1100) et la Normandie à son fils aîné, Robert Courteheuse (1051 ? – 1106). Henri obtint le Cotentin de Robert, mais il le perdit et s’allia alors avec Guillaume contre Robert. Le hasard voulut qu’Henri soit présent lors de l’accident[2] de chasse qui coûta la vie à Guillaume II. Robert était en croisade depuis 1096, Guillaume II n’avait aucun héritier et donc Henri se fit couronner roi d’Angleterre trois jours après la mort de son frère[3].

D’ailleurs, en parlant d’enfants… Si Guillaume, qui ne s’était jamais marié, n’avait même pas d’enfant illégitime, Henri Beauclerc semble avoir été le genre d’homme à faire des projets au moindre mouvement de jupons. Il eut deux épouses légitimes (deux ou trois enfants avec la première, Mathilde d’Écosse (1080 – 1er mai 1118) qui fut une excellente reine, mais aucun avec la seconde, Adélaïde de Louvain (1103 ? – 1151), qui fut beaucoup moins impliquée dans les affaires du royaume), mais aussi des maîtresses royales et des concubines. Le nombre exact d’enfants illégitimes qu’il eut avec des dames plus ou moins nobles reste inconnu – inconnu, mais très élevé à en juger par le nombre de ceux qui nous sont connus (environ vingt-cinq enfants légitimés).

C’est une fille d’Henri Beauclerc qui fut la mère des deux malheureuses qui furent mutilés : Julienne. Le nom de la propre mère de cette fille illégitime est incertain et le nom des deux filles nous est également inconnu. En fait, les sources anglaises ont un peu plus d’informations sur Julienne ; en anglais, elle est appelée Juliane, ou Juliana, de Fontevrault, parce qu’elle se retira dans cette abbaye à la fin de sa vie et sa mère, concubine d’Henri, s’appelait peut-être Ansfride. Julienne, toujours selon ces sources, a dû naître vers 1090 et mourir après 1136. En 1103, Julienne fut mariée au seigneur de Pacy, Breteuil et Pont-Saint-Pierre, Eustache de Breteuil (Eustace de Pacy pour les Anglais) qui avait trente ans de plus qu’elle. Ils eurent au moins deux filles et deux fils (Guillaume et Roger). La plupart des historiens pense que les fils sont nés vers 1116 et 1118, mais l’année de naissance des filles est encore une fois incertaine – cependant, il serait logique de placer ces naissances entre 1103 et 1115 (les filles n’étaient pas jumelles et comme la mutilation eut lieu en 1119, elles étaient nées avant leurs frères).

La meilleure source afin de savoir ce qui s’est passé est dans le récit historique du moine Orderic Vital (1075-1143 ?). Voici ce qu’il nous raconte dans son Historia Ecclesiastica, tome III, Livre XII (dans le tome 188 du Patrologiae cursus completus publié en 1855, pp. 858-859) :

In eodem anno [1119] Eustachius de Britolio, gener regis, crebro commonitus fuit a contribulibus et consanguineis ut a rege recederet, nisi ipse turrim Ibreii, quae antecessorum ejus fuerat, ei redderet. Rex autem ad praesens in hoc ei acquiescere distulit ; sed in futuro promisit, et blandis eum verbis redimendo pacificavit. Et quia discordiam ejus habere nolebat, qui de potentioribus Neustriae proceribus erat, et amicis, hominibusque stipatus, firmissimas munitiones habebat, ut securiorem sibi et fideliorem faceret, filium Radulfi Harenc, qui turrim custodiebat, ei obsidem tradidit, et ab eo duas filias ipsius, neptes videlicet suas, versa vice obsides accepit. Porro Eustachius susceptum obsidem male tractavit. Nam consilio Amalrici de Monteforti qui augmenta malitiae callide machinabatur, qui Eustachio multa sub fide pollicitus est quae non implevit, pueri oculos eruit, et patri, qui probissimus miles erat, misit. Unde pater iratus ad regem venit, et infortunium filii sui nuntiavit. Rex vero vehementer inde doluit ; pro qua re duas neptes suas ad vindictam in praesenti faciendam ei contradidit. Radulfus autem Harenc Eustachii filias permissu regis irati accepit, et earum oculos in ultionem filii sui crudeliter effodit, nariumque summitates truncavit. Innocens itaque infantia parentum nefas, proh dolor ! miserabiliter luit, et utrobique genitorum affectus deformitatem sobolis cum detrimento luxit. Denique Radulphus, a rege confortatus et muneribus honoratus, ad Ibreii turrim conservandam remeavit, et talionem regia severitate repensum filiabus ejus Eustachio nuntiari fecit.                                           

Comperta vero filiarum orbitate, pater cum matre nimis indoluit, et castella sua, Liram et Gloz, Pontemque Sancti Petri et Paccium munivit ; et ne rex, seu fideles ejus in illa intrarent, diligenter obturavit, Julianam autem, uxorem suam quae regis ex pellice filia erat, Britolium misit, eique ad servandum oppidum necessarios milites associavit.                                                               

          Porro burgenses, quia regi fideles erant, nec illum aliquatenus offendere volebant, ut Julianae adventum pluribus nociturum intellexerunt, protinus regi ut Britolium properanter veniret, mandaverunt. Providus rex, illud recolens ab audaci curione Caesari dictum, in belli negotiis :

Tolle moras : semper nocuit differre paratis,

(Lucian I, 281)

auditis burgensium legationibus, Britolium concitus venit, et portis ei gratanter apertis in villam intravit. Deinde fidelibus incolis pro fidei devotione gratias egit, et ne sui milites aliquid ibi raperent prohibuit, municipiumque, in quo procax filia ejus occluserat, obsedit. Tunc illa undique anxia fuit, et quid ageret nescivit ; pro certo cognoscens patrem suum sibi nimis iratum illuc advenisse, et obsidionem circa castellum positam sine tropaeo non dimissurum fore, tandem, sicut Salomon ait : Non est malitia super malitiam mulieris (Eccli. XXV, 26), manum suam in christum Domini mittere praecogitavit. Unde loqui cum patre fraudulenter petivit. Rex autem, tantae fraudis feminae nescius, ad colloquium venit, quem infausta soboles interficere voluit. Nam balistam tetendit, et sagittam ad patrem traxit ; sed, protegente Deo, non laesit.          

Unde rex illico destrui pontem castelli fecit, ne ingrederetur aliquis vel egrederetur. Videns itaque Juliana se undique circumvallari, neminemque sibi adminiculari, regi castellum reddidit ; sed ab eo liberum nullatenus exitum adipisci potuit. Regio nempe jussu coacta, sine ponte et sustentamento de sublimi ruit, et nudis natibus usque in profundum fossati cum ignominia descendit. Hoc nimirum in capite Quadragesimae, in tertia septimana Februarii contigit, dum fossa castelli brumalibus aquis plena redundavit, et unda nimio gelu constricta tenerae carni lapsae mulieris ingens frigus jure subministravit. Infausta bellatrix inde ut potuit cum dedecore exivit, ac ad maritum suum, qui Paceio degebat, remeavit, eique tristis eventus verax nuntium enodavit. Rex burgenses convocavit, de fidelitate conservata laudavit, promissis et beneficiis honoravit, et eorum consilio castrum Brilolii tutandum commendavit.

Dans le cours de la même année [1119], Eustache de Breteuil, gendre du roi, fut encouragé par ses compatriotes et sa famille à se désolidariser du roi si ce dernier ne lui rendait pas la tour d’Ivry qui avait appartenu à ses ancêtres. Cependant, le roi ne lui donna pas immédiatement satisfaction ; mais il lui promit qu’il la lui rendrait un jour et il l’apaisa grâce à des paroles flatteuses. Puisqu’il ne pouvait se permettre d’avoir Eustache contre lui, parce qu’il était un des plus puissants seigneurs de Normandie, qu’il avait beaucoup d’amis et de vassaux, et possédait de solides places fortes, il lui donna en otage, afin de garantir la paix et sa fidélité, le fils de Raoul Harenc, qui gardait la tour d’Ivry ; en échange, ce dernier reçut d’Eustache ses deux filles, qui étaient les petites-filles du roi. Cependant Eustache ne se comporta pas bien à l’égard de l’otage qu’il avait reçu. Car, sur les conseils d’Amauri de Montfort, qui ourdissait des trames des plus perverses, et qui avait fait à Eustache sous la foi du serment, beaucoup de promesses qu’il ne tint pas, il énucléa l’enfant et le renvoya à son père qui était un chevalier des plus loyaux. Le père, alors furieux de cette action, alla trouver le roi, et lui raconta les malheurs de son fils. Le roi en fut grandement affligé et livra ses deux petites-filles à Raoul afin qu’il puisse immédiatement se venger. Alors, Raoul Harenc, avec la permission du roi furibond, prit les filles d’Eustache, et, pour venger son fils, les énucléa cruellement à leur tour et leur coupa le bout du nez. Hélas ! des enfants innocentes expièrent misérablement le crime de leur père, et dans les deux familles l’affection parentale eut à regretter la mutilation de leurs enfants. Ensuite Raoul, consolé par le roi et honoré par des présents, retourna à la tour d’Ivry qui restait sous son autorité et fit annoncer à Eustache le talion que la sévérité royale avait exercé sur ses filles.               

Quand ils apprirent le sort de leurs filles, le père et la mère furent dévastés. Eustache fortifia ses châteaux de Lire, Glos, Pont-Saint-Pierre et Pacy et en ferma soigneusement l’accès, afin que le roi ou ses partisans n’y pussent entrer ; il envoya à Breteuil sa femme Julienne, qui était fille du roi et d’une courtisane, et lui donna les troupes nécessaires pour garder cette place.                

Les habitants, qui étaient fidèles au roi et ne voulaient l’offenser en rien, ayant compris que l’arrivée de Julienne pourrait être funeste à beaucoup de monde, envoyèrent aussitôt un message au roi l’invitant à venir au plus vite à Breteuil. Ce prudent souverain se rappela ce que l’audacieux Curion dit à César au sujet des affaires militaires :

Ne souffrez aucun délai ; il est toujours néfaste de tarder si on est prêt,

Lucien, Phalaris, I, 281)

ayant entendu les envoyés des Bretoliens, il se rendit bien vite auprès d’eux et, les portes lui ayant été ouvertes avec joie, il entra dans la ville. Ensuite, il rendit grâce aux fidèles habitants pour leur dévouement, défendit à ses soldats de prendre aucune chose, et assiégea la citadelle dans laquelle son impudente fille s’était enfermée. Alors elle éprouva de grandes inquiétudes de toutes parts et ne sut ce qu’elle devait faire – bien évidemment, comprenant que son père venait d’arriver fort courroucé, et qu’il n’abandonnerait jamais le siège qu’il avait mis autour du château avant d’avoir obtenu la victoire. Mais, comme dit Salomon : « Il n’y a pas de méchanceté au-dessus de la méchanceté de la femme, » (Ecclés. XXV, 26)  elle eut l’idée de mettre la main sur l’oint du Seigneur. En conséquence, elle demanda traîtreusement un entretien avec son père. Le roi, qui ne se doutait pas de tant de perfidie chez une femme, se rendit à l’entrevue où sa sinistre descendante voulait le faire périr. Elle tendit une arbalète et envoya un carreau vers son père, mais, sous la protection de Dieu, il ne fut pas atteint.                                        

C’est pourquoi le roi fit immédiatement détruire le pont du château, afin que personne ne puisse y entrer ou en sortir. Julienne, voyant qu’elle était complètement encerclée et que personne ne la secourait, rendit le château au roi, mais elle ne put obtenir de lui de sortir libre. D’après l’ordre du Roi, elle fut forcée de se laisser glisser du haut des murs sans pont et sans soutien, et descendit honteusement,  fesses nues, jusqu’au fond du fossé. Cela arriva au commencement du Carême, dans la troisième semaine de février, lorsque les douves du château étaient remplies des eaux de la fonte des neiges et que le gel qui les glaçait refroidissait justement, d’une manière cruelle, la chair délicate de cette femme, qui y plongea dans sa chute. Cette malheureuse guerrière s’en extirpa tant bien que mal, mais couverte de honte, et rejoignit son mari qui se trouvait à Pacy, et lui raconta honnêtement ce triste événement. Le roi convoqua les habitants, les loua beaucoup de lui être restés fidèles, les honora par des promesses et des bienfaits, et, sur leur recommandation, confia la garde du château de Breteuil à Guillaume, fils de Raoul.

Quelques mois plus tard, voici ce qui arriva selon le récit de Vital dans son Historia Ecclesiastica, tome III, Livre XII (dans le tome 188 du Patrologiae cursus completus publié en 1855, p. 882) :

Porro Eustachius et Juliana, uxor ejus, cum amicis consiliati sunt, et ad obsidionem, amicorum instinctu, properaverunt, nudisque pedibus ingressi tentorum regis ad pedes corruerunt. Quibus repente rex ait : « Cur super me sine meo conductu introire ausi estis, quem tot tantisque injuriis exacerbastis ?» Cui Eustachius respondit : « Tu meus es naturalis dominus. Ad te ergo, dominum meum, venio securus, servitium meum tibi fideliter exhibiturus, et rectitudinem pro erratibus, secundum examen pietatis tuae, per omnia facturus.» Amici pro genero regis supplicantes adfuerunt. Richardus quoque, filius regis, pro sorore sua supplex accessit. Clementia vero cor regis ad generum et filiam emollivit, et benigniter reflexit. Mitigatus itaque socer genero dixit : « Juliana revertatur Paceium, et tu mecum venies Rothomagum, ibique meum audies placitum. » Nec mora jussio regis completa est, et rex Eustachio sic locutus est : « Propter honorem Britolii quem Radulfo Britoni, cognato tuo, dedi, quem fidelem et probissimum in necessitatibus meis contra hostes comprobavi, in Anglia tibi per singulos annos recompensabo CCC marcos argenti. » Post haec praefatus heros in pace zetis et muris Paceium munivit, multisque divitiis abundans, plus quam XX annis vixit. Porro Julianae post aliquot annos lascivam quam duxerat vitam, habitumque mutavit, et sanctimonialis in novo Fontis-Ebraldi coenobio facta, Domino Deo servivit.

Ensuite Eustache et Julienne, sa femme, consultèrent leurs amis et sur leur conseil se rendirent au siège en toute hâte ; ils entrèrent pieds nus dans la tente du Roi et se jetèrent à ses  pieds.  Henri  leur  reprocha  aussitôt  : « Pourquoi vous êtes-vous permis, sans mon sauf-conduit, de vous introduire auprès de moi, que vous avez aigri par tant et de si grands outrages ? » Ce à quoi Eustache répondit : « Vous êtes mon suzerain. Je me présente donc à vous, mon seigneur, sans crainte, disposé que je suis à vous rendre fidèlement mes services, et prêt à vous satisfaire en toutes choses pour mes fautes selon la décision de votre bonté. » Quelques amis intervinrent pour supplier le roi en faveur de son gendre. De même, Richard, fils d’Henri, plaida pour sa sœur. La clémence attendrit le cœur du monarque en faveur de son gendre et de sa fille, et le fléchit avec bonté. En conséquence, le beau-père adouci dit à son gendre : « Que Julienne retourne à Pacy; vous viendrez à Rouen avec moi, et là je vous annoncerai ma décision. » L’ordre du Roi fut exécuté aussitôt ; puis il parla à Eustache en ces termes : « Afin de vous dédommager du fief de Breteuil, dont j’ai fait don à votre beau-frère, Raoul-le-Breton, que j’ai toujours trouvé, à mon besoin, fidèle et brave contre mes ennemis, je vous donnerai trois cents marcs d’argent en Angleterre chaque année. » Ensuite ce chevalier fortifia tranquillement Pacy de retranchements et de murs, et, comblé de richesses, vécut encore plus de vingt ans. Quant à Julienne, au bout de quelques années, elle renonça à la vie lascive qu’elle avait menée et changea de conduite ; elle devint religieuse dans le nouveau couvent de Fontevrault et servit notre seigneur Dieu.

À l’époque, il n’est pas surprenant qu’un roi ait décidé, pour des raisons d’honneur et de maintien de la paix, d’autoriser un vassal à se venger, mais les règles du talion étaient aussi claires que dans l’Ancien Testament où, d’un livre à l’autre, les punitions et recommandations varient du tout au tout : « Si quelqu’un blesse son prochain, il lui sera fait comme il a fait : fracture pour fracture, œil pour œil, dent pour dent » (Lévitique, XXIV, 19-20) et « Tu ne te vengeras point, et tu ne garderas point de rancune contre les enfants de ton peuple. Tu aimeras ton prochain comme toi-même. » (Lévitique, XIX, 18) ou encore « Tu ne jetteras aucun regard de pitié : œil pour œil, dent pour dent, main pour main, pied pour pied. » (Deutéronome, XIX, 21) et « On ne fera point mourir les pères pour les enfants, et l’on ne fera point mourir les enfants pour les pères ; on fera mourir chacun pour son péché. » (Deutéronome, XXIV, 16). Bref, les rédacteurs de ces textes auraient sacrément[4] eu besoin d’un éditeur afin de les débarrasser des contradictions évidentes. Remarquez, les recommandations du Nouveau Testament semblent plutôt limpides : « Vous avez appris qu’il a été dit : « œil pour œil et dent pour dent ». Mais moi, je vous dis de ne pas résister au méchant. Si quelqu’un te frappe sur la joue droite, présente-lui aussi l’autre. » (Matthieu, V, 38-39), mais certains trouvaient le moyen d’ignorer cette injonction – après tout, Matthieu fait dire à Jésus, quelques lignes auparavant (V, 17) qu’il n’a pas pour but d’abolir les lois de l’Ancien Testament (et donc les Évangélistes auraient, eux-aussi, eu besoin d’éditeurs !).

Bref, un échange d’otages était chose commune et les filles de Julienne étaient celles qui avaient été offertes en échange du fils de Raoul Harenc, mais le roi n’aurait-il pas pu livrer Eustache à Raoul ? Ou même faire payer l’ignoble Amauri de Montfort si c’était lui qui avait eu l’immonde idée de pousser cet imbécile d’Eustache à mutiler un enfant, simplement parce que son père était le gardien d’un bien qu’Eustache convoitait ? Le roi aurait aussi pu dépouiller Eustache de tous ses biens et les donner à Raoul ou au jeune mutilé, mais… non. Raoul fit arracher les yeux des deux filles (qui avaient peut-être entre seize et cinq ans) et leur fit couper le bout du nez à toutes deux.

Si cette histoire ne fut pas rédigée par Vital uniquement afin de faire voir au monde qu’Henri Beauclerc faisait régner l’ordre, même si la chair de sa chair devait être meurtrie, Henri était un père (et un grand-père) aussi indigne qu’Eustache de Breteuil qui avait eu l’arrogance de penser que le roi ne livrerait pas ses propres petites-filles au courroux du père de l’enfant qu’il avait mutilé.

Raoul Harenc ne vaut pas mieux qu’Amauri, Eustache et Henri : au lieu de demander le châtiment de celui qui était effectivement coupable, il se venge sur deux filles et comme si l’énucléation ne signait pas la mort sociale des filles de Julienne, il leur fit aussi couper le bout du nez. Pourquoi pas le marquage au fer sur le front ou l’arrachage des dents ? Quitte à les humilier, allons-y gaiement.

Ces messieurs ont sauvé les apparences, mais seuls les trois enfants (ou adolescents) ont souffert.

Nous sommes loin d’avoir tous les détails, mais la réaction la plus saine, même si nombre d’historiens la traite de traîtresse, est peut-être celle de Julienne. Mariée à un homme qui avait trente ans de plus qu’elle et qui fut assez stupide pour mettre en danger leurs deux filles, Julienne, même si elle était fille du roi d’Angleterre, n’avait aucune possibilité d’indépendance à l'époque.

Pour les hommes du temps, le sort des filles de Julienne était juste et parfaitement normal, mais en tant que mère, elle ne pouvait quitter Eustache, qui se repentit peut-être sincèrement de sa bourde stratégique qui causa la mutilation de leurs filles, mais elle était en droit d’en vouloir à son père d’avoir autorisé la double mutilation de deux innocentes. Elle aurait peut-être préféré tout perdre et être condamnée à l’exil si elle avait pu s’enfuir avec quatre enfants en pleine santé. Comment alors s’étonner que Julienne ait tenté de tuer son père ? Le choix d’une arbalète fut maladroit, puisqu’elle manqua sa cible, mais la logistique du tir dut être trop compliquée. Quitte à l’abattre, il aurait mieux valu une flèche perdue, comme lors de la chasse où Guillaume II perdit la vie, mais elle devait vouloir venger ses filles elle-même (si elle s’était entraînée à tirer, nul doute qu’Henri aurait été prévenu par un des hommes du château et c’est la raison pour laquelle on devrait apprendre aux femmes à tirer dès leur plus jeune âge).

La bêtise d’Eustache n’est pas dénoncée par Orderic Vital. En revanche, notre chroniqueur s’en donne à cœur joie contre Julienne : sa sortie du château fut une honte et il la rendit ridicule, mais elle parvint à descendre le mur de la citadelle sans aide, à s’extirper des douves glaciales et à s’enfuir alors que des soldats avaient admirés sa face arrière alors qu’elle s’évadait.

Quelques mois après la mutilation de ses filles, Julienne fut traînée par Eustache auprès du roi afin de faire amende honorable. Henri Beauclerc leur pardonna, mais Julienne fut renvoyée à Breteuil, tandis qu’Eustache restait avec le roi. Vital nous dit qu’après la mort d’Eustache en 1123, Julienne renonça à sa vie lascive et entra au couvent… Elle décida peut-être de fuir le monde des hommes où des adultes mutilent des enfants quand ils n’ont pas le courage de se battre entre eux. D’ailleurs, certains disent qu’elle entra au couvent avec ses filles (sans yeux et sans nez, même une dot royale ne leur aurait pas trouvé d’époux).

 

Nous pourrions nous dire que c’est une histoire de 1119, mais en 2024, nous avons toujours des parents indignes qui mutilent ou tuent leurs enfants (ou ceux des autres) lorsque ceux-ci ne font pas ce qu’ils souhaitent. Et ne parlons pas des enfants qui sont toujours vendus ou mariés afin de satisfaire les intérêts de leurs pères[5] – et nous n’oublierons pas les mères qui autorisent la mutilation de leurs enfants.

En conclusion, nous avons des ordinateurs, le Wifi et des satellites, mais la protection de nos enfants, à l’échelle planétaire, n’est pas vraiment meilleure aujourd’hui. C’est ce qui continuera d’arriver tant que notre espèce ne comprendra pas que tous les enfants sont nos enfants et qu’il faut tous les aimer, les protéger et les éduquer au mieux (sans oublier le tir à l’arbalète).


 



[1] : Aujourd’hui le Conquérant – c’est quand même curieux ce que l’annexion d’un pays peut faire afin d’améliorer un surnom.

[2] : Une flèche en plein cœur était l’équivalent d’une balle perdue à l’époque, sans doute.

[3] : Le roi est mort. Vive le roi !

[4] : Assez moyen comme jeu de mot, mais… comment résister ?

[5] : Savez-vous que le mariage d’enfants mineures à des adultes, qui parfois les ont violées, est toujours légal dans certains pays ? Certains pays comme… les États-Unis d’Amérique. Quelle est belle notre planète !

« À table ! » (version Moyen Âge - dans les classes supérieures)

Il y a quelques années – en 2008 pour être exact – la BBC nous donna un court documentaire : Clarissa and the King’s CookbookClarissa et le livre de cuisine du roi.

Clarissa, c’était Clarissa Dickson Wright (24 juin 194715 mars 2014), actrice, présentatrice et cuisinière extraordinaire. Elle reste, encore aujourd’hui, une référence et une cuisinière hautement respectée.

 Le livre de cuisine, c’est The Forme of Cury (littéralement La Méthode de cuisine – en ancien français « queuerie » voulait dire « art de cuisiner » d’où... « maître queux »), ouvrage de la fin du XIVe siècle qui contient cent quatre-vingt-seize recettes. Il s’agit d’un nombre impressionnant de recettes, mais, comme le dit Clarissa Dickson Wright et d’autres qui se sont penchés sur cet ouvrage, le chef aurait pu en ajouter quatre de plus, histoire de faire un compte rond.

Le manuscrit original, compilé par le principal chef cuisinier du roi, ne nous est pas parvenu, mais il nous reste neufs exemplaires et le texte en moyen anglais fut traduit par le vicaire (et passionné d’antiquités) Samuel Pegge (Chesterfield, 5 novembre 1704 – 14 février 1796) en 1780.

Bien évidemment, ce livre de recettes ne reflète que le régime alimentaire de la cour du roi – roi qui d’ailleurs dépensait souvent sans compter pour sa table. Viandes, poissons, légumes, fruits, ingrédients variés se trouvent parmi les recettes, mais surtout on y lit le nom d’épices du bout du monde qui apparaissent pour la première fois dans un manuscrit.

Le roi, c’était Richard II d’Angleterre (Bordeaux, 6 janvier 1367 – château de Pontefract, 14 février 1400), dont le court règne fut marqué de bien des tumultes.

 

Dans le documentaire, notre cuisinière géniale recrée trois recettes :

- sauce madame (une oie farcie de sauge, persil, hysope, sarriette, ail, grains de raisin, coings et poires – la farce devient la sauce lorsqu’on l’ajoute dans un pot à la graisse de l’oie récupérée dans le plat de cuisson, à des tranches de pain imbibées de vin et à de la poudre douce et que le tout est porté à ébullition et réduit afin de napper l’oie coupée en tranche qui doit alors être servie au plus vite)

- aigre-douce de poisson (des morceaux de divers poissons d’eau douce frits à l’huile d’olive et nappés d’un sirop de vinaigre de vin blanc au sucre, cannelle, gingembre, clous de girofle où ont baignés des oignons hachés, des raisins de Corinthe et des raisins de Smyrne, l’aigre-douce ayant été portée à ébullition et réduite afin de napper les morceaux de poissons frits)

- poires en confit (poires cuites dans du bon vin rouge avec des mûres et des mûres blanches ; une fois cuites, elles sont placées dans un plat et on ajoute au vin du miel et du gingembre en poudre afin de le réduire en sauce pour les poires).

 

Nous sommes récemment retournée au musée de Cluny (pour les expositions Les arts en France sous Charles VII et Merveilleux trésor d’Oignies : éclats du XIIIe siècle ; informations ici) et en admirant de nouveau les salles du musée que nous n’avions pas visitées depuis quelques années, nous avons croisé cette petite merveille :

 Vue générale de la cheminée

 Plan rapproché

 
Notice explicative
 

Cette cheminée n’est pas aussi énorme que celle d’un palais royal, mais elle donne une excellente idée de ce à quoi une cuisine de l’époque pouvait ressembler.

Parmi les recettes choisies par Clarissa Dickson Wright, c’est un élément de sauce madame qui est particulièrement intéressant : la poudre douce. Ce mélange d’épices rares et coûteuses est souvent employé dans The Forme of Cury, mais ce mélange est aussi mentionné dans d’autres recueils et écrits du Moyen Âge et se retrouve dans toute l’Europe. Par exemple, ce mélange est mentionné par le bourgeois qui rédigea Le Ménagier de Paris (vous trouverez le manuscrit ici et le texte imprimé ici), ce curieux – mais fascinant – « traité de morale et d’économie domestique composé vers 1393, contenant des préceptes moraux, quelques faits historiques, des instructions sur l’art de diriger une maison, des renseignements sur la consommation du Roi, des Princes et de la ville de Paris, à la fin du quatorzième siècle, des conseils sur le jardinage et sur le choix des chevaux; un traité de cuisine fort étendu, et un autre non moins complet sur la chasse à l’épervier ».

Tous les lecteurs d’aujourd’hui s’accordent à dire qu’une des difficultés des anciens recueils de recettes est qu’une partie des instructions « manque », tout simplement parce que ces ouvrages s’adressaient à des cuisiniers de profession et que certaines pratiques étaient pour eux évidentes[1] et c’est là que l’expérience de Clarissa Dickson Wright se révèle extrêmement importante si nous voulons recréer ce mélange d’épices car elle est la seule à mentionner le sel. En y réfléchissant, c’est logique, mais sans elle et sa remarque « Salt, of course! [Du sel, bien sûr !] » le mélange est incomplet. D’ailleurs, il est possible que sel et sucre aient été ajoutés en dernier à un mélange d’épices tout préparé puisque ce qui constitue la poudre douce (ou poudre de duc dans Le Ménagier de Paris) peut aussi servir afin de faire la poudre forte.

Pour la poudre douce, la plupart des recettes s’accordent sur l’utilisation du sucre, gingembre et cannelle en poudre – plus le sel qui n’est pas mentionné, mais doit être utilisé afin de faire ressortir le sucre. Certains ajoutent de la cardamome, des grains de poivre, du macis, des clous de girofles ou de la noix de muscade en poudre. Poivre et clous de girofle nous semblent trop violents pour la poudre douce.

Pour la poudre forte, il n’y a pas (ou très peu) de sucre. Gingembre, cannelle et sel restent une base et viennent s’y ajouter clous de girofle (là, oui !), macis, muscade (ces deux-là sont issus du même fruit, mais n’ont pas le même goût), maniguette, poivre noir et poivre long (ce dernier est moins fort, mais plus parfumé que le poivre usuel).

 

Nous proposerions donc :

Pour la poudre douce :

-         2 mesures de sucre (blanc ou roux – tout dépend du contenu des caisses de votre souverain de votre goût)

-         ½ mesure de sel

-         3 mesures de gingembre moulu

-         1 mesure de cannelle moulue

-         1 mesure de cardamome moulue

-         1 mesure de noix de muscade moulue

-         ½ mesure de macis moulu

Pour la poudre forte :

-         ½ mesure de sel

-         2 mesures de gingembre moulu

-         1 mesure de cannelle moulue

-         1 mesure de clous de girofle moulue

-         1 mesure de grains de poivre noir moulus (ou une variété de poivre plus rare)

-         1 mesure de poivre long moulu

-         1 mesure de maniguettes moulues

-         1 mesure de noix de muscade moulue

 

Maintenant… À vos fourneaux… Prêts… Cuisinez !


[1] : Nous avons récemment trouvé une recette où il était indiqué, au sujet d’un poireau, qu’il fallait d’abord couper l’extrémité où se trouvent les racines. Cette action, plus qu’évidente à qui fait de la cuisine, est une indication précieuse pour les novices. Les anciens recueils s'adressent à des professionnels qui savent comment opérer en cuisine.