Rose Eugène Cournuéjouls (1819-1898)

En rédigeant notre biographie de Georges Doublet, il nous a fallu un peu de temps afin de trouver des informations sur son proviseur à Versailles à la fin de ses études au lycée local, qui n’était pas encore le lycée « Hoche ».

Nos découvertes se firent en trois temps (elles auraient pu se faire en deux temps si nous n’avions pas fait trop confiance à notre site de généalogie préféré, mais c’est maintenant du passé).

Dans le dossier d’inscription de Doublet au concours de l’École normale (Archives nationales : 61AJ/169 [École normale supérieure (rue d’Ulm)]) se trouve une lettre du proviseur Eugène[1] Cournuéjouls qui atteste que Doublet fut élève dans son établissement et qu’il était assez sérieux et motivé pour s’inscrire au concours. Bien. Nous étions rentrée avec nos photos du dossier de Doublet et, bien loin des Archives nationales et ses précieux cartons, nous avons donc découvert Eugène Cournuéjouls, mais… Horreur ! Internet ne le connaît presque pas (on peut trouver une référence à son travail en faveur des répétiteurs de lycée dont les conditions étaient très dures ; il plaida leur cause auprès du gouvernement avant de prendre sa retraite – peut-être en banlieue parisienne. Il y a aussi une référence à son poste à Marseille et sa nomination à Alger. Rien de plus) et les sites de généalogie ne nous aidèrent en rien.

En consultant d’autres dossiers de l’École normale, toujours pour Doublet, nous avons – complètement pas hasard – trouvé, dans les listes de 1841, une référence à Rose Eugène Cournuéjouls, né à Lapanouse[2] le 22 décembre 1819.

Notre joie fut de courte durée, car, si nous avons trouvé son acte de naissance, en revanche, il n’y avait aucune information en marge ; il ne s’était peut-être jamais marié (il s’est marié), mais, né en 1819, il était forcément mort, mais nous n’avions aucune piste à l’état civil et toujours rien sur Internet.

Afin de pouvoir mentionner les dates de naissance et décès de Cournuéjouls, notre dernier espoir se trouvait dans le bulletin annuel de l’Amicale des anciens élèves de l’École normale. Nous sommes donc retournée aux Archives nationales où, dans le même carton où se trouve le bulletin qui mentionne le décès de Doublet trente-huit ans plus tard (61AJ/205), nous avons enfin découvert à quelle date le proviseur Cournuéjouls nous avait quittés.

Le texte rédigé en souvenir d’Eugène Cournuéjouls nous livre un trop bref portrait d’un homme fascinant. Bien évidemment, notre Histoire est une mosaïque compliquée de personnes intéressantes, mais, puisque nous avons consulté ce texte-là, nous le partageons aujourd’hui avec vous tel qu’il apparaît aux pages 33 à 39 du bulletin de l’Amicale des anciens élèves de l’École normale de 1899 :

 

Promotion de 1841. Cournuéjouls (Eugène), né à Hapanouse[3] (Aveyron), le 22 décembre 1819, décédé à Limoges, le 16 avril 1898.

Il fit ses études, en qualité d’élève externe, au collège royal de Rodez où il entra en cinquième en 1829. Le palmarès de cette année scolaire 1829-30 dans lequel il figure avec honneur, comprend parmi les lauréats de la classe de philosophie les deux frères Blanc (Louis et Charles) qui jouissaient à Rodez de bourses payées sur la cassette du roi Charles X. Il y a un rapprochement à faire entre cette mince brochure de douze pages d’une impression très peu serrée et nos palmarès d’aujourd’hui, gros et touffus volumes, dont la proclamation demande souvent deux journées et quelles journées ! Sans vouloir en quoi que ce soit nier les progrès réalisés par les connaissances humaines, on peut se demander si le développement moral et intellectuel de la jeunesse a suivi la même progression que l’étendue des palmarès. A cette époque, l’ancien mode d’externat n’avait pas encore disparu. Les élève étrangers à la ville étaient confiés à des particuliers chez lesquels ils vivaient en famille, généralement peu surveillés et payant à peu près toute permission d’aller et de venir. Ce régime était favorable au développement de l’esprit d’initiative et du sentiment de la responsabilité. Les élèves abusaient peu de cette liberté qui n’avait pour eux aucun caractère de fruit défendu. Leurs devoirs ne se faisaient pas plus mal que dans l’internat. Cournuéjouls se louait de s’être trouvé placé dans cette condition. Il disait y avoir pris l’habitude de demander beaucoup à lui-même et de savoir se diriger sans le concours d’autrui. Après avoir terminé ses études littéraires avec beaucoup de succès, il alla, en vue des études scientifiques, au lycée Saint-Louis où il ne tarda pas à entrer en qualité de maître répétiteur. Il venait de débuter à Rodez dans les mêmes fonctions. Ce service laissait alors beaucoup moins de liberté qu’aujourd’hui, il était peu aisé de le faire marcher de front avec la préparation à l’École Normale qui entraînait la nécessité de suivre les cours de la classe de mathématiques spéciales. Il parvint cependant, avec de la constance et de la volonté, à remplir avec succès cette double tâche. Il ne cessa de s’applaudir d’avoir ainsi commencé sa carrière par des fonctions qui sont la meilleure école pédagogique. En 1841, il entra à l’École Normale, dans la section des Sciences mathématiques. Il en sortit agrégé en 1844 pour aller à Limoges comme professeur de mathématiques élémentaires, en compagnie de son camarade et constant ami, Privat Deschanel, qui sortait en même temps de l’École avec le titre de professeur de physique. L’année suivante, la chaire de spéciales étant devenue vacante, il y fut appelé.

C’est là que s’accomplit toute sa carrière de professeur et qu’il s’allia, par son mariage, à une très honorable famille. Quels y furent ses services et quelle considération il sut y acquérir, un fait le montrera. Pendant longtemps, les titres d’officier d’Académie et de l’Instruction publique résultaient, non pas d’une nomination directe, mais de la fonction remplie. Ainsi, les professeurs de premier ordre étaient officiers d’Académie et les palmes d’officier de l’Instruction publique appartenaient de droit aux Proviseurs, aux Recteurs, etc. Un ministre, M. de Crouzeilles,  décida en 1851 que désormais ces distinctions ne pourraient être conférées que par voie de nominations ministérielles, ainsi que cela se pratique depuis cette époque. Or, le premier arrêté pris conformément à cette disposition nouvelle comprenait trois officiers de l’Instruction publique, parmi lesquels Cournuéjouls. En possession de la confiance de tous, très bien posé et apparenté à Limoges, il se serait peut-être décidé à s’y fixer pour toujours, si diverses circonstances n’étaient venues amoindrir la situation qu’il s’y était faite. Suppression de l’École normale primaire où il était chargé d’un cours, en même temps que membre de la Commission de surveillance ; suppression de la commission d’examen du baccalauréat dont il faisait partie et qui existait à Limoges comme dans quelques autres villes possédant une Académie sans Facultés.

Suppression, du Boni Vatimesnil[4] au moment où, atteignant sa sixième année d’agrégation, il allait en jouir et qui ne fut rétabli que bien des années plus tard. Peu encouragé par ces événements, obéissant d’ailleurs à sou désir de se destiner à la carrière du Provisorat pour laquelle il se sentait une vocation, encouragé, en outre, par l’inspecteur général, il accepta, plutôt qu’il ne sollicita le Censorat du lycée de Metz, établissement des plus importants à cette époque, surtout au point de vue de la préparation aux Écoles. Une population de grands élèves y affluait de tous les points de la région.

Son concours y fut des plus efficaces pour maintenir la forte discipline dont la tradition remontait, pour une large part, à un précédent censeur, M. Broca, le proviseur bien connu du lycée Charlemagne.

Une année après, en septembre 1852, il recevait, non sans surprise, l’avis de sa nomination à Marseille par une lettre ministérielle contenant le passage suivant : « Les services que vous avez rendus dans l’administration du lycée de Metz vous ont désigné pour un avancement que je suis heureux de vous donner en vous plaçant dans un lycée très important et d’un ordre supérieur à celui que vous quittez. » II devenait le collaborateur d’un proviseur. M. Jullien, jouissant déjà d’une réputation des plus méritées et qui devait plus tard donner toute la mesure de sa valeur hors ligne sur un plus grande théâtre à Louis-le-Grand et à Vanves. A pareille école, son expérience et son aptitude pédagogiques ne pouvaient que se développer et se fortifier. La population habituellement facile à conduire, était cependant capable de prendre feu parfois avec une vivacité méridionale. C’est dans un de ces mouvements heureusement fort rares, que Cournuéjouls reçut ce qu’il appelait le baptême du feu et montra ce dont il était capable comme sûreté et promptitude de décision. Il racontait volontiers cet épisode, bien fait pour marquer dans la vie d’un Censeur : « Il n`y avait alors au lycée de Marseille qu’un réfectoire où tout l’internat prenait ses repas aux mêmes heures. Une pareille disposition, adoptée depuis peu, était mal conçue, car on devait penser qu’une fois ou l’autre quelque tentative de désordre pourrait y être propice. La chose était facile à prévoir et elle arriva.

Un jour que l’attitude générale nous avait paru un peu inquiétante, un murmure se produisit au moment où on venait de s’asseoir pour le souper auquel je présidais, comme à tous les repas. Je donnai un avertissement qui fut écouté mais auquel on répondit sur toute la ligne par une nouvelle salve de murmures encore plus accentuée. Que faire? Surprendre des coupables ? Impossible ; on bourdonnait à bouche fermée. N’y faire aucune attention ? Parti inconciliable avec ma dignité, en même temps que fort dangereux. Le désordre n’aurait pas manqué de prendre des proportions plus graves. Faire appeler le Proviseur ? C’était avouer mon impuissance et en cas d’insuccès, découvrir l’autorité du chef qui avait besoin de rester intacte. Couper court au désordre en supprimant le souper ? C’était m’exposer à une désobéissance formelle dont les conséquences m’auraient été défavorables, une pareille tentative de ma part pouvait être taxée de témérité. Ces diverses réflexions se succédèrent dans mon esprit, rapides comme la pensée. J’eus même le temps de me rappeler le CIVIUM ARDOR PRAVA JUBENTIUM[5] d’Horace et de songer au grave péril que traversait ma carrière. Je n’en pris pas moins ce dernier parti, et sans m’arrêter à l’idée d’un relus possible sinon probable, je donnai l’ordre de se lever de table... Je fus obéi et sans avoir soupé on alla se coucher dans un profond silence. Il ne me resta plus qu’à rendre compte au Proviseur de ce que je venais de faire et à aller passer la nuit dans un vestiaire, entre deux dortoirs. Le lendemain quelques mesures disciplinaires mirent fin à l’effervescence. Cet incident eut pour moi une grande importance en ce qu’il me donna confiance en moi-même au point de vue du choix de ma nouvelle carrière. Il me confirma, de plus, dans cette opinion qui ne m’a jamais abandonné, a savoir que la jeunesse a, par-dessus tout, besoin de se savoir maîtrisée et qu’en face de l’esprit de résistance ou de désordre, les concessions, les transactions, les demi-mesures ne sont le plus souvent que de la faiblesse déguisée. »

Il quitte en 1856, le lycée de Marseille, pour devenir Proviseur du lycée d’Alger où il passa quatre années qu’il comptait, parmi les plus paisibles et les plus agréables de sa carrière.

Sympathique au personnel comme aux élèves chez lesquels il ne rencontra aucune résistance, vivant dans les meilleurs termes avec le Recteur M. Delacroix qui, confiant dans son savoir-faire, lui laissait la plus grande liberté d’action. Le lycée à cette époque était encore installé dans les bâtiments de l’ancienne caserne Babazoun qui se prêtait fort mal à cette destination et où les divers services fonctionnaient de la façon la moins commode, entassés et enchevêtrés dans un local qui devenait de plus en plus insuffisant, à mesure que la population s’accroissait. C’était le cas d’appliquer ce que disait M. Cousin à propos de l’École Normale de la rue Saint-Jacques : « Nous sommes pleins de vie et nous n’habitons que des ruines. » La salubrité aurait même souffert de cet encombrement si, grâce à la douceur du climat, l’aération n’avait pas été constante en toutes saisons. La construction d’un nouveau lycée s’imposait donc impérieusement. Mais quoique les projets fussent antérieurs à son arrivée, on était encore, après son séjour de quatre années, loin d’entrer dans la terre promise. Son rôle dut se borner à intervenir dans la préparation des plans. Il n’y travailla pas sans une arrière-pensée pénible. L’emplacement lui paraissait en effet mal choisi à l’extrémité de Bab el oued. Il ne cessa d’insister, pour faire adopter le côté opposé qui était celui du développement de la ville. On a depuis regretté bien souvent cette erreur irréparable.

En demandant à rentrer en France il tenait essentiellement à conserver les avantages de la première classe que lui offrait le lycée d’Alger place en dehors du classement des autres lycées. La chose n’aurait pas été sans rencontrer quelques difficultés, en raison surtout de cette circonstance, que, comme les autres services algériens, l’instruction publique relevait du Ministère récemment créé de l’Algérie et les Colonies. « Vous ne m’appartenez plus, lui avait dit M. Rouland et ne me reprochez pas de vous avoir cédé. On vous a pris. » Un événement imprévu vint dénouer cette situation. Une révolte éclata en 1852 au Prytanée militaire de la Flèche qui était trop souvent le théâtre de scènes de désordre. Le général Trochu, envoyé en mission, y reçut lui aussi le baptême des murmures. Le mot de suppression fut même prononcé. Le maréchal Randon, alors Ministre de la Guerre, comprit qu’il y avait des défauts graves dans l’organisation de ce grand établissement où l’on semblait croire qu’une maison d’éducation peut se conduire comme un régiment. Il voulut introduire, dans de plus larges proportions, les procédés et les méthodes de l’éducation universitaire. Le personnel enseignant, recruté jusque-là au moyen d’un concours local, dut, par voie d’extinction être remplacé par le personnel des lycées. Un emploi d’inspecteur des études fut crée pour seconder le général commandant dans la direction de tout ce qui se rattachait à l’enseignement et l’aider à introduire dans le régime intérieur toutes les réformes jugées nécessaires.

Suivant le désir du maréchal qui avait connu M. Cournuéjouls à Alger, ce poste lui fut offert. Il l’accepta à condition d’y être considéré comme y suivant la carrière dans le provisorat. Le Ministre de la Guerre eut en même temps la bonne chance de pouvoir confier le commandement au général Henri Lefèvre, homme de devoir et de dévouement, sachant allier un jugement solide, une grande bienveillance et une rare aménité de formes, au caractère le plus ferme et le mieux trempé. Une confiance réciproque, une entente jamais altérée, une véritable amitié s’établit entre le chef et le subordonné au grand profit du Prytanée qui y trouva, pendant près de douze ans, une période de calme absolu et de la plus incontestable prospérité. Des relations non moins sympathiques existaient entre Cournuéjouls et le commandant un second, le colonel Lecomte, un officier d’une grande valeur qui, après avoir fait bravement son devoir pendant la guerre, devait tomber victime d’un irréparable assassinat. Le séjour de M. Cournuéjouls au Prytanée se prolongea jusqu’en 1871. Il y était entré en 1860. Deux citations suffiront à faire connaître comment il y a été jugé. Un inspecteur général qui n’était pas précisément renommé pour son optimisme écrivait sur son compte en 1866 : « Fonctionnaire d’un ordre vraiment distingués. A des connaissances solides sur les matières scientifiques, il joint des qualités administratives précieuses et rares. Sa parole grave et accentuée a de l’autorité sans emphase. Il a du tact, de la finesse, un jugement sûr et vif, une sagacité parfaite... Les études scientifiques ont été promptement relevées de leur langueur et ont atteint un niveau qui n’est pas dépassé dans nos meilleurs lycées... » Voici comme seconde citation un passage de l’ordre du jour que le général Lefèvre fit paraître à l’occasion de son départ : « M. Cournuéjouls laisse au Prytanée où il a passé près de douze ans une mémoire honorée et une réputation de loyauté et de droiture justement mérité. Aussi, le général croit-il devoir, tant en son nom qu’au nom de tous le personnel de la maison exprimer publiquement à ce chef estimé de tous, les vifs et unanimes regrets que cause son départ. Par son esprit de justice, par la grande modération qu’il n’a cessé de montrer en toutes choses, enfin par son tact parfait, il a su triompher des nombreuses difficultés que présentait la réorganisation complète de l’établissement, aider l’autorité du commandant à rasseoir et à consolider la situation, un instant compromise, de l’ancien personnel enseignant, et participer, dans une large mesure, à la prospérité du Prytanée. Aussi cet éminent fonctionnaire laissera-t-il ici un souvenir d’autant plus précieux et durable qu’il sera basé sur l’estime et la respectueuse affection de tous. » Nombreuses, du reste, seraient les citations si on voulait rappeler dans cette notice tous les témoignages d’estime, d’affection, de sympathie provenant de ses chefs, comme de ses subordonnés que l’on trouve parmi ses papiers.

Honoré de la confiance de tous, élevé à la dignité d’officier de la Légion d’honneur, se trouvant, à tous égards très bien à la Flèche, il ne voulait pas cependant retarder indéfiniment sa marche ascendante dans l’Université. Il y rentra après la guerre, comme proviseur du lycée de Tours. La bonne réputation qui l’y avait précédé ne se démentit pas. Il y trouva des élèves acceptant facilement les exigences d’une règle qu’il sut toujours imposer sans obstacle et des collaborateurs distingués parmi lesquels il suffit de citer : MM. Borgnet, Rabier, Nollein, Gaffarel. Au moment de quitter Tours en 1874, il reçut de son recteur, qui était alors M. Chéruel, une lettre qui dit en deux mots à quel point son administration y avait été appréciée :

« Je regrette que l’Académie de Poitiers soit privée d’un des Proviseurs les plus distingués de l’Université. Je me rappellerai toujours nos excellentes relations et combien vous avez rendu facile le rôle du Recteur en ce qui concerne le lycée de Tours. »

La survivance de l’excellent M. Davan, qui quittait le lycée de Nancy après l’avoir dirigé pendant vingt ans, n’était pas sans donner des appréhensions ; Cournuéjouls n’eut pas à se repentir d’avoir accepté cette mission dans laquelle ses amis lui prédisaient quelques difficultés disciplinaires. Il trouva une population saine et vigoureuse, accrue et fortifiée par glus éléments venus de l’Alsace et de la Lorraine que leurs nouveaux et impitoyables maîtres n’arrêtaient pas encore à la frontière. Son autorité s’y établit sans réserve dès le début et sous sa direction la prospérité de cette grande maison ne fit que s’accroître au triple point de vue de l’affluence des élèves, de la force des études confiés à un personnel de choix, et du succès aux Ecoles spéciales.

Placé ainsi avec ses antécédents et son ancienneté dans la carrière à la tête d’un établissement auquel nul lycée de province ne pouvait se dire supérieur, il n’hésita pas se mettre sur les rangs pour le provisorat de Versailles vacant en mai 1877. Ayant dans ce but obtenu une audience de M. Waddington, ministre de l’Instruction publique, il fut reçu par M. Brunet que le revirement politique du 16 mai venait de porter au ministère. « Je suis au courant de la question, lui dit le nouveau ministre. Vous avez des compétiteurs. Vous seriez même étonné si je vous disais par quel personnage est patronné l’un d’entre eux. » Et il lui montra une lettre qui eût été irrésistible pour un homme moins trempé et moins affermi dans le sentiment de la justice. « Soyez rassuré malgré cela ; c’est vous qui serez choisi, non pas en faveur de votre qualité de mon ancien professeur à Limoges, mais parce que vous avez incontestablement les meilleurs titres. »

C’est ainsi que s’exécuta jusqu’au bout le programme : Paris ou Versailles auquel, avec la ténacité qu’on attribue aux Aveyronnais, Cournuéjouls s’était toujours attaché, même à l’époque où les lycées de Paris étaient moins nombreux et où les proviseurs de province n’y arrivaient que bien rarement.

Les qualités qui partout lui avaient assuré le succès ne furent pas moins bien appréciées à Versailles. Il y réussit pleinement avec sa fermeté bienveillante, ses manières ouvertes et franches, la constante sollicitude qui le retenait au lycée à la disposition des professeurs, des familles et des élèves, réduisant au minimum ses rapports avec l’extérieur, afin de rendre plus attentive son action personnelle dans le magnifique établissement dont la direction avait comblé ses vœux. Mais si le fonctionnaire avait marché, le cours des années avait été encore plus rapide. Il s’était toujours promis de terminer sa carrière à soixante-cinq ans, ne voulant, à aucun prix, remplir avec des forces affaiblies des fonctions qui demandaient tant d’activité. Il tenait, en même temps, à se réserver des chances d’avoir devant lui quelques années à consacrer à ses affaires privées qu’il avait toujours laissées au second plan, à la plénitude de la vie de famille et aussi à se recueillir en se retrempant dans la pratique des principes religieux que sa mère avait trop profondément gravés dans son cœur pour qu’ils eussent jamais pu s’en effacer.

Fidèle à son projet, il demanda et obtint sa retraite en septembre 1882, à l’âge de soixante-cinq ans, après quarante-cinq ans de services accomplis sans aucune interruption. Un seu1 fait suffira pour montrer quels bons souvenirs il laissait à Versailles. L’année suivante, à la suite d’une gracieuse invitation de son successeur, il assista au banquet de la Saint-Charlemagne et à son entrée dans la salle du festin il fut l’objet d’une ovation si unanime, si éclatante, si chaleureuse, que sa modestie lui fit regretter de s’y être présenté.

Il vint jouir de sa retraite à Limoges où l’appelaient des liens de famille, d’anciennes et animales relations. Doué d’un esprit charmant, d’une bonté irrésistible, il y vécut ses dernières années, entouré de la tendre affection des sien, de la sympathique considération de tous.

Bibliophile savant et passionné, connaissant tous les livres, depuis les incunables jusqu’aux dernières éditions parues, archéologue distingué, il partageait ses loisir entre sa bibliothèque, les séances de la Société d’Archéologie du Limousin et l’étude des questions économiques et sociales. Lettré délicat, c’était une bonne fortune pour les journaux de Limoges lorsqu’il adressait à l’un d’eux une de ses intéressantes communications. Il jugeait les choses de haut, avec la plus grande clairvoyance, et dans ses articles, toujours aussi fermes que courtois, la bonhomie adoucissait ce que le trait pouvait avoir d’un peu vif.

A voir ce beau vieillard, toujours si actif, si plein de douce gaieté, sa famille, ses amis espéraient le conserver encore longtemps, lorsqu’il fut malheureusement enlevé par une courte maladie à l’âge de quatre vingt un ans.

Tous conserveront sa mémoire,  car il possédait les dons de l’esprit et du cœur qui font aimer et vénérer les hommes.

Comme le dernier témoignage de respect et d’admiration pour ses hautes vertus, un ami lui consacre ces lignes. Puissent-elle perpétuer son cher souvenir et adoucir un peu la douleur de ses enfants qui le chérissaient !

François MAYNARD.


[1] : Rose Eugène, en fait.

[2] : Il s’agit en fait de Lapanouse de Séverac.

[3] : Jolie coquille.

[4] : Il s’agissait d’un système d’avancement qui privilégiait les enseignants qui restaient dans le même établissement. Il fut supprimé en 1850. Vous pouvez consulter une biographie d’Antoine Lefebvre de Vatimesnil (1789-1860) sur cette page de l’Assemblée nationale. https://www2.assemblee-nationale.fr/sycomore/fiche/(num_dept)/11100

[5] : Odes, III, 3.

 

L'iceberg, le boulanger et l'alligator [Épisode 4 : Après le naufrage]

Cette terrible tragédie eut des répercutions positives : toutes les compagnies augmentèrent le nombre de canots de sauvetage afin que la totalité des personnes à bord, si les conditions le permettent, puisse être évacuée, les compagnies maritimes furent obligées d’avoir deux opérateurs radio qui se relayaient afin d’avoir toujours au moins un homme à l’écoute et, le 20 janvier 1914, la Patrouille internationale des glaces fut créée afin de circuler dans l’Atlantique nord et d’alerter les navires y croisant (depuis leur création, les navires qui ont suivi leurs avertissements n’ont eu à déplorer aucune collision avec un iceberg – aujourd’hui, les patrouilles se font principalement par avion, mais aussi par satellites et les treize nations qui participèrent à sa création sont maintenant dix-sept). Chaque année, le 15 avril, un des avions de la Patrouille internationale des glaces va larguer là où repose l’arrière du Titanic une couronne de fleurs dont le ruban mortuaire porte l’inscription « Always lost, never forgotten » (Perdus à jamais, jamais oubliés).

 

À peine un mois après le naufrage, le 14 mai 1912, l’actrice Dorothy Gibson (1889-1946), une des survivantes de 1ère classe, sortit le film Saved from the Titanic [1] (Rescapée du Titanic [notre traduction]). Ce court-métrage muet d’une seule bobine (moins de dix minutes de film) raconte l’histoire de Dorothy, une jeune fille qui a survécu au naufrage et qui raconte à sa famille ce qui lui est arrivé ; ses fiançailles sont compromises car elle devrait épouser un marin et le danger de sa profession pose désormais problème au père de Dorothy, mais il finit par donner son consentement. Dans le film, Dorothy a la dernière place dans le dernier canot, mais Miss Gibson fut en réalité la première passagère dans le premier canot. Il ne reste aujourd’hui que quelques photos promotionnelles du film dont on pense que toutes les copies brûlèrent lors de l’incendie des studios de production le 19 mars 1914.

Ce travail fut le tout premier d’une longue série de films, séries, livres et documentaires.

 

Les médias nous racontent que ce fut grâce au travail du Dr Robert Ballard que l’épave du Titanic fut localisée le 1er septembre 1985, mais une lettre ouverte du regretté Paul-Henri – souvent appelé « PH » par les Anglo-Saxons – Nargeolet (2 mars 1946-18 juin 2023) remet quelques pendules à l’heure[2].

Le navire repose à quelques 3 800 mètres de profondeur et il n’aurait jamais été localisé si une sorte d’accord n’avait été passé avec la marine américaine (l’expédition devait retrouver pour eux deux sous-marins perdus en échange de l’autorisation de se servir de leur matériel une fois la mission accomplie et l’épave fut découverte presque à la fin du temps imparti). L’implication de la marine américaine resta classée « secret défense » jusqu’en 2008. Incidemment, en 1977, le navire océanographique de la Royal Navy, l’Hecate, avait remarqué l’épave en deux morceaux d’un grand navire dans le secteur et l’expédition de 1985 était en possession de cette information.

Certains commençaient à penser que le Titanic avait été complètement détruit, comme l’avaient été tous les câbles sous-marins, lors d’une terrible tempête en 1929.

Pour la totalité de sa mission, Ballard travailla avec l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (IFREMER). Leur mission commença en juillet 1985 et, dès le 28 juillet, les sous-marins étaient localisés et l’expédition pouvait chercher le Titanic, ce qui fut fait avec l’Argo, sous-marin capable de filmer à de telles profondeurs.

Alors que le navire océanographique de Ballard avait navigué au dessus de l’épave sans l’identifier, dans la nuit du 31 août au 1er septembre, la proue fut localisée par l’océanographe Jean-Louis Michel de l’IFREMER. À 2h20, l’ensemble de l’équipage se recueillit sur le pont. Cette expédition prit fin le 9 septembre.

La découverte de la proue prouva que ceux qui avaient vu le navire se briser avaient raison (on peut lire dans certains récits que Ballard s’est servi du témoignage de Jack Thayer afin de localiser l’épave qui se trouve à des kilomètres de l’endroit où on pensait qu’il avait coulé, mais c’est sans doute encore une des histoires liées au Titanic).

La cartographie du site laisse à penser que le navire se brisa en trois.

Les débris sont répartis sur une zone de près de 3 km2. Coulé plus au nord, le navire ne serait qu’à environ 300 mètres de profondeur, mais coulé plus au sud, il aurait pu reposer à 5 000 mètres.

L’examen de la coque nous apprit que l’iceberg n’avait pas éventré l’avant, mais qu’il avait réussi à faire sauter les rivets, ce qui avait ouvert une petites brèche, mais sur une longueur trop grande pour que le navire puisse y survivre.

Les corps[3] et la plupart des tissus ont été dévorés par les créatures marines, mais l’acier disparaît lentement (il semblerait que des bactéries, baptisées halomonas titanicæ, fassent leur ordinaire de la coque du navire qu’elles pourraient bien finir de dévorer d’ici 2030 – et les scientifiques craignent qu’elles n’aient pris goût à l’acier et migrent vers d’autres sources de nourriture, ce qui pourrait être terrible pour bon nombre de structures sous-marines). Le bois qui manque à bord a sans doute été brisé dans le naufrage car certaines pièces sont toujours intactes dans la carcasse du navire. On trouve du charbon, des bijoux, de la vaisselle et, chose plus surprenante, du cuir, ce qui s’explique par les traitements chimiques subis par les peaux. Il y a donc des chaussures, des portefeuilles et des sacs, sacs qui ont parfois protégé des trésors.

 

Une plaque commémorative fut laissée sur le site par Ballard en 1985, mais, considérant le site comme un cimetière, il ne remonta aucun objet à la surface (allez cependant lire ce que le commandant Nargeolet avait à dire au sujet du manque d’éthique archéologique), ce qui déclencha une bataille internationale afin de déterminer qui aurait le droit de plonger sur le site.

On peut comprendre que certains veuillent traiter cette zone comme un cimetière ou une terre sacrée, mais étudier la zone contribue à garder les victimes dans la mémoire collective de l’humanité. Un autre problème est peut-être que la tragédie est récente (en Histoire, 1912, c’est hier matin) et que certains survivants qui nous ont quittés récemment devaient voir ce site comme l’ultime demeure de leurs parents (les parents de certains millionnaires disparus voulaient financer des opérations afin de récupérer les corps, ce qui aurait été impossible à l’époque et Eva Hart s’opposa toujours aux expéditions de récupérations). C’est pourtant de l’Histoire maritime ; ce qui est récupéré est traité avec le plus grand respect et on est à des années lumières de pratiques telles que celles d’Howard Carter (si vous ne savez pas déjà comment il maltraita la momie de Toutankhamon, allez lire un récit sur le sujet – mais préparez-vous à bouillir de colère).

En 1986, Ballard retourna sur le site, mais sans l’IFREMER (d’après le commandant Nargeolet, Ballard était d’accord pour partager le crédit des photos prises en 85 avec l’IFREMER, mais il les vendit aux médias le jour même de la découverte). Ballard laissa une plaque à l’avant et une à l’arrière ; dans sa lettre ouverte, le commandant Nargeolet rappela que, lors de cette expédition, le coffre-fort de 3ème classe fut secoué par sa poignée (Ballard déclara que le fond du coffre manquait et que le coffre ne contenait rien, mais comment en être certain ?).

Les premières expéditions eurent lieu du 22 juillet au 11 septembre 1987 avec la compagnie Titanic Ventures, Inc., qui aujourd’hui s’appelle RMS Titanic, Inc. et qui a de nombreuses équipes qui récupèrent, préservent et exposent les objets récupérés sur le site du naufrage. George Tulloch (1944-2004) était le premier président de cette compagnie. Cette expédition se fit en collaboration avec l’IFREMER ; de nombreuses photos furent prises et environ 800 objets furent remontés. Le commandant Nargeolet faisait déjà partie de l’aventure.

Paul-Henri Nargeolet (Photo AFP)

En 1993, la France donna officiellement les droits à RMS Titanic, Inc. sur les objets récupérés en 87.

Le 7 juin 1994, RMS Titanic, Inc. reçut d’un tribunal américain le droit de récupérer des objets sur le site du naufrage ; cette décision fut confirmée en 1996. En 2006, une autre cour américaine leur confirma la propriété des objets récupérés en 1987, selon la décision de la France.

En 1994, celle qui avait été la plus jeune survivante du Titanic, Eliza Gladys Millvina Dean (2 février 1912-31 mai 2009), fut l’invitée d’honneur d’une exposition où furent présentés certains des objets qui avaient été remontés. Ce fut cette année-là qu’un journaliste du Times de Londres (n’oublions pas que ce journal fait partie depuis 1981 de l’empire de Rupert Murdoch, l’homme à qui l’on doit Fox News et une brochette d’infâmes feuilles de choux dirigées par des rédacteurs aux pratiques parfois peu scrupuleuses) compara les expéditions à des pilleurs de tombes. Quelqu’un aurait peut-être pu donner à ce journaliste la définition d’archéologie (combien de momies de sont plus dans leurs tombes ? et encore plus récemment, les restes de Joachim du Bellay ont été retrouvés sous les dalles de Notre-Dame de Paris lors des fouilles et le sort du poète va être déterminé par le Ministère de la Culture) et quelqu’un aurait pu rappeler à ce journaliste qu’en 1993, Tulloch avait transmis à Edith Eileen Brown (27 octobre 1896-20 janvier 1997), alors âgée de quatre-vingt-dix-sept ans, la montre de son père, Thomas, décédé dans le naufrage, qui avait été retrouvée lors de la première expédition de 1987. Tulloch se défendit en déclarant que ceux qui avaient salis la réputation du capitaine Smith, qui ne pouvait plus se défendre, et celle du capitaine Lord, qui n’aurait rien pu faire et n’a jamais été cru, étaient ceux qu’il fallait critiquer, pas lui qui souhaitait garder vivante l’histoire des passagers et de l’équipage du Titanic[4].

Il y a régulièrement des expéditions afin de constater les dégâts sur l’épave et, en archéologie marine, de récupérer un maximum d’objets afin de les conserver le plus longtemps possible. RMS Titanic, Inc. a organisé des expéditions en 1987, 1993, 1994, 1996, 1998, 2000, 2004, 2010 et 2024.

En 2006, John Joslyn ouvrit le Titanic Museum Attraction à Branson dans le Missouri et il en a un autre à Pigeon Forge dans le Tennessee. En parlant de musées, il y a aussi un « espace Titanic » à la Cité de la mer à Cherbourg-en-Cotentin (la ville a changé de nom en 2016), un musée à Belfast et un à Cobh (comme s’appelle aujourd’hui le port de Queenstown qui fut la dernière escale du Titanic) et de nombreux musées maritimes à travers le monde ont des salles consacrées au Titanic.

En 2020, une expédition indépendante a filmé l’épave en haute définition, ce qui a permis de réaliser une modélisation photogrammétrique.

Le 18 juin 2023, le sous-marin Titan, de la compagnie OceanGate, qui devait récolter des données et amener des touristes sur le site, implosa ; le commandant Nargeolet était à bord.

Cette année, RMS Titanic, Inc. a pris de nouveaux clichés, a continué la cartographie du site et a localisé la Diane de Versailles.

La National Oceanographic and Atmospheric Administration (NOAA) fut chargée par les États-Unis qui sont en charge de la protection de l’épave de veiller sur elle ; la NOAA collabore avec la RMS Titanic, Inc. dans sa mission de conservation.

La RMS Titanic, Inc. organise aujourd’hui plusieurs expositions : Orlando et Las Vegas sont des sites permanents, mais l’exposition itinérante se trouvera sous peu à Boston et à Lausanne, puis à Ludwigsbourg en 2025, faisant ainsi partager, selon le désir de George Tulloch, l’histoire du Titanic au plus grand nombre.

Les objets présentés sont tous authentiques et après avoir passé des décennies à près de 4 km sous la surface, ils ont tous besoin de la science des équipes auxquelles ils sont confiés.

Lors de la conférence du 3 avril 2024 au SITEM, donnée par la présidente actuelle de la RMS Titanic, Inc., Mme Jessica Sanders, la directrice des collections, Mme Tomasina Ray, et le directeur du développement commercial, M. Gautham Chandna, ils parlèrent de leur travail de conservation et des nombreux objets dont ils ont la garde.

Nous avons retrouvé une partie de ces informations dans un article de la BBC (les prochaines images proviennent d’ailleurs de cet article parce que nous n’avons pas pensé à prendre des photos pendant la conférence d’avril). 

Comme la montre de Thomas Brown qui fut transmise à sa fille après avoir été retrouvée en 1987, certains des objets qui sont remontés appartiennent à des personnes qui survécurent au naufrage. Si Edith Brown était encore en vie pour recevoir un bien familial, il n’y a aujourd’hui plus personne pour déchiffrer les histoires que nous racontent les objets récupérés et c’est Tomasina Ray et les scientifiques avec qui elle travaille qui sont les voix des disparus. Par exemple, Adolphe Saalfeld (1865-1926) a survécu ; ce chimiste de formation était le président de la Sparks-White&Co. Ltd en Grande-Bretagne et il se rendait aux États-Unis (en 1ère classe, contrairement à ce que dit l’article de la BBC) afin d’essayer d’y commercialiser des parfums – parfums dont les fioles ont été retrouvées parmi le champ de débris en 2000 et dont une des recettes a été recréée depuis. Gage de leur incroyable qualité, le parfum des fioles est toujours odorant. La mallette d’échantillons que Saalfeld laissa derrière lui nous raconte aujourd’hui que son travail était d’une exceptionnelle qualité. Il raconta qu’il avait « suivi le mouvement » et s’était retrouvé évacué sur le canot n° 3, mais il devint insomniaque après la tragédie et quelques imbéciles sans cœur le mirent au banc de la société pour avoir eu l’audace de survivre (parce qu’il était un homme).

Il y a aussi l’alligator. Ne vous demandiez-vous pas ce que cette bête faisait dans le titre et où elle allait apparaître ? L’alligator fut transformé en sac – un sac dont le modèle ressemble à des sacs qui peuvent s’acheter encore aujourd’hui – et sa peau fut donc traitée avec moult produits chimiques… puis acheté par une modiste et couturière, Marian (Mary Ann à son baptême) Ogden, épouse Meanwell (7 décembre 1849-15 avril 1912).

Photo du sac de Marian Meanwell et d’une lettre de recommandation de son ancien logeur

 

Elle avait eu un fils et trois filles. Sa plus jeune fille, Margaret Costin, s’était mariée aux États-Unis ; elle avait deux jeunes enfants et venait de se retrouver veuve. Marian décida d’aller aider sa fille. Marian périt dans le naufrage, mais si son sac n’avait pas été retrouvé et les papiers qu’il contenait sauvés, l’histoire de Marian Meanwell serait incomplète. En effet, la photo d’une femme s’y trouvait :

 

Possible photo d’Ann Dolan, épouse Ogden, mère de Marian Meanwell

Il s’agit peut-être d’une photo de sa mère. Autre document préservé dans son sac, son certificat médical qui garantissait sa bonne santé et l’autorisait à immigrer et il y avait aussi une lettre de son ancien logeur qui déclarait qu’elle était une bonne locataire qui réglait son loyer à l’heure. Un autre document nous apprend un fait qui était inconnu jusqu’alors : Marian Meanwell, tout comme la famille Goodwin, n’avait pas sa réservation sur le Titanic. Elle avait un billet sur le Majestic, mais, n’ayant pas assez de charbon à cause de la grève, il ne put partir et elle fut transférée sur le Titanic.

Sans le travail et la dévotion des équipes de la RMS Titanic, Inc., l’histoire de Marian Meanwell serait restée incomplète. Le souvenir de cette victime est plus précis, grâce à eux – et n’oublions pas l’alligator qui servit de capsule temporelle pour ces précieux documents.

 

Le Titanic, comme nous vous l’avions dit, n’est pas du tout un de nos sujets de recherche, mais, en faisant nos recherches sur lui (le déclencheur fut la série de vidéos de Max Miller sur le sujet, ce qui nous fit aller à la conférence d’avril où l’alligator continua de nous faire nous poser des questions, questions qui avaient commencées avec l’extraordinaire histoire du boulanger la nuit du naufrage) nous avons réalisé qu’il y a encore beaucoup de légendes qui sont présentées comme des vérités. De même, s’il est vrai que les témoignages ne concordent pas tous (pour paraphraser Henri-Irénée Marrou, lors d’un événement important, il y a autant de versions qu’il y a des témoins), il est troublant de constater, alors que la tragédie qui a frappé le Titanic passionne tant de personnes, que rares sont les travaux qui tentent de recueillir un maximum d’informations afin de reconstituer les choses au plus près de la vérité (312 pages avec l’histoire abracadabrante du numéro de la coque et une seule avec la vérité sur le sujet – pour ne citer que cette histoire).

 

Nous avons essayé de creuser afin de vous donner une histoire du Titanic la plus fiable possible.

Si nous trouvons des corrections à faire, nous les ajouterons dans de futurs articles.

L’histoire de l’iceberg est – probablement – bouclée, mais si nous découvrons d’autres histoires aussi fascinantes que celle du boulanger ou de l’alligator, nous viendrons les partager avec vous.

 

 

Sources :

Archbold (Rick), McCauley (Dana), Last Dinner on the Titanic, Weidenfeld & Nicolson, Londres, 1997.

Atlantique, latitude 41° [A Night to Remember] (1958)

https://www.youtube.com/watch?v=JbmHZbTpoDY&list=PLIkaZtzr9JDlFDMpTL3Xyjbuj9I2yvZeI&pp=iAQB

http://www.titanicinquiry.org/BOTInq/BOT01.php

http://aftitanic.free.fr/

https://www.abc.es/archivo/abci-triste-adios-victima-espanola-titanic-esquela-pero-sin-tumba-202004140140_noticia.html

https://www.bbc.com/afrique/articles/clygnylgm0go

https://cherbourg-titanic.com/2011/12/r-m-s-titanic/

https://fr.wikipedia.org/wiki/Titanic

https://titanic.fandom.com/wiki/

https://www.bateaux.com/article/21512/menu-dernier-dejeuner-titanic-naufrage-vendu-88-000

https://www.bateaux.com/article/21514/naufrage-titanic-vecu-raconte-une-riche-famille-britannique

https://www.bateaux.com/article/21515/revivre-apres-drame-naufrage-titanic

https://www.beauxarts.com/grand-format/une-statue-de-diane-retrouvee-sur-lepave-du-titanic/

http://www.btinternet.com/~dr_paul_lee/ismaysescape.htm

https://www.dailyrecord.co.uk/news/local-news/red-roses-titanic-hero-musician-2560490

https://www.encyclopedia-titanica.org/

https://www.encyclopedia-titanica.org/last-of-the-last.html

http://hdl.loc.gov/loc.pnp/cph.3c21013

http://hdl.loc.gov/loc.pnp/cph.3c25501

https://www.nationalgeographic.fr/histoire/vous-savez-comment-il-a-coule-mais-savez-vous-comment-le-titanic-a-ete-concu

https://www.newschainonline.com/news/titanic-expedition-yields-lost-bronze-statue-and-other-discoveries-418573

https://www.reddit.com/r/titanic/

https://www.reddit.com/r/titanic/comments/1f0u1yg/broken_by_curiosity_the_missteps_of_titanic/?rdt=59646

https://www.titanicbelfast.com

https://www.titanicmuseum.org

https://titanic.superforum.fr/t449-memorial-roger-bricoux-france

http://web.archive.org/web/20041117153609/



[1] : Le film sortit en Grande-Bretagne le 25 juillet 1912 sous le titre A Survivor to the Titanic (La Survivante du Titanic [notre traduction]).

[2] : Cette lettre en anglais, probablement rédigée en décembre 2004 ou janvier 2005, s’adresse à Ballard et le commandant Nargeolet lui reproche un grand nombre d’oublis et d’inexactitudes. Elle est téléchargeable ici

[3] : Il est bien évident que la plupart des victimes ont disparues aujourd’hui, mais en 1996 une expédition trouva une alliance avec la phalange de son propriétaire. Considérant que le reste du squelette se trouvait peut-être dans la vase, os et bague furent remis où ils avaient été trouvés.

[4] : Tulloch fut remplacé à la tête de la RMS Titanic, Inc. par les actionnaires de la société parce qu’ils ne le trouvaient pas assez agressif en affaire. Afin de préserver l’esprit de ce qu’il avait commencé, il les combattit au tribunal.

L'iceberg, le boulanger et l'alligator [Épisode 3 : Le naufrage]

Le capitaine Smith avait laissé le commandement de l’Olympic au capitaine Herbert Haddock (1861-1946) et Smith visita le Titanic le 31 mars 1912.

Le Titanic, après ses essais au large de Belfast, reçut l’autorisation de naviguer et, le 10 avril, il était à Southampton, prêt pour sa première traversée. Il se mit en route à 12h15.

En quittant Southampton, le Titanic faillit entrer en collision avec un navire plus petit, le City of New York, mais Smith ordonna une manœuvre qui permit, en faisant tourner l’une des hélices à plein régime, d’éviter la collision. Le navire prit du retard sur son horaire.

Le Titanic se rendit à Cherbourg en France où il arriva à 18h35. À cause de son tirant d’eau, il ne pouvait aller à quai et deux transporteurs de la White Star Line firent débarquer et embarquer les passagers (y compris le canari de M. Meanwell). Le navire quitta la France pour Queenstown, en Irlande, où il arriva le 11 avril à 11h30. Quelques passagers débarquèrent, mais de nombreux autres montèrent à bord.

            Ce qui peut nous paraître curieux et complètement fou aujourd’hui, c’est qu’il n’était pas vraiment rare que le charbon provoque un incendie et on sait que c’était le cas à bord du Titanic depuis le 2 avril. Cet incendie dans les entrailles du navire a peut-être fragilisé la coque, même s’il fut maîtrisé le 13 avril au matin. Un autre problème à bord qui eut peut-être des conséquences (les avis diffèrent) fut que l’officier navigateur David Blair (1874-1955) dut au dernier moment, sur ordre de la White Star, échanger son poste avec l’officier en second de l’Olympic et il partit avec la clef de la boite de la vigie où les marins gardaient les jumelles (lors des enquêtes, Frederick, dit Fred, Fleet (1887-1965[1]), qui était à la vigie et donna l’alerte, déclara sous serment qu’avoir accès aux jumelles aurait fait une immense différence).

            Le Titanic appareilla pour New York à 13h30. Dès le lendemain, le capitaine commença à recevoir des messages l’alertant au sujet de brouillard et d’icebergs dans la zone qu’il devait bientôt traverser.

Le nombre de messages d’alerte augmenta tout au long du 14 avril.

À 22h55, Cyril Evans (1892-1959), opérateur radio du Californian (un cargo qui avait quelques rares cabines pour des passagers qui ne pouvaient pas se permettre un billet sur un vrai transatlantique) contacta un de ses deux homologues, John, dit Jack, Phillips (1887-15 avril 1912). Malheureusement, Evans oublia de commencer son message d’alerte avec le préfixe qui indiquait qu’il s’agissait d’un message important et Phillips l’envoya aux pelotes (il était en fin de service, avait passé une bonne partie de la journée à réparer la radio, ce qui sauva probablement tous les rescapés dans les canots, et croulait sous des messages personnels de passagers qui s’étaient accumulés sur son bureau). Evans ne le recontacta pas et l’équipage du Californian, capitaine Stanley Lord (1877-1962) compris, ne réalisa pas la tragédie qui se déroula près d’eux. On leur reprocha de n’avoir rien fait, mais ils étaient coincés dans les glaces (raison pour laquelle Lord avait fait stopper les moteurs pour la nuit), étaient plus loin que ceux qui étaient à bord du Titanic ne le croyaient et ils étaient trop petit pour prendre à leur bord ceux qui n’avaient pas de place dans les canots. Les théories sur ce que le Californian aurait pu faire et ce que Lord aurait pu ou dû ordonner ne sont pas un dossier clos et deux camps continuent de s’affronter.

Jack Phillips

Le capitaine Smith qui avait été invité à dîner au restaurant « À la carte » était dans sa cabine après avoir confié la passerelle à l’officier de quart, William Murdoch (1873-15 avril 1912).

À 23h40, Fleet sonna l’alerte de trois coups de cloche lorsque lui et Reginald Lee (1866-1913) aperçurent un iceberg. Contacté par téléphone, Murdoch donna l’ordre de mettre la barre à bâbord toute et de stopper les machines, mais il n’y eut apparemment que trente-sept secondes entre l’alerte de Fleet et la collision sous-marine avec l’iceberg ; le Titanic allait trop vite et n’était pas manœuvrable en si peu de temps – de plus, comment savoir quel volume de glace se trouvait immergé. Avec le recul, on peut imaginer que le navire n’aurait pas coulé s’il avait frappé l’iceberg de plein fouet (la tragédie du Titanic servit de leçon aux marins : en 1914, le capitaine du Royal Edward se retrouva dans la même situation, mais il donna l’ordre de faire marche arrière toute et ne changea pas de cap ; il percuta un iceberg, mais ne coula pas et cette tactique devint la procédure standard), mais avec des « si », on met Lutèce en amphore.

Un bruit étrange se fit entendre et le choc brisa de la glace du haut de l’iceberg dont quelques morceaux tombèrent sur les ponts. Sous la ligne de flottaison, des rivets avaient cédé et les tôles ne joignaient plus sur cinq ou six compartiments.

Murdoch ne connaissait pas encore l’étendue des dégâts, mais il donna l’ordre qu’il fallait afin que les hélices ne rentrent pas en collision avec la glace. Supposant que le navire prenait l’eau, Murdoch fit sonner l’alarme qui donna l’ordre aux machinistes et aux pompiers d’évacuer et il fit sceller les portes étanches, mais le Titanic n’était insubmersible qu’avec quatre compartiments sous l’eau ; plus de quatre compartiments étaient touchés et les porte étanches ne stoppaient l’eau que jusqu’à une certaine hauteur.

Le capitaine Smith et J. Bruce Ismay furent réveillés par la collision. Smith arriva sur la passerelle où Murdoch lui fit son rapport. Smith se rendit sur le pont afin d’essayer de voir l’iceberg, puis il envoya chercher l’architecte Andrews et lui demanda d’aller inspecter les dommages en compagnie du charpentier. Dans l’intervalle, le charpentier arriva et leur apprit à tous que le navire prenait l’eau et que les pompes n’étaient pas suffisantes. Smith ordonna de stopper les machines ; Ismay arriva à ce moment-là, en pyjama, et Smith lui expliqua la gravité de la situation.

Smith se rendit à la radio et demanda à Phillips et son collègue Harold Bride (1890-1956) de se tenir prêts à demander de l’aide aux autres navires dans le secteur.

Andrews inspecta l’avant endommagé et expliqua au capitaine que, d’après ses calculs, le Titanic allait couler en une heure à une heure trente.

À minuit  cinq, Smith donna l’ordre de préparer les canots et d’ordonner aux passagers de mettre leurs gilets de sauvetage (à l’époque, il s’agissait de blocs de liège dans un tablier de tissus qu’on attachait sur les côtés).

À minuit quinze, Smith passa dire aux deux opérateurs radio de demander de l’aide parce qu’ils coulaient et leur donna ce qu’il pensait être leur position exacte : 41° 46′ N et 50° 14′ O. Sur la longueur d’onde des 600 mètres (fréquence de 500 kHz utilisée en cas de détresse en mer), Phillips et Bride utilisèrent le code « CQD » (sécu[rité]/détresse, dont le signal en Morse était compliqué), mais aussi le « SOS ». Cinq minutes plus tard, le Carpathia répondit à leur appel, ce qui fut un miracle parce que l’opérateur du Carpathia, Harold Cottam (1891-1984), était en train d’ôter ses chaussures pour aller se coucher quand il décida d’écouter ce que disaient les navires alentour. Cottam alla réveiller son capitaine, Arthur Rostron (1869-1940), qui lui ordonna de dire au Titanic que le Carpathia allait venir à son secours et arriverait d’ici quatre heures, donc bien trop tard. Rostron donna immédiatement l’ordre à son équipage de préparer le navire à recevoir les survivants et de consigner les passagers dans leurs cabines ; il fit également couper le chauffage pour l’eau chaude et le chauffage sur le navire afin de pouvoir utiliser toute la vapeur des machines (cette nuit-là, le Carpathia dont la vitesse maximale en croisière était de 14 nœuds alla jusqu’à plus de 17 nœuds). Rostron convoqua ses trois médecins et leur ordonna d’être prêts à prendre soin des passagers du Titanic.

Le Mount Temple, qui était moins rapide que le Carpathia et plus loin, répondit également. Il dut contourner un champ de glace pour parvenir sur la zone du naufrage. Son capitaine, James Henry Moore, déclara sous serment aux commissions d’enquête que la position donnée par le Titanic n’était pas la bonne et l’Histoire finit par lui donner raison.

Après la réponse du Carpathia, Smith savait qu’il avait environ 2 200 personnes à bord (il est fascinant de constater que, d’une source à l’autre, les chiffres ne concordent pas) alors que les canots pouvaient en sauver 1178 s’ils étaient complètement remplis et qu’il n’y avait aucun incident.

D’un côté, il y avait plus de canots que la White Star était obligée d’en avoir à bord parce que les lois maritimes n’avaient pas évoluées depuis des années et qu’un navire d’un tonnage aussi énorme que le Titanic n’avait tout simplement pas été imaginé, mais il y avait aussi Ismay, qui avait refusé d’avoir assez de canots pour tous les passagers parce que les canots supplémentaires auraient pris de l’espace et gâché les promenades de certains ponts – et il était persuadé que son navire ne pouvait pas couler.

Certains racontent que Smith, qui savait qu’il allait probablement mourir dans les deux heures, serait celui qui fit monter Ismay dans un canot (afin que le responsable des pertes humaines puisse être jugé à terre ou bien parce que, en dépit des circonstances, Ismay restait l’employeur de Smith et était également  sous la responsabilité de Smith ?), mais Ismay aida – en pyjama – à faire monter des passagers dans les canots. Ismay lui-même déclara sous serment qu’il était simplement monté à bord du dernier canot parce qu’il n’était pas plein ; d’autres dirent qu’il avait sauvé sa vie et d’autres encore prétendirent qu’un officier l’avait forcé à prendre place dans le canot pliable C. Les passagers de 1ère et 2nde classe étaient géographiquement plus près des canots. Les passagers de 3ème classe ne furent pas tous retenus dans les entrailles du navire par des grilles fermées par l’équipage (contrairement à ce qu’on voit dans les films) – les informations leur parvinrent trop tard pour la plupart et il y avait également un problème de barrière de langue. Il y avait effectivement quelques barrières qui étaient fermées, mais elles l’étaient depuis le début de la traversée. Bref, les témoignages (même ceux des passagers à bord du canot C avec Ismay, ce qui reflète le traumatisme et le chaos émotionnel du naufrage) ne concordent pas, cependant le témoignage écrit d’Augustus Weikman[2] (1860-1924), le barbier du Titanic, atteste qu’Ismay fut encouragé à monter à bord du canot C par l’officier Henry Wilde (1872-15 avril 1912) qui souhaitait qu’Ismay soit la voix et le défenseur du capitaine Smith et Ismay aurait, en privé et des années plus tard, corroboré cette version des faits.

À partir de minuit vingt-cinq, Smith et l’officier Charles Herbert Lightoller (1874-1952), dont le quart avait fini à 22 h et qui était en pyjama sous son uniforme parce qu’il s’était relevé après la collision, firent monter à bord des canots à bâbord des femmes et des enfants (la seule exception autorisée par Lightoller fut dans le canot n° 6 où il autorisa Arthur Peuchen (1856-1929) à se joindre aux passagères qui n’avaient que Fred Fleet et le quartier-maître Robert Hichens (1882-1940) pour prendre soin d’elles en mer (Hichens qui s’empara de la barre fut, selon les autres rescapés, parfaitement odieux). À bord de ce canot, Margaret Brown – aujourd’hui surnommée « l’insubmersible Molly » (1867-1932) fit remarquer qu’il manquait d’hommes et Peuchen se proposa parce qu’il avait fait de la plaisance ; Lightoller le mit au défit de rejoindre le canot qui avait déjà été un peu descendu et Peuchen y parvint en utilisant les câbles de sécurité.

Le naufrage du Titanic et celui du Birkenhead sont cependant les deux seuls dans les annales maritimes où les femmes (et quelques enfants) survécurent plus que les hommes – en général, c’est le contraire.

L’idée de faire monter à bord des canots « les femmes et les enfants d’abord » fut étrange quand Smith et Lightoller firent mettre à l’eau des canots à moitié vides alors que des passagers ou même des membres de l’équipage auraient pu y embarquer – ils savaient que bon nombre de personnes allaient mourir cette nuit-là et un plus grand nombre aurait pu être sauvé (mais, encore une fois, avec des « si », on refait l’Histoire). Murdoch, qui faisait embarquer les gens à tribord donnait la préférence aux femmes et aux enfants, mais complétait les canots avec qui était présent sur le pont ; pourtant, même de son côté, les canots ne partaient pas avec le nombre maximum de passagers à bord.

À minuit quarante, Smith donna l’ordre d’envoyer les fusées de détresse à intervalle régulier ; la dernière éclata à 1h40. L’équipage du Californian les remarqua, mais ils pensèrent qu’un petit navire sans radio signalait aux autres navires avec des fusées blanches qu’il y avait beaucoup de glace – à leur décharge, comment imaginer que le Titanic était en train de couler ?

C’est aussi à minuit quarante que le premier canot fut affalé à tribord, mais avec encore des places libres.

            À 1h, machinistes et pompiers se rendirent compte que tout était perdu, mais, sachant qu’ils allaient certainement mourir pour la plupart d’entre eux, ils continuèrent à faire tout ce qu’ils pouvaient afin que le navire soit alimenté en électricité, ce qui permit aux passagers de rejoindre les ponts et aux opérateurs radio de continuer à émettre (le Titanic était en contact avec le Carpathia, mais aussi avec l’Olympic qui était beaucoup trop loin pour arriver à temps).

            À 1h15, la proue commença à s’enfoncer, faisant réellement comprendre aux passagers la sévérité de la situation et les évacuations accélérèrent. Les évacuations mixtes à tribord restèrent plus rapides.

            Vers 2h, il ne restait plus que les canots pliables ; le canot C, celui où se trouvait Ismay, partit à ce moment-là. Certains canots avec de la place récupèrent des hommes qui étaient tombés à la mer, mais les marins qui avaient été affectés aux canots savaient qu’il fallait s’éloigner au plus vite afin de ne pas être aspiré par le navire quand il coulerait. L’équipage essaya de lancer les canots pliables restants, mais ils échouèrent (le canot B glissa et s’affala à l’envers).

          À 2h10, Smith releva Phillips et Bride de leur fonction et les remercia, mais Phillips continua d’émettre jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de courant (à 2 h 17).

À 2h15, l’eau était au niveau du pont des canots et de la passerelle.

À 2h17, les musiciens cessèrent de jouer pour la dernière fois.

À 2h18, les lumières s’éteignirent. Le Titanic se brisa en deux entre deux cheminées (probablement entre la troisième et la quatrième). L’avant s’enfonça tandis que l’arrière ne sombra que quelques instants plus tard. Lightoller, qui était pourtant aux premières loges, déclara plus tard que le navire avait coulé en un seul morceau ; les témoignages de passagers (tels John, dit Jack, Thayer (1894-1945) qui rédigea une brochure sur le naufrage en 1940 ou encore Bridget, dite Bertha, Mulvihill (1886-1959) qui, à bord du Carpathia, écrivit à sa sœur Maud qu’elle avait vu le navire se briser) furent ignorés.

Un doute subsiste sur l’ordre de ces deux événements à cause de la localisation des chaudières et des disjoncteurs, mais si le navire se brisa d’abord, ce qui provoqua la panne électrique, cela voudrait dire qu’il y avait encore de la lumière et donc les officiers auraient dû voir que le navire cédait. De très nombreux doutes subsistent et ce malgré la découverte de l’épave.

Ceux qui étaient à bord des canots entendirent les cris désespérés de ceux qui étaient heurtés par des débris et précipités dans une eau à -2° C, ce qui est mortel : malgré les gilets de sauvetage, les malheureux firent des crises cardiaques à cause du choc ou furent victimes d’hypothermie et moururent en une dizaine de minutes. Lightoller, qui, rappelons-le, était en pyjama sous son uniforme et qui tomba à l’eaul, heureusement portant son gilet de sauvetage, avant de parvenir à rejoindre le canot pliable B renversé, raconta qu’il avait eu la sensation de recevoir des milliers de coups de couteau. Bride, qui tomba aussi à l’eau, eut un pied gelé ; Phillips, qui avait aussi réussi à rejoindre un canot, mais qui était épuisé de sa journée, mourut avant l’arrivée du Carpathia.

Lowe confia ses passagers à d’autres canots et, vers 3h,  partit à la recherche de survivants grâce à la lampe torche du médecin.

Les marins et passagers de certains canots commencèrent à ramer afin de se réchauffer.

À 3h30, les survivants aperçurent les fusées lancées par le Carpathia.

À 4h du matin, le Carpathia arriva aux premiers canots. Le capitaine Rostron savait qu’il participait à un événement historique et il demanda à Augusta et Louis M. Ogden qui possédaient un appareil photo de prendre des clichés. Une fois tous les survivants récupérés, le nombre s’élevait à 712 (Américains et Britanniques ne sont pas d’accord sur le nombre de victimes, mais ce chiffre s’élèverait à 1496, dont la plupart aurait succombé à l’hypothermie et non pas à la noyade).

À 5h30, le Californian rejoignit le Carpathia et il alla chercher d’éventuels survivants sur le lieu du naufrage. Haddock proposa à Rostron de venir chercher les survivants afin que le Carpathia puisse reprendre sa route, mais Rostron fit remarquer à Haddock que les survivants risquaient un grave choc émotionnel en voyant se diriger vers eux la copie conforme du navire qui venait de couler en emportant parfois parents et amis.

À 8h30, le dernier canot, où se trouvait Lightoller, fut récupéré.

À 10h50, le Carpathia repartit pour New York.

Photo de canots du Titanic prise par les Ogden

La nouvelle de la collision arriva à terre (dans le monde entier) au matin du 15 avril, mais il fallut toute la journée pour réaliser l’étendue de la tragédie.

Certains titres de journaux furent rédigés alors qu’il n’y avait pas encore de nouvelles ; certains dirent que tous les passagers avaient été récupérés par d’autres navires et que le Titanic – simplement endommagé – faisait route vers le Canada à vitesse réduite. Quand l’Olympic confirma la catastrophe, certains journalistes se comportèrent comme des gratte-papiers de journaux à poisson et harcelèrent l’opérateur radio du Carpathia.

Une fois le choc absorbé, il y eut une commission d’enquête aux États-Unis et en Grande-Bretagne ; les milliers de pages de témoignages nous aident à comprendre une partie de ce qui s’est passé cette nuit-là.

 

Quatre navires furent envoyés par la White Star afin de récupérer les corps ; plus de 300 furent repêchés, mais certains, en état de décomposition avancée, furent rendus à la mer. Les corps non identifiés ou non réclamés par les familles furent enterrés dans les trois cimetières d’Halifax en Nouvelle-Écosse.

Grâce aux passionnés au sujet du Titanic, le corps du seul enfant qui fut repêché fut identifié grâce à l’ADN en 2007[3] ; on sait désormais que « l’enfant inconnu » se nommait Sidney Leslie Goodwin et avait un an et demi au moment du naufrage. Le petit Sidney avait tant ému les marins du Mackay-Bennett qui l’avaient trouvé qu’ils avaient eux-mêmes payé son enterrement et sa pierre tombale et avaient portés son cercueil. Ses parents et ses cinq frères et sœurs, passagers de 3ème classe périrent eux aussi (ils n’auraient pas dû se trouver sur le Titanic ; ce fut la grève des mineurs qui fit annuler le départ du navire sur lequel ils avaient réservé et ils furent transféré sur le Titanic).

Incidemment, c’est aussi grâce aux passionnés que nous connaissons toute la vérité sur celui qui acheta un billet sous le nom de Charles Hoffman, un prétendu veuf, alors qu’il s’appelait Michel Navratil (13 août 1880-15 avril 1912). Navratil, qui avait fait faillite et traitait sa jeune épouse comme une esclave qu’il terrorisait, avait prétendu, quand elle demanda enfin le divorce, qu’elle avait un amant et était une mauvaise mère. Marianne Marceline, dite Marcelle, Caretto allait certainement gagner le divorce, mais le juge avait ordonné que leurs enfants, Michel Marcel (12 juin 1908-30 janvier 2001) et Edmond Roger (5 mars 1910-7 juillet 1953), soient placés chez une parente de Marcelle en attendant de rendre son verdict. Navratil insista pour avoir les enfants avec lui à Pâques et quand leur mère vint les chercher, ils avaient disparus. « Hoffman », après seulement quelques jours passés avec ses fils écrivit à sa mère en lui demandant chez qui il pourrait se débarrasser d’eux. Les garçons étaient à peine vêtus quand il les confia à un officier qui les fit placer sur un canot ; il faut sans doute se réjouir qu’il les ait passés à un membre d’équipage afin d’être sauvés au lieu de les garder avec lui. Si jeunes, les orphelins du Titanic auraient pu être placés dans un orphelinat aux États-Unis, mais leur histoire avait ému le monde et leur photo fut publiée – jusqu’à Nice où leur mère, injustement accusée par son mari, les cherchaient. La White Star emmena Marcelle à New York où elle retrouva ses fils et interrogée par un journaliste qui lui demandait si elle dirait à ses fils la vérité sur leur père, elle répondit qu’elle leur mentirait et Michel et Edmond grandirent en étant persuadé que leur père les avaient habillés chaudement et leur avait fait tout un discours d’adieu prétendant qu’il avait souhaité voir leur mère les rejoindre en Amérique le plus vite possible. Personne avant 2024 n’était allé à la recherche du jugement de divorce des Navratil afin de voir qui était le monstre dans cette histoire. Navratil n’ayant jamais été officiellement déclaré mort, comme Bricoux, Marcelle Caretto ne fut jamais veuve.

 

Victimes et survivants du Titanic sont tous fascinants et il faudrait parler d’eux tous. En plus de ceux que nous avons déjà mentionnés, nous allons vous raconter certaines de leurs histoires.

 

Parmi les victimes de 3ème classe, il y avait beaucoup d’étrangers qui se rendaient aux États-Unis afin d’y commencer une nouvelle vie. Comme la plupart des membres de l’équipage devaient être loin d’être polyglottes, la barrière de la langue a dû mener à bien des tragédies lors du naufrage. Plus triste encore, certains hommes dont les cabines avaient commencé à prendre l’eau furent ridiculisés par certains passagers lorsqu’ils tentèrent de donner l’alerte et rabroués par les stewards pour avoir mis leurs gilets de sauvetage peu de temps après la collision alors que l’équipage ne mesurait pas encore l’étendue de la tragédie qui se jouait.

Marie, dite Frances, Daumont, épouse Lefebvre (18 mars 1872-15 avril 1912) avait eu huit enfants avec son mari, Franck. Ce dernier, qui était mineur, était parti s’installer à Mystic, dans l’Iowa avec quatre de leurs enfants et Frances allait le rejoindre, avec tous leurs meubles, en compagnie de Mathilde (née le 4 mai 1899), Jeanne (née le 14 octobre 1903), Henri (né le 14 juillet 1906) et Ida (née le 26 décembre 1908). Les parents de Marie eurent du mal à savoir ce qui était arrivé à leur fille et la moitié de leurs petits-enfants, mais le malheur allait s’acharner sur Franck Lefebvre (certains journaux racontèrent qu’il vivait avec une autre femme à Mystic et les autorités américaines se penchèrent sur son dossier d’immigration, y trouvèrent des déclarations mensongères et le renvoyèrent en France avec ses quatre enfants). Dans un excellent article qui leur rend hommage, Olivier Mendez, éditeur de Latitude 41 (le bulletin de l’Association française du Titanic), nous apprend que le député-maire de Liévin, ville de résidence des Lefebvre, dévoila une plaque commémorative à la mémoire des cinq Lefebvre le 30 mars 2002.

Malgré la barrière des langues, il y eut quand même quelques survivants non-anglophones, comme les enfants Nīqūla Yārid, Jamīlah (15 avril 1898[4]-8 mars 1970) et Ilyās (16 avril 1900[5]-31 mai 1981). Nés au Liban, leur mère avait déjà immigré à Jacksonville en Floride avec leurs aînés et ils auraient dû voyager avec leur père, mais il avait contracté une maladie oculaire infectieuse et ne fut pas autorisé à embarquer. La nuit du naufrage, Jamīlah sentit la collision et parvint à convaincre son frère d’aller voir ce qui se passait, d’autant plus qu’ils entendaient des voix dans le couloir, ce qui était inhabituel. Ils arrivèrent sur le pont des canots et, là, Jamīlah se souvint de l’argent que leur père lui avait donné et elle tenta de retourner à leur cabine. L’eau y était déjà arrivée et elle ne put ouvrir la porte. Les enfants retournèrent sur le pont et furent placés dans un canot. Un frère aîné les accueillit à New York et leur père put les rejoindre. Afin de s’intégrer, Jamīlah devint Amelia et Ilyās devint Louis et la famille transforma leur nom en Garrett.

 

            En 2nde classe, une mère et sa fille furent sauvées parce que la mère avait un mauvais pressentiment au sujet de ce navire qu’on avait osé déclarer insubmersible, ce qui, selon, elle, était une offense à Dieu. Cette femme était la mère d’Eva Hart, Emily Esther Louisa Bloomfeld, épouse Hart (13 mai 1863-7 septembre 1928). Si Esther était angoissée et refusait de dormir la nuit, veillant come une lionne sur sa famille, en revanche, Benjamin Hart (25 décembre 1864-15 avril 1912) se moquait des inquiétudes de son épouse. Après la collision, il les escorta sur le pont, les fit monter dans un canot et leur dit au revoir. Eva fut hantée toute sa vie par le naufrage ; elle en voulait terriblement à la White Star, à cause du manque de canots et quand l’épave fut découverte elle fut contre toute expédition de récupération.

La survie du seul passager japonais, Masabumi Hosono (15 octobre 1870-14 mars 1939), semble avoir été récemment découverte par les occidentaux. Encore une fois, les données à son sujet sont principalement erronées, mais une passionnée, Margaret Mehl, a exploré les archives japonaises et rendit justice à ce fonctionnaire japonais qui survécut. Dès son arrivée sur le Carpathia, il écrivit ce qui lui était arrivé et son récit fut publié dans les journaux japonais. Quelques stewards avaient pensé qu’il venait de la 3ème classe et avaient voulu l’empêcher de se rendre sur le pont des canots, mais il y monta tout de même. Quasiment résolu à mourir, un officier annonça qu’il y avait deux places à prendre à bord du canot qui allait être affalé ; un homme y alla et il le suivit. À New York, ses amis et collègues s’occupèrent de lui et lui prêtèrent de l’argent pour rentrer chez lui ; l’ambassadeur du Japon à Londres télégraphia la nouvelle de sa survie à Tōkyō. Hosono raconta son aventure à ses compatriotes à San Francisco, puis au Japon. En plus de l’attitude des stewards, les autres occupants de son canot pensaient qu’il était un passager clandestin japonais et les marins du Carpathia ne furent pas très accueillants. Certains récits vous feront croire qu’il a été renvoyé pour avoir bafoué le code des samouraïs, mais Hosono était un fonctionnaire hautement qualifié et comme nous l’apprend Mehl, l’emploi qui prit fin en mai 1913 fut suivi d’un autre poste ministériel en juin 1913. Quelques publications le traitèrent de lâche, ce qui troubla certains membres de sa famille, mais il leur fit remarquer que l’important était qu’il était avec eux, bien en vie. Il avait bien raison.

 

            En 1ère classe, nous trouvons des histoires très variées.

Souvent, les Duff Gordon sont présentés comme relativement sans cœur et, lors de l’enquête américaine, ils furent interrogés avec une certaine agressivité. Sir Cosmo Edmund Duff Gordon (22 juillet 1862-20 avril 1931) était un baronet qui avait épousé son associée en affaire, Lucy Christiana Sutherland – même si leur mariage ressemblait plus à un contrat d’affaire qu’à un conte de fée. Lady Lucy avait dû divorcer de son premier mari et afin de subvenir à ses besoins et aux besoins de sa fille, elle avait créé une maison de couture, Lucile, qui devint un succès. Elle avait déjà ses entrées à la cour d’Angleterre, mais son mariage avec Sir Cosmo fit (presque) oublier qu’elle était divorcée. Les Duff Gordon, qui avaient réservés sous le pseudonyme de Morgan, se rendaient à New York pour une affaire urgente qui leur avait fait prendre le premier navire en partance ; Lady Lucy était accompagnée de sa secrétaire Laura Mabel Francatelli (21 avril 1880-2 juin 1967). Sir Cosmo déclara que, lors du naufrage, Lady Lucy refusa de le quitter et Miss Francatelli refusa de quitter sa patronne. Murdoch, voyant que le canot n° 1 était quasi vide autorisa Sir Cosmo et deux autres passagers (dont Abraham Salomon, le propriétaire du menu mentionné précédemment) à y monter avec Lady Lucy et Miss Francatelli. Il y eut deux épisodes problématiques à bord de ce canot : un des marins évoqua la possibilité de retourner chercher des passagers qui nageaient, mais les autres survivants lui firent remarquer qu’ils risquaient de se faire submerger par le nombre et de couler eux-mêmes et, ensuite, peut-être pour faire une plaisanterie afin de détendre Miss Francatelli, Lady Lucy lui dit que sa jolie chemise de nuit devait désormais flotter dans l’Atlantique. Un des marins grommela qu’eux avaient tout perdu et n’avaient pas le compte en banque des Duff Gordon, ce qui fit déclarer à Sir Cosmo qu’il leur donnerait 5£ – soit environ un mois de salaire (promesse qu’il tint dès qu’ils furent sur le Carpathia en demandant à Miss Francatelli de leur faire un chèque à chacun). Le tout fut monté en épingle et on dit de Lady Lucy qu’elle n’avait pas de cœur et de Sir Cosmo qu’il avait payé les marins pour ramer loin de ceux qui se noyaient.

En parlant de couples, il y eut les Straus. Rosalie Ida Blun, épouse Straus (6 février 1849-15 avril 1912) faillit monter à bord du canot n° 8, mais elle resta avec son mari, Isidor (6 février 1845-15 avril 1912), qui était le copropriétaire de Macy*s. Le corps d’Isidor fut retrouvé, mais pas celui d’Ida. Le valet d’Isidor, John Farthing, qui était né vers 1843, mourut dans le naufrage ; en revanche, Isidor fit monter la bonne de son épouse, Ellen Bird (8 avril 1881-11 septembre 1949) dans un canot.

Il y eut aussi Víctor Peñasco y Castellana (24 octobre 1887-15 avril 1912) et sa jeune épouse depuis le 8 décembre 1910, María Josefa, dite Pepita, Pérez de Soto (3 septembre 1889-2 juin 1972). De familles richissimes, ce jeune couple serait aujourd’hui milliardaire et leur lune de miel, en attendant que les travaux dans leur future demeure soient terminés, leur fit visiter toute l’Europe. Ils se trouvaient à Paris quand ils virent des publicités pour le voyage inaugural du Titanic. Alors que la mère de Víctor leur avait demandé, par superstition, de ne pas faire de traversée, et malgré la mauvaise conscience de la bonne de Maria, Fermina Oliva y Ocana (12 octobre 1872-28 mai 1969) qui aurait préféré obéir à la mère de Víctor, le couple acheta des billets afin d’embarquer à Cherbourg – en laissant le valet de Víctor à Paris afin d’envoyer à intervalle régulier des cartes postales à la mère de Víctor, ce qu’il fit. Ce petit couple fut la coqueluche des passagers de 1ère classe. La nuit du drame, Víctor escorta sa femme et sa bonne sur le pont des canots (il retourna même dans leur cabine chercher les bijoux de Pepita) ; ne parlant pas anglais, ils s’étaient mis de côté et attendaient. Ce fut la comtesse de Rothes, Lucy Noël Martha Dyer-Edwards (25 décembre 1878-12 septembre 1956) qui vint leur expliquer en français que les femmes devaient évacuer. Víctor, qui comprenait ce qui se passait, souhaita à sa chère Pepita d’être très heureuse et il la fit monter avec sa bonne et la comtesse dans le canot n° 8. Sentant que la comtesse était une femme d’exception, le marin Thomas William Jones (15 novembre 1877-23 (?) juin 1967) lui confia le gouvernail (il lui donna la plaque de leur canot ; elle lui donna une montre en argent et ils restèrent toujours en contact), mais quand le Titanic commença à couler et que Pepita, en entendant les cris de ceux qui se noyaient, s’effondra, la comtesse laissa le gouvernail à sa cousine, Gladys Cherry (27 août 1881-4 mai 1965) et elle fit de son mieux afin de consoler la jeune veuve. Veuve ? Pas pour la loi espagnole à l’époque : en l’absence de corps, Pepita ne pouvait être déclarée veuve avant vingt ans –elle ne pouvait ni hériter de son mari, ni se remarier. La mère de Víctor, qui découvrit le nom de son fils dans les articles qui parlaient des victimes du Titanic (alors qu’elle recevait toujours des cartes postales de Paris) fut extraordinaire pour sa belle-fille et elle envoya Fermina au Canada afin de reconnaître un cadavre non réclamé (les Peñasco y Castellana ne furent pas les seuls à faire ça). Un acte de décès fut délivré pour Víctor et Pepita fut légalement veuve. Fermina resta toujours avec Pepita.

 

            L’ensemble de l’équipage subit des pertes terribles et nombreux sont ceux dont le sacrifice fit une énorme différence cette nuit-là.

Il y eut quelques histoires émouvantes, curieuses – et un boulanger incroyable.

Violet Constance Jessop (1er octobre 1887-5 mai 1971), née en Argentine de parents irlandais, était hôtesse pour les passagers de 1ère classe. Dans ses mémoires, Titanic Survivor, elle raconte que le sixième officier James Paul Moody (21 août 1887-15 avril 1912) ordonna aux hôtesses qui étaient montées sur le pont de monter dans un canot (le n° 16) afin de faire voir aux passagères qu’il fallait faire de même et obéir aux ordres. Le canot commençait à être affalé quand Moody remit à Jessop un paquet en lui demandant d’en prendre soin – le paquet était un bébé dont elle s’occupa toute la nuit. Sur le Carpathia, une femme se précipita vers elle et s’empara du bébé (reste à espérer que c’était bien la mère). Jessop ne raconta cette histoire qu’à une seule personne et, dans les années 50, une femme téléphona à Jessop, lui demandant si elle avait sauvé un bébé ; ayant répondu positivement, la femme lui dit en riant qu’elle était ce bébé et raccrocha. Il s’agissait sans doute d’une cruelle plaisanterie, car pourquoi raccrocher après avoir établi le contact avec la femme qui vous avait sauvé la vie ? D’autant plus qu’il y eu un grand nombre d’arnaqueurs qui tentèrent de faire croire qu’ils avaient survécus au naufrage – tel Walter Bedford (1882-1963) qui prétendit avoir été le chef boulanger de nuit à bord, si ce n’est que ce poste n’existe pas et qu’il n’y a aucune trace de lui sur la liste de l’équipage et que son histoire est curieusement inspirée de celle, bien vraie, de Charles Joughin (le fameux boulanger dont nous allons vous parler). Malgré les mensonges de Bedford, son histoire continue à être mentionnée – vous reprendrez bien un petit « no pope », non ?

Pour en revenir à l’extraordinaire et fascinante Jessop, elle était hôtesse à bord de l’Olympic quand il fut éperonné par le Hawke et elle était infirmière à bord du Britannic quand il fut coulé en 1916 (elle eut une fracture du crane qui ne fut découverte que des années plus tard, mais elle survécut – encore). Encore plus incroyable, le pompier Arthur John Priest (31 août 1887-11 mars 1937) et le guetteur Archie Jewell (4 décembre 1888-17 avril 1917) étaient avec elle sur les triplés maritimes. Jewell mourut quand le Donegal, qui avait été transformé en navire hôpital fut torpillé par un sous-marin allemand ; Priest était également à bord.

Alors que leur place à bord était particulière, puisqu’ils servaient les clients du restaurant « À la carte », mais ne faisaient pas officiellement partie de l’équipage, nous avons le témoignage de Paul Achille Maurice Germain Maugé (22 mars 1887-16 janvier 1971). Au moment de la collision, lui et le chef Pierre Rousseau (13 octobre 1863-15 avril 1912) allèrent se changer tandis que le reste du personnel était encore en uniforme. Les stewards les laissèrent passer vers les ponts supérieurs, mais pas leurs collègues (les deux caissières furent les deux seules autres survivantes parmi le personnel). Puisque les canots étaient affalés alors qu’ils n’étaient pas pleins, quelques hommes tentaient leur chance et sautaient à bord depuis les ponts inférieurs au moment où ils passaient devant eux ; certains tombaient à l’eau, mais d’autres, comme Maugé, réussissaient. Il dit au chef Rousseau, « Sautez ! », mais le chef, qui était plutôt dodu, refusa et bientôt le canot où était Maugé était à l’eau et s’éloignait du Titanic.

Et le boulanger ? Le vrai boulanger en chef s’appelait Charles John Joughin (3 août 1878-9 décembre 1956). Il était le second de cinq enfants et il commença sa carrière en mer à 11 ans. Il avait travaillé sur l’Olympic et fut transféré sur le Titanic. Étant donné qu’il n’était plus en service, il semblerait qu’il ait bu quelques verres. Il sentit la collision et, lorsqu’il vit que les canots étaient préparés, de son propre chef, il alla chercher les treize boulangers sous ses ordres vers minuit quinze, leur fit prendre dans la boulangerie du pont D quatre pains chacun et ils les montèrent sur le pont des canots afin de les ajouter aux provisions déjà à bord. Joughin retourna à sa cabine ; en chemin, il vit des passagers de 3ème classe qui se rendaient vers les ponts supérieurs (il déclara sous serment que nulle grille ne retenait les passagers et que les stewards qui parlaient d’autres langues que l’anglais faisaient tout leur possible afin d’aider les passagers affolés). Une fois dans sa cabine, comme il l’admit lorsque la commission britannique l’interrogea, il but « un verre ». Il avait été assigné au canot n° 10 et s’y trouva vers minuit trente avec l’officier Wilde et il aida à faire embarquer femmes et enfants, mais de nombreuses femmes pensaient être plus en sécurité à bord et quittèrent ce pont. Joughin descendit sur le pont A où se trouvaient quelques femmes avec leurs enfants ; femmes et enfants furent emmenés vers les canots et Joughin lança dans le canot n° 10 quelques enfants et leurs mères sans leur demander leur avis. Joughin aurait dû être en charge de ce canot là, mais un officier, peut-être Wilde, le confia à un steward. Joughin se recula et vit son canot être affalé sans lui. Il retourna dans sa cabine et reprit un verre (Joughin n’a jamais dit ce qu’il avait bu, ni combien de verres il avait bu). L’eau commençant à envahir sa cabine, Joughin la quitta et eut une brève conversation avec le Dr O’Loughlin. Il se rendit sur la pont des canots, mais ils étaient tous partis et il descendit au pont B où il commença à jeter des transats par-dessus bord ; il expliqua qu’il pensait que certains pourraient s’y accrocher et qu’il avait espéré qu’il pourrait en trouver un quand il serait obligé de se jeter à l’eau. Il retourna sur le pont A et alla à la réserve pour y boire un verre d’eau (ou d’autre chose) ; là, il entendit un grand craquement, comme si le navire cédait. À ce moment-là, ceux qui étaient encore à bord tentaient de se rendre vers la poupe et Joughin fit de même. Le navire pencha sur bâbord et il parvint à atteindre le bastingage sur tribord et arriva jusqu’à la poupe en remontant le navire sur l’extérieur du bastingage. Il maintint toujours que la poupe du Titanic n’avait pas coulé à la perpendiculaire (quand l’avant se brisa, l’arrière ne fut plus entraîné de la même façon, même si l’océan s’engouffra d’un seul coup par ce trou béant). Joughin, qui était seul à l’extérieur du bastingage de la poupe, se retrouva dans l’eau, mais il dit qu’il eut à peine les cheveux humides.

Il se mit à nager (souvenez-vous que l’eau était à -2° C et que les autres avaient presque tous succombés en une dizaine de minutes). Il nagea jusqu’au petit jour et aux premières lueurs il remarqua une masse sur l’eau : c’était le canot retourné sur lequel Lightoller et une vingtaine d’hommes se trouvaient. Il s’approcha, mais se fit d’abord repousser ; en passant de l’autre côté du canot, le cuisinier spécialisé dans les entrées, Isaac Hiram Maynard (8 octobre 1880-9 janvier 1948), le reconnut et lui tint la main jusqu’à ce qu’ils soient en vue d’un autre canot que Joughin rejoignit à la nage. Il déclara avoir eu plus froid dans le canot qui le récupéra que dans l’eau. S’il monta à l’échelle du Carpathia sur les genoux, les cuisiniers du bord, raconta-t-il, lui mirent les pieds dans un four pour le réchauffer (si, si, ça se faisait à l’époque) et il n’eut aucune séquelle.

 

Charles Joughin, boulanger en chef

(Porteur de pains, lanceur de futurs survivants et de transats et miraculé)

Il maintint toujours qu’il n’était pas soûl et avait toujours été parfaitement conscient de ce qui se passait. Croyons-le. Ce qu’il bu la nuit du naufrage a dû contribuer à le sauver (souvenez-vous du témoignage de Lightoller et de Phillips qui ne résista pas). Quelle que soit la raison, Joughin ne vit pas son nom s’ajouter à la liste des victimes du naufrage.

 

 Un mois après le naufrage, Molly Brown remis des médailles à tous l’équipage du Carpathia et elle donna au Capitaine Rostron une tasse en argent en remerciement et au nom du comité qu’une poignée de survivants avaient formé après leur sauvetage.

Remise de la coupe par Molly Brown au capitaine Rostron

Le capitaine Rostron et ses officiers avec la coupe en argent.

[Épisode 4: Après le naufrage - le 20 octobre]

[1] : Abandonné par sa mère, l’orphelinat lui fit apprendre le métier de marin. Quant il perdit sa femme en 1964, son beau-frère le mit à la porte ; il se suicida deux semaines plus tard et fut enterré dans une fosse commune. En 1993, la Titanic Historical Society avec qui il avait été en contact toute sa vie lui fit ériger une pierre tombale.

[2] : Il aurait pu devenir le barbier en chef de l’Olympic, mais il décida d’aller travailler sur le Lusitania. Il démissionna longtemps avant que ce navire ne soit coulé par un sous-marin allemand (pour mémoire, le Lusitania coula en dix-huit minutes).

[3] : De premières analyses faites trop rapidement à cause de la pression des médias avaient menées à une fausse identification.

[4] : Les données administratives à son sujet ne concordent pas. Sa demande de numéro de sécurité sociale la déclare née en 1895, son acte de mariage indique 1894 et divers recensements la font naître entre 1896 et 1901 – même sa pierre tombale ajoute à la confusion en la disant née en 1900.

[5] : Comme pour sa sœur, l’année est incertaine. Sur sa demande de numéro de sécurité sociale, on trouve 1901, mais son certificat de mariage nous donne 1898.