Divorçons, ma chère (après la loi Naquet) !

L’histoire du divorce en France est compliquée et à rebondissements.

La mainmise de l’Église catholique sur l’institution du mariage fut presque absolue jusqu’à la Révolution.

Il est vrai que quelques zones d’ombres perdurèrent ; les avis diffèrent quant à ce qui était toléré dans l’Église primitive : certains pensent que le remariage après une répudiation était possible (pour les hommes), d’autres que le remariage était déconseillé tant que la première épouse était vivante et d’autres pensent que les textes étaient explicitement contre toute rupture du mariage. Comme souvent, la qualité de la langue des textes dans les copies et l’exactitude des traductions sont à l’origine des diverses interprétations quant à ce qui était autorisé. En règle générale, les autorités ecclésiastiques combattirent la possibilité d’autoriser un homme à quitter son épouse afin d’en prendre une autre (il est bien évident que les femmes étaient systématiquement invitées à rester à jamais auprès de leur époux, même si ce dernier était un monstre et un tyran domestique ; leur devoir était d’obéir à leur maître). La séparation de corps était admise, mais les époux ne devaient pas chercher à se remarier.

En 1563, le Concile de Trente avec son décret « Tam et si » codifia le mariage comme un acte devant obligatoirement avoir lieu devant un curé et des témoins, ce qui acheva de réguler cet aspect de la vie des fidèles. La séparation restait possible, mais aucun remariage n’était possible.

Les autorités religieuses, qui n’étaient pas directement concernées par le sacrement du mariage, ont[1] des positions bien tranchées sur le sujet et les femmes sont considérées comme plus fautives que les hommes. L’unique possibilité pour un couple catholique, si la séparation ne leur paraissait pas suffisante, était le procès en nullité. Cette procédure particulière pouvait être très longue, compliquée et coûteuse ; devant un tribunal ecclésiastique, il fallait prouver qu’au moment du mariage il y avait eu une contrainte morale, une erreur grave sur la personne ou un vice de forme[2].

Une première réforme eut lieu en 1787, lorsque Louis XVI créa une forme civile de mariage qui fut étendue au moment de la Révolution. À partir de 1792, seul le mariage civil eut une valeur légale, mais en droit canonique, avoir uniquement un mariage civil revenait à être en situation irrégulière avec l’Église. La Révolution créa aussi la possibilité de divorcer et poussa l’innovation jusqu’à autoriser le divorce par consentement mutuel[3].

Alors que la société s’était donné les moyens d’être plus libre et plus moderne, Napoléon Bonaparte décida de reforger quelques verrous et obstacles. Avec le Code civil de 1804, le patriarcat dominateur fit son grand retour et les femmes redevinrent complètement dépendantes d’un homme (seules les veuves et les orphelines – si elles avaient des moyens de subsistance – furent épargnées par les lois napoléoniennes) et le divorce fut maintenu, mais avec de grandes restrictions.

La France revint encore plus en arrière quand le mariage fut de nouveau indissoluble à la promulgation de la loi Bonald, le 8 mai 1816.

Suivirent alors des décennies où seule la séparation de corps, qui étaient très mal vue, fut possible.

Alfred Naquet[4] se battit sans relâche afin de redonner aux Français la possibilité de pouvoir divorcer. Paradoxalement, la loi du 27 juillet 1884 qui rétablissait le divorce fut votée avec une écrasante majorité, mais elle resta controversée des années après sa mise en place.

Législateurs et hommes de loi disaient vouloir protéger femmes et enfants, mais leur entêtement contre le divorce était uniquement ancré dans un profond patriarcat. La possibilité que les femmes puissent prendre leurs propres décisions leur semblait impensable ; femmes et enfants, ces êtres si fragiles, innocents et ignorants, devaient être guidés dans la vie par un père ou un mari.

La loi Naquet fut votée, mais avec de nombreuses restrictions : il fallait remplir certaines conditions, il fallait un « coupable » et la procédure était coûteuse. Certaines mesures restèrent injustes pendant quelques années encore ; par exemple, jusqu’en 1893, une femme qui n’était que séparée de son mari parce qu’elle n’avait pas les moyens de divorcer ou qu’elle n’arrivait pas à faire la preuve qu’il était en faute dépendait toujours de lui pour tout et elle pouvait être poursuivie pour adultère.

Bien évidemment, l’Église catholique lutta bec et ongles contre cette réforme et certains parlent même de la dernière guerre de religion[5] en France, mais les ecclésiastiques ne parvinrent pas à empêcher le retour du divorce. Le mariage, par décision de l’État, n’était plus qu’un contrat civil qui pouvait être éventuellement rompu.

Au chapitre V[6] de son ouvrage La Loi du divorce, Alfred Naquet écrit : « Avant 1886, les époux devaient se présenter en personne à la mairie pour divorcer, comme ils s’y étaient présentés pour se marier. Cette double comparution s’accompagnait souvent de scènes regrettables. Elle a été supprimée. Ce sont maintenant les avoués des parties qui se chargent de faire transcrire sur les registres de l’état civil le jugement ou l’arrêt de divorce. ». En 1884, la personne qui gagnait le divorce avait deux mois pour provoquer la transcription ou le jugement devenait caduc. Cette mesure injuste fut changée en 1886 : la personne qui gagnait avait, seule, un mois pour signifier le jugement, passé ce mois, les deux conjoints pouvaient faire cette démarche pendant encore deux mois

Dès que le divorce fut de nouveau légal, cette possibilité fut utilisée ; elle le fut d’ailleurs majoritairement par les femmes, même si la procédure était à leur désavantage.

Une fois le divorce civil possible, le remariage civil était également possible[7]. De nombreux hommes de loi, profondément catholiques, déplorèrent cette possibilité, tel l’ancien magistrat et professeur à l’institut catholique de Paris, Jules Cauvière, qui déclara : « Soyons sans indulgence pour l’adultère légal.[8] ».

Comme le rappela le jésuite Henri Crouzel[9], lorsqu’il y avait adultère, la séparation devenait un devoir chrétien (notamment en référence à I Corinthiens VI, 13-20 : « celui qui s’unit à une fornicatrice devient un seul corps avec elle et souille ainsi le membre du Christ qu’il est ; la sainteté du mariage ne supporte pas que la vie commune se poursuive avec un conjoint adultère »), mais si le mariage n’était pas déclaré nul pour l’Église catholique, mari et femme étaient toujours considérés comme mariés, même s’ils se remariaient au civil et dans une autre foi.

Pendant presque un siècle, certains fidèles eurent du mal à comprendre la position de leur Église quant aux divorcés civils qui se remariaient au civil et étaient interdits de communion eucharistique, d’extrême onction et de funérailles ecclésiastiques[10]. En droit canonique, entre le Code de 1917[11] et le Concile de Vatican II en 1962, l’Église parlait de « bigames[12] » et les divorcés remariés étaient excommuniés ou « infâmes ». Ils avaient aussi du mal à comprendre en quoi c’était un péché d’épouser une personne divorcée et certains divorcés remariés qui étaient profondément croyants souffrait grandement d’être écartés, tels des pestiférés, de la vie de leur paroisse parce qu’ils avaient mis fin à un mariage qui ne leur apportait plus rien. Certains avaient aussi du mal à comprendre que certaines personnes, veufs ou veuves à répétition, pouvaient communier sans problème et étaient accueillis à bras ouverts dans leur paroisse.

Maintenant que vous avez cette toile de fond sur les divorces en France, penchons-nous plus précisément sur un divorce en particulier. Sur une branche fort éloignée de nous sur notre arbre généalogique, nous avons trouvé le mariage et le divorce du tisserand Paul Fouillade et d'Alphonsine Béchereau. Le divorce est particulièrement intéressant et sa lecture nous a fait vérifier les autres actes (naissance, mariage et décès) que nous avions trouvé à cause d'un léger problème de dates.

Le 1er avril 1898, au tribunal de Brive, François Marie Paul Fouillade, qui habitait à Donzenac à l’époque et était né à Clichy le 2 juin 1863, se présenta afin de divorcer (ils s’étaient mariés dans le treizième arrondissement de Paris le 5 avril 1890). Son épouse, Alphonsine Honorine Béchéreau, qui était née à Orléans le 9 décembre 1873, n’était pas présente et le tribunal ne savait pas où joindre Alphonsine.

Le divorce, demandé par Paul, lui fut accordé et il procéda à l’enregistrement de la décision dès le 28 avril. Il est mentionné qu’il n’y eut ni opposition, ni appel.

Nous ne saurons jamais pourquoi Paul décida de demander le divorce.

En revanche, nous pouvons vous dire pourquoi Alphonsine n’était pas au tribunal et pourquoi elle ne fit jamais appel : au 2, rue Ambroise Paré (c'est-à-dire à l’hôpital Lariboisière dans le dixième arrondissement de Paris), alors qu’elle résidait au 88 de la rue Bolivar et que la mairie du Xème savait que son mari résidait à Donzenac, Alphonsine mourut… et vous comprendrez pourquoi nous avons vérifié nos dates, car la malheureuse rendit l’âme à onze heures du matin le 10 mai 1897.

Certes, les communications Paris/province à la fin du XIXème siècle n’étaient pas ce qu’elles sont aujourd’hui, mais le fait qu’un veuf ait divorcé de son épouse morte depuis presque un an montre que le système, en général, était très loin d’être parfait.



[1] : Le sort des divorcés dans l’Église catholique continue de s’améliorer, mais leur position est loin d’être aussi bien acceptée que dans la société laïque – où les choses sont loin d’être parfaites.

[2] : Paradoxalement, si un mariage était déclaré nul, les enfants issus du mariage restaient légitimes (excellente décision pour les enfants, mais contorsionnisme intellectuel de la part du clergé).

[3] : La loi Bonald de 1816 supprima le divorce et ce ne fut qu’en 1975 que la loi Naquet de 1884 fut revisitée et autorisa de nouveau le divorce par consentement mutuel.

[4] : Alfred Naquet (Carpentras, 6 octobre 1834 – Paris XV, 10 novembre 1916) naquit dans une famille juive comtadine (ce qui déclencha un déferlement d’horreurs antisémites lorsqu’il fit de la politique). Il était d’abord médecin et homme de science.

[5] : Ils oublient ce qui s’est passé en 1905.

[6] : Cf. Alfred Naquet, La Loi du divorce, Paris, 1903, pp. 117-118.

[7] : Possibilité immédiate pour les hommes, mais les femmes devaient attendre dix mois avant de pouvoir se remarier à la mairie.

[8] : Cf. Jules Cauvière, Le Divorce au point de vue catholique et social, Imprimerie Jean Gainche, Paris, 1897, p. 6.

[9] : Cf. Henri Crouzel (s. j.), « À propos du Concile d’Arles », Bulletin de littérature ecclésiastique, Institut catholique, Toulouse, 1974, p. 37.

[10] : Ce ne fut qu’en 1962 avec le Concile de Vatican II que l’Église consentit à assouplir sa position. L’interdiction d’enterrer à l’église une personne divorcée remariée ne fut levée qu’en 1973.

[11] : Cf. Jean Werckmeister, « Quelques observations sur les personnes en situation matrimoniale irrégulière dans le droit de l'Église catholique », Revue des sciences religieuses [En ligne], 81/1 | 2007, mis en ligne le 03 octobre 2015, consulté le 30 octobre 2022, p. 1.

[12] : Cf. Jean Werckmeister : Can. 2356 du Code de 1917 : « Bigami, idest qui, obstante coniugali vinculo, aliud matrimonium, etsi tantum civile, ut aiunt, attentaverint », p. 9, note 1.

Raymond Louis Bouyer (Paris IX, 3 juillet 1862 - 20 janvier 1941)

Nous avons hésité pour le titre de cet article entre « Bon anniversaire ! » et « Un peu de positivisme, que diable ! ».

Pourquoi ? C'est très simple : il se trouve que le hasard a voulu que nous nous penchions sur la vie de Raymond (ou Raymond Louis, Raymond-Louis, voire même Louis ou Louis-Raymond) Bouyer à quelques jours de l’anniversaire de sa naissance il y a cent soixante-et-un ans. Et alors que nous nous penchions sur son histoire, tout Internet nous annonçait qu’il était mort en 1935 – même si la Bibliothèque nationale de France nous donne cette date avec un magnifique point d’interrogation. D’ailleurs, leur dernière trace écrite de lui date de 1934.

En revanche, toutes les pages s’accordent à dire que cet auteur, critique musical, critique d’art et secrétaire de rédaction de La Revue d’art était né à Paris dans le IXème arrondissement le 3 juillet 1862.

C’est là que le positivisme entre en jeu.

En voyant les doutes de notre chère Gallica quant à l’année de sa mort, nous avons immédiatement craint que cet auteur ait disparu soudainement sans laisser de trace – comme Rose Maireau, que nous cherchons toujours.

Puisqu’il est né en 1862 – donc après les incendies de la Commune, nous avons consulté les archives de Paris en ligne…

 

Trois minutes.

 

Il nous a fallu trois minutes pour trouver son acte de naissance (n° 1211), acte de naissance qui nous apprend qu’il est né au 34, rue de Trévise, qu’il était le fils du négociant Paul Bouyer, qui n’assista pas à sa naissance, et de la professeur de piano Pauline Rosine Caroline Grange ; ses parents avaient respectivement trente-huit et trente-et-un ans et s’étaient mariés dans le IIIème arrondissement en 1858. Sa naissance fut déclarée par le docteur qui avait accouché sa mère, Ernest Château, et par son oncle Louis Grange, qui habitait aussi au  34, rue de Trévise.

Ces renseignements sont déjà précieux, mais que trouvons-nous en mention marginale ? Hum ? Nous lisons noir sur blanc que l’enfant qui est né le 3 juillet 1862 s’est marié dans l’arrondissement où il est né. À quelle date ? Forcément avant 1935, voire en 1935, n’est-ce pas ? Pas du tout, chers lecteurs, notre auteur s’est marié le 18 janvier 1941 avec Jeanne Eugénie Luce Bernard.  

1941 !!! 

Pardonnez-nous ce festival de points d’exclamation, mais cela veut dire que personne n’a pris la peine de consulter l’acte de naissance de Raymond Bouyer, autrement la quasi-totalité des données sur lui n’annonceraient pas qu’il est mort en 1935.

Passons donc à l’acte de mariage (n° 22) de Raymond et Jeanne… Raymond y est décrit comme un « homme de lettres » et il réside toujours au 34, rue de Trévise et c’est là – littéralement là, chez lui, qu’il se maria. Gaston Broussier, adjoint au maire du IXème arrondissement, se rendit chez Raymond sur réquisition du Procureur de la République afin de procéder au mariage. Raymond avait soixante-dix-huit ans… Pas la peine d’être Sherlock Holmes pour déduire que le malheureux devait être bien malade pour que son mariage se déroule chez lui et non pas dans la maison commune ; en revanche, Gaston Broussier, afin de respecter la loi, fit « ouvrir les portes de la maison en vue de célébrer publiquement ledit mariage » - espérons que le pauvre Raymond ne fut pas exposé aux éléments afin que son mariage se déroule selon la loi (il devait faire bien froid en janvier 41). La mariée, concierge de l’immeuble, avait cinquante-deux ans et était la fille de Louis Bernard et Aline Voillemont ; elle était née le 18 juin 1888 à Doulevant-le-Petit en Haute-Marne.

La date du décès de Raymond n’a pas été ajoutée à son acte de naissance, mais les circonstances du mariage pouvaient nous laisser penser que le malheureux avait trop vite laissé une veuve.

Les tables annuelles des décès nous livrèrent très vite la fin de cette histoire : Raymond Louis Bouyer mourut le 20 janvier 1941 à 19h30. Son décès fut déclaré en mairie par un résident de l’immeuble le lendemain.

 

Si la totalité de cette recherche nous a pris vingt minutes, c’est bien le diable. En creusant encore un peu, nous avons même découvert que Bouyer avait été nommé chevalier de la Légion d’honneur le 6 mars 1929.

Nous ne sommes pas en 1923. Une mine d’information se trouve en quelques clics – ce qui permet d’ailleurs de faire des recherches en archives alors que celles-ci ont fermé leurs portes pour la nuit. Pourquoi est-ce que personne avant nous n’a tenté de résoudre le mystère de la date de décès de cet auteur ? Ça se comprend jusqu’en 1995 où il fallait souvent aller en archives ou bibliothèques afin de consulter un catalogue papier… mais aujourd’hui ? Pourquoi se contenter d’une date approximative – et erronée ?! Manque total d’intérêt ? Paresse intellectuelle ?

 

Le pire dans cette histoire est que nous n’en avons pas fini du mystère Bouyer : nous avons peut-être déterré son acte de décès, mais la raison pour laquelle nous nous sommes intéressée à lui va nous demander de creuser encore.

Il se trouve qu’en 1883, Bouyer se présenta au concours de l’École normale supérieure et fut admis à la vingt-et-unième place (vingt-cinq étudiants constituaient cette promotion). Cependant, il ne se présenta pas à l’école le vendredi 2 novembre pour la rentrée ; il n’arriva que le mercredi 7 et fut absent dès le 8 au soir.

Il démissionna et sa place fit attribuée à celui qui avait été vingt-sixième au concours et cet étudiant entra à l’école le 20 novembre 1883 après avoir été officiellement nommé la veille.

Cet étudiant qui remplaça Bouyer était… Georges Doublet.

Voila pourquoi nous avons cherché des informations sur Bouyer. Maintenant, reste à tenter de découvrir pourquoi il démissionna alors qu’il poursuivit ses études en Sorbonne et obtint sa licence ès Lettres en 1884, tout comme Doublet.