L'iceberg, le boulanger et l'alligator [Épisode 1 : La construction]

           Il était une fois un navire qui n’aurait pas dû couler lors de sa traversée inaugurale.

Photo du Titanic en avril 1912

            Nous allons vous raconter la tragédie du RMS Titanic.

L’idée de ce Royal Mail Steamer[1] (vapeur de la poste royale) vit le jour à l’été 1907 lors d’un diner chez le président d’Harland & Wolff, Lord William James Pirrie (1847-1924), où était présent le directeur général de la White Star Line, Joseph Bruce Ismay (1862-1937).

            Harland & Wolff sont des chantiers navals situés à Belfast fondés en 1861 par Sir Edward Harland (1831-1895) et Gustav Wolff (1834-1913).

Harland avait racheté les chantiers de Robert Hickson (1810-1869) pour 5 000 £ ; ces chantiers étaient déjà dirigés par le jeune Wolff et Harland était conseillé par l’un de ses amis, Gustav Schwabbe (1813-1897), qui était aussi l’oncle de Wolff.

Cette compagnie existe toujours aujourd’hui, mais avec beaucoup moins d’employés et des activités diversifiées.

            La White Star Line, nom sous lequel le public connaissait l’Oceanic Steam Navigation Company, avait vu le jour en 1845 ; à l’époque, la compagnie utilisait des navires à voile, spécifiquement des clippers, qui avaient au moins trois mâts et transportaient des passagers vers l’Australie.

La compagnie fit faillite en 1867 et fut rachetée par Thomas Ismay (1837-1899), qui la modernisa et lui donna son autre nom. J. Bruce Ismay reprit la compagnie à la mort de son père et en 1907, lors du dîner avec Lord Pirrie, il était en concurrence avec la Cunard Line.

La Cunard[2] était américano-britannique et avait vu le jour en 1838 ; c’était une idée de Sir Samuel Cunard (1787-1865), qui était canadien.

Ce fut la concurrence entre la White Star Line et la Cunard Line, notamment sur les voyages transatlantiques, qui fit naître l’idée du Titanic, ainsi que de ses « frères » maritimes : l’Olympic et le Britannic (dont le nom initial était le Gigantic).

Après le fameux dîner de Pirrie et Ismay, la construction des jumeaux Olympic et Titanic débuta assez vite. Construits côte à côte, ils étaient presque identiques.

 

Plan original du paquebot Titanic, tamponné par Harland & Wolff, avec une date manuscrite à l’intérieur du tampon du 1er mai 1912, juste un jour avant les déclarations d’ouverture de l’enquête britannique, au cours de laquelle ce plan a été utilisé. (Photo AFP)

             Les concepteurs des navires étaient Alexander Montgomery Carlisle (1854-1926) et Thomas Andrews (1873-15 avril 1912). Carlisle travaillait pour Harland & Wolff depuis ses seize ans ; quelques documentaires ont émis l’hypothèse qu’il avait quitté son emploi en 1910 après un désaccord avec Pirrie et Ismay au sujet du nombre de canots de sauvetage, mais il n’en est rien : Carlisle avait des problèmes de santé et il prit tout simplement sa retraite et quitta Belfast. Le nombre de canots à avoir à bord n’était pas encore décidé quand Andrews se retrouva le seul architecte sur ces projets.  

 

L’Olympic, dont la coque était blanche lors de son lancement (pour des raisons de marketing afin que les premières photos de ce navire soient plus impressionnantes), fut achevé en premier et, incidemment, le fait que l’Olympic ait été le premier mis à l’eau a sans doute scellé le destin du Titanic.

En effet, la construction de l’Olympic commença en décembre 1908, quatre mois avant celle du Titanic et il fut lancé le 20 octobre 1910, mais sans bouteille de champagne (afin d’éviter les superstitions, la White Star avait la coutume de ne pas baptiser ses navires à leur première sortie). Cet essai effectué, il partit en cale sèche afin d’être complètement achevé et ses essais en mer eurent lieu du 29 au 31 mai 1911. Ce 31 mai 1911, l’Olympic était prêt à faire son voyage inaugural et le Titanic était lancé et prêt à aller en cale sèche pour que ses intérieurs soient aménagés.

En juin 1911, le capitaine Edward Smith (27 janvier 1850-15 avril 1912) était en charge de l’Olympic et l’arrivée à New York se fit sans problème (entre le début de la construction des navires et l’arrivée effective de l’Olympic, il avait fallu négocier avec les autorités portuaires de New York car aucun quai n’était assez long pour accueillir ces monstres des mers). J. Bruce Ismay était à bord et il se servit de l’Olympic comme d’un test afin de pouvoir suggérer des améliorations pour les finitions du Titanic ; le concepteur des triplés maritimes, Thomas Andrews fit de même.

Le 21 juin, alors que l’Olympic était remorqué, il rentra en collision avec l’un des remorqueurs et subit d’importants dommages à la poupe et gouvernail et arbre de transmission furent arrachés. Cet incident peut sembler grave, mais il n’est rien en comparaison avec la collision qui eut lieu à Southampton le 20 septembre 1911 alors que l’Olympic allait effectuer sa cinquième traversée puisqu’il se fit éperonner par un navire de guerre, le HMS Hawke.

 


Photos du RMS Olympic et du HMS Hawke après leur collision (dans le magazine « Popular Mechanics » de décembre 1911)

Ce désastre fut un coup de pousse pour ce transatlantique qui ne coula pas après sa collision avec un navire conçu pour faire couler ses cibles – mais la brèche était au dessus de la ligne de flottaison, ce qui limitait le danger et l’Olympic put rejoindre Belfast et les chantiers Harland & Wolff afin d’être réparé en cale sèche.

Une partie des hommes qui travaillaient sur le Titanic furent alors envoyés sur l’Olympic, retardant ainsi les travaux sur le Titanic.

L’Olympic put quitter Belfast le 30 novembre 1911 et put faire face à une tempête le 4 janvier 1912. Malheureusement, il perdit une pale d’hélice le 24 février et dut retourner à Belfast où il fut réparé avec des pièces initialement destinées au Titanic dont le départ fut retardé du 20 mars au 10 avril.

 

Revenons vers le Titanic. Les triplés devaient tous être plus grands que le plus grand navire de la Cunard, mais le Titanic fut construit avec quelques centimètres en plus afin de faire de lui le plus grand navire de l’époque.

 

La construction du paquebot Titanic en mai 1911 aux chantiers navals de Belfast

en Irlande du Nord (Photo Library of Congress)

On trouve parfois une référence à ce qui aurait été le numéro de sa coque, le 390904, qui aurait fait craindre aux employés catholiques du chantier que le sort du navire serait funeste. Pourquoi ? Parce qu’un des hommes sur le chantier aurait regardé la réflexion du numéro et aurait lu « no pope » (c'est-à-dire « pas de pape »). Alors, avec jeu de mots : « Mon Dieu, quelle horreur ! ». S’il n’y a pas de pape, c’est que le souverain pontife est allé dire bonjour à Saint Pierre et dans ce cas-là, on ne panique pas, on envoie les cardinaux à Rome et on attend une fumée blanche accompagnée d’un joyeux « habemus papam » ; il n’y avait pas de raison de craindre la fin de la papauté – et pour un navire bâti par des protestants (n’oublions pas qu’Harland & Wolff employaient très peu de catholiques) il était plutôt normal de ne pas avoir de pape. La remarque ne put même pas être faite à l’époque parce que le numéro du Titanic était 401, mais cette anecdote ne fut montée en épingle (et encore) qu’après le naufrage ; cette histoire de réflexion en forme de malédiction prémonitoire n’est qu’un fait sensationnel raconté après coup (c’est loin d’être le seul dès qu’on parle du Titanic). De plus, chers lecteurs, approchez votre écran d’un miroir et lisez « 390904 ». Avouez qu’il faut être drôlement imbibé ou avoir un énorme problème de vue pour y lire « no pope ». Comme le dit Dame Séli dans le premier volet de Kaamelott : « faut avoir sacrément les globes alignés », mais comme l’avait dit Elias de Kelliwic’h deux répliques avant « Dites-nous ce que vous y voyez, vous. C’est ça qui compte. » et il est vrai que, comme on a vu des malédictions partout après l’ouverture de la tombe de Toutankhamon (en 1922), on a vu des signes partout autour du Titanic après avril 1912 alors que le naufrage fut le résultat d’une accumulation de malchances et erreurs.

Fascinante histoire qui glace le sang, n’est-ce pas ? N’est-ce pas ?! Dommage que ce ne soit qu’une histoire sans fondement qui est répétée dans bon nombre de récits sur le Titanic : « Mon Dieu ! Il y avait eu des présages ! Le numéro de la coque était un avertissement des dieux ! ». Ah, zut ! Des divinités au pluriel ; cette dernière partie était donc en mode « égyptien ».

En fait, ce qui est intéressant comme phénomène avec le Titanic, c’est que certains journalistes – aujourd’hui encore – et même quelques passionnés répètent des faits sans vraiment faire de recherches et des légendes (des mensonges ?) sont reprises sans remonter à leur source. Le « manque de pape » est un exemple fascinant que nous avons retrouvé sur des centaines de pages sur Internet, alors que le site qui travaille à démêler le vrai du faux, Snopes, démontre que cette histoire de numéro est fausse et que nul employé du chantier ne pressentit le naufrage du Titanic. Malgré la fascination engendrée par le Titanic et le nombre de données et informations dont nous disposons, nous avons donc utilisé ce conte inventé de toutes pièces afin de vous faire voir qu’on peut avoir de drôles de surprises – aujourd’hui encore – avec la tragédie du Titanic.

Dans la même veine, certains ajoutent le manque de baptême à la liste des mauvais présages, mais, comme nous vous l’avons signalé, la White Star ne le faisait jamais et leurs navires ne coulaient pas comme des plombs tous les quatre matins.

 

Passons donc aux vraies caractéristiques du navire.

Il n’avait besoin que de trois cheminées, mais pour des raisons esthétiques, une quatrième fut ajoutée ; cette dernière, qui se situait à l’arrière, servait à ventiler les cuisines et stocker les chaises de pont.

Le navire mesurait 269 m de long, 28 m de large et 53 m de la quille au sommet des cheminées, qui mesuraient 42 m ; les mâts mesuraient 64 m.

La coque était constituée de 2 000 tôles fixés les unes aux autres par 3 millions de rivets de 3 cm de large sur 8 cm de long et elle avait un double fond.

Le navire était divisé en seize compartiments dont les cloisons étanches pouvaient être fermées depuis la passerelle grâce à une commande électrique ; même avec deux (peut-être même quatre) compartiments pleins d’eau, le navire pouvait rester à flot. Ce fut cette innovation qui lui valut le surnom d’insubmersible, ce qui aurait pu être vrai en cas de collision au dessus de la ligne de flottaison, comme pour l’Olympic avec le Hawke ou en cas de collision frontale avec l’iceberg, mais la glace déchira la coque sur cinq compartiments. Un système de plusieurs pompes (cale et ballast) pouvait évacuer 400 tonnes d’eau à l’heure et des détecteurs (fumée et chaleur) étaient placés aux endroits stratégiques.

Il y avait onze ponts, dont huit pour les passagers de 1ère, 2nde et 3ème classes.

Ce navire de 46 000 tonnes avait une puissance de 46 000 chevaux à propulsion mixte : deux machines alternatives à vapeur de 15 000 chevaux chacune pour les deux hélices tripales de 7 m de diamètres et une turbine basse pression de 16 000 chevaux en charge de l’hélice quadripale centrale de 5 m de diamètre (les hélices pesaient 98 tonnes). La salle des machines était à l’arrière.

 

Photo des hélices lors de la construction du Titanic (Photo Welch)

Il y avait en tout vingt-neuf chaudières réparties dans six compartiments. Afin de faire fonctionner les turbines, il fallait beaucoup de charbon. Une grève des mineurs au Royaume-Uni menaça de retarder le voyage inaugural et l’Olympic effectua son voyage de retour de New York à petite vitesse afin de ne pas brûler trop de charbon et des sacs de charbon pour le Titanic étaient entassés dans les cabines vides afin que le Titanic soit suffisamment approvisionné.

Les 13 000 m3 de charbon dont le Titanic avait besoin pour sa traversée devaient être stockés dans douze soutes.

Les communications furent misent à l’honneur : les passagers (de 1ère classe) pouvaient téléphoner au bar ou au restaurant (un standard gérait cinquante téléphones), l’équipage pouvait communiquer plus efficacement entre eux et relayer les ordres (de la passerelle aux chaufferies) et la radio, dans un local sur le pont où se trouvaient les canots de sauvetage, était un poste TSF Marconi qui avait une très longue portée grâce aux deux mâts équipés d’antennes.

La passerelle, sur le pont supérieur, s’étendait sur toute la largeur du navire et avait un espace couvert et un espace fermé.

 

[Épisode 2 : Le navire - le  6 octobre 2024]



[1] : Ce navire était en premier le « SS Titanic », un vapeur (« screw steamer » ou « screw steamship » en anglais). Il était appelé « RMS Titanic » tant qu’il avait un contrat avec le roi afin de transporter le courrier de la couronne (« Royal Mail »). Les plans du navire le désignent sous le nom de « SS Titanic »

[2] : La Cunard existe toujours aujourd’hui, mais elle a connu bien des changements. Elle fut victime de la crise de 1929 et le gouvernement britannique lui fit conclure une fusion avec la White Star Line qui fut effective en 1934. La Cunard White Star Line appartenait principalement aux actionnaires de la Cunard et en 1949, les actions dans les mains des actionnaires de l’ancienne White Star Line furent rachetées par les actionnaires majoritaires et la compagnie redevint la Cunard Line. En 2017, le MS Queen Anne fut mis en chantier et il a été mis en service le 3 mai 2024 (MS signifie « Motor Ship », c'est-à-dire, navire à moteur).

Série d'articles à venir

Chers Lecteurs,

 

Nos recherches sur le Titanic nous ont fait écrire un article terriblement long.

Nous allons donc vous le proposer en épisodes.

 

Bonne lecture !

 

Exposition (à venir) : Titanic - L'exposition (Lausanne)

            Une fois n’est pas coutume – nous n’avons (pas encore) vu l’exposition dont nous allons vous parler.

            Après les expositions à Paris et Bruxelles (que nous avons malheureusement ratées à cause de plannings qui ne concordaient pas), Titanic – L’exposition va être à Lausanne du 27 septembre 2024 au 26 janvier 2025 :

               Vous trouverez toutes les informations nécessaires pour vous y rendre sur ce site

            Notre article (pas le précédent sur la photo de l’iceberg, mais celui que nous vous avions annoncé et qui parlera de plusieurs aspects de l’histoire du Titanic), « L’Iceberg, le boulanger et l’alligator » (l’alligator faisant référence à un sac qui a été sauvé par RMS Titanic, Inc. qui est la compagnie qui a le droit de récupérer les objets du Titanic dans le seul but de les préserver) devrait être publié la semaine prochaine – une fois de plus, ce que nous envisagions comme un petit article a tourné au roman fleuve.

Est-ce la photo du coupable ?

            Le 14 avril 1912, à 23h40, en plein océan Atlantique (41° 46′ N et 50° 14′ O), le RMS Titanic ne put éviter d’entrer en collision avec un iceberg.

            À 2h20, le navire sombrait et, comme il n’y avait pas assez de canots de sauvetage pour tous, on estime qu’il y eut environ 1 500 victimes (les enquêteurs américains et britanniques n’arrivèrent pas aux mêmes chiffres).

Vers 4h, le Carpathia qui avait vogué vers le Titanic à pleine vitesse, battant même son propre record parce que le capitaine, Arthur Rostron (1869-1940), avait ordonné de couper le chauffage pour l’eau chaude et le chauffage sur le navire afin de pouvoir utiliser toute la vapeur des machines (la vitesse de croisière maximale du Carpathia était de 14 nœuds, mais il poussa les machines jusqu’à plus de 17 nœuds), arriva aux premiers canots de sauvetage qui contenaient les 712 survivants.

Des photos des canots et des survivants furent prises par les passagers du Carpathia, mais une photo prise par l’Autrichien Stephan Rehorek ( ?-1935) à bord du Bremen, un navire allemand qui traversa le champ de glaces où le navire coula, nous montre peut-être l’iceberg qui causa la perte du Titanic :

 

Photo de l’iceberg prise par Rehorek

 

La photo fut retrouvée en 2000, comme l’explique le journaliste Henning Pfeifer dans un article.

Sans point de référence et avec une photo qui est loin d’être en haute définition, on ne peut affirmer qu’il s’agit bien du coupable, mais Rehorek écrivit à ses parents en mentionnant les corps et débris du Titanic dans le secteur de cet iceberg et l’iceberg de la photo semble porter des traces de collision, mais il pourrait s’agir de dégâts naturels causés par la fonte des glaces. Cependant, il est troublant de constater que la forme de cet iceberg correspond à celle qui fut décrite par les membres de l’équipage qui le décrivirent aux commissions d’enquête.

 

Est-ce la photo du coupable ? C’est possible.

Exposition : Merveilleux Trésor d’Oignies : Éclats du XIIIe siècle au Musée de Cluny

            Jusqu’au 20 octobre 2024, vous pouvez aller visiter une petite – mais très riche – exposition sur le trésor d’Oignies.

            Le musée nous apprend qu’il « présente un trésor classé parmi les sept merveilles de Belgique, le trésor d’Oignies.

Ce dernier est associé à l’histoire du prieuré Saint-Nicolas d’Oignies, devenu célèbre grâce à la bienheureuse Marie d’Oignies, mystique encore vénérée aujourd’hui, et à Jacques de Vitry, brillant prédicateur et un temps évêque d’Acre en Terre Sainte, principal mécène du prieuré et pourvoyeur de reliques et de pierres précieuses.
Le prieuré fut au XIIIe siècle un important foyer de création d’objets d’orfèvrerie, sous l’égide d’Hugo de Walcourt, dit Hugo d’Oignies.

Parmi la cinquantaine d’objets du trésor, une trentaine pouvant voyager va être exposée au musée de Cluny : des pièces d’orfèvrerie (surtout des reliquaires) et quelques textiles. Ce prestigieux trésor sortira pour la première fois dans sa presque intégralité du territoire belge, cent ans après une présentation partielle de trois pièces au musée du Louvre en 1924.
L’exposition permettra de raconter l’histoire du prieuré d’Oignies et de ses protagonistes, et constituera un éclairage sur la production orfévrée d’Hugo d’ Oignies et de son atelier. »

            Il y a des très, très jolies pièces :

 


et vous pourriez peut-être profiter des Journées du patrimoine (samedi 21 et dimanche 22 septembre) afin d'aller admirer ces merveilles. 

Vous trouverez toutes les informations nécessaires sur le site du musée.

Exposition : Jeunesse et résistance au musée mémorial de la bataille de Normandie à Bayeux (et Bayeux et Arromanches-lès-Bains)

           Jusqu’au 22 septembre 2024, si vous avez des enfants (les vôtres ou des loupiauds de votre entourage) et que vous vous trouvez à Bayeux, vous pouvez leur faire visiter une petite exposition « Jeunesse et résistance » afin de les familiariser au sujet (s’il ne le sont pas déjà) avant de leur faire visiter le musée mémorial de la bataille de Normandie.



Si vous habitez Bayeux, vous pouvez bénéficier de la « carte ambassadeur » afin de visiter les trois musées de la ville gratuitement (disponible au musée d’art et d’histoire baron Gérard sur présentation d’une pièce d’identité et d’un justificatif de domicile de moins de trois mois), mais si vous n’êtes que de passage, il existe un « pass Bayeux Museum » : pour 14€, vous avez accès à deux des trois musées (combinaison au choix) et, pour 16€, vous pouvez visiter les trois musées – et le billet reste valable un an à partir de la date d’émission du billet. Si vous souhaitez plus d’informations pratiques, vous pouvez consulter cette page.

            Le musée de la bataille de Normandie est un peu plus éloigné du centre ville, mais le musée de la tapisserie de Bayeux (c’est une broderie, nom d’un point de Bayeux[1] !), la cathédrale et le musée d’art et d’histoire baron Gérard (sans oublier le cœur historique de la ville) sont seulement à quelques pas les uns des autres.

 

            Si vous voulez être pratique et que vous n’êtes que de passage et êtes arrivé en train, le musée de la tapisserie (broderie !) est le plus proche de la gare.

Même en ayant pris le premier train, comme les horaires des cars de la région Normandie sont modifiés en été et que nous avons fait un saut à Arromanches-lès-Bains (nous aurions dû y être le 6 juin 2024 si les restrictions de circulation ce jour-là ne nous avaient pas forcée à changer nos billets), nous ne savons pas s’il y a beaucoup de visiteurs pour admirer la tapisserie (broderie !) le matin, mais évitez l’heure du déjeuner.

Avec les horaires de cars normaux, il faudrait peut-être tenter la visite du musée de la tapisserie dès votre arrivée :

 


Il y avait bien des visiteurs à 12h51 (nous remercions les métadonnées de notre photo), mais le récit en fils et toile de la conquête de l’Angleterre par Guillaume le Bâtard (1027-1087) est fascinant et nous avons droit à une représentation fascinante de la comète de Halley (entre autres trésors) :


L’histoire de cette œuvre est extraordinaire : nous savons peu de choses sur sa création, mais elle résiste depuis des siècles (les teintures d’origine des fils sont meilleures que celles des fils utilisés pour quelques restaurations au XIXe siècle) ; nous avons failli la perdre à plusieurs reprises (pendant la Révolution, pendant la Seconde guerre mondiale…).

La broderie s’admire assez rapidement (les explications de l’audioguide sont intéressantes, mais si vous avez la chance de lire le latin, le texte qui accompagne les illustrations ajoute un petit quelque chose).

 

Ensuite, un saut à Arromanches, adorable petite ville qui se trouve dans la zone des plages du débarquement du 6 juin 1944 sur le secteur appelé « Gold Beach » nous semble une excellente idée. Non seulement les quelques kilomètres entre Bayeux et Arromanches offrent de superbes paysages, mais la plage d’Arromanches n’est pas qu’un vestige du « Mulberry B », le port Winston Churchill – certes cette plage est historique, mais c’est une magnifique plage normande (ne faites pas comme nous et n’oubliez pas votre maillot de bain) :

 

De retour à Bayeux, il vous reste à aller visiter la cathédrale :


L’édifice roman fut consacrée par le demi-frère de Guillaume (désormais le Conquérant), Odon de Conteville (1036-1097) le 14 juillet 1077. La cathédrale Notre-Dame se transforma en bâtiment gothique à partir de 1204 et elle compte des éléments de gothique premier, rayonnant et flamboyant, ce qui en fait une petite merveille architecturale. Elle fut une victime des guerres de religion et certains éléments furent détruits en 1562.

Dans les siècles suivants, des aménagements vinrent enrichir la cathédrale – en fait, les architectes considèrent qu’elle fut véritablement achevée avec la construction des trois tours qui avaient été souhaitée par les architectes en charge des transformations gothiques au XIIIe siècle qui n’eut lieu qu’au milieu du XIXe siècle.

La cathédrale évolue encore, puisque des vitraux modernes ont été ajouté à l’édifice (ils sont visibles sur la gauche de notre photo) :


Les soldats alliés tombés en 1944 ne sont pas non plus oubliés ; les couronnes de coquelicots sont accompagnées de messages émouvants.

            En sortant de la cathédrale, tournez à droite et allez visiter le musée d’art et d’histoire baron Gérard. Le musée est proche de la cathédrale pour une excellente raison : c’est l’ancien palais épiscopal. À présent, le musée retrace l’Histoire de la préhistoire à aujourd’hui.

Nous avons été forcée de sourire en croisant notre troisième buste – un marbre et stuc du XVIe siècle réalisé d’après un portrait antique – de l’empereur Hadrien (76-138) en deux mois :


Le musée a la chance de posséder une toile de Constance Mayer La Martinière (1778-1821), peintre au destin tragique, Phrosine et Mélidor (elle s’était basée sur un dessin de Pierre-Paul Prud’hon, l’imbécile qui provoqua la mort de Mayer[2]) :

Une partie du musée est consacrée à la porcelaine de Bayeux et une autre à la dentelle de Bayeux :


L’histoire du bâtiment lui-même reste présente car la salle des audiences de l’évêque qui fut transformée en tribunal d’instance (de 1793 à 1987) se visite[3],


ainsi que la chapelle Renaissance (de chapelle de l’évêque, cette pièce devint la salle de délibération du tribunal :

 

Ce musée possède des merveilles classiques et contemporaines.

 

            Conclusion, si vous passez par Bayeux, explorez la ville, papotez avec les habitants (nous avons rencontré d’adorables Normandes) et faites un saut sur la côte (avec votre maillot de bain !).



[1] : Ce point bien particulier est décrit ici. https://www.bayeux-broderie.com/fr/content/10-point-de-bayeux La charmante petite boutique dont c’est le site se trouve à deux pas du musée.

[2] : Nous travaillons toujours à notre nouvelle biographie de Mayer et Prud’hon fut un ignoble ingrat à son égard. Nous avons pris la photo sur le site des musées nationaux car il y a une lampe près de la toile qui a laissé un joli reflet sur notre photo.

[3] : Nous avons emprunté la photo du site du musée parce que notre photo ne montre pas la forme des bancs (il faut se rendre à l’évidence, nous sommes trop petite).

Quid ?

         Tout est histoire… mais aujourd’hui nous allons vous parler de traduction – de l’histoire contemporaine en quelque sorte.

Il arrive que certains concepts puissent permettre des équivalences entre certaines langues.

Il arrive que des expressions idiomatiques nous offrent des images bien particulières (notamment, le français « il tombe des hallebardes » devient « it’s raining cats and dogs (il pleut des chats et des chiens) » en anglais).

Bref, la traduction est tout un art qui nous fait nous arracher les cheveux ou nous permet de nous amuser comme des fous.

Parfois, nous pouvons avoir de curieuses surprises. Que voulons-nous dire ? Par exemple, en 2008, nous avions remarqué un film franco-italo-britannique sur l’histoire de Georgiana, duchesse du Devonshire (le Devon aujourd'hui) dont le titre The Duchess ne fut pas traduit lors de la sortie du film en France :

En revanche, ce film s’intitulait La Duchesse dans les salles québécoises.

Nous sommes donc en présence d’une décision de non traduction du titre du film et ce alors même que ce titre de noblesse existe en France et au Royaume-Uni.

Le titre dans les salles françaises est surprenant, mais pas unique (après tout, le film de science-fiction Alien (1979) ne fut pas traduit en Extra-terrestre (Petit homme vert ? Créature de l’espace ?), mais notons toutefois qu’on lui donna un sous-titre : Le 8ème passager. Il est en revanche à noter que la compagnie Disney s'efforce de tout traduire (titres, dialogues et chansons) afin que la compréhension soit totale.

            Pour ce qui est de The Duchess, nous sommes bien en présence d’un titre en anglais. Il est dommage qu’il n’y ait pas un adjectif pour accompagner le titre, car les règles qui régissent le majuscules étant différentes en français et en anglais, nous aurions pu savoir ce que souhaitait les producteurs du film : imaginons que le titre soit The Young Duchess en anglais (majuscule pour le premier mot, l’adjectif et le nom commun), nous aurions eu au Québec La Jeune duchesse et The Young duchess en France (majuscule pour l’article défini et le premier mot du titre selon les règles françaises).

            Pour avoir travaillé dans le milieu cinématographique, nous savons qu’il est tout à fait possible qu’un producteur ait tout simplement décidé que The Duchess faisait plus exotique, plus vendeur.


            Autre traduction, américaine cette fois, qui reflète notre présent : en 1924, les studios Metro Pictures et ceux de Samuel Goldwyn (1879-1974) et de Louis B. Mayer (1884-1957) fusionnèrent et la Metro-Goldwyn-Mayer (MGM) vit le jour.

Leur logo a un lion rugissant et le slogan « Ars gratia artis », qui est la traduction littérale en latin du français « l’art pour l’art » qui est en général attribué à Théophile Gautier (1811-1872) qui évoqua ce concept dans la préface de son roman de 1835, Mademoiselle de Maupin.

Ce n’est que récemment (nous n’avions peut-être pas visionné de films produits par la MGM depuis 2021, date du changement de logo et arrivée d’un lion créé par ordinateur – ou nous n’avions pas fait attention au logo, ce qui est possible) que nous avons remarqué que le latin du logo est brièvement traduit aujourd’hui :


Ce n’est qu’un détail et, certes, tout le monde ne lit pas le latin, mais cette traduction a un petit goût de nivellement par le bas, plus que celui d’une explication : « Vous ne comprenez pas le texte du logo, ne demandez rien à un navigateur sur Internet, nous vous donnons le texte en anglais – parce que le monde entier comprend l’anglais, of course ! ». C’est tellement américain. Enfin, il faut sans doute se réjouir que le latin n’ait pas été tout simplement éliminé.


            En parlant de latin… Retour en France, où une série, disponible sur la plateforme d’Amazon, Prime, s’appelle Those About to Die (basée sur le livre de Daniel P. Mannix (1911-1997) qui fut publié en 1958). Les majuscules nous informent que le titre en anglais a été conservé littéralement – parce que le monde entier comprend l’anglais, of course ! (Notre point d’exclamation est français[1]. Notons aussi que la majuscule sur About est correcte en style AP, mais pas en style MLA.) Il y a toujours eu des langues qui servirent pour la communication entre les peuples (le grec, le français, l'anglais...), mais il y a toujours une partie de la population qui est laissée sur le bas-côté de la route - parce que la langue de communication ne lui est pas apprise ou parce qu'il ne faut pas oublier qu'apprendre une langue étrangère n'est pas à la portée de tout le monde (et se souvenir d'une langue étrangère demande une utilisation régulière, ce qui n'est pas non plus à la portée de tous).

Quitte à chercher la petite bête (mais c'est aussi notre autre métier), en français, on élide le « de » devant une voyelle, donc « Par le réalisateur de Independence Day » en haut de l'affiche de la série devrait être « Par le réalisateur d'Independence Day » et la règle vaut pour les h muets : « les poèmes d'Hugo » ou « la poule au pot d'Henri IV ».

            Si nous avions été responsable de la promotion de cette série, le titre n’aurait pas été en anglais, ni même en français avec Ceux qui vont mourir. Non. Nous aurions traduit le titre en latin : Morituri. Il nous semble que « Ave Cæsar, morituri te salutant ! » devrait être plutôt connu ici[2].

Puisqu’un producteur aurait sans doute objecté qu’il y a plusieurs films qui s’appellent Morituri, nous aurions pu lui rétorquer que ce serait la première série avec ce titre. De plus, comme pour Alien, un sous-titre serait tours envisageable… quelque chose comme Vies de gladiateurs, Le Cirque de Rome ou même Les Jeux du cirque. Il y avait tant de possibilités. Ah, mais... d'ailleurs... Il y a un sous-titre : S'élever ou mourir. Donc, quelqu'un est parti du principe que le monde entier comprend l’anglais et on garde le titre d'origine. Le slogan de la MGM est peut-être Ars gratia artis, mais pour les producteurs frileux et sans la moindre imagination, c'est presque toujours « le profit, toujours le profit », mais surtout sans danger, ce qui explique que 99% des productions sont basées sur des ouvrages qui ont déjà fait leurs preuves auprès du public (si le lecteur a aimé, le spectateur sera au rendez-vous).

L’art pour l’art ? Ne rêvez pas trop. L’originalité fait trembler dans ses bottes le producteur de base.

L’art est mis de côté au profit du marketing et en comptant sur le profit à venir.

Alien tenait la route en titre de science-fiction, mais The Duchess et Those About to Die ne sont que du marketing.

Qui sait quelles surprises et merveilles nous aurions si les sesterces ne dominaient pas tout…

            Allez ! Salve, Lector !



[1] : Petite note de rappel pour nos étudiants : en français, il faut un espace avant et après un signe double (« Quelle surprise ! »), mais pas en anglais (‘What a surprise!’). [Au passage, notez la différence dans les guillemets.]

[2] : Mes chers étudiants, préparez-vous pour un petit sondage amical à la rentrée.