Jean Antoine Constantin, parfois appelé Constantin d’Aix
(Marseille, 20 janvier 1756
– Aix-en-Provence, 9 janvier
1844) enseigna le dessin, notamment à François Marius Granet (1775-1849)
et à Auguste de Forbin (1777-1841). Il inspira bien des peintres et est en
général considéré comme l’un des pères de la peinture provençale.
Autoportrait de
Constantin d’Aix
conservé au musée
Granet à Aix-en-Provence
Les parents de Jean Antoine sont une
sorte de mystère généalogique, mais nous avons l’espoir que notre plongeon dans
les registres de leur paroisse à Marseille, la collégiale St-Martin, nous aura
permis de résoudre cette énigme et que les maigres informations données par les
curés au moment de l’enregistrement des actes permettent de comprendre la
composition de cette famille.
En 1752, Jean Gabriel Constantin, qui préférait se faire
appeler Gabriel, quitta son Carpentras natal afin de se faire maraîcher à
Marseille (les curés le désignaient comme « paysan »). Ses parents se
prénommaient François et Marie. Il ne savait pas écrire, ni même signer son
nom. Il était peut-être né vers le début des années 1720.
Dans
la paroisse St-Martin, il rencontra Marie Françoise Talasin (attention, c’est à
partir de maintenant que la famille Constantin va grandement se compliquer).
Elle était tout aussi illettrée que lui et était peut-être née à la fin des
années 1720 : en effet, lors de son mariage en 1754, elle est déclarée
« majeure », ce qui veut dire qu’elle avait au moins vingt-cinq ans,
puisque, depuis l’Ordonnance de Blois de 1579, promulguée par Henri III (1551-1589),
la majorité était à cet âge-là pour les hommes et les femmes - avec quelques
rares exceptions régionales dans le pays).
Le 21 janvier 1754, Marie
Talavin donna naissance à un garçon et, dès le 22, Gabriel fit baptiser François, son « fils
naturel », par les curés de St-Martin.
Le 7
mai de la même année et toujours à St-Martin, François fut légitimé lors du
mariage de ses parents, Gabriel Constantin et… Françoise Tayavin. Elle ne
s’appellait plus Marie Françoise Talavin. Le curé des parents de Gabriel avait
communiqué leur consentement au curé de St-Martin. Françoise avait déjà perdu
ses parents (Pierre Tayavin et Marie Magdeleine Vial).
S’il
vous prenait l’envie de consulter des bases de données généalogiques, vous
trouveriez sur certains arbres que Jean Gabriel Constantin a eu un enfant avec
« Françoise Cayavin ou Tayavin » et qu’il en a eu quatre avec
Françoise Vial. En fait, il manque un enfant à ce décompte et « Marie
Françoise Talavin/Françoise Tayasin » et « Françoise Vial » sont
la même femme.
Les
registres de St-Martin n’ont aucun acte de décès pour « Marie
Talasin » ou « Françoise Tayasin » et aucun autre mariage pour
Gabriel Constantin. Puisque les enfants sont déclarés comme étant légitimes, il
est donc logique de considérer qu’après son mariage Mme Constantin a utilisé un
autre patronyme pour nom de naissance : le 12 mars 1755, Françoise Vial (le même nom de
famille que la mère de « Françoise Tayasin » qui avait épousé Gabriel
Constantin le 7 mai 1754)
donna naissance à Jean François Constantin, que Gabriel fit baptiser à
St-Martin le lendemain.
Le 20
janvier 1756, Françoise donna naissance au futur premier maître de
Granet, Jean Antoine, ainsi qu’à son jumeau Ferréol, qui furent baptisés le
lendemain. Le parrain de Jean Antoine était Jean Antoine Musson, qui était
négociant, et sa marraine s’appelait Françoise Magdelaine Nevière
Le 4 novembre 1757, les Constantin accueillaient Jeanne
Barbe, qui fut baptisée à St-Martin le lendemain (c’est là qu’elle épousa Jean
Baptiste Bonnefoy, le 7 mai 1776 ;
Gabriel et Françoise étaient tous deux en vie).
Le 25 mars 1763, naissait leur
dernière enfant, Marie Jeanne Joseph. Contrairement à ses frères et sœurs, elle
ne fut baptisée que le 27 mars (elle épousa Joseph Bonnefoy le 15 mai 1785 à St-Martin ;
Françoise Vial n’était plus de ce monde).
La Révolution a dû faire se déplacer les Constantin car,
après 1785, à l’exception de Jean Antoine dont nous connaissons les mouvements,
ils semblent disparaître de Marseille.
Tout comme Granet, Jean Antoine Constantin
venait donc d’une grande famille très modeste. Malgré le manque d’instruction
de ses parents, son don pour le dessin, puis pour la peinture, fut encouragé.
À
onze ans, l’enfant fut remarqué par Gaspard Robert qui le fit entrer dans sa
fabrique de faïences dans le quartier de Saint-Jean
du Désert (aujourd’hui dans le XIIe arrondissement
de la ville). Le quartier de la paroisse St-Martin où naquit Constantin d’Aix
se trouvait dans l’actuel Ier arrondissement, pas trop loin du
quartier des célèbres faïenceries de la ville.
Incidemment,
l’église même de la famille Constantin a peut-être contribuée à développer les
talents artistiques du jeune Jean Antoine. Le bâtiment, de style gothique, fut
malheureusement sacrifié sur l’autel de la modernité sous Napoléon III, en
1887, mais quelques magnifiques fragments nous restent et sont exposés au musée
d’Histoire de Marseille. La beauté du lieu a pu déclencher un intérêt pour les
arts chez le tout jeune Constantin.
Il aurait pu faire toute sa carrière dans la faïence, mais
il eut la chance d’aller étudier à l’académie de peinture de Marseille.
Il y
eut trois maîtres : Jean-Joseph Kapeller (1706-1790), Jean Antoine David,
dit David de Marseille ((1725-1789) et Jean-Baptiste Giry, surnommé « Vien
au petit pied » (1733-1809).
Kapeller était le fondateur en 1752, avec Michel-François
Dandré-Bardon (1700-1783), de l’Académie de peinture et de sculpture de
Marseille dont il devint le directeur-recteur à partir de 1770.
Il était
architecte, géomètre et peintre ; il est également possible qu’il ait été
tailleur de pierre (des inscriptions lapidaires aujourd’hui au musée d’Histoire
de Marseille portent son nom et proviennent de blocs taillés provenant d’une
construction près de l’église St-Martin qui était la paroisse de Kapeller et où
il se maria).
En
plus d’avoir formé Constantin d’Aix, il eut aussi pour élève « Henry
d’Arles », Jean Henry (1733-1784).
Son
père était suisse et sa mère marseillaise. Grâce aux archives, nous savons
qu’il faisait partie de plusieurs associations catholiques et était franc-maçon,
ce qui était encore possible à l’époque.
Kapeller
se maria trois fois et fut veuf trois fois ; il eut au moins six enfants
et modifia son testament à chaque changement de situation familiale.
Peu
de ses œuvres nous sont hélas parvenues.
David de Marseille, qui fut notamment formé par le peintre Claude
Joseph Vernet (1714-1789), était fort apprécié à Marseille, mais fort
peu par les critiques. Nous le connaissons surtout comme peintre paysagiste. Il
fut formé à l’académie de peinture et de sculpture de Marseille et y enseigna ;
il fut même nommé chancelier de l’académie en 1770 et conserva ce titre jusqu’à
sa mort.
Tout comme David de Marseille, Giry fut formé à l’académie
de peinture et de sculpture. Il perfectionna son art à Paris où il fit
partie de l’atelier de Joseph-Marie Vien (1716-1809). Il poursuivit sa
formation à Toulouse où il fut nommé membre de l’académie locale en 1770
et professeur trois ans plus tard.
En 1780,
il devint membre et professeur de l’académie de peinture et de sculpture de
Marseille.
Pendant deux ans, après sa formation académique, Constantin
d’Aix travailla de nouveau dans une faïencerie à Moustiers-Sainte-Marie en tant
que décorateur.
Il
eut cependant la chance d’avoir été remarqué en 1774 par un négociant aixois, P.
Perron, quand il était à l’académie de Marseille et Perron invita Constantin à
Aix. Constantin avait vingt ans, était talentueux, mais très timide. Perron le
présenta à trois notables d’Aix, Segond de Séderon, de Fonscomble et de
Montvallon qui accueillirent le jeune artiste à bras ouverts. Ils le virent
travailler pendant un an, mais Constantin restait toujours dans sa coquille ;
afin de le faire s’épanouir, ces quatre hommes décidèrent de lui financer un
séjour à Rome de six ans. Il n’y resta que trois ans, car il fut forcé de
rentrer à cause d’une mauvaise fièvre contractée là-bas.
De retour à Aix, il rejoignit la confrérie des peintres et
des sculpteurs en 1784.
En
1860, Adolphe Meyer écrivit un article intitulé « Jean-Antoine Constantin, peintre, sa vie et ses œuvres » pour la
revue le Plutarque provençal (et non pas le Plutarque marseillais comme l’écrivent
les articles qui font référence à ce travail) ; l’éditeur de la revue,
Alexandre Gueidon, fit faire un tiré à part de cet article (il y en eut
soixante-quinze exemplaires). On y apprend que les Aixois avaient l’habitude de
voir ce petit homme d’allure modeste dessiner dans la campagne et dans les
environs ; il se contentait de pain, de quelques radis et de la source la
plus proche pour étancher sa soif et il dessinait tant qu’il avait assez de
lumière pour le faire.
Son sérieux et son talent le firent engager en 1785 comme
professeur à l’école de dessin de la ville ; l’année suivante, il devint
directeur de l’école sur la recommandation du directeur sortant, Claude
Arnulphy (1697-1786).
Granet
et de Forbin furent, dans cette période prérévolutionnaire, ses élèves.
Grâce
à cette stabilité économique et sans se douter de ce qui se préparait, Constantin
épousa Luce Michel le 1er juillet 1788 en la paroisse St-Esprit. Les
publications de mariage avaient aussi été faites en la paroisse St-Martin à
Marseille pour Jean Antoine et en la paroisse St-Sauveur d’Aix-en-Provence où
Luce, fille de Joseph Michel et Magdeleine Allegre, avait été baptisée. Luce
était née à Aix-en-Provence le 1er mai 1764 et elle y mourut le 14 juillet 1851. Entre 1789
et 1804, le couple Constantin eut huit enfants (deux d’entre eux moururent très
jeunes, mais les bases de généalogie semblent indiquer que les enfants
survivants ont peut-être des descendants qui seraient encore parmi nous).
Françoise
Thérèse Joséphine naquit le 22
avril 1789 et fut baptisée le lendemain à l’église St-Esprit.
Une
autre curiosité généalogique entoure le second enfant des Constantin. En effet,
Joseph François naquit le 14 mai 1790 et fut baptisé le lendemain. Il se trouve que, sept ans
plus tard, le décès d’un enfant du couple Constantin fut enregistré à l’état
civil. La déclaration fut faite par des voisines, Marie Fabre, veuve d’André
Espié âgée de soixante ans et Magdeleine Imbert, qui avait trente ans ;
l’acte nous apprend que l’enfant de « sept ans et demi » mourut le 5 juillet 1797 (17 messidor an V) et fut enterré à 11h le lendemain, mais Fabre et Imbert déclarèrent que
l’enfant se nommait Pierre Antoine. Il s’agit forcément de l’enfant baptisé en
1797 puisqu’il s’agit d’un garçon et que le troisième enfant du couple
atteignit l’âge adulte. On pourrait conclure que les voisines des Constantin ne
connaissaient pas vraiment l’enfant, que l’officier d’état civil a mal
retranscrit ses notes ou que les Constantin utilisaient d’autres prénoms que
ceux donnés à son baptême pour leur premier fils – comme Jean Antoine
Constantin savait lire, il n’est pas possible que ce soient les curés qui aient
fait une erreur en mélangeant prénoms du baptisé et prénoms du parrain.
Le
troisième enfant, Joseph Sébastien, naquit le 20 janvier 1792 et fut baptisé le lendemain ;
il devint peintre, comme son père (il fut l’élève d’Auguste de Forbin à Paris
et travailla à la manufacture de Sèvres).
Les
informations quant aux cinq autres enfants Constantin nous sont livrées par les
actes d’état civil.
Le 17 juin 1794 (29 prairial an
II), l’acte de naissance d’Hipolite Agricola nous apprend que ses parents habitaient
rue du St-Esprit dans le quartier révolutionnaire appelé « Union » et
l’officier d’état civil se fit un devoir d’indiquer que le père était
marseillais et non pas aixois.
La
période révolutionnaire fut particulièrement dure pour Constantin, car l’école
de dessin fut fermée et il ne subvenait aux besoins de sa jeune famille que
grâce aux leçons particulières qu’il donnait.
La
Terreur fut, bien évidemment, dangereuse, puis il y eut la Réaction dans le Midi qui fut aussi sanglante (cette période
contre-révolutionnaire est aujourd’hui appelée Terreur blanche).
Luce
Michel, épouse Constantin, était enceinte d’environ quatre mois quand ils
perdirent Joseph François/Pierre Antoine. Le 10 octobre 1797 (19 vendémiaire an VI), elle donna
naissance à Grégoire Joseph ; l’enfant mourut à un an, le 15 octobre 1798 (24
vendémiaire an VII). Il fut enterré à 10h le
lendemain. Cette fois-ci encore, la déclaration fut faite par des
voisines et si nous y trouvons une Marianne
Michel, âgée de vingt-deux ans, nous y retrouvons encore Magdeleine Imbert, qui
a toujours trente ans – comme quinze mois plus tôt. Donc, les déclarations des
témoins étaient peu fiables ou l’officier d’état civil n’était pas fiable (ou
les deux).
En
1798, la république créa une nouvelle école de dessin, mais les postes s’y
obtenaient sur concours.
Deux
ans après avoir vécu la seconde perte d’un de leurs enfants, Mme Constantin
donna naissance à des jumeaux : Marie Louise Françoise et André Antoine
Auguste naquirent le 27
novembre 1799 (6 frimaire an VIII).
Constantin
tenta d’obtenir un poste dans la nouvelle école en 1800, mais il n’était pas le
seul à concourir et n’obtint pas le poste. En revanche, la ville de Digne lui
proposa un poste dans leur école centrale et la famille Constantin quitta Aix.
Ce
fut à Digne que naquit la dernière enfant du couple, Aglaé Rose Joséphine, le 16 janvier 1804 (25 nivôse
an XII). La même année, l’école centrale ferma ses portes et Constantin
enseigna le dessin à l’école communale de Digne jusqu’en 1807.
À la
fin 1806, Aix-en-Provence ouvrit une nouvelle école de dessin qui était dirigée
par Louis Mathurin Clérian (1768-1851), un des anciens élèves de Constantin. Il
invita son maître à le rejoindre dès 1807. Clérian fit nommer son mentor membre
honoraire l’année suivante. Également en 1808, Constantin devint l’un des
fondateurs de la Société des Amis des sciences, des
lettres, de l’agriculture et des beaux-arts (elle a changé de nom, mais existe
encore).
La situation financière de Constantin n’était pas très
bonne, malgré l’aide de Clérian et malgré les leçons qu’il donnait à quelques
élèves. Les choses changèrent en 1813 quand Clérian obtint un poste pour
Constantin, ce qui fit revenir la famille à Aix.
Les anciens élèves de Constantin lui étaient vraiment très
dévoués. En plus de Clérian qui l’engagea, François Marius Granet lui accorda
une allocation de 150 francs à partir de 1813.
Le travail de Constantin était apprécié dans le sud et au
Salon à Paris où il envoya des œuvres en 1817, 1818 (sa toile représentant une Vue
d’Aix lui valut une médaille d’or cette année-là), 1819 et 1822 ; il
fut sans doute encouragé à participer par Clérian et Granet, mais aussi par de
Forbin qui était en poste à Paris dans l’administration impériale. De Forbin
commanda plusieurs dessins à son ancien maître et les lui paya largement ;
passé au service de Charles X (1757-1836), de Forbin fit acheter par le roi
quelques études de Constantin en 1826.
Constantin
envoya une toile au Salon en 1827, mais sa santé commença à décliner et il demanda
à être mis à la retraite en 1828, ce qui lui fut accordé en janvier 1830.
Pour
la dernière fois en 1831, Constantin envoya une toile au Salon.
En juin 1833, Granet et de Forbin, soutenus par Adolphe
Thiers (1797-1877), qui était alors ministre, mais qui avait aussi écrit une
excellente critique d’une œuvre de Constantin envoyée au Salon, œuvrèrent afin
qu’il fut fait chevalier de la Légion d’honneur.
Ne pouvant plus travailler à ses œuvres, Constantin
survécut grâce à la générosité de ses anciens élèves, mais, en 1841, Auguste de
Forbin mourut à Paris (il fut enterré au cimetière Saint-Pierre à Aix).
Granet
aida Constantin jusqu’à sa mort, chez lui, rue des Trois Ormeaux, à 13h30, le 9 janvier 1844 à quatre-vingt-sept ans.
Granet
dut s’inquiéter du sort de Luce Constantin, puisqu’il s’occupa de Joseph
Sébastien qui était devenu presque aveugle et ne pouvait plus travailler.
Constantin
fut enterré près d’Auguste de Forbin.