Si vous vous penchez sur la vie du peintre Xavier Sigalon
(1787-1837) - dont le travail est d'ailleurs très intéressant, vous lirez
certainement qu'il fut notamment formé par « Barizain, dit Monrose »
qui était un élève de David.
Fort
bien.
Mais
qui était ce Barizain dit Monrose ?
Curieusement,
le Dictionnaire des peintres, sculpteurs, dessinateurs et graveurs de
Bénézit ne le mentionne pas.
Une
fiche sur le site de la Bibliothèque nationale mentionne un acteur, Jean
François Eugène Barizain dit Monrose (Paris, 7 avril 1817 - Bruxelles, 1899) qui a
rédigé un ouvrage sur la diction.
Son père, Claude Louis Séraphin Barizain dit Monrose
(Besançon, 6 décembre 1783
- Paris, 20 avril 1843),
et son frère aîné, Antoine Martial Louis Barizain, dit Louis Monrose (Turin, 10 juin 1811 - Paris, 7 juillet 1883), étaient
également acteurs.
Les
fils du célèbre acteur Monrose étaient trop jeunes pour avoir été élèves de
David et avoir formé Sigalon, même si Eugène est parfois désigné comme étant le
maître de Sigalon à Nîmes pendant deux ans.
Nous
pensons que l'erreur provient - notamment - de la façon dont Barizain fut
mentionné dans La Revue des deux mondes en 1934 : « A dix ans, la
famille s'étant transportée à Nîmes, l'enfant consumait ses veilles en copiant
des estampes à la bibliothèque, quand vint à passer dans le Midi un obscur élève de David, appelé Barizain, frère du
comédien Monrose. »
De nombreuses sources s'accordent à dire que Sigalon a
rencontré Barizain en 1805, mais trouver un Barizain dit Monrose qui aurait été
adulte en 1805, aurait pu être un élève de David et aurait eu un acteur pour
frère pose un réel problème - à moins que la date de cette rencontre ne soit
fausse.
En fait, il est possible que des circonstances extraordinaires
aient mis un Barizain sur le chemin de Sigalon. En effet, le père de Louis et
Eugène avait un frère, Jean Auguste Désiré Barizain dit Monrose (Rouen, 23
germinal An V/12 avril 1797 - Ingouville, 3 décembre 1829). Jean est
effectivement né à Rouen le 12 avril 1797. Il s'est marié à Nîmes le 17 janvier 1818 et est mort à Ingouville le 3 décembre 1829.
Sigalon
avait dix ans quand Barizain est né, mais la présence de Jean Barizain à Nîmes
semble faire pencher la balance du côté d'une possible rencontre. En revanche,
1805 semble étrange - très étrange.
Pourtant...
Dans la
liste des élèves de David - et en particulier ceux qui se sont rebellés contre
le maître et ont formé la "secte des Barbus" (aussi appelés les
Primitifs, les Penseurs ou les Méditateurs), il y a effectivement un Barizain,
surnommé « Monrose le Jeune », ce qui serait
dans la tradition, puisque le père se prénommait Jean. La secte des
barbus était guidée par Pierre-Maurice Quay (1777-1803) et le groupe finit par
se séparer quelques années après sa mort. Ce Barizain était le plus jeune
membre et grâce au travail de Delécluze, nous apprenons dans David, son école & son temps : souvenirs, publié en 1855,
que le frère de l'acteur Claude Barizain dit Monrose, était aussi danseur au
Théâtre des Jeunes Artistes (les plus vieux membres de cette troupe n'avaient
que seize ou dix-sept ans au maximum).
Certains modèles dans les ateliers des artistes étaient des
enfants de moins de dix ans. On peut imaginer que David ait accepté de former
quelqu'un d'aussi jeune que Jean Barizain (peut-être avec l'idée de modeler ce
jeune esprit).
La
description de Delécluze (pp. 328-330) soulève quand même quelques problèmes :
Ordinairement, dans les écoles, les plus jeunes élèves se font
un point d'honneur d'imiter les plus âgés, surtout dans leurs travers. C'est ce
qui ne manqua pas d'arriver vers 1800-1801, lorsque
la secte des primitifs eut pris tout son développement : Maurice eut parmi les
jeunes dessinateurs un imitateur ou plutôt un singe, qui donna dans toutes les
folies de la secte des penseurs.
Ce nouvel inspiré était Monrose,
auquel s'étaient joints plusieurs autres élèves. Tandis que son frère aîné
jouait la comédie au Théâtre-Français, dans l'emploi des grandes livrées,
Monrose le jeune était attaché comme danseur au théâtre des Jeunes Artistes*,
et il en était là quand des dispositions plus que douteuses lui firent prendre
la résolution d'étudier la peinture chez David. Lorsqu'il entra dans cette
école, il se ressentait encore des habitudes de sa première profession, et il
lui arriva longtemps de faire plus de pirouettes que de dessins. Forcé d'être économe,
mais mourant d'envie de se singulariser par son costume, à l'imitation des
primitifs ses aînés, il laissa croître ses cheveux et
sa barbe, espèce de travers qui se reproduit tous les dix ans chez les
élèves en peinture, et se mit à prêcher de la morale et à commenter les poésies
d'Ossian devant son petit auditoire. Les poèmes de ce barde étaient
exclusivement le livre, la Bible de ces sous-sectaires, qui se
recrutaient de tout ce que l'atelier de David avait de plus turbulent et de
plus inepte parmi les rapins. Mais une aventure burlesque mit fin à ces
niaiseries. Vers 1805, Monrose et sa troupe
désirant s'échapper de Paris, que dans leurs discours boursouflés ils ne
désignaient jamais autrement que comme une nouvelle Babylone, réceptacle de
tous les vices, résolurent de fuir dans les forêts pour passer une
journée à la manière des héros d'Ossian. Le chef de la
bande, Monrose, muni d'une guitare dont il raclait tant bien que mal, conduisit
ses adeptes au bois de Boulogne, où Dieu sait comme la journée se passa.
Vers le soir, il leur vint l'idée, toujours dans le but de se conformer aux
mœurs et usages des héros d'Ossian, de mettre le feu à un arbre ; mais les
surveillants et les gendarmes, accourus à la vue de cet incendie menaçant,
mirent la main sur le collet des jeunes bardes, que l'on conduisit à la
préfecture de police, où on leur enjoignit de se faire raser et de s'habiller
comme tout le monde. Telle fut la fin des derniers rejetons de la secte des penseurs
ou primitifs, dont les principaux chefs étaient morts à cette époque, ou
au moins rentrés dans la vie commune, et complètement désabusés.
* : Ce théâtre était situé dans la rue Basse, à
l'encoignure de la rue de Lancri. C'étaient des enfants, dont les plus âgés
avaient seize à dix-sept ans, qui y jouaient, et c'est là qu'ont débuté les
deux Monrose dont il est question ici.
Si
c'est bien le Jean Barizain dit Monrose qui est né en 1797 qui a été formé par
David, nous avons un problème de dates - et de barbe - à moins que le petit
Jean n'ait été aussi un phénomène de foire à huit ans.
En 1844, Auguste Pelet publia
le Catalogue du musée de Nîmes,
précédé de la notice historique de la Maison-Carrée et de la biographie de
Sigalon où il nous apprend à
la page 18 que Monrose, « élève médiocre de David »,
vint s’installer à Nîmes alors que Sigalon avait vingt ans – donc en 1807
(alors que Jean avait dix ans ?!). Cependant, Sigalon ne monta à Paris qu’en
1816.
Il est vrai que la plupart des sources semblent quand même
pointer vers Jean Barizain dit Monrose, mais le plus grand problème reste la
date de 1805.
Puisque Sigalon résidait à Nîmes, qu'il a rejoint l'atelier de
Guérin (1774-1833) en 1816 et que Barizain pouvait se trouver dans la région
avant la date de 1818, si Barizain forma effectivement Sigalon à la peinture
pendant deux ans, 1814 semble une date plus plausible.
Il est également possible que la durée de la formation soit
fausse et que le « 1805 » doive être lu « 1815 ». Barizain
aurait eu alors dix-huit ans et puisqu'il ne devait pas être un Mozart de la
peinture et du dessin - autrement nous aurions plus d'informations
biographiques à son sujet, cette date semble plus compatible avec sa mission de
formateur.
Si c'est bien le Jean Barizain dit Monrose né en 1797 qui a
aidé Sigalon et si la date de 1805 est exacte pour leur rencontre, il faudrait
écrire la biographie de cet artiste et donner au monde un tableau plus complet
que celui de Delécluze sur Jean (et sur toute la famille Barizain dit Monrose).
Si personne ne se dévoue, nous y songerons peut-être, mais seulement lorsque
nous aurons fini notre travail sur Constance Mayer.
Soit les dates sont fausses, soit Jean Barizain dit Monrose
mérite une biographie, soit... il nous manque un frère Barizain dit Monrose
entre Claude et Jean, mais nous n'avons rien trouvé en généalogie à ce sujet.
Le prénom et de la réelle identité du Barizain dit Monrose qui a aidé
Sigalon reste légèrement mystérieuse.
Post-scriptum généalogique: en recherchant les actes de
cette famille, les hommes de la famille sont enregistrés comme Barizain dit
Monrose, alors que certains ouvrages écrivent leur nom Barizain, dit
Monrose, comme s'il s'agissait d'un surnom que la famille d'acteurs se
serait donné et aurait conservé (Louis Monrose a même fait de Monrose son
seul nom de scène). Le manque de virgule à l'état civil et l'enregistrement
officiel du nom Barizain dit Monrose peut aussi indiquer un point géographique,
un surnom militaire ou encore une adoption à l'âge adulte par une famille
Monrose.
Même le patronyme est intéressant, mais quel Barizain !